4 ANS PLUS TARD
Katy passait le balais devant la chambre abandonnée de Lidia. De l’autre côté du couloir désert, une quinte de toux retentit. La vieille Betty était atteinte, visiblement. Heureusement pour elle, Garold avait accompagné sa maîtresse jusqu’à sa maison de campagne, il n’était donc pas là pour désigner les malades et les enfermer dans les hangars de quarantaine.
Depuis quelques semaines, une épidémie faisait rage en ville, et le manoir n’était pas épargné, la moitié des employés et des esclaves avaient déjà été touchés. Les Heitzler avaient donc décidé de fuir au grand air.
De l’air, ils en donnaient à Katy, qui n’avait pas montré le moindre symptôme et devait par conséquent entretenir la villa avec quelques rescapés. Peut-être ces longues années de punition corporelle, de froid et de faim avaient-elles endurci son corps. Peut-être les séances de tortures de Garold servaient-elles enfin à quelque chose. Ce n’était pas trop tôt. Elle eut presque envie de sourire. Presque. Il n’y avait pas grand-chose, désormais, qui pouvait lui arracher une expression humaine.
Pourtant, malgré tous ses efforts pour le museler, son cœur continuait de battre. Il appelait l’espoir.
Et l’espoir lui avait donnée des idées.
Plus que ça, d’ailleurs, un plan. Un plan d’évasion.
Jusqu’alors, elle n’avait rien tenté. Tous ces précédents échafaudages ne tenaient pas debouts. À moins de soixante pour-cent de réussite, cela ne valait pas le coup. Car si on la prenait, elle était bonne pour l’écartèlement.
Cependant, ce jour-là, les conditions étaient plus que favorables : le manque de surveillance, l’absence de Garold — le plus observateur — et la tâche qu’on lui confia : aller faire les courses au marché.
Maryline, la cuisinière en chef, lui donna de l’argent, un laissez-passer pour Muet, la liste des courses et deux grands sacs. Sa sortie était chronométrée et l’argent fourni strictement calibré à ses courses. Aucun écart n’était toléré.
Elle fut mise dehors avec ses sacs et un châle, et prit la route du marché. Ses yeux fixaient le vide, un monde qui s’ouvrait tantôt sur un mur, tantôt sur un passant, tantôt sur une fenêtre. Elle se glissait sur les pavés comme un fantôme que personne ne remarquait. Le marché fut vite en vue.
Mais elle changea de direction. Elle se rendit à la Galerie des Jouets, son expression grisâtre toujours plaquée sur son visage. Après tout, c’était son air habituel.
Elle arriva devant une vieille boutique, dont l’enseigne indiquait : « Petits Automates ».
Katy y pénétra ; hormis elle et le vendeur, il n’y avait personne d’autre. Celui-ci la dévisagea avec mépris. Elle parcourut les étalages et choisit sans hésitation trois petits automates dotés d’une grande bouche. Ce nouveau modèle était très prisé, tout le monde se l’arrachait car ces petits objets, lorsqu’on tournait une manivelle disaient des phrases préenregistrées telles que « Bonjour » ou « Merci ».
Katy présenta les articles sur le comptoir ainsi qu’un petit mot de la cuisinière en chef : Veuillez accepter de vendre vos produits à cette Muette car elle travaille pour la maison Heitzler.
Le vendeur observa, soupçonneux, la signature, puis il finit par accepter l’argent que lui tendait Katy.
Sur le chemin du retour, elle compta ses pièces, il lui restait tout juste de quoi acheter un billet de train. Mais avant, elle devait se préparer.
Lorsqu’elle arriva en vue de la maison, elle passa devant Victor. Le garde ne lui prêta pas la moindre attention. Elle entra dans le jardin puis contourna le bâtiment pour se placer juste sous la fenêtre de la chambre de Lidia. Là, elle posa un des sacs et escalada difficilement la façade pour entrer par la fenêtre qu’elle avait malencontreusement laissé ouverte pendant qu’elle faisait le ménage.
Elle entra dans la chambre et se précipita sur une malle posée au milieu de la pièce. Lidia avait tenu à emporter toutes ses créations, ce qui n’était pas peu dire. Il avait fallu plusieurs aller-retour pour acheminer cette tonne de tissu brodé, la dernière valise devait partir le lendemain. Katy en sortit deux robes, deux perruques et deux chapeaux. Des merveilles, selon sa modeste maîtresse.
Elle fourra sans ménagement lesdites merveilles dans ses sacs de course. Alors qu’elle s’apprêtait à redescendre la façade, elle avisa le portrait de l’Empereur qui la fixait d’un air sentencieux. Elle s’assit sur le rebord de la fenêtre et saisit une aiguille à coudre qui trainait sur une table non loin. Elle dévisagea l’Empereur, avant de lancer d’un geste sec l’aiguille qui alla se planter dans son visage. Elle venait de commettre un crime passible de la peine capitale. Pourtant, un début de sourire avait étiré ses lèvres, aussi fugace que jubilatoire.
Lorsqu’elle repassa devant l’entrée, Victor lui jeta un regard suspicieux.
— Pourquoi tu repars avec un sac rempli ? demanda-t-il.
Il s’appuyait nonchalamment sur le mur, comme si tenir debout était déjà trop d’effort pour lui.
La jeune fille lui donna une explication imaginaire à grands renforts de gestes. Incompréhensible pour les trois neurones fatigués qui occupaient son cerveau. Celui-ci fronça les sourcils, fit une grimace, puis finit par lâcher :
— C’est bon, vas-y.
Katy s’exécuta avec soulagement. Lorsque la nouvelle de sa fuite se serait répandu, le garde allait probablement être accusé d’avoir négligé son devoir. Par chance, il était employé et non pas esclave, il échapperait donc à la mutilation, mais pas au licenciement. La Muette ne fut pas triste pour lui, vu son attitude le chômage lui pendait au nez. D’autres pendraient vite sa place, on s’arrachait l’emploi depuis que l’esclavagisme avait considérablement réduit le marché.
La fuyarde accéléra le pas entre les riches villas.
Elle choisit une rue déserte et sortit un couteau qu’elle avait volé à la cuisine. Elle se taillada le bras à l’endroit du M marqué au fer rouge, et l’autre bras au même emplacement pour prêter à confusion. Ainsi, il paraîtrait moins sûr à un éventuel contrôleur qu’elle voulait cacher sa marque de Muette. Elle pansa ses plaies en déchirant les pans de sa vielle robe raccommodée. Elle ne sentait presque pas la douleur. Puis elle se changea, elle mit le premier déguisement, la perruque aux boucles blondes et un chapeau à larges bords plutôt élégant.
La jeune fille fourra sa vielle tenue dans son sac avec la deuxième robe et l’attacha à l’aide d’un autre pan de tissu arraché sous son jupon. Ainsi caché, le sac rapiécé ne risquait pas d’attirer l’attention. Elle sortit au grand air, marchant dignement dans la rue jusqu’à la gare.
La Muette arriva juste au moment où son temps de sortie s’écoulait. La cuisinière en chef n’allait pas tarder à la chercher, bientôt, tout le monde serait à ses trousses.
Elle s’avança vers le guichet, un petit automate caché dans un pli de sa robe. Elle tourna la manivelle en mimant le mot avec ses lèvres.
— Bonjour, fit une petite voix aiguë en amaryen.
Le guichetier haussa un sourcil. Heureusement le brouhaha ambiant rendait le stratagème plus difficile à percer. Elle désigna le train qu’elle voulait prendre et posa l’argent sur le comptoir. Le vieillard la détailla, peu convaincu, mais lui donna un billet.
Dans son dos, elle tourna deux autres manivelles.
— Merci. Au revoir.
— Faites attention, grogna le guichetier. Il y a des rats qui traînent sur les quais et qui vous volent toute vos affaires.
Après quatre ans d’emprisonnement, Katy parlait couramment l’amaryen. Ou plutôt, elle comprenait l’amaryen. Elle le remercia d’un signe de tête.
Bien sûr, elle n’avait pas assez d’argent pour voyager en première classe, c’est ce qui avait étonné le guichetier.
Le trajet en train dura plusieurs heures, elle eut tout le temps de réfléchir à la suite de son évasion.
Actuellement, elle était en route pour le port de Halfbridge, où elle prendrait le bateau pour rejoindre celui du Poisson-Chien, en Cocardie. Là, elle trouverait le dénommé Théodorus Stew, un ami scientifique de sa mère qui avait travaillé avec elle, lors de cette autre vie heureuse qu’elle avait menée. Le vieux savant la faisait beaucoup rire, petite, avec ses inventions burlesques. Si elle parvenait jusqu’à lui, il l’accueillerait à coup sûr.
Mais avant, il lui fallait trouver un moyen d’embarquer sur un bateau. Elle n’avait plus d’argent pour soudoyer un marin et elle risquait gros si elle se cachait clandestinement dans un navire. Comment gagner de l’argent alors ? Elle ne voyait qu’un seul travail où elle était sûre de ne pas être dénoncée, mais elle refusa cette idée. Jamais elle ne s’abaisserait à faire ça, à moins d’être complètement désespérée.
Mais ne l’était-elle pas… ?
Elle finit par trouver la solution la plus sûre : elle attendrait qu’un bateau de croisière parte, elle volerait un billet à une des femmes prêtes à embarquer pour prendre sa place. Si les contrôles étaient plus poussés, cependant, elle serait perdue.
Le train arriva à la gare de Halfbridge. Comme précédemment, elle se cacha dans une petite ruelle et changea de déguisement. Une perruque noire et une robe bleue, cette fois. Les Amaryens allaient avoir beaucoup de mal à retrouver sa trace.
Elle se dirigea ensuite vers les quais, et glana quelques informations. Apparemment, un ferry partirait pour le port du Poisson-Chien le lendemain. Parfait.
En attendant, elle devait trouver un endroit où dormir car la nuit était tombée. La jeune fille fureta dans la ville, elle ne devait pas salir sa robe pour être crédible et elle devait trouver une cachette sûre pour ne pas être surprise par des soldats qui patrouillaient. Le couvre-feu tomberait bientôt.
La Muette finit par trouver son bonheur : un recoin sombre et bien caché. Elle s’adossa à un mur et ferma les yeux en essayant de dormir malgré cette position inconfortable.
Mais alors qu’elle sommeillait, elle entendit des pas rythmés approcher. Des soldats. Elle se tapit, immobile. Avec un peu de chance, il passerait sans la voir.
— Qu’est-ce que c’est que ça ?! aboya une voix en dardant une lanterne dans sa direction.
Le cœur emballé, Katy jaillit du renfoncement où elle se trouvait, sous les yeux des Amaryens, à une vingtaine de mètres d’elle. Elle ne leur laissa pas le temps de réagir et courut vers le port, mais gênée par ses jupons et son sac, elle se ferait vite rattraper. Elle entendit des ordres empressés retentir derrière et le martèlement des bottes qui s’approchait. La jeune fille arriva sur les quais et longea le bord de l’eau.
Mais les soldats s’étaient séparés pour l’encercler. Elle était piégée. De désespoir, la jeune fille sauta sur le pont d’un grand bateau marchand et se cacha derrière deux tonneaux. Dans la pénombre ambiante, ils ne l’avaient pas vue. Ils fouillèrent le quai, avant de s’éloigner vers une ruelle tortueuse.
Katy poussa un léger soupir.
— Tiens donc, une fugitive, murmura une voix derrière elle.
- la moitié des employés et des esclaves avaient déjà été touchés (avait)
- la moitié des employés et des esclaves avaient déjà été touchés (touchée)
- Peut-être les séances de tortures (torture ?)
1- lorsqu’on tournait une manivelle disaient des phrases préenregistrées telles que « Bonjour » ou « Merci ». (C’est pas vraiment des phrases mais c’est un détail)
- qui vous volent toute vos affaires. (Toutes)
- elle devait trouver une cachette sûre pour ne pas être surprise par des soldats qui patrouillaient. (Patrouilleraient)
- Avec un peu de chance, il passerait sans la voir. (Ils passeraient (les soldats))
- et le martèlement des bottes qui s’approchait. (S’approchaient)
Et l'aspirateur grammatical :
- « debouts » debout
- « pour-cent » pourcents
- « Cependant, ce jour-là, les conditions étaient plus que favorables : le manque de surveillance, l’absence de Garold — le plus observateur — et la tâche qu’on lui confia : aller faire les courses au marché. » Ce ne m’a pas choqué ici mais de manière générale, les phrases contenant deux doubles points sont à éviter
- « qu’elle avait malencontreusement laissé » laissée ?
- « aller-retour » allers-retours
- « à grands renforts » grand renfort
- « se serait répandu » répandue
- « vu son attitude le chômage lui pendait au nez » expression orale, à l’écrit je mettrais plutôt « le chômage lui pendant au nez, au vu de son attitude » (et si ça fait trop de virgules, tu peux remplacer la première de la phrase pour un tiret ou un double point)
- « D’autres pendraient » prendraient
- « c’est ce qui » c’était
- « il passerait » ils passeraient