La magestria, ou "belle science", était l'une des disciplines les plus difficiles à apprendre. C'était un art ancestrale, particulièrement important dans les familles nobles issues des Royaumes de l'Ouest ; les pays anciens, riches d’histoire et d’héritage, mais qui sombraient peu à peu face aux nations comme Elyon, modernes et dynamiques, dont Auberyn était la capitale. Une sublime académie avait été réclamé par les hautes instances immigrantes pour préserver leur culture, ce dont le pays avait profité en demandant en retour aux mages diplômés plusieurs années de leur vie à consacrer à l'Etat. C'était l'origine de toutes ces belles tours de quartz, ces escaliers de verre, ces saphirs aux fenêtres du palais de justice.
Cependant, c'était bien la seule discipline dites "souple", s'opposant aux sciences dures comme la physique ou les mathématiques, qui pouvait se targuer d'être reconnue et comprise dans ces pays.
D'autres magies, peu connues et souvent qualifiées de légendes, régnaient à l'est ou à l'ouest du monde connu. On racontait ainsi que dans les neiges de l'occident vivaient des sorcières qui dévoraient les organes et puisaient la force de transformer le vivant dans le sang et les os de leurs victimes, et que dans les montagnes rouges du levant vivaient des êtres capables de transformer le monde qui les entouraient par la simple force de leur esprit. Toutes ces créatures pourvues de curieux talents, des mages elins jusqu’aux entités humanoïdes de l’ouest, étaient regroupés sous le terme général d’aptis : ceux qui sont capables.
Et pour tous ces êtres, il valait mieux faire partie d'une communauté protectrice ; sans cela, on finissait bien vite attachée dans une cale en direction d'un empire moins regardant sur les droits de ses citoyens, ou engagés de force dans la pègre.
* * *
Le silence s'éternisa.
Théophraste fixait la jeune femme, et la jeune femme le fixait en retour. Il ferma les yeux, brusquement irrité par ce stérile échange oculaire. On disait sa patience à toutes épreuves ; mais il n’en avait jamais rencontré de si difficile.
- Mademoiselle, j'attends votre réponse.
Pas un mot ne franchit les lèvres de son interlocutrice. Le méprisait-elle ?
Ils se trouvaient dans son bureau ; une pièce plutôt étroite et mal éclairée, encombrée de registres méticuleusement tenus. Truander, c’était un art, disait-il. Les paumes posées sur le bois massif, il se leva de son fauteuil pour s'approcher de la fenêtre.
- On m'avait parlé du silence et de l'obstination des aroatis tenrans, dit-il simplement, d’un ton doucereux. Mais je ne pensais pas avoir la chance de le subir un jour. Et ne feignez pas de ne pas connaître le langage de mon pays : je sais qu'ils vous l'enseignent.
Les aroatis tenrans. Moines, magiciens et guerriers, "mages d'esprit" ; un statut que l'on ne trouvait qu'en Tenrô, en Orient. Un pays de sable et de roche, d'honneur et de respect.
Elle redressa légèrement la tête, à peine. L'homme tourna son regard vers la fille. Elle était encore jeune, un peu trop pour avoir fini son entraînement. Vingt ans au maximum. Ses origines étrangères ressortaient sur toute son apparence. Pas de formes, paupières étroites sur un regard acide, peau de miel, cheveux de jais noués en chignon serré, yeux d’or. Pas une mèche en désordre.
- On pourrait presque se demander ce que vous faites si loin de votre pays. Mais je le sais, vous vous en doutez. Comme beaucoup d'autres. Vous êtes une fugitive, et cela vous oblige à trouver une sécurité. Je ne souhaite pas vous enlever, comprenez-vous ?
Il revint à son bureau pour verser deux verres d'un liquide ambré et lui en tendit un.
- Un aroatis nous serait précieux, continua-t-il. Comme à tous les autres clans. Mais nous serons les seuls à vous proposer une absence de fers.
Et il avait besoin d’elle, pour son plan. Mais ça, il n’allait certainement pas lui dire.
Les yeux d'or se plantèrent dans les siens, cernés et fatigués. Il avait croisé très peu d'aroatis, ces soldats religieux venus de loin ; mais ils avaient tous cette même lueur de mépris dans le regard.
Si seulement cet excès d'ego lui était utilisable.
- Eh bien, j'ai fini. Mon offre tiendra le temps qu'il faudra.
La jeune femme inclina la tête d'un mouvement respectueux, se leva d'un geste gracieux et prit la porte. Sa peau exotique était couverte par une tunique rouge étreinte d’une ceinture de soie, parfaitement ajustées sur son pantalon fin. Elle était sans fioriture. Pur pragmatisme. Mêmes ses chaussons de cuir se permettaient de se dispenser de son lorsqu'elle marchait. La porte en fit de même lorsqu’elle la ferma.
Théophraste soupira longuement en sirotant son whisky. Elle lui reviendrait, il le savait bien : il était simplement fatigué que personne n'ait la présence d'esprit de simplifier ce genre de situations. Il aurait suffi de l'écouter, tiens.
Il se leva, puis perdit son regard à la fenêtre. A l'extérieur, la ville était en effervescence. Le festival des Jours Bleus approchait, et le port se peuplait des voiles blanches des bateaux, ventres gros de marchandises et de touristes naïfs et plein d’argent à soutirer. Ça, au moins, c’était une bonne nouvelle.
Les flèches d’or de l'église, au loin, jouxtaient les tours élégantes des bâtiments administratifs, dominées par le dôme d’or du Palais du Peuple qui crevait le ciel. Depuis qu’il savait que son salopard d’aîné y trainait ses pieds en tant que sénateur en devenir, il ne supportait plus les courbes du bâtiment. Là, l'Eph, fleuve de la ville, traçait des entrelacs comme un épais serpent d'argent, régulièrement dissimulé par les tours altières. Il passait devant les deux académies, des quais jusqu'aux ports, puis donnait naissance aux plus discrets canaux qui irriguaient la ville comme autant de veines dans un animal ouvert. Dans les rues les plus agréables, avenue Crésie ou rue de Dalmes, ces veines étaient bordées d’orangers et de citronniers, arbres artificiels tissés de quelques cristaux alchimiques qui plongeaient leurs racines directement dans l’eau. Non loin, les docks et leurs planches branlantes buvaient le sang de ses gars en hébergeant les fructueux combats clandestins et les règlements de compte. Enfin, la Blanche se repérait à ses toits délabrés et maculés de cendre, placés sur d'anciennes ruines d'un marbre d’un éclat remarquable que personne n'avait su déplacer ou arracher de terre. La ville avait fini par abandonner l'idée d'en faire quelque chose, et c'était ainsi que le filet d'hommes rejeté par celle-ci y construisait son nid. C'était là qu'ils se trouvaient ; et en face, des lieues plus haut, le manoir familial, dans le beau quartier des pavillons des riches marchands elins. Il n’y était pas : mais son frère aîné, si.
Il vida son verre.
Il lui fallait cette aroatis.
La première partie, qui se concentre sur des éléments de l'univers, est très appréciable et introduite à un endroit judicieux. Les deux premiers chapitres donnaient un aspect de cet univers, avec un contexte et un décor précis, de ce fait, amener ce propos ici est parfait. Je suppose que le lien avec le reste de l'histoire et cette "magestria" se fera plus tard. Très intéressant.
Enfin, ce nouveau contexte et les nouveaux personnages donnent le désir de se pencher plus avant sur l'histoire. Hâte de lire la suite.
Une suite très intéressante et pourtant Theophraste, est face à une interlocutrice peu causante! XD haha Bravo pour ça ! 😉
J’aime beaucoup l’univers que tu décrits, cela me donne très envie de connaître la suite! 😁
En plus, je trouve qu’il y a des petits points communs entre nos deux histoires. car plus tard dans mon récit tu verras qu’il y a une rivalité entre frère et sœur, et aussi il y’a une pointe Fantasy dans un contexte historique.
Je pense donc qu’on s’est bien trouvé! 😁 haha