Léo
– Allô ? Léo ? Léo !
Je panique. Il est trop tôt. Quelque chose ne va pas. Je le sais. J’ai peur.
– Maïwenn ?
– Léo, je… Sélène, elle… Elle a…
Des sanglots déchirent ses phrases. Qu’est-ce qui s’est passé, bon sang !
– Maï ! Respire. Il y a quoi ?
Je ne peux pas rester calme. Il y a beaucoup trop de tic-tac avant qu’elle ne réponde. L’adrénaline bouillonne dans mes veines.
– Elle est… Elle est tombée de la falaise près de chez moi.
– Sauté.
Ça m’échappe. Tout m’échappe.
– Elle est inconsciente, il y a des coupures partout.
Ses mots me glacent.
– Sélène…
Tous ces appels que je n’ai pas compris. Tous ces mots que je n’ai pas assez pris au sérieux. Elle l’a vraiment fait. La panique grimpe encore.
– Léo ? Léo ! Ça va ?
Comment ça pourrait aller ? Elle est morte. Pour de bon, cette fois. Et tout est ma faute.
– Réponds, s’il te plaît… supplie-t-elle.
Je m’écroule. Dans le miroir, un homme aussi pâle qu’un fantôme. Un homme aux grands yeux hagards. Un homme affalé contre un bureau. Un homme qu’on vient de condamner. Un homme dont les larmes ruissellent. Je ne les sens pas. Tout ce qui m’entoure est devenu flou. Sélène est… morte. Sélène… s’est tuée.
– Elle est morte.
– Je… je sais pas. Je suis pas sûre que… qu’elle soit… Je crois qu’elle resp...
Elle ne finit pas sa phrase. J’ai compris. La maigre étincelle d’espoir me brûle plus violemment qu’un brasier.
– Maï, qu’est-ce que t’attends ? Appelle les secours, alors, merde ! C’est peut-être pas trop tard.
Je raccroche. J’inspire. J’expire. Ça n’aide pas. Peut-être que c’est ça, les crises d’angoisse dont m’a parlé Sylane. Chercher l’air tout en s’y noyant. Sélène. Que je ne reverrai peut-être plus jamais. Non. Non non non. Je ne peux pas. Inspire. La panique me compresse les poumons. Expire. C’est impossible. Pas ça. Tout mais pas ça.
Je dois la rejoindre.
Je ne réfléchis plus. Je sors de ma chambre, téléphone encore en main. Je croise Maman qui prépare le petit-déjeuner, je lui dis que j’irai pas à l’école aujourd’hui, que c’est urgent. Je ne sais plus si je dis « Sélène » ou pas. Ce n’est pas important. Inspire. Je trouve une chaussure. Où est la deuxième, merde ! Je souffle.
C’est bon. Je l’ai trouvée. J’enfile ma veste. La porte d’entrée est fermée à double tour. J’avais oublié. Je cherche la clef, c’est la panique. De l’air ! Mes mains tremblent tellement, je perds beaucoup trop de temps. Enfin, le loquet se déverrouille. Je peux y al…
– Léo.
Maman. Elle m’oblige à la regarder, plante ses yeux dans les miens. Je ne sais pas ce qu’elle comprend. Elle me prend dans ses bras, comme si j’étais encore qu’un gamin. J’avais oublié que les larmes coulent sur mes joues. Innombrables. Les sanglots me secouent. Peut-être que je crie contre son épaule, je hurle à m’en déchirer la gorge, ou peut-être que je ne fais pas un bruit. Je cherche toujours de l’air, mais il y a le parfum rassurant de Maman. Ses caresses dans mon dos. Sa voix qui murmure des mots que je ne comprends pas.
– Léo ? Qu’est-ce qu’il y a ?
J’ai dû mal à le dire à haute voix. Inspire. La panique embrume mes sens. Expire.
– Sélène… Je dois aller la voir… Elle est tombée d’une falaise.
Je ne dois pas avouer la vérité. Elle a sauté. Je ne peux pas.
<3
Ailleurs.
– Allô ! Il y a quelqu’un ? Allô ?
– Calmez-vous, mademoiselle, je vous en prie. Où êtes-vous ?
Elle lui décrit l’endroit exact.
– La marée est descendante, elle n’est pas un danger pour vous dans l’immédiat.
Il y a beaucoup de questions. Maïwenn a du mal à répondre, elle hésite, bégaie, recommence. Ses phrases s’entortillent. Elle s’oblige à respirer. Elle ne doit pas paniquer. Pas maintenant.
– Elle saigne d’un peu partout, mais ça… ça a pas l’air grave.
– Elle est inconsciente ?
Elle appelle doucement Sélène. Lui secoue l’épaule. Aucune réaction.
– Oui.
– Elle respire ? Écoutez près de son nez.
Elle écoute.
– Je crois que oui.
– Bien. On vous envoie une équipe. Assurez-vous qu’elle continue à respirer, et rappelez si ce n’est plus le cas. On doit traiter un autre appel. Ça va aller ?
– Oui.
Ce n’est qu’un souffle. Mais c’est suffisant. Elle entend le bip-bip. On a raccroché, à l’autre bout du fil. Maïwenn s’assied près de Sélène, sur un rocher. Elle enlève sa veste et recouvre son amie avec, comme le lui a dit le monsieur, au téléphone. Maïwenn attend. C’est long. Elle écarte les mèches de cheveux qui cachent le visage de Sélène. Elle respire encore. Faiblement. Son poignet fait un angle étrange. Maïwenn attend. Elle aimerait comprendre, pourquoi, comment. Elle aimerait rappeler Léo, mais elle n’ose pas. Il devrait bientôt venir la retrouver.
Enfin, l’ambulance arrive. Le trajet semble long. On essaie de ranimer Sélène, sans succès. Maïwenn n’avait pas remarqué l’odeur d’alcool. Son amie papillonne des yeux, mais rien de plus. Toujours inconsciente.
À l’hôpital, Maïwenn doit attendre, encore. Des murs jaunes. Des chaises de plastique. Le froufrou des blouses. Et puis l’odeur. Elle fronce le nez, au début. Mélange de désinfectants et de peur. Mais elle n’a pas le choix d’être là. Elle attend. Elle aimerait la voir.
Les parents de Sélène arrivent. Ils reconnaissent Maïwenn, espèrent des informations, mais elle n’a pas grand-chose à leur dire. Elle ne sait rien.
– Elle est tombée de la petite falaise, près de chez moi… Non, ce n’est pas très haut… Ils ont parlé d’alcool, mais je n’ai pas compris…
Maïwenn ne pouvait pas faire mieux. Les parents de Sélène repartent, en quête de nouvelles. Elle espère qu’elles seront bonnes. Elle attend. Elle voit passer un petit garçon, tout pâle. Il dort contre le ventre d’une femme qui a l’air épuisée. Elle voit les éléphants en parachute, sur le mur. Il y a aussi des fleurs, un hérisson, une abeille. Mais ce n’est pas réconfortant.
Enfin, Maïwenn aperçoit une silhouette familière.
– Elle est où ?
Léo a les yeux rouges. Elle aimerait pouvoir l’aider.
– Je sais pas. Dans une salle, je crois qu’ils font des examens.
Il soupire. S’affale sur la chaise, à côté d’elle. Long silence. Ils attendent. Personne ne vient.
– Tu leur as dit ?
– Dit quoi ?
– Que… que ce n’est probablement pas un accident.
– Non. Mais Léo… ils ont parlé d’alcool, avant. Je crois qu’elle a bu. C’est peut-être à cau…
– Maï… Non. Crois-moi.
Il a les épaules tellement voûtées et la tête si basse. Maïwenn ne sait pas quoi répondre. Elle décide de le croire, même si ça ne lui plaît pas. Alors elle se tait. Elle attend.
– Tout est ma faute.
Une larme s’échappe, et Léo ne l’essuie même pas.
– Léo, elle n’est pas morte. Elle est seulement inconsciente. Peut-être même qu’elle a déjà repris conn…
– Mais comment tu peux savoir ? Peut-être que Sélène décidera de se laisser mourir. Elle en serait capable… Tout est ma faute.
Maïwenn pose sa main sur la jambe de Léo. Elle ne comprend rien. Elle reste avec lui. Elle attend.
Enfin, les parents de Sélène reviennent.
– Alors ?
C’est Léo qui a parlé. Il se redresse sur sa chaise, juste un peu. Sa jambe tressaute.
– Toujours inconsciente.
La voix de Loïc est comme le marteau qui condamne un prisonnier.
– Ils ont dit que ça ira. Elle va se réveiller. Mais ils vont quand même la garder jusqu’à demain, au cas où. C’est pas un coma éthylique, mais Sélène reste inconsciente, et…
Adeline éclate en sanglots. Léo serre les poings. Maïwenn laisse échapper quelques larmes.
– Chut… Tout va bien se passer, Adeline, la rassure Loïc.
Léo se lève. Maïwenn aussi. Elle se réfugie dans ses bras. Qui a besoin de qui ? Léo se met à trembler. Fort. Mais ils ne peuvent rien faire. Juste attendre. Ils sont sûrs qu’elle va se réveiller… Presque. C’est dur de garder espoir. Léo chuchote à son oreille :
– Et si elle refait une tentative, et que ça marche ? Maïwenn, je ne peux pas…
Elle ne répond rien. Elle ne peut pas le réconforter. Il ne reste que l’espoir.
– Je vais y aller, Maï. J’ai besoin d’être seul. Ne t’inquiète pas.
– T’es sûr ?
– Ouais. C’est bon. On se voit demain.
Il se détache d’elle, lui tourne le dos, s’en va. Maïwenn le laisse partir. Elle ne sait pas à quel point il est ravagé.
AU FIL DE LA LECTURE
“Maï, qu’est-ce que t’attends ? Appelle les secours, alors, merde ! C’est peut-être pas trop tard.”
>> Aaaah mais ouiiii qu'est-ce qu'elle attends ???
“Bien. On vous envoie une équipe. Assurez-vous qu’elle continue à respirer, et rappelez si ce n’est plus le cas. On doit traiter un autre appel. Ça va aller ?”
>> J'ai un peu bloqué à ce passage... Je ne suis pas une spécialiste dans le domaine, mais il me semble que les urgences restent en ligne quand quelqu'un attend une ambulance, et qu'ils l'aident à gérer la situation selon l'évolution de l'état du blessé... Du coup le raccrochage me paraissait abrupt.
>> Et aussi, ils lui disent de s'assurer qu'elle continue à respirer, mais ne lui disent pas comment (position latérale de sécurité, tête légèrement tirée vers l'arrière, éviter qu'elle ne s'étouffe avec sa langue, etc.)
Mais à par ça, encore une fois, c'est vraiment très beau... Très triste aussi, bien sûr, même si l'on aperçoit tout de même une fin heureuse, car tout le monde souffre, et tout le monde se sent coupable... C'est vraiment émouvant !
Bon, maintenant qu'elle est à l'hôpital, je vais pouvoir aller dormir sans paniquer hihi, mais je reviendrai rapidement pour la suite – et peut-être bientôt fin – de l'histoire :))
À bientôt !
Pour ce qui est de l'appel, je t'avoue que je pensais exactement la même chose que toi : comment ils pourraient la laisser gérer toute seule ? Mais, dans mon désir de bien faire, j'ai demandé à un ambulancier qui a travaillé en France et en Suisse, et il m'a dit que ce n'était malheureusement pas rare de laisser les personnes gérer s'il y a beaucoup de monde en appel. Pour la chute, il m'a dit qu'il ne fallait pas la bouger s'il n'y a pas de risques autres (par exemple la marée qui monte), parce qu'on pourrait toucher quelque chose de cassé, typiquement la colonne. Toutefois, je vais aller revérifier auprès de lui, pour être sûre =)
Peut-être bien, oui, qu'il y aura une fin heureuse...
J'espère te revoir tout bien, et encore mille mercis pour tout ce que tu fais pour Sélène et Léo <3
>> Hihi, mais oui, je comprends bien :)
Oooh, eh bien je suis très surprise au sujet des urgences ! J'étais persuadée qu'ils maintenaient le contact... Peut-être que ça dépend des situation ? Enfin, si tu as vérifié les informations, il n'y a pas de doute à avoir :) Et oui, c'est vrai qu'en y réfléchissant, il est logique qu'elle ne puisse toucher à rien, je n'y avais pas vraiment pensé...
De rien de rien, ça me fait très plaisir^^
Eh bien, à bientôt dans la suite – et presque fin – de l'histoire^^
J'espère que tu auras le temps de terminer l'histoire de Sélène et Léo avant que PA ne disparaisse... Je pense que oui, je me dépêche de publier les derniers chapitres ;-) donc à bientôt =)
Aaah c'est trop horrible, je vais re-déprimer si j'y pense TwT
Je suis inconsolable...