Midas - Extrait du journal de bord
Cette ville va me manquer.
Le temps était clément. Du moins, les deux saisons que j'ai pu voir. L'automne est déjà là et je reprends la route, juste avant le froid de l'hiver. Mauvais timing.
Je me console en me disant que je serai au mieux de ma forme demain. Voilà de bonnes conditions pour affronter la neige et l'humidité.
De toute façon, je ne pouvais pas rester plus longtemps. J'ai été discret mais la ville n'est pas si grande que cela. Les mauvaises habitudes ont la vie dure. Elles auraient été pointées du doigt, tôt ou tard. Bien que prudent, l'étau commençait à se resserrer. Partir avant l'orage. Toujours. Mais avant de reprendre la route, je vais me rassasier pour plusieurs semaines. D'un seul coup. C'est mon petit lot de consolation au fait de devoir tout quitter, une fois de plus. Je sais déjà qui je vais inviter pour l'occasion.
Elles sont jeunes, rebelles et indépendantes. Je leur plais à toutes les deux, et elles sont plutôt naïves. Tout le monde pensera qu'elles ont fugué avec moi. C'est parfait. Je serai déjà très loin avant qu'ils ne s'inquiètent pour elles. Elles ne seront pas trop de deux.
Ma faim est insatiable.
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4: La tête dans la lune
Ëlie a grandi avec une dizaine d'enfants à l'orphelinat Amaerïs. Ils aimaient se raconter des histoires pour passer le temps. La plupart des enfants n'étaient là que provisoirement, soit le temps d’une mission importante de leurs parents, soit, pour ceux adoptables, recueillis rapidement par des couples ou parent seul désirant fonder ou agrandir leur famille.
Cette civilisation ne comptait pas énormément d’individus. Il y avait donc très peu d’orphelinats recensés.
Certains enfants venaient donc de très loin et décrivaient la ville où ils avaient grandi. Ëlie adorait voyager en écoutant ses récits. Un de ces récits lui avait fait une très forte impression. Celui décrivant la cité de Terrafae. Elle rêvait de quitter Amaerïs et de vivre dans cette merveilleuse cité.
Ëlie ferma les yeux et s’imagina quitter son école pour parcourir cette cité féerique. Tout disparut autour d’elle. Elle fit le vide et plongea corps et âme dans ses pensées. Elle commença par discerner les bâtiments depuis un petit fleuve traversant la ville.
Elle occulta sa vue pour ouvrir ses autres sens. Le bruit de la pagaie du gondolier fendait délicatement l’eau. Les insectes nocturnes jouaient à qui chantaient le plus fort. Le brouhaha d’un pub au loin commençait à se faire entendre. Ils passèrent sous un rustique pont en bois où le martèlement des pas des passants, sortant le soir pour faire la fête, annonçait le tempo rythmé de la soirée.
Elle inspira longuement. L’odeur de mousse, de champignon et de feu de bois lui chatouilla les sens. Elle frissonna d’excitation à la perspective de découvertes, de rencontres, de fuir sa propre réalité.
Elle ouvrit ses autres sens. Des lucioles étaient invitées à se poser sur des lanternes tapissées de miroirs pour partager au maximum leur lumière naturelle. Accrochées dans toutes les rues, elles offraient un air de dîner aux chandelles en cette douce soirée d’été.
Des maisonnées, comme incrustées dans d’immenses troncs d’arbres, portaient une coiffe végétale en guise de toiture. Leurs fenêtres émettaient une lumière diffuse dans tout le quartier. Cette ambiance tamisée offrait la chaleur que les habitants recherchaient pour se retrouver le soir entre amis.
Elle suivit du regard un ados quittant sa maison à l’aide d’un toboggan en bois vernis. Le garçon profita de sa glissade pour frapper une lanterne à portée de main. Sa manœuvre dérangea une nuée de lucioles qui s’envolèrent tels des feux follets prient dans une danse endiablée.
Émerveillée, Ëlie ne souhaitait pas perdre une miette de ce spectacle imaginaire. Elle essaya de deviner leurs accents joyeux, leurs habits copiant les couleurs de la nature, de sentir le parfum de la viande en train de rôtir devant une auberge et le bruit des chopines s’entrechoquantes. Le feu de bois réchauffait les clients déjà attablés pour festoyer de bon cœur.
Dérangée par un nouveau bruit, Ëlie tourna la tête :
- Réveille-toi, nom d'un dragon ! Tu as du travail à faire !
La voix d'Agate la fit revenir à sa dure réalité.
- Hein ? Quoi ? Répondit-elle
- T’as raison, continue de dormir. Moi, je ne compte pas m’enraciner ici ! Dit-elle en ricanant.
Sur ces mots, elle partit. Ëlie sentit une brise de vent lui caresser le visage et se mit à tousser.
- Arggh! Mais que…
Un nuage de cendres s'envola vers elle et l’obligea à se couvrir le nez et les yeux. Quand le vent se calma, elle constata qu'Agate avait brûlé toutes les feuilles mortes qu'elle devait ramasser pour sa punition. Elle maîtrisait si bien son pouvoir, que l'herbe sous les feuilles n'avait même pas roussies. Bien que cette fille l'exaspérât au plus haut point, Ëlie devait bien admettre qu'elle était résolument impressionnée par la maîtrise de son pouvoir du feu.
Il était à peine 9h. Elle devait se dépêcher de nettoyer sa partie si elle ne voulait pas passer sa matinée ici. Elle empoigna son râteau et entreprit de rassembler les feuilles mortes et les détritus en tas.
Lorsque le travail fut presque achevé, un élève de terminal passa non loin de là. Un sourire condescendant habillait son visage. Ëlie le connaissait que trop bien pour s’être frottée à lui à plusieurs reprises. Non amicalement, cela va de soi.
Il lança un regard vers la jeune fille, il ricana et avec un léger mouvement de la main droite, tout ce travail acharné s’envola comme une tempête de neige. Il partit sans se retourner, un rire de satisfaction accompagnant sa sortie, sa chevelure ébène dansant derrière lui.
S’il avait pris la peine d’admirer son tour jusqu’au bout, il aurait vu les feuilles retomber doucement sur la pelouse, laissant découvrir, au fur et à mesure de leur chute un regard froid et meurtrier, promesse d'une vengeance certaine.