3: Agaçante Agate

Par Lordure

 

Midas - Extrait du journal de bord


Voilà plusieurs mois que je me suis établi dans cette ville. C'est une ville imposante. Je choisis toujours des grandes villes. On se dilue mieux parmi la population.

Plus il y a de monde, plus on passe inaperçu, c'est connu.

J'ai d'abord profité de l'hospitalité de l'administration, en échange de mes dernières découvertes. Puis, contrairement aux autres explorateurs qui repartent rapidement vendre leurs trouvailles à la ville suivante, j'ai proposé mes services aux entreprises d'alchimie qui développent et commercialisent des médicaments issus des substituts magiques, des minéraux ou des plantes trouvées dans l'environnement. Les nouvelles substances et plantes que j'ai pu étudier pendant mes voyages et mes connaissances intéressent plus d'un entrepreneur.

Il faut dire, j'ai eu plus de temps que n'importe qui pour étudier durant toute ma longue vie.
Et c'est ainsi que six paisibles mois se sont écoulés depuis mon arrivée.

J'aurais pu rester plus longtemps.

J'aurais voulu.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin.

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3: Agaçante Agate 

 

Le lundi matin, Ëlie sentit le vent souffler une brise chargée d’humidité sur son visage. Il avait plu toute la nuit et le soleil avait du mal à chasser le froid des orages.


Iris, quant à elle, rayonnait de légèreté. Sa spécialité de l’eau bouillonnait en elle comme un feu follet dans un brasier et la brume ambiante faisait rebiquer ses cheveux de plus belle.


Les deux amies se dirigeaient vers le gymnase pour une matinée de sport. Ëlie aimait beaucoup faire du sport, mais pas en mauvaise compagnie. Quelques-uns de ses camarades ne trouvaient pas grâce à ses yeux. Durant toute son enfance, elle avait dû essuyer des blagues douteuses concernant son aspécialisation. Ainsi, elle gardait une certaine allergie envers ces individus.

C’est pourquoi ce matin, elle aurait grandement préféré une longue sieste au coin du feu plutôt que de suer beaucoup trop près de ses camarades. Cela était encore plus vrai le lundi matin.


Elles traversèrent la cour où quelques retardataires pressèrent le pas pour rejoindre leur salle ou bien, comme elles, le gymnase pour leur cours de sport. Soudain, Ëlie rentra dans le dos d'Iris qui s'était brusquement arrêté. Ëlie étouffa un juron avant de lui demander ce qui se passait. Sans perdre de temps à répondre, Iris reprit sa marche, au pas de course, en fixant intensément un petit groupe de personnes à proximité du préau. En s’approchant, les deux jeunes filles reconnurent immédiatement leur camarade Agate avec sa petite bande au complet.


- Bonjour Agate, je peux savoir ce que tu mijotes ? Questionna Iris, sans détour.


Avec l’adolescence, Ëlie trouvait que son amie était devenue plus sûre d’elle et moins naïve. Son pouvoir lui donnait plus confiance en elle, et la dureté de la cour d’école l’encourageait davantage à la suspicion plutôt qu’à l’empathie.


- Ce ne sont absolument pas tes affaires la naine. Rétorqua Agate, les mains dissimulées dans son dos.


Agate était l’ennemie préférée d’Ëlie et par extension, celle d’Iris. Depuis le collège, leur opposition leur a valu pas mal d’heures de colle, à toutes les trois. Toutes ces retenues récoltées, combinées au fait qu’elles se retrouvaient régulièrement dans la même classe, faisaient qu’elles partageaient beaucoup plus souvent leur quotidien qu’elles ne l’auraient souhaité. 

A l'évidence, leur dernière année de lycée n’allait pas sonner le glas de leur querelle. Agate se plaisait à taquiner Ëlie sur son aspécialisation ou sur le fait qu’elle soit orpheline de naissance, abandonnée, comme elle aimait le dire. De son côté, Agate et son petit frère Alvin, de deux ans son cadet, étaient des enfants de héros de guerre. 

Leurs parents, militaires tous les deux, étaient morts au combat cinq années plus tôt lors d’une mission de sauvetage d’un village au nord du pays. Agate adorait venter leur courage et leur dévouement à qui voulait l’entendre.


Les mains toujours dans le dos, Agate dégagea d’un habile mouvement de tête, les mèches de cheveux noirs qui retombaient sur son visage. Ses yeux bleu pâle, ne quittaient pas ceux, bleu profond, d’Iris.
C’est à ce moment-là qu’un bruit de glace brisé se fit entendre. Agate perdit son contact visuel au même moment que son équilibre et se retrouva par terre. Ses pieds ayant glissé sur une plaque de verglas soudainement apparue. Dans sa chute, elle avait lâché ce qu’elle tenait derrière son dos et s’était rattrapée tant bien que mal sur une main et les fesses à moitié par terre.
Au même moment, un petit garçon apparut derrière Agate, criant et essayant rattraper ce qu’elle avait laissé échapper.
- Nom d’une gargouille ! S’écria-t-il. Vous aurez pu le blesser avec vos bêtises !

Artus, vert de peur, tenait dans ses bras un petit lapin blanc.

- C’est de leur faute ! Accusa Agate


- Seule Mère Nature sait ce que tu avais en tête avant qu’on arrive ! Rétorqua Iris.


Blessée, qu’elle n’ait pas pu exécuter ses vils desseins ou bien parce qu’elle avait été accusée à tort, Agate se releva vivement et saisi Iris à la gorge. Sans lui laisser le temps d’en faire plus, Ëlie lui flanqua son poing sur le nez. Immédiatement, Alvin et un des deux autres garçons immobilisèrent Ëlie par les bras tandis que le dernier immobilisait son amie. Agate, le nez en sang, fit apparaître du feu aux creux de ses paumes et s'approcha de son bourreau.


- Œil pour œil, nez pour nez !


La dernière image dont Ëlie se souvenait, était d'une boule de feu s'écrasant sur son visage et d’une douleur intolérable qui irradiait dans tout son crâne lorsque sa tête percuta le sol glacé.


Elle se réveilla à l’infirmerie quelques heures plus tard, une douleur lancinante derrière la tête lui fit porter une main à son crâne. Ses cheveux étaient encore recouverts de sang séché. Elle était seule à l’infirmerie. Par la fenêtre, elle remarqua que le ciel s’était dégagé et que le soleil était déjà très haut. Il ne devait pas être loin de midi. L’infirmier, Monsieur Bondo, entra dans la pièce :


- Bonjour Mademoiselle, vous voilà enfin réveillée ! Comment vous sentez-vous ?

- Ne faites pas durer le suspense, Monsieur, dites-moi à quel point je suis défigurée ?

-Vous n’êtes pas du tout défigurée, à part les cinq points de suture que j’ai dû faire à l’arrière de votre tête. Les examens supplémentaires n’ont montré aucune lésion pouvant laisser penser à un risque d’hémorragie interne ou de traumatisme crânien. Toutefois, si vous avez des vertiges ou des nausées dans les jours à venir, revenez me voir immédiatement.

-Et mon nez ?

-Votre nez ? Il n'a absolument rien… C'est vrai qu'il était couvert de sang, mais je n’ai relevé aucune fracture… Par contre, votre tête a reçu un sacré coup quand elle a percuté le sol, d’où la vilaine entaille à l’arrière du crâne.

- Très bien, je vous remercie Monsieur Bondo.


Une dernière chose, prenez ce sac de feuilles de saule blanc contre la douleur. Mâchez-les longuement en cas de tiraillement ou de mal de tête et n’hésitez pas à revenir me voir en cas de besoin.


Après cette rapide entrevue, Ëlie bondit sur ses pieds pour aller observer les dégâts dans le miroir de la salle de bain. Son nez était parfait, comme d'habitude, ravie que cette manœuvre n’est pas défigurée son beau visage.

D'ordinaire, elle guérissait rapidement des brûlures. Si bien qu'Iris et elle pensaient qu’elle devait bien faire partie de la tribu du Feu en fin de compte. Elle en était enchantée d'ailleurs. Cela voudrait dire qu'elle arrivait à contrôler, si peu soit-il, un élément. 

Comme elle s'y attendait, la brûlure avait guérit avant même d'atteindre l'infirmerie et par chance, elle se disait qu’Agate n'avait même pas assez de force pour lui casser le nez.


Elle se lava les cheveux tant bien que mal dans le lavabo pour enlever le reste de sang que l'infirmier n'avait pas réussi à nettoyer et elle quitta l'infirmerie en remerciant le soignant.
Elle se dirigea seule, vers le réfectoire. Tous les élèves devraient arriver d'une minute à l'autre à l'exception de quelque pressés qui avaient déjà pris place. Elle en profita pour prendre son plateau et son repas et choisit une table près des fenêtres. 

Quelques minutes plus tard, elle fit signe à Iris qui s'empressa de la rejoindre.


- Waouh! il a fait du bon travail !
- Qui ça, L'infirmier Bondo ?
- Nan, Monsieur le Directeur Eluminël. Il est venu juste après qu'Agate ait mis son poing sur ton nez. Tu avais du sang partout sur le visage ! Et comme tu t'étais cognée, tu en avais plein les cheveux aussi et tu t'es évanoui. Je suis désolée de t'avoir forcé à agir. Agate embêtait Artus, mais elle n'aurait sûrement pas fait de mal à ce pauvre lapin.
- Et qu'a fait Le directeur ?
- Il s'est penché sur toi, a marmonné quelque chose en dirigeant ses mains sur ton visage. Puis il a paru étonné par l'ampleur des dégâts et il t'a porté à l'infirmerie.
Ëlie fut soudainement prise d’un fou rire. Iris lui demanda :
- Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ?
- J'imagine mal le vieux directeur me porter dans ses bras tout flasques jusqu'à l'infirmerie !
- Hum humm..


Le Directeur se tenait juste derrière la jeune fille, sourire aux lèvres. 

Ëlie devint livide. 

Elle avait un grand respect pour le directeur. Il s'était battu pour qu’elle puisse suivre Iris dans sa spécialisation, et était quelqu'un d'extrêmement important dans l’école et dans tout le reste du monde. De plus, les enfants de l’orphelinat n’ayant pas de famille, le directeur mettait un point d’honneur à choisir et à offrir chaque année un cadeau pour leur anniversaire et pour le solstice d'été, jours de fêtes dans les familles. 

Il n’avait jamais dérogé à cette règle. Son grand sens de l’observation lui avait permis de taper dans le mille à chaque choix qu’il avait fait la concernant. Le dernier cadeau du solstice d’été de cette année, sa magnifique veste en cuir, symbole du look rebelle que la jeune fille affectionnait tant, avait été conçu par les mêmes artisans qui équipaient l’armée de Feu du gouvernement. Indéchirable et ignifugé, ce petit bijou avait dû coûter une fortune !

Ëlie avait été en émoi en la recevant. Son ancienne veste en cuir, elle-même un ancien cadeau des années passées, commençait à être franchement trop petite pour elle et très usée.


- Bon…Bonjour monsieur…. Dit-elle maladroitement. Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire… Enfin si… Mais je présume que vous avez dû être un homme fort dans votre jeunesse…Quand même…enfin....je crois.
- Je venais prendre de vos nouvelles Mademoiselle Fornela. Monsieur Bondo m'a dit que vous aviez déjà quitté l'infirmerie. Comment va votre tête ?
- Très bien, je vais bien. La plaie nécessitait quelques points de suture, mais Monsieur Bondo m'a assuré que je n’avais aucune autre lésion.
- Bien, bien, bien, étrangement….


Sur ces paroles, le vieil enchanteur remonta sa manche et les salua d’un geste très enfantin de la main, en faisant exagérément trembler la peau de ses bras. Il repartit sur un clin d’œil et sous les rires francs des deux adolescentes, qui finirent par essuyer des larmes de rires aux coins de leurs yeux.


- C'est lui qui est "étrange". Termina par dire la jeune rousse, une fois le fou rire calmé.
- Pfff…et toi qui pensais qu'il t'avait porté dans ses bras jusqu'à l'infirmerie, tu es si naïve !
- Ha bah c'est l'hôpital qui se fout de la charité ! Pourquoi dis-tu cela ?
- C'est un enchanteur, et son élément d’origine est l’air. Il t'a soulevé dans les airs voyons ! Il n'allait quand même pas se casser le dos pour une petite impétueuse et malpolie que toi ! Répondit-elle pour la taquiner.
- Alors comme ça, des gens arrivent à guérir les autres, les soulever dans les airs et je ne sais quoi encore, et moi j'arrive tout juste à ne pas me brûler avec une allumette. La vie est vraiment injuste.

Devinant l’état d'esprit de sa meilleure amie, Iris répondit :
- Ne t'en fais pas pour tes pouvoirs, ils se réveilleront bien un jour. Qui sait, tu en as peut-être un nouveau que personne ne possède encore.
- Oui c'est ça, le pouvoir de deviner qui se trouve dans mon dos.


Un rire d'hyène lui fit tourner la tête. C'était Agate, le nez bandé qui se tenait derrière elle. Ben voyons, quelle ironie ! Le poing sur les hanches, et loin d’avoir honte de son nez cassé, elle levait la tête fièrement, comme s'il s'agissait d'une blessure de guerre. De toute manière, si disait Ëlie, son nez était déjà affreux, si ça trouve, elle l’avait même embelli.
- Tu n'en as pas eu assez, tu viens chercher le dessert ?
- J'espère que t'es fière de toi Fredo ! J'ai écopé de 4h de colle samedi.


Ëlie détestait qu’on l’appelle Fredo, et Agate avait l’air de trouver cela hilarant et de beaucoup en profiter. Elle tourna les talons et partit. Iris grimaça.


- Quoi ? Lui demanda Ëlie. Tu n'es pas contente qu'elle ait été punie ?
- Si ! Mais il y a des chances pour qu'elle ait la même punition que toi samedi matin.
- Nom d'un lutin, ça m’était sorti de la tête !

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