3. Dany
Dany accueille son nouveau client. Grand, brun, ténébreux, et profondément triste. Dès qu'il entre, son désespoir l'envahit comme une ombre.
Elle l’écoute attentivement. Il commence par lui raconter les événements des derniers jours : la violence, la réaction de sa femme, le couteau dans ses mains. Et son fils, témoin de la scène. À ce moment-là, il s’effondre, les épaules courbées sous le poids de ce souvenir. Il ne comprend pas ce qui s’est passé.
Puis, il évoque ses journées de travail, l’énergie qu’il y consacre, comme s'il tentait de se convaincre – ou de la convaincre – qu’il n’est pas une mauvaise personne. Qu’il n’est pas un monstre. Qu’il fait de son mieux, en tout cas.
Mais ensuite, il se souvient. La première fois. Cette claque. Alix était enceinte de Jason, et il l’a frappée. Il regrette ce geste, profondément. Mais ce qui l’a terrifié ce jour-là, c’est la rage. Cette vague immense, irrépressible, qui l’a traversé, englouti, emportant sa raison avec elle.
C’était comme une onde qui balayait tout sur son passage.
Il parle de cette colère, vive, tranchante, acérée. Une colère qui fait de lui un autre homme. Un homme qu’il ne reconnaît pas. Un homme qu’il déteste. Les larmes embuent ses yeux lorsqu'il murmure que cette chose, cette rage, le dévore de l’intérieur. Elle le ronge. Il a besoin de l’expulser, de la vomir.
Et ce qui l'effraie le plus, c'est qu'il sait. Il sait exactement ce qui se passe. Henry est médecin, après tout. Il a souvent accueilli dans son cabinet des femmes victimes de violences conjugales. Avant qu’Alix ne tombe enceinte, il les écoutait, les soutenait en professionnel. Il était capable de poser un diagnostic clair, d'accompagner ses patientes avec humanité.
Mais depuis sept ans, depuis que cette rage a émergé en lui, tout a changé. Il se sent incapable d'aider celles qui viennent à lui, désemparées. Les situations de violences conjugales le bouleversent à un point qu’il ne peut plus les gérer. Chaque fois, il est à côté de la plaque, incapable de conseiller, de soigner, d’offrir l'aide dont elles ont besoin.
Dany prend des notes tout en l'observant. Elle suit chaque mouvement, chaque hésitation dans sa voix. Son rôle est de garder la distance nécessaire, de rester professionnelle. Mais, malgré elle, quelque chose chez cet homme la touche profondément. Sa sincérité brute, sa détresse. Elle ne sait pas exactement pourquoi, mais elle sent l’émotion monter en elle. Pourtant, elle se maîtrise. Elle s'apprête à clore la séance lorsque Henry l’interrompt.
« Je vous en prie, laissez-moi encore quelques minutes », dit-il, insistant.
Elle hoche la tête doucement, lui offrant ce temps supplémentaire.
« Je veux être un bon père, un bon mari », dit-il, la voix tremblante. « Je veux être à la hauteur de mes parents. Ils ont toujours été des modèles pour moi. Des parents attentifs, aimants. Mon père est l’homme le plus patient que je connaisse. Et ma mère... elle n’a pas toujours été facile, mais elle nous a toujours aimé, ma sœur et moi. Elle a toujours été là pour nous. Ils sont un vieux couple, solide, complice. On les appelle Pauline et Jules, les dinosaures. »
Dany écoute, son stylo glissant entre ses doigts. Ces derniers mots résonnent en elle d’une manière qu’elle ne peut expliquer. Son cœur se serre, mais elle contient son émotion. Henry ne semble pas le remarquer.
La première séance se termine ainsi, dans le silence.
Comme les autres, cette partie est très bien écrite. Mais j'ai surtout aimé le fait qu'on ai le point de vue de l'agresseur et non de l'agressé.
Celui qui est souvent représenté comme le "méchant" qui est juste une brute sans émotions autres que la colère et la jalousie est présenté ici sous un tout autre angle.
Bravo!