Comme Meero reprenait le chemin du QG, la réponse clignota dans ses lentilles. Tout allait être bon, ils allaient s’organiser.
Il ne restait que quelques heures jusqu’à l’opération, il était temps.
Le QG en question se trouvait dans l’un des nombreux hangars à bateaux abandonnés sur la côte. L’emplacement changeait régulièrement ; les coins désertés ne manquaient pas à Zebulis. Quelques années auparavant, le plus gros des activités du secteur avait été délocalisé à Truvis et la ville se mourait à petit feu.
Le hangar grouillait de monde ; on tentait d’être dans les temps pour la réception de la marchandise. Meero aperçut Glev occupé à discuter les derniers détails. Quand il le remarqua, il lui fit signe d’approcher. À lui et à trois autres rebelles.
— J’ai un boulot pour vous, dit Glev.
Il les entraîna à part et vérifia bien que personne ne pouvait les entendre. Tant de confiance, c’était adorable.
— Je viens d’avoir quelques infos, ça risque de se compliquer ce soir.
Zut, il n’avait quand même pas réussi à le griller aussi vite ?
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda une rebelle que Meero voyait pour la première fois.
— Trop de soldats par ici. Les contrebandiers peuvent prendre peur. Il faudrait éloigner un peu la milice.
Non, ce n’était pas grand-chose. Meero s’attendait à bien pire.
— On attire les soldats en ville ?
— Aux quatre coins, oui. Choisissez les zones évacuées, ça fera moins de dégâts.
Meero acquiesça. Il préférait ne pas être là quand les soldats leur tomberaient dessus.
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Zebulis se mourait et se vidait petit à petit. Les gens préféraient faire leurs valises et s’en aller vers des coins plus prospères. C’est de cette manière que quantité de quartiers avaient été désertés. Et c’était assez glauque comme cadre, ces rues désertes et ces fenêtres vides. Les soldats continuaient de patrouiller, ils savaient que c’était l’endroit idéal pour la rébellion. Mais ils ne pouvaient pas vérifier tous les recoins.
La nuit tombait déjà quand Meero parvint à destination. Le plan était simple ; faire exactement ce que Glev attendait de lui. Ça aurait été con de griller sa couverture si près du but. Les explosifs furent vite placés, il ne fallait pas que ça fasse une trop grosse détonation. Il avait juste besoin d’une diversion. Diversion qui n’allait pas marcher complètement. Bien sûr, des soldats se précipiteraient pour voir ce qui se passait. Mais le plus gros des troupes resterait près du port.
Une fois sa tâche accomplie, Meero se mit à l’abri et attendit un signe de Glev. Enfin, le message apparut sur ses lentilles et il appuya sur le détonateur. Alors que l’explosion retentissait, il reprit la direction des quartiers habités. Il fallait qu’il se mêle à la foule.
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Tout était presque trop facile, c’en était ennuyeux. Quand il arriva dans le centre, il vit filer quelques camions de soldats vers les explosions qui venaient de retentir partout dans la ville. La panique gagnait rapidement les rares habitants dehors à cette heure. Lui, il s’appuya contre un mur et alluma une clope.
Il laissa son regard errer sur la rue qui descendait vers la mer. Elle menait directement au port où l’échange devait avoir lieu. Il inspira une bouffée. En ce moment même, ça ne devait pas être joli là-bas.
Pendant une fraction de seconde, Meero envisagea de repartir. Ne pas revenir vers le port, filer vers le train et ne pas se retourner. Après tout, les soldats devaient déjà avoir arrêté et les rebelles et les contrebandiers. Sa mission était terminée. Mais il fallait qu’il vérifie par lui-même. Si les choses avaient foiré et qu’il se tirait, il serait vu comme un déserteur par la rébellion et sa couverture serait grillée pour de potentiels contrats à venir.
Il jeta un dernier regard à la gare qui était à seulement quelques mètres, balança le mégot et prit le chemin du port. Le QG restait sûr ; il n’en avait jamais dévoilé la localisation. Tout comme il n’avait pas donné de noms. Il ne tenait pas à avoir du sang inutile sur les mains.
Le hangar fut bien plus animé que ce qu’il espérait. Il vit des caisses et aucun doute ne subsistait quant à leur contenu. La livraison avait bien eu lieu, des rebelles s’activaient autour. Merde, comment c’était possible ? Son message était bien parvenu à destination, des soldats auraient dû intercepter la cargaison.
Il vérifia rapidement ses lentilles. Rien. Pas de changement de plan. C’était mauvais.
Il se retourna pour quitter le hangar quand il tomba nez à nez avec Glev.
— Ça a marché ? demanda Meero en serrant les dents.
Glev acquiesça.
— Les diversions ont marché, on n’a eu aucun soldat dans les pattes.
— Et pour la suite ?
— Comme prévu. Notre présence à Zebulis est trop évidente, il va falloir délocaliser.
Meero hocha la tête avec autant de détachement qu’il put en trouver. Il fallait qu’il se tire d’ici vite fait.
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Techniquement, il n’y avait rien qui pouvait vraiment le compromettre dans tout ce qui s’était passé. Ni d’un côté ni de l’autre. C’était ce que Meero était en train de se dire, assis sur la plage face à la mer nocturne. Il avait filé du QG. Se retrouver avec tous ces rebelles autour alors qu’ils pouvaient reconnaître le traître en lui… non, pas l’idée du siècle.
En théorie, il n’y avait rien, oui. En pratique, il n’était pas à exclure que quelqu’un allait faire le rapprochement un jour ou l’autre. Et comme il tenait pas mal à sa peau, il allait disparaître.
Réapparaître à Muresid n’était pas une bonne idée. Il fallait un coin plus éloigné, plus perdu. Peut-être Eminas. Il se disait depuis bien trop longtemps qu’il fallait qu’il y revienne. Oui, c’était peut-être l’occasion de retourner sur la côte est.
L’image d’Ankha s’imposa à lui. Allons bon, ça devenait ridicule. Il n’allait quand même pas tout risquer pour ses beaux yeux. Il pourrait toujours la retrouver plus tard, quand les choses se seraient calmées. Si elle ne se faisait pas tuer pendant une mission.
Il sursauta soudain. Les galets venaient de rouler à côté de lui. Il serra les doigts sur le couteau au fond de sa poche. Mais ce n’était que Glev ; il relâcha la pression sur le manche et le regarda s’arrêter à quelques pas. Il ne pouvait pas distinguer l’expression de son visage ; la vision nocturne des lentilles cafouillait depuis quelques jours.
La lune sortit de derrière les nuages et Meero vit qu’il fixait la mer, les sourcils froncés.
— Tu comptes faire quoi ? demanda-t-il.
— Comment ça ? risqua Meero.
— Tu vas partir, non ? En tout cas, c’est ce que j’aurais fait.
Par mesure de précaution, Meero se remit debout et raffermit la prise sur le couteau.
— De quoi tu parles ?
— On va vraiment jouer à ça ? grinça Glev. T’étais pas aussi prudent que tu semblais le penser.
— Mais encore ?
— Les soldats, tout à l’heure, ils sont bien venus. Mais ils sont venus là où je t’ai dit que l’échange se ferait. Pas là où on était.
— Ah, commenta Meero.
Il vit Glev se tourner dans sa direction. La fuite était à présent exclue. Il s’était fait griller comme un bleu.
— Depuis quand tu sais ? demanda Meero.
Ça ne servait plus à rien de nier. Autant avoir une conversation honnête pour la première fois. Et peut-être pour la dernière.
— C’était bien trop tiré par les cheveux, ton apparition à Muresid. Au début, j’ai tenté te donner le bénéfice du doute. Après tout, tu connaissais l’indic, toi aussi. Je voulais bien croire à une coïncidence en le retrouvant la gorge tranchée. Et puis, après, j’ai vérifié ses communications.
— Et il m’avait pas contacté.
Meero fit quelques pas vers la mer avant de se retourner vers Glev.
— Du coup, dit-il avec un froncement des sourcils, tu savais avant de me confier Ankha ?
— Je savais.
— Ah, l’amour fraternel. Et si je l’avais tuée ?
— Je connais ma sœur. Elle est capable de se défendre. Et je savais que ça t’occuperait le temps que je pousse mes recherches plus loin.
— Ça, pour occuper…
— Je savais aussi que tu serais pas stupide au point de te dévoiler alors que t’avais encore une chance.
— Chouette déduction.
Il fit une pause.
— Et Ankha, elle savait ?
— Que t’es un traître ? Non. Mais c’est qu’une question de jours avant que ça remonte à la surface.
— Oh, par pitié, évite-moi ces conneries. Je suis pas plus traître que n’importe qui. Je crois juste que vous et votre rébellion, vous allez droit dans le mur. Et je vous donne pas plus de quelques mois de survie.
— Garde-le pour ton interrogatoire, tout ça.
— Un interrogatoire ? Je pense pas. Je les ai vus, ces interrogatoires, et on en sort rarement en vie.
Le souci, c’est que ça allait être compliqué de se tirer la nuit, le prochain train n’était que le matin. Si seulement Glev avait pu laisser ses petits soupçons jusqu’à l’aube.
Meero serra les doigts autour du manche du couteau. Ça ne l’enchantait pas tellement d’en venir là, mais si c’était l'unique solution, il n’allait pas hésiter bien longtemps. Parce qu’il connaissait Glev et il savait qu’il n’allait pas lâcher le morceau.
— Attends voir, s’esclaffa Meero, tu crois quand même pas que tu vas me ramener bien sagement au QG ?
— J’ai des hommes prêts à te cueillir. Mais tu peux aussi t’éviter quelques coups inutiles et venir par toi-même.
Meero balaya les ténèbres du regard.
Peut-être que ça grouillait vraiment de rebelles. La vision nocturne avait bien choisi son moment pour mourir.
— Sauf que tu vois, dit-il, je te connais, Glev. Et je sais que tu préfères prendre tes précautions. T’aimes pas exposer inutilement les gens. T’as prévenu personne à mon sujet. Absolument personne. J’ai tort ?
À la lumière de la lune, il vit une brève hésitation passer sur ses traits. Parfait, rien n’était encore perdu.
— Et donc, conclut-il, mon seul obstacle, c’est toi. Ma foi…
— Tu crois vraiment que tu vas t’en tirer avec un meurtre sur les bras ?
— Un meurtre ? Allons, des gens disparaissent tous les jours de la rébellion. Au pire, on pensera que t’as déserté.
Il fit un mouvement pour s’éloigner de la plage, mais entendit alors la sécurité d’un flingue. Meero se retourna et poussa un soupir. Quelques pas les séparaient.
— Glev…
Il ne répondit pas et lui fit signe de bouger. Vers le QG, vers l’interrogatoire. Meero hésita. Il ne savait pas si Glev allait effectivement tirer. Il ne savait pas jusqu’où il irait pour la rébellion.
— Avance, entendit-il.
— Tu peux me laisser m’en aller. Ça te changera rien.
— Non, je peux pas.
Meero lança un rapide coup d’œil au flingue. Sans davantage de réflexions, il se jeta sur le côté. Le coup de feu ne partit pas, mais Glev ne semblait pas vouloir lâcher le morceau. Meero n’eut pas le temps de se relever et sentit un coup dans la mâchoire, et encore un. Il pouvait voir toute la rage contenue dans cette attaque. Il pouvait voir que Glev irait jusqu’au bout pour le ramener au QG.
Au moment de la chute, le couteau avait glissé de la poche, mais il n’était pas tombé bien loin. Il en sentait le manche du bout des doigts. Il les tendit, quelques centimètres seulement. Et il frappa. Il ne savait trop où, mais il frappa. Les coups cessèrent. Il ne perdit pas une seconde et se releva. Glev n’en fit pas de même. Il était tombé à genoux sur la plage de galets et observait ses doigts couverts d’un liquide sombre. Puis, il hissa doucement le regard vers Meero qui se tenait là, le couteau à la main.
Il tenta de se relever, mais ses forces l’abandonnaient déjà.
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Meero resta là pendant de longues minutes. Devant lui gisait le corps de Glev et si la nuit n’avait pas été aussi sombre, il aurait noté le sang sur les galets.
Il avait déjà tué, tellement de fois qu’il ne comptait plus. Et la solution était de ne pas y penser, de se dire que c’était juste un truc nécessaire, que ça valait mieux que ça soit eux que lui. Alors pourquoi, face à ce nouveau corps, il se sentait comme ça ? Pourquoi est-ce qu’il avait l’impression d’avoir franchi une ligne invisible, celle qui allait tout changer ?
Non, c’était des conneries, tout ça. Il fallait qu’il le tue. Il le fallait pour survivre. S’il ne l’avait pas fait, toute sa couverture aurait été grillée. Non, il avait fait ce qu’il fallait. Il fallait qu’il se débarrasse du corps.
Et Ankha ? Quelle serait sa réaction si elle apprenait ce qu’il avait fait ?
Sauf qu’elle n’allait jamais l’apprendre. Jamais. Jamais elle ne saurait que c’était lui qui avait ôté la vie à son frangin. Le mieux serait même qu’elle ne sache pas qu’il était mort.
Après tout, des gens disparaissaient tous les jours de la rébellion.
Et maintenant, il fallait qu’il se débarrasse du corps.
J'ai hâte de lire la suite.
Ps : J'ai du mal à voir en Meero un "méchant". Et je pense que c'est le sentiment que tu veux faire passer. Tout n'est pas blanc ou noir, et ce joli dégradé de gris que tu nous offres est joli à contempler.
Au plaisir de lire la suite
Petite coquille : "Au début, j’ai tenté *de* te donner le bénéfice du doute"