Ankha disparut de la circulation. Peut-être qu’elle était chez elle. Mais toutes les fois où Meero tenta de sonner, elle n’ouvrit pas la porte.
Un moment, il se demanda s’il devait essayer d’en savoir plus via la rébellion. Après tout, peut-être qu’elle était repartie sur une mission. Mais il abandonna cette idée. Contacter la rébellion, ça ne lui disait rien.
Peut-être que c’était aussi bien ; il ne se sentait pas la force d’affronter son regard.
Et un soir, elle vint juste frapper à sa porte, comme l’autre fois.
— Je t’ai cherchée, lâcha Meero en s’écartant.
— Je sais, répondit-elle en entrant.
Elle enleva son blouson trempé de pluie. L’hiver se terminait et les averses étaient venues remplacer la neige. Puis, elle le suivit dans le séjour. Meero s’appuya contre le mur, près de la fenêtre, et regarda Ankha s’asseoir sur le canapé. Elle ne semblait pas sur la défensive ; son nom n’avait jamais dû apparaître dans ce qu’elle avait appris. Mais il avait besoin d’être sûr. La dernière fois qu’il l’avait vue, elle n’était pas en état de lui fournir des détails.
— Qu’est-ce qui s’est passé, là-bas ? demanda-t-il.
Elle serra la mâchoire.
— Il y a quelques jours, ils… ils ont repêché son… corps. Vers Zebulis. Ils pensaient qu’il était juste parti.
Elle prit une grande inspiration.
— Quand tu l’as vu pour la dernière fois, il t’a dit quelque chose ?
À cette question, il s’y attendait.
— Non, mâchonna-t-il. On s’est presque pas croisés à Zebulis.
— Oh.
Elle baissa les yeux sur ses mains, déçue.
— C’est juste que je pensais que… Enfin…
La suite de sa phrase mourut sur ses lèvres. Elle hésita un long moment, puis elle releva la tête vers lui. Son regard s'accrocha sur son visage, sur les traces de coups qui commençaient à peine à guérir. Mais elle ne dit rien.
— Tu as entendu parler de Catinis ? demanda-t-elle à la place.
— Catinis ?
— Pas de la ville, des attentats.
Bien sûr qu’il en avait entendu parler. Ça n’avait pas été le seul endroit touché.
— On était là-bas le jour où c’est arrivé, poursuivit-elle.
— Tu étais à Catinis ? demanda-t-il d’une voix blanche.
Elle hocha la tête d’un air vague.
— On y était quand ça a explosé et quand les soldats sont venus. Je suis restée dans un centre pendant trois ans. Puis Glev a réussi à m’en sortir…
Elle se tut et ramena ses genoux contre elle.
— C’est lui qui nous a fait rentrer dans la rébellion. Elle nous a donné une nouvelle identité, elle nous a permis de nous en tirer. Et en échange, elle demandait juste notre aide de temps à autre.
Il la vit sourire.
— Glev a toujours été à fond là-dedans. Il pensait qu’on pouvait vraiment changer les choses.
— Et toi ?
Elle ramena son regard sur lui, presque surprise de le trouver là, perdue qu’elle était dans ses souvenirs.
— Moi ? Je sais pas.
Elle s’accorda un temps de réflexion.
— Il y a des moments où j’ai l’impression que ce qu’on fait peut donner quelque chose, des moments où je me dis qu’un jour, ils paieront pour Catinis. Mais le plus souvent, j’ai surtout l’impression de me retrouver face à un mur. Ils sont forts, beaucoup trop forts pour nous. Et j’ai l’impression que jamais on pourra y faire quelque chose.
Le silence revint et Meero n’osa plus le briser. Pourtant, il avait des questions qui lui brûlaient les lèvres. Il n’aurait jamais pensé qu’Ankha et Glev venaient de Catinis, ils n’en avaient pas l’accent. Lui, il n’y avait jamais été, mais il avait entendu parler du drame, évidemment. Quelque chose de similaire s’était passé à Eminas. C’était ce qui l’avait fait partir. Il serra les dents.
— Mais il est plus là, murmura Ankha, et je sais pas ce que je vais faire.
Elle se tourna soudain vers lui et planta ses yeux dans les siens.
— Qu’est-ce que je dois faire ? demanda-t-elle et son ton se fit presque implorant.
C’était si étrange de la voir comme ça, si perdue, si fragile. Et c’était par sa faute. Il serra les lèvres.
— Quand ils sont venus à Catinis, ça a été l’horreur, tu sais. Tout s’est effondré en une journée. Nos parents sont morts, la ville a été évacuée. Mais tout ce temps, je savais que Glev serait là. Et maintenant ?
Il vit ses yeux devenir plus brillants. Et il réalisa qu’elle avait peur. Peur de ce qu’elle allait devoir affronter.
Il s’approcha d’elle, passa un bras autour de ses épaules et la serra contre lui.
— Ankha ?
Elle se dégagea de lui, s’essuya rapidement les yeux.
— Où t’étais ? Ces quelques jours.
— Ça change quoi ?
Elle se releva brusquement, fit quelques pas vers la fenêtre.
— Je suis allée voir sa famille. Pour, tu sais…
— Sa famille ?
— Sa femme, son fils.
Meero n’avait même pas envisagé ça. Peu se lançaient dans la rébellion en ayant déjà une famille. Il se racla la gorge. Il n’avait pas envisagé.
Ankha revint s’asseoir à côté de lui, hésita. Puis, elle posa la tête sur son épaule. Il l’entendit renifler.
×
Meero fut réveillé par le bracelet de saisie. Il s’était mis à vibrer. Il ouvrit les yeux dans l’obscurité et consulta l’information qui était arrivée sur les lentilles. Un nouveau contrat se manifestait. Pas trop tôt, ça faisait quatre jours qu’avec Ori, ils attendaient ce contact.
La nuit était encore totale et il sentait le corps chaud d’Ankha contre le sien. Il passa de longues minutes à écouter sa respiration paisible. Ses cauchemars se faisaient plus rares ces derniers jours.
En tentant de faire le moins de bruit possible, il se tira des draps, s’habilla et poussa la porte de l’appartement. Il devait être au point de rendez-vous d’ici une heure.
Il ne savait pas qui était le client, tout comme il ne savait pas en quoi allait consister le boulot qu’il allait lui coller. Mais il était l'heure de revenir dans la course.
Ça faisait trop longtemps qu’il n’avait pas fait ce genre de petites missions. Maintenant, il voulait laisser toute cette histoire de rébellion loin derrière.
Pour contenter les clichés, le rendez-vous devait se faire dans la ville basse. Meero parvint jusqu’à là-bas sans se faire inquiéter par des patrouilles nocturnes. Outre les entrepôts abandonnés, la ville basse comptait quantité de baraquements oubliés. Quand le gouvernement avait lancé son plan de relogement, ils s’étaient vidés. Sauf que personne ne les avait fait démolir et ils restaient là, vestiges d’un autre temps. C’était dans l’un d’eux que Meero avait rendez-vous.
Il enclencha la vision nocturne des lentilles et poussa une porte. Le sol de la maison était recouvert de feuilles des automnes précédents qui amortissaient les pas. Meero avança jusqu’au fond et entendit soudain le cliquetis d’une sécurité qu’on enlevait.
Il ne se retourna pas et resta parfaitement immobile. La plupart de ses clients avaient la paranoïa bien développée.
— Vous êtes venu seul ? demanda une voix dans le dos de Meero.
— Comme vous l’avez précisé.
— Bien.
Il sentit que le quelqu’un se déplaçait derrière lui. Toujours immobile, il attendit la suite des événements.
— J’ai besoin que le travail soit fait proprement, continua son interlocuteur. Je ne veux pas qu’on puisse remonter jusqu’à moi. Ni jusqu’à vous d’ailleurs, ça me compromettrait.
— J’ai pas l’habitude de laisser des traces.
— Il s’agit de se débarrasser de quelqu’un, poursuivit la voix. Quelqu’un devenu assez gênant. C’est dans vos cordes ?
Meero marqua une seconde d’hésitation. Le sang de Glev était encore chaud sur ses mains.
— Oui, finit-il par répondre.
— Bien, bien.
Le quelqu’un s’anima en toile de fond et Meero entendit le froissement du papier.
— Vous avez tous les détails là-dedans. Je compte sur vous pour détruire ces documents ici même, il faut que personne ne tombe dessus.
Meero acquiesça, même s’il ne savait pas si son client pouvait le voir.
— Un quart de la somme vient d’être transféré sur le compte dont vous m’avez donné l’identifiant. Le reste vous sera payé quand le travail sera fait.
Les pas s’éloignèrent dans son dos.
— Je compte sur vous, entendit Meero avant que la porte ne se referme.
Il resta encore quelques secondes sans bouger. Puis, il se retourna et avisa l’enveloppe laissée sur le sol. Il s’en saisit et la tourna entre ses doigts. À l’intérieur, devait figurer tout sur cette personne qui n’allait plus respirer bien longtemps.
×
Le contenu de l’enveloppe était étalé devant lui. Des photos, des textes imprimés, le client avait ramassé une chouette collection. Meero fixa la future victime.
Il la connaissait de réputation. C’était une journaliste de l’ombre qui faisait beaucoup jaser. On n’avait d’elle que son nom et elle changeait de localisation bien trop souvent.
La rébellion ne devait pas être étrangère à tout ça. On disait même que la journaliste n’existait pas et n’était que la façade de l’organisation. D’autres racontaient qu’elle avait été tuée depuis longtemps, mais que la rébellion avait continué à publier sous son nom.
Tout ça, ce n’était que des on-dit et même en faisant partie de la rébellion, Meero n’avait jamais pu obtenir un grain d’information sur le sujet.
Sauf que maintenant, il avait la preuve qu’elle était bel et bien réelle. Il ne savait pas comment son client avait réussi à avoir ces clichés, mais il avait enfin mis un visage sur un nom qui hantait les espaces virtuels depuis des années. De là, il n’était pas très compliqué de déduire que derrière son commanditaire se cachait le gouvernement. La journaliste avait dû leur causer vraiment beaucoup de tort.
Il était aussi facile de deviner qu’il ne serait pas tout seul sur l’affaire. D’autres que lui avaient dû être engagés et la cible avait très peu de chances de s’en tirer.
Il entassa les papiers et craqua une allumette.
×
C’est dans l’aube grise que Meero rentra chez lui. Il venait de communiquer toutes les informations à Ori. En ce moment même, elle était en train de chercher tout ce qu’elle pouvait sur la journaliste. Elle interrogeait toutes les caméras de surveillance qui auraient pu capter sa présence. Lui, il n’avait plus qu’à attendre qu’elle tombe sur quelque chose d’exploitable.
Il s’arrêta dans l’embrasure de la porte de la chambre. Ankha ne s’était pas encore réveillée. Il distinguait ses boucles brunes et désordonnées, il devinait sa respiration paisible.
Jusque-là, il avait eu du bol ; qu’on n’ait pas relié le meurtre de Glev à lui, qu’on n’en ait pas informé Ankha. À un moment, il se surprit à se demander où tout ça allait le mener. Il ne s’était jamais réellement interrogé sur ça avant. Il était un mercenaire et ça lui allait très bien. Il ne devait rien à personne, il n’avait qu’à exécuter les boulots qu’on lui proposait et éviter de se faire descendre.
Mais maintenant ? Maintenant, il y avait Ankha. Et il était à peu près certain qu’elle partirait s'il dévoilait sa véritable identité. Ou qu’elle le tuerait. Il ne se faisait aucune illusion à ce sujet.
Alors quoi ? Il devait continuer ainsi ? Ou juste se tirer ?
Il n’y avait que ces deux solutions. Jamais elle n’apprendrait qui il était vraiment.
Reste à savoir comment meero va réussir à retrouver la journaliste et quelle est son rôle ??
Du coup je suis hyper intriguée par cette journaliste !
Oh et je suis vraiment trop fan de l'ambiance entre Ankha et Meero, je dis pas que c'est très sain et cosy comme relation, mais en tout cas je me les représente très facilement, et j'aime bien l'esthétique voilà ^^
Ah bah, ça, c'est pas méga sain comme relation xDD On verra bien si ça se finira dans l'hémoglobine :'')