Train Darquevadaur-sur-Paire – Tétrisse
1er mars 2018
Le festival ne démarre pas avant demain.
Nous allons bientôt arriver à destination. Je ne sais pas ce que l’on va faire en attendant. Je ne supporte pas d’être dans l’ignorance à ce point.
Seul, j’arrive à gérer. Mais savoir que je peux plonger mon frère dans l’ennui… Non...
Je m’imagine regarder Ju dans le blanc des yeux, dans la gêne la plus absolue, pendant des heures. Et, ça m’angoisse.
Je sais, au fond, que je n’ai aucune raison de m’en faire. Ça a l’air de bien se passer avec lui pour l’instant. C’est peut-être le « pour l’instant » qui me dérange. Je crains que ce ne soit qu’un début tout nouveau, tout beau. Que les choses dégénèrent plus tard.
Je m’en veux de penser au pire alors que le voyage ne fait que commencer.
Sans doute que je vais laisser carte blanche à Ju jusqu’au festival.
Je vais voir si j’arrive à le suivre partout où il voudra aller. C’est le genre d’initiative qui me fait un peu peur. Ça va me faire sortir de ma zone de confort.
Sauf que, j’ai entrepris ce voyage pour cette raison justement. Pour me dépayser, tenter de nouvelles expériences. Oui, je vais le laisser décider.
Ainsi, notre arrêt à Tétrisse n’aura pas été uniquement pour me faire plaisir avec le festival de jeux de logique.
Je n’ai aucune idée des endroits où il va vouloir se rendre. C’est la preuve que je ne le connais plus aussi bien…
Il a tellement changé depuis le temps. Il n’a plus les cheveux longs. Il a, en effet, laissé pousser sa barbe, bien que je la pensais plus fournie que ça. Il a gagné en maturité. Du peu que l’on a échangé virtuellement, il a l’air heureux dans sa vie. Je me demande d’ailleurs si sa copine a facilement accepté qu’il lâche tout du jour au lendemain pour venir m’accompagner dans ce voyage. Et le restaurant dans lequel il est en apprentissage ? Ont-ils accepté de lui accorder des congés aussi vite ? Ce sont des questions que je n’ose pas encore poser.
En attendant, je dois trouver le courage de lui parler à nouveau.
Quand on est lancés, je me sens à l’aise. Il suffit d’un silence, plus ou moins long, pour que la gêne s’installe à nouveau. Comme si je perdais un réflexe que je venais d’acquérir.
Enfin… Je ne risque rien à lui proposer de décider de notre programme d’ici le festival.
Ça va forcément lui faire plaisir.
Mo.
***
— Tu m’as fait peur ! J’ai cru que tu allais me proposer d’écrire un article pour Logique Magazine...
Ju ne s’est toujours pas remis du nom de ce journal. Il en fait peut-être un peu trop.
Sans doute un peu pour cacher l’émotion qu’a suscitée la proposition de son frère. Il a eu du mal à aller au bout de sa phrase. Cette idée de le laisser décider de tout jusqu’au lancement du festival est enivrante.
— Comme ça, Tétrisse ne sera pas que pour moi. Si on voyage à deux, il faut qu’on y trouve notre compte tous les deux, fait remarquer Mo.
Mo fait mine de rebrousser ses manches. Ju se gratte le menton, prenant son nouveau rôle très au sérieux.
— On pourra aller boire un verre, pour commencer. Après avoir trouvé un logement… On va loger où ? s’inquiète Ju, tout à coup.
— Je te laisse décider, insiste son frère.
Ju affiche une moue un peu inquiète. Il n’a jamais mis les pieds dans cette ville. Il n’est pas du tout vadrouilleur dans l’âme. Il ne sait pas s’il est capable de trouver un logement, à la dernière minute.
— J’ai dit que je te laissais faire mais on va chercher à deux, le rassure Mo.
Un jeune homme assis à côté de l’adolescent derrière eux se penche en avant. Il a écouté une partie de la discussion :
— Excusez-moi… Je n’ai pas pu m’empêcher d’entendre que vous étiez en galère. Mes parents ont une chambre d’amis, si jamais. Ils ont l’habitude de loger des touristes. Y a aucune raison qu’ils refusent.
L’adolescent confirme. Apparemment, ils sont frères, eux aussi.
Mo a du mal à réaliser que celui qui lui a donné des coups de pieds et glissé ses orteils sous le nez vient de proposer un toit pour la nuit. Mo n’a pas très envie d’accepter la proposition, aussi généreuse soit-elle. Il est persuadé que ce ne sera pas difficile de trouver autre chose.
Hélas, il a donné le pouvoir de décision à Ju.
— Avec plaisir ! s’enthousiasme le capitaine de la fratrie.
Mo se retient de se taper la tête contre le siège se trouvant devant lui.
— Comment vous vous appelez ? demande Ju.
— Moi, c’est Vic, répond le jeune homme. Le morveux pieds nus à côté de moi, Luc. Et vous ?
— Moi, c’est Ju. Et lui, Mo. Nous sommes enchantés de faire votre connaissance ! Et merci de votre proposition. C’est très généreux de votre part… surtout qu’on ne se connaît pas…
— Tout le plaisir est pour nous, répond Vic.
— Pardon pour l’odeur de pieds de tout à l’heure, s’excuse encore Luc.
Vic ne cesse de fixer Mo du regard.
Mo n’a pas envie d’être grossier, ni même hypocrite. L’adolescent vient de s’excuser, en quelque sorte. Rien ne l’a obligé à le faire.
Maintenant que la proposition a été acceptée, il faut que les choses se passent au mieux.
— Une odeur de pieds ? lâche Ju, ignorant qu’il lui manque une information capitale.
— Je t’expliquerai, s’empresse de dire Mo pour ne pas que la discussion soit encore plus gênante que ce qu’elle est déjà.
Vic et Luc se redressent sur leur siège, concentrés sur le paysage.
Le train va entrer en gare. Ils sont arrivés à Tétrisse.
— On n’est même pas encore arrivés que je nous ai déjà trouvé un logement. Je gère plutôt bien, non ? s’auto-congratule Ju, en chuchotant à l’oreille de Mo.
Les deux frères se lèvent et s’arment de leur sac à dos.
— Génial, répond Mo d’un air faussement ravi.
Vic et Luc en font de même. Ils leur proposent de les suivre. Leurs parents les attendent devant la gare. Ils pourront facilement s’arranger plus tard pour les modalités d’hébergement.
Mo essaie de ne pas en vouloir à son frère.
Il aurait aimé décliner l’offre. Il ne se sent pas prêt à cohabiter avec des inconnus avec qui il n’a pas encore d’affinités. Encore moins avec un adolescent aux bonnes manières vacillantes et aux pieds à l’odeur fromagère.
Sauf que Mo ne peut rien dire. Il a offert le pouvoir de décision à son frère.
Il n’a pas pu objecter face à Vic et à l’adolescent. Cela aurait été malpoli.
De plus, Ju est tellement content d’avoir résolu ce souci d’hébergement... Mo ne se sent pas d’effacer la joie et le soulagement qui rayonnent sur son visage.
C’est ainsi qu’ils sortent du train et bravent la foule de voyageurs jusqu’à la sortie de la gare.
Mo redécouvre son frere, il est bcp dans le doute, dans la comparaison avec le passé (physique par exemple). J'aime bien la tranche de vie que tu nous offres.
La découverte des frères ne fait que commencer. Je n'oublie pas qu'ils ont des choses à régler aussi. Ce n'était/ce n'est pas facile de recréer à l'écrit ce genre de relation compliquée. Des fois, je me demande dans quoi je me suis lancé... ! :D
Merci pour tous ces retours, c'est très adorable de ta part !
Je vais jamais savoir quoi dire dans mes commentaires T-T xDD
Je suis curieuse de savoir si du coup tout va bien se passer dans cette chambre d'amis (et déjà si les parents vont accepter xD), même si je pense que ce sera le cas ^-^
J'aime beaucoup lire tes chapitres, tu as une très belle plume et tu m'embarques pendant quelques minutes avec tes personnages :p
Merci d'embarquer dans cette histoire ! :D