29. L'ascension
Ayant couché son pinceau sur le plat-bord de la barque, Eleonara s'essuya les mains dans un torchon, fouilla sa poche et déplia le billet qu'elle y gardait. Entre l'aveu de Razelhanout, les suspicions de Yousef et la mort-sieste de Sgarlaad, elle avait totalement délaissé le message de la part de Sebasha. Comme l'elfe s'y attendait, il était codé.
— Je m'absente pas longtemps, lança-t-elle à Sgarlaad qui clouait la protection métallique à l'avant de l'embarcation. J'ai bientôt fini, de toute façon. Il faut que je respire de l'air frais ; la poix me donne le tournis.
— Ça m'étonnerait que tu trouves de l'air frais à la Source, mais d'accord.
L'elfe émergea de l'entrepôt et s'assit sur les marches humides. Écrivant sur le verso puis, quand elle n'eut plus de place, sur sa paume et son poignet, elle décoda rapidement le billet. Les symboles opyriens avaient simplement été remplacés par des chiffres. Les phrases lui révélèrent alors leur mystère, à l'instar des écrits elfiques. Eleonara lut :
Changement de stratégie. N'emploie pas le passage secret pour aller au palais. Les Religiats l'ont découvert lors de leurs inspections et comptent s'en servir comme piège. Quelqu'un a dû te dénoncer. Ils t'attendent de l'autre côté, à la salle du trône.
Je sais que ton ami mikilldien construit une barque. Je sais comment et par où il compte s'enfuir. Je vous rejoindrai à la sortie du premier aqueduc le jour de la pleine lune, à la tombée de la nuit. Le bateau a intérêt à être fini.
Signé : Tu sais qui.
— Euh, Sgarlaad ? fit Eleonara en retournant à l'atelier souterrain. Quand aura lieu la prochaine pleine lune ?
— Demain soir, répondit le Nordique, un clou de bois dans une main et un marteau en suspens dans l'autre.
— Oh.
En se mordillant la lèvre, l'elfe considéra la barque dont le calfatage demandait encore à sécher.
— Pourquoi me demandes-tu ça ?
Eleonara déglutit.
— Sebasha prendra le cap avec nous.
Les petits yeux bridés de Sgarlaad s'écarquillèrent.
— Pardon ?
— Sebasha veut voyager avec nous.
Le Mikilldien reposa ses avant-bras sur ses genoux et contempla une paroi poussiéreuse.
— Tu lui as dit que nous construisions une lune-d'eau ?
Eleonara secoua les mains et la tête, sur la défensive.
— Non, pas du tout ! Elle a joué le rôle d'intermédiaire entre les Kermès et moi ; elle a dû déduire ce qui se tramait ici en lisant la commande. Ne t'inquiète pas, elle gardera ça pour elle ; c'est dans son intérêt que ça ne se sache pas. Elle est recherchée pour avoir déserté les Frères du Don'hill et veut partir d'ici, comme nous. Elle m'a justement envoyé un message pour aviser qu'elle nous rejoindra à la sortie du premier aqueduc demain soir. Euh, ça non plus, je ne sais pas comment elle l'a su. Après tout, nous sommes les seuls à connaître notre date de départ...
Sgarlaad se remit à cogner l'avant de la coque avec un marteau, avant de prendre un pinceau et de l'enduire d'une substance épaisse pour empêcher le métal de rouiller.
— La date doit être une coïncidence, mais pas le reste. Les Mysticophiles ont leurs ressources. Je t'avais dit de ne pas les sous-estimer.
Il avait raison. Bezùkiel et les Mysticophiles devaient posséder les plans des aqueducs et des qanats, qu'ils fussent fonctionnels ou en ruine. Les voies secrètes reliant la Source avec l'extérieur n'avait rien de nouveau pour eux.
— Au moins, Sebasha ne nous freinera pas, positiva Sgarlaad. Avec un peu de chance, elle emportera des provisions. Je doute que nous ayons assez pour trois personnes. (Il posa son pinceau de côté.) D'ici demain, la couche d'imperméabilité aura séché. Espérons que Madame la Mysticophile ne compromette pas tout ce pour quoi nous avons travaillé.
Le lendemain à la même heure, Sgarlaad rayonnait d'une énergie rarement observée chez lui. Il avait même avalé sa portion de riz matinal sans broncher.
— Préparons la Source pour notre départ. Il nous faut sceller la halle depuis l'intérieur ou la montée des eaux inondera la Chambre des aveugles.
Ce n'était pas la première fois qu'il expliquait comment ils abandonneraient le Bimaristan mais un détail laissa Eleonara perplexe.
— Sceller la Source, maintenant ? Sans avertir Monsieur Yousef ?
Cette idée lui plaisait beaucoup.
— Aye, sans avertir Monsieur Yousef, confirma le Nordique. S'il te prend pour la Bête, il t'empêchera de t'enfuir. J'ai fait exprès de prétendre qu'il nous restait encore une semaine pour fignoler la lune-d'eau. Je suis reconnaissant pour sa générosité et son soutien, mais nos opinions et nos valeurs diffèrent. Je lui laisserai un présent et une lettre au sec dans l'entrepôt.
Eleonara était confuse. Le cassage effaçait-il également le besoin de douter et de vérifier ? Que Sgarlaad ne la suspectât pas était plus une source de questionnement que de réconfort. « Comment réagirait-il je lui montrais mes oreilles ? Il a toujours été de mon côté et, après tout ce temps, il doit penser me connaître, mais... »
Mais il était humain. Mais il était ex-Sylvain.
Une part d'elle en avait marre de se déguiser ; une autre était terrifiée à l'idée de perdre leur récente proximité. La Dame pouvait pester depuis sa tombe, mais Eleonara en était certaine : rien ne se comparait à être enlacée, à goûter un peu de chaleur humaine. Sur l'instant, l'expérience lui semblait juste, logique ; elle remettait en place des morceaux d'elle-même qui étaient tombés.
Eleonara ne voulait pas risquer ça.
Ils barrèrent l'arche d'entrée de la Source avec des panneaux et bouchèrent les fentes avec des sacs de sable. Ensuite, ils empaquetèrent leurs quelques avoirs et leurs vivres – à savoir du pain, des biscuits de mer, de la viande séchée, des oranges, des citrons, des raisins secs et de l'eau douce. Il pêcheraient du poisson frais une fois en mer.
La barque reçut son baptême de l'eau. Voyant l'embarcation délaisser sa cachette pour gondoler sur le bassin souterrain, Elé palpita d'excitation.
Ils allaient s'enfuir. Ils allaient réussir.
Tandis que Sgarlaad tirait la lune-d'eau vers les marches couvertes d'algues, Eleonara détacha Voulï du templion. Elle avait proposé de le découper avant de l'emmener – histoire de maximiser la place disponible – mais Sgarlaad l'avait fixée jusqu'à ce qu'elle admît sa plaisanterie. Malheureux et avec un poil court et charbon, Voulï se laissa guider jusqu'à l'eau, prenant garde à ne pas trébucher sur les rampes pentues.
— Je n'arrive toujours pas à y croire, avoua Eleonara en encourageant le poney à enjamber le plat-bord et à descendre dans la barque. Tu crois que la coque va tenir avec nous dedans, en plus du poney ?
Ce dernier renâcla en stabilisant son quatrième sabot sur les planches assemblées. Une sandale dans l'embarcation, l'autre à plat sur les marches et le torse courbé en avant, Sgarlaad tenait fermement la lune-d'eau pour l'empêcher de se balancer.
— Nous serons un peu serrés avec la selle arrimée à l'arrière et Voulï au milieu, mais ça devrait aller. Il y aura juste du crottin à jeter par dessus bord.
Eleonara se plaça devant Voulï et lui caressa maladroitement le chanfrein pour l'apaiser. Il tremblait.
— On devrait lui bander les yeux. Sinon, il va s'affoler.
— Bonne idée, tu peux lui nouer ton turban sous la gorge.
— …ou je peux tout simplement utiliser ce linge de cuisine que plus personne n’utilise, dit Eleonara un peu rapidement.
Elle déballa les viandes séchées qu'elle avait soigneusement enveloppées dans ledit linge et, sans lâcher le licol de Voulï, couvrit ses yeux agités. Là, le poney se tint tout quiet, tout coi, à croire qu'il suffisait de ne plus voir le danger pour qu'il disparût pour de vrai.
Eleonara déversa les viandes séchées dans un autre sac de provisions. Les pupilles de Sgarlaad suivaient ses gestes.
— Ton chèche va se mouiller si tu plonges avec.
L’elfe pinça les lèvres. La suspectait-il plus qu’il ne laissait entendre ? Sous son chèche, elle portait sa fidèle touaille, comme d'habitude. Mais sa toile, au contact de l'eau, deviendrait moulante et translucide, contrairement au nouveau chèche qu'elle s'était fabriqué, plus épais et de couleur terre cuite.
Elle haussa les épaules.
— À mon avis, on sera tous les deux complètement trempés à la fin de la journée.
Elle s'attacha une corde solide autour de la taille et resserra son chèche. Puis, ayant confié l'extrémité de la corde à Sgarlaad, elle s'assit au bord de la Source de façon à y tremper les mollets. Elle frissonna au contact de l'eau froide. L'odeur qui s'en dégageait lui déposait un goût acide en bouche ; rien qu'à s'imaginer plonger la tête sous l'eau ou en avaler, elle avait la nausée. Branches, algues, épines et feuilles pointues se faufilaient entre ses orteils et s'entrelaçaient autour de ses chevilles tels des serpents gluants ou du lierre sous-marin. L'idée de rester sous ce liquide trouble, prisonnière de liens végétaux, passa au-dessus d'elle comme un nuage gris.
Avant ses quelques cours avec Sgarlaad, Eleonara n'avait jamais appris à nager. D'elle ou Sgarlaad, pourtant, c'était elle qui devrait se mouiller. Il suffisait d'un trou de conscience ou d'une mort-sieste imprévue pour que le Nordique bût la tasse et se noyât.
L'elfe considéra à nouveau les vagues. La voix posée de Sgarlaad résonna.
— Tu peux le faire, Bronwen. Rappelle-toi : la roue reliée aux engrenages qu'il te faut enclencher se trouve sur cette face du bassin à une profondeur moyenne. J'ai réussi à la sentir en y plongeant un piquet de bois.
Les doigts d'Eleonara se crispèrent sur les marches visqueuses.
— Quand tu auras trouvé la roue, fait la tourner ; les engrenages s'actionneront d'eux-mêmes. Reviens à la surface dès que tu manques d'air ou que la roue se bloque. Tire deux coups secs sur la corde et je te remonterai. Je t'aiderai à grimper dans la barque le plus vite possible.
Pour permettre à la barque d'atteindre la Mer Tapie d'or, il faudrait incrémenter le niveau de l'eau de façon à ce que celle-ci portât l'embarcation jusqu'à la découpure murale où Sgarlaad dormait habituellement. Le Nordique avait retiré le rideau ayant autrefois garanti son intimité, car il gênait l'entrée du premier aqueduc d'Arènes. Et la seule manière d'inonder la Source était d'ouvrir la vanne des aqueducs encore fonctionnels et de créer une fuite.
L'elfe, qui ne quittait plus le bassin des yeux depuis un moment, se décida. « À trois, je plonge ». Elle prit une grande inspiration.
Un, deux, trois. Elle repoussa le rebord, tendit les bras en avant comme pour fendre un épais feuillage et laissa son corps percer les eaux sombres. Une fois le choc et les éclaboussements passés, le silence se fit absolu, hypnotisant, une sérénité à bercer un bébé dans le ventre de sa mère.
Eleonara remua les bras et battit les plantes de ses pieds nus.
— Imagine que tu es un poisson, lui avait dit Sgarlaad alors qu'ils préparaient leur plan échappatoire. Tu n'as ni doigts, ni orteils, ni jambes. Juste des nageoires et une queue.
Elle écarta les paupières plus par instinct que par volonté. Des ronces aquatiques lui griffaient le visage. Cherchant la fameuse roue rouillée qui les sauverait, Eleonara scruta ses environs flous. Ils étaient infestés de branches provenant du buisson de fleurs jaunes qui, malgré ses efforts pour le couper, s'était étendu horizontalement. Les impuretés des tréfonds ne lui permirent pas de voir loin : elle nageait dans une piscine de thé vert.
Elle se retourna donc pour raser la paroi, s'efforçant à couler la tête la première. Empoignant des bouquets de plantes et des tiges robustes pour avancer plus vite, elle laissa une de ses paumes sonder la paroi. Rien à déclarer à part les aspérités et la mousse de la roche. Elle tâtonna encore et se propulsa vers le bas en s'aidant de ses jambes. L'insolente gravité inversée de l'eau la tractait vers le haut, lui demandant un redoublement d'efforts.
Lorsque l'urgent besoin d'oxygène appuya sur sa trachée, Eleonara remonta, une main sur la tête pour empêcher son chèche de se disloquer. Aussitôt qu'elle eût ajouré la pellicule de la surface, elle gonfla ses poumons, aspira une généreuse bouffée d'air, toussa et cracha avec une poignante envie de vomir. L'odeur de l'eau et l'idée que l'élément la recouvrait entièrement, rentrant dans sa bouche et ses narines, la rendait malade. Le buisson de fleur jaune avait-il cuasé ça ? Elle résista vivement au réflexe de s'humecter les lèvres.
— Ça va ? s'enquit Sgarlaad sur la barque, tirant déjà sa complice vers lui.
— Ça va. Je dois juste descendre plus bas. Je ne vois pratiquement rien mais je vais la trouver, cette roue.
— Courage.
Eleonara souffla quelque coups, bloqua sa respiration et replongea. Elle se replia sur elle-même et nagea en contrebas, la tête en avant. Elle agita ses pieds comme elle avait vu faire les enfants pataugeant dans le bassin central d'Arènes ou dans le fleuve du Rêve. Elle se représenta ses mains et ses pieds en tant que nageoires écartant les tiges épineuses et les feuilles d'algues. Cette fois, elle alla plus bas.
Quand elle aperçut enfin la roue immergée, Eleonara prit peur et s'écarta de la paroi. Elle avait reconnu la poulie au dernier moment et avait manqué de foncer dedans. Se réorientant à l'endroit, elle s'empressa de serrer les poings autour du cercle de métal. Elle tira et poussa, tira et poussa dans l'espoir de saisir dans quel sens elle devait l'actionner. L'anneau se montrait difficile ; les rouages cachés s'étaient oxydés et entartrés avec le temps. En outre, sa force musculaire se distribuait différemment sous l'eau.
Eleonara crut entendre un clic encourageant. Néanmoins, la pression sur sa gorge lui informa que ses poumons se vidaient. Elle fronça les sourcils et donna tout ce qu'elle avait, concentrant l'ensemble de ses forces sur la poignée qui crochait [1[, protestait, mais tournait, tournait. Passé un certain nombre de tours, la roue se montra de plus en plus docile, n'ayant besoin que d'une petite poussée pour tourbillonner. Il semblait qu'elle pouvait vriller sans limites. Il fallait la dévisser jusqu'au bout cependant.
Eleonara n'en pouvait plus. Aussi fit-elle surface et remplit sa réserve d'air. Elle saisit à peine les incitations de Sgarlaad : elle avait déjà replongé.
Elle s'acharna à nouveau sur la roue. Celle-ci s'immobilisa brusquement avec un « cling ! » presque organique, résonnant depuis l'intérieur de la roche.
L'elfe corrigea son chèche qui se dénouait. Hélas, il lui résista et pour cause : il s'était pris dans une ronce qui présentait deux fleurs dorées. Deux fleurs qui la narguaient tels les yeux jaunes d'un monstre marin. Eleonara tira et une compression autour de son cou la força à arrêter. Son chèche l'étranglait. Déjà le manque d'air enfonçait sa poitrine et la panique crépitait dans son ventre. Elle avait du mal à ne pas exécuter de gestes frénétiques. Elle avait soif d'air. Sa tête tournait, elle serrait les dents. Ne pas ouvrir la bouche. Ne pas ouvrir la bouche. Elle ne pensait plus qu'à ça : l'air. L'air et un choix. Garder son secret et se noyer ou retirer son chèche et tout risquer.
Reprends-toi, espèce de maroufle ! coupa sa voix interne. Je ne veux pas mourir dans cette eau nidoreuse, à deux doigts de la sortie. Tu veux mourir là, toi ? Hein ? Tu veux crever ici ? Réveille-toi !
« Damnation ! »
Eleonara pinça le tissu entre ses index et ses pouces et le déchira. La pression sur sa poitrine se changea en douleur. D'un coup sec, elle tira sur la corde qui s'enroulait autour de sa taille puis fuyait vers le haut. La corde se tendit aussitôt.
Du peu de forces qui lui restaient, elle nagea vers les fades lueurs de la surface, aidée par Sgarlaad qui, dès qu'elle émergea des eaux, l’attrapa par les dessous des bras, l'étreignit et la hissa dans la barque.
— Bien joué.
Sous l'eau, tout était silence et paix, mais maintenant qu'elle frissonnait sur le dos dans le bateau, Eleonara fut agressée par un tonitruant grondement de cascade et de mailles de chaînes coulissantes. Le mécanisme déclenché avait fracassé le calme habituel de la Source. De trois découpures murales s'écoulaient des torrents tels qu'Eleonara n'en avait jamais vu : verticaux et aussi ravageurs que les vagues se cassant contre les falaises du Don'hill. Il ne restait plus qu'à prier pour la résistance des sacs de sable, car rien ne semblait pouvoir contrer la colère des flots.
Menton à terre, elle fixa les planches du pontage avant, toussant et avalant l'air par des bouffées à se faire craquer les poumons. Elle avait failli mourir pour un mensonge. Un mensonge qui durait trop.
Le Nordique posa sa grande main entre ses omoplates.
— Tu vas bien ?
Eleonara le regarda. Il était si proche, les yeux inquiets et interrogateurs. Si proche d'elle et de la vérité.
Et si, au lieu de déchirer son chèche, elle l'avait retiré ? Que se serait-il passé en remontant ? Comment Sgarlaad aurait-il réagi ? Tu lui avais demandé de te faire confiance, souffla sa petite voix. C'est son tour maintenant. Dans le pire des cas, tu peux toujours le culbuter par dessus bord.
Comment Sgarlaad aurait-il réagi ? Elle voulait connaître la réponse.
Alors Eleonara arracha son chèche trempé d'un geste si fort qu'il emporta sa touaille avec.
— Œufs des Harpies !
De surprise, Sgarlaad partit en arrière et recula juste à côté de Voulï, qui, les yeux bandés, était trop content de ne pas avoir été écrasé.
Couchée dans la lune-d'eau qui chahutait, Eleonara se redressa. Ses oreilles ne devaient pas être un beau spectacle à voir. À force d'être étranglées et repliées, elles s'étaient accoutumées à leur forme et s'efforçaient de la maintenir. Eleonara voulut les bouger pour les libérer, mais le cartilage abîmé protesta avec des élans de douleur.
Sgarlaad les étudiait sans se départir de son expression de poisson. Elle n'avait pas envie de savoir ce qui lui passait par la tête ; ça ne devait pas être flatteur. Il marmonna quelque chose – en mikilldien, comme il le faisait toujours quand ils étaient seuls.
— C'était toi. L'elfe du Don'hill. Tu as mis en scène ta propre mort. Tu es... tu es...
Ses yeux se voilaient. Il marchait au bord d'un trou de conscience.
Eleonara leva le menton.
— Oui, c’était moi. C’est moi qui ai empoisonné mes consœurs. Elles voulaient m'exorciser, alors je leur ai joué un tour. Je ne voulais pas ce résultat mais la situation m’a fui des mains. J'en ai payé le prix. Je ne serai plus être désolée. J’ai été désolée suffisamment longtemps.
Le visage de Sgarlaad était l'incarnation même de l'incompréhension et de l'épouvante. Une image dont Eleonara se souviendrait. La gifle du rejet la heurta en plein cœur. Le rejet ; un mal invisible qui piquait, brûlait, creusait. Elle s'y était attendu, pourtant. Depuis les jours où la Dame lui avait tourné le dos et refusé de lui adresser la parole, il avait déterminé son existence, sa solitude, son point de vue.
Son chagrin ne dura pas. Elle était prête pour une nouvelle volée d'adversité. La Eleonara qui avait plongé n'était pas la même qui avait brisé la surface des flots. De fausse humaine à elfe, juste comme ça, en un tour de main. Une transition amère, mais il avait fallu la faire. Il était temps d'assumer. Après le baptême, la renaissance.
Elle sourit. Un sourire cynique, endurci. Elle était redevenue Elé. Sgarlaad était le premier à la voir ainsi après dix ans. Dix ans d'oppression et d'inhibition.
— Calme-toi, humain. Ce n'est pas le moment de perdre son sang-froid et son esprit à cause de vieilles batailles. Je veux partir d'ici et toi aussi. Si nous travaillons ensemble, nous atteindrons notre but commun. Focalisons-nous sur notre survie. Ensuite, il y aura tout le temps nécessaire pour se séparer.
NOTES EN BAS DE PAGE
[1] Crocher: (Suisse) être tenace, s'accrocher.
Je t'admire pour reprendre ta PAL avec autant de persévérance, je devrais prendre exemple sur toi !
Plusieurs personnes suspectaient que Sgarlaad le savait déjà et c'est un aspect avec lequel j'hésitais (comme tu l'as remarqué; Sgarlaad réagit d'une manière un peu spéciale à chaque fois que Hêtrefoux/le thèmes des elfes est mentionné). Je m'imagine que c'était peut-être un peu confus ! C'est un aspect qu'il faut que je retravaille !
Quant à la réaction "négative" de Sgarlaad, tu as vu dans le chapitre suivant ce qui se passe ^^
En tout cas je suis super contente que tu aies aimé reprendre ta lecture et retrouver Eleonara. Je suis tellement heureuse qu'elle continue à t'impressionner malgré ses nombreuses mésaventures !
Merci pour tes mots gentils <3
Ohmagad! Ce stress. Mais comment Sgarlaad va réagiiiiir! Et Elé qui le traite d'humain et qui joue les méchantes! J'ai presque envie de la baffer, elle va aggraver les choses T_T
Bon, je suis désolée mais j'ai aucune critique constructive à faire, je me précipite sur la suite :D
Alice
haha j'avoue que j'aime beaucoup ce petit cliffhanger très méchant qui, on dirait, a très bien fonctionné xD
Le problème c'est que j'ai peur de ne pas être très constructive parce que mes réflexions de lectrice se mélangent un peu à mes impressions de relectrice, et qu'en plus je l'ai lu deux fois, sans ressentir la même chose à chaque fois... Je vais quand même essayer de te faire part de mes impressions.
Bon ben d'abord évidemment c'est énorme ! Enfin Sgarlaad SAIT ! Et sa réaction est encore supérieure à mes attentes ♥♥♥♥♥♥
J'avoue que j'espérais qu'Elé finisse par partager sciemment son secret avec lui, alors que là elle n'a pas vraiment le choix, mais c'est un détail et puis son passé de Sylvain ne plaide pas en sa faveur, du moins d'après ce qu'Elé en sait. Et puis surtout c'est ton choix d'auteure XD
Peu importe : je l'attentais depuis si longtemps, que je suis hyper contente ! Et très agacée, bien sûr, que les deux autres viennent gâcher le tableau qui s'annonçait : Elé et Sgarlaad au clair de lune sur la mer... Mais bon, ça promet aussi, la présence de Sebasha et d'Amazzard sur cette coque de noix !
Au niveau rythme, à la première lecture, je me suis demandé s'il le chapitre n'était pas trop riche : j'ai eu l'impression que du coup tu passais un peu trop vite sur l'ENORMITE que représente (pour moi en tout cas) la révélation à Sgarlaad de sa condition d'Elfe, et la réaction du nordique. Je crois que j'aurais voulu encore plus d'introspections et d'échanges. Or, c'est logique aussi : on est en pleine action, il y a du bruit, ils sont pressés, en danger... donc tu ne peux pas t'attarder. Mais peut-être que ça minimise un peu l'évènement. Ceci dit, à la seconde lecture, ça m'a moins donné cette impression. Donc, à voir les prochains commentaires (et puis encore une fois : ce n'est pas une erreur de ta part sur le rythme ou la structure : c'est un choix d'auteure de t'appesantir ou pas).
Reste que le chapitre est quand même très très dense en termes 1) d'action (les plongées avec le chèche qui se coince, le manque d'air et surtout les montagnes russes en barque dans l'aqueduc sont trépidantes et assez éprouvantes pour le lecteur !), et 2) d'événements, dont deux majeurs (la révélation à Sgarlaad et le débarquement d'Amazzard dans l'histoire, imposé par Sebasha de manière un tantinet agressive puisqu'ils "piratent" plus ou moins la barque). En plus il me semble que le chapitre est long. Bref, du coup tu pourrais facilement en faire deux chapitres à mon avis : tu pourrais couper juste après que Elé sorte de l'eau, sur l'exclamation de Sgarlaad, ou alors avant qu'ils entrent dans le qanat. Ca ferait deux chapitres plus courts que tes chapitres habituels, mais tu pourrais développer des choses et ce serait moins effréné.
Alors attention, c'est bien comme ça aussi, hein ! Mais on sort de quelques chapitres plus calmes alors le contraste est très fort pour le lecteur.
Encore une fois, attends d'autres avis.
Détails :
"— Je m'absente pas longtemps," : je ne m'absente pas longtemps/je m'absente pour peu de temps (ou alors c'est exprès que tu n'as pas mis la négation ? Mais il me semble que d'habitude, Elé dit les négations).
"révélant leur mystère à elle comme par magie" : lui révélant leur mystère comme par magie
"Le bateau a intérêt d'être fini." : il me semble qu'on dit plutôt "a intérêt à être fini"
"Le petits yeux bridés de Sgarlaad s'écarquillèrent," : Les petits yeux
"J'ai fait exprès de ne pas le tenir au jus et de prétendre qu'il nous restait encore une semaine pour fignoler la lune-d'eau." : je crois que "tenir au jus" c'est vraiment familier". Sinon on dit plutôt "tenir au courant". Mais peut-être que Sgarlaad utilise des expressions familières ?
"Ils fermèrent l'entrée de la Source à double tour" : je n'imaginais pas vraiment que la Source avait une porte qu'on pouvait fermer. Du coup, pourquoi ne pas fermer à clé quand les Religiats perquisitionnent ?
"Voyant l'embarcation flotter et délaisser sa cachette pour gondoler sur le bassin souterrain, un frisson de joie zébra le corps Eleonara en diagonale." : lorsqu'on utilise une proposition participiale, il faut que le verbe au participe (ici : Voyant) se rapporte au sujet de la proposition principale. Sinon c'est une erreur (Fannie a appelé ça une rutpure de syntaxe, dans un commentaire qu'elle m'a laissé). Or, ici le sujet de la proposition principale est "un frisson de joie", mais ce n'est pas lui qui voit ; ) Du coup, il faudrait tourner la phrase autrement, genre "Voyant l'embarcation flotter et délaisser sa cachette pour gondoler sur le bassin souterrain, Elé sentit son corps zébré/se zébrer en diagonale par un frisson de joie."
"Elle avait proposé de le découper avant de l'emmener – histoire de maximiser la place disponible – mais Sgarlaad l'avait fixée jusqu'à ce qu'elle admît sa plaisanterie." : mouahahahaha !
"contrairement à son nouveau chèche qu'elle s'était fabriqué, plus épais et de couleur terre cuite." : contrairement au nouveau chèche (on se doute que c'est le sien, et ça fait un peu redondant)
"Elle tendit l'extrémité de la corde à Sgarlaad puis s'assit au bord de la Source de façon à y tremper ses mollets. Elle frissonna au contact de l'eau froide lui suçant les mollets." : répétition de "mollets"
"concentrant l'ensemble de ses forces sur la poignée qui crochait protestait, mais tournait, tournait" : il doit manquer une virgule entre "crochait" et "protestait" + je ne saisis pas bien ce que veut dire "crochait"
"Sgarlaad était le premier à voir ainsi après dix ans." : à la voir ainsi
"Ses oreilles ne devaient pas un beau spectacle à voir." : ne devaient pas être un beau spectacle à voir/ne devaient pas donner à voir un beau spectacle
"elles s'étaient accoutumée à leur forme et s'efforçaient à la maintenir." : de la maintenir
"Je ne voulais pas qu'elles meurent mis je ne serai plus être désolée." : mais je ne serai
"serrait au poing au-dessus de son sternum." : serrait le poing/serrait un poing
"Étrange, mais il y avait comme une étincelle d'amusement dans se yeux." : dans ses yeux
"Même Voulï la fixait, médusé." : il n'a pas les yeux bandés, Voulï ?
"Puis les fleurs jaunes dans le bassin, puis Yousef." : mais quand est-ce qu'il les a vues ?
"Je me suis souvenu de quelque chose pendant mon cassage" : ça manque de précision, même si on devine. On peut se demander si c'est pendant son cassage qu'il s'est souvenu de quelque chose (ce dont je doute) ou s'il s'est souvenu de quelque chose ayant eu lieu pendant son cassage. Dans le second cas, il vaudrait mieux mettre "Je me suis souvenu d'une chose ayant eu lieu pendant mon cassage."
"mais il ne faut mettre tous les Sylvains dans le même sac." : mais il ne faut pas mettre
"L'aqueduc commença à pencher, à monter tout gentiment, juste assez pour que cela se ressentît." : il faudrait interroger un spécialiste en hydraulique, mais ça me paraît impossible qu'un aqueduc ait une pente ascendante par rapport au sens du courant.
"Sgarlaad obligea Voulï à se recoucher." : ah bon, il était déjà couché, puis il s'est relevé ? Je n'avais pas compris.
"La barque se cogna violemment un obstacle." : La barque cogna violemment un obstacle/se cogna violemment contre un obstacle
"La barque s'immobilisa, bien que le courant continuait à brosser sa coque." : continuât
"Quand une voix résonna entre les couloirs de grès, les fuyards sursautèrent et Voulï laissa fuir un pet de surprise." : mouahahah, toujours tellement à propos, ce Voulï !
"Un pagne ambré s'enroulait subtilement autour de hanches" : des/de ses hanches
"De sa forme se démarquèrent les contours de mèches hérissées, d'une carrure carrée et d'un manteau claquant." : pas fan de la carrure carrée. D'une stature carrée ? d'une large carrure ?
Je sais que je le dis à chaque fois, mais je suis encore plus impatiente que d'habitude d'avoir la suiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiite.
Des bises
Comme toujours, tes remarques, subjectives comme objectives, m'ont vraiment aidée. J'étais lessivée après avoir fini la première version qui m'avait en plus laissée insatisfaite. Comme tu dis, il se passe trop de choses et on n'a pas le moment de souffler et de digérer les révélations importantes comme il faut! Je pensais justement le couper en deux et puis j'ai lu ton commentaire qui m'a rassurée dans mon choix ! En termes de fond, je n'ai pas apporté d'énormes changements à la 1ère partie (le chapitre 29 actuel), mais j'ai développé les dialogues dans la 2ème partie en essayant de me focaliser sur la justesse des émotions notamment.
Ouii Sgarlaad sait ENFIN ! depuis le moment qu'on l'attendait, il fallait bien que ça se passe avant les 10 ans de Hêtrefous xD Je suis super heureuse que tu aies apprécié sa réaction! J'avoue que moi aussi, je voulais que Eleonara lui dévoile son secret de manière plus intentionnelle et j'ai réfléchi à comment le faire, mais aucune version ne me semblait très naturelle. Peut-être qu'à travers quelques introspections, Eleonara pourrait montrer qu'elle a envie de le faire, mais hésite encore? Bref, ce sera un point à considérer lors de ma prochaine relecture :)
C'est vrai qu'avec Amazzard et Sebasha (et Voulï!) en plus sur la barque, ce n'est pas très romantique xD
Oooh toutes ses coquilles ! Ça a dû être si long de les relever, merci beaucoup ! J'ai tout corrigé, promis xD
Du coup, le prochain chapitre sera la partie 2 de ce que tu as déjà lu ; on peut dire que je t'ai spoilée avant l'heure :P
Merci encore et à très bientôt, je vois que tu as mis la suite des Princes !!
Comme ça il y a quand même une vraie volonté de sa part, mais ça ne change pas trop ton scénario.
Ou sinon, au moment où il lui fait remarquer que son chèche va être mouillé, elle a une sorte d'illumination de courage et de confiance et hop ! elle enlève tout. Mais là ça change plus de choses...
Bon, j'arrête, c'est génial comme ça aussi ;)
Je vais faire une deuxième version de la scène et voir ce que ça donne. Merci encore ^^
C'est avec plaisir ;)