La lumière du matin filtrait à travers les stores, effleurant doucement les contours de la chambre d'Arwen. Les draps étaient encore chauds, mais elle avait déjà les yeux ouverts depuis un moment, fixant le plafond comme si les réponses s'y cachaient.
Dans le silence paisible de cette nouvelle maison, elle entendait parfois les pas feutrés de sa tante Amy au rez-de-chaussée. Depuis le déménagement, leur cohabitation était courtoise, mais lointaine. Amy faisait tout pour être présente sans être envahissante. Arwen, elle, se contentait de hocher la tête, de dire merci, et de s'enfermer dans sa chambre dès que possible.
Pourtant, ce matin-là, Amy frappa doucement à la porte.
— Arwen ? Je pensais aller faire quelques courses au centre commercial. Tu veux venir ?
Il y avait quelque chose de différent dans son ton. Un effort. Un espoir.
Arwen hésita, les doigts serrés sur la couverture. Elle aurait préféré rester là, à ne rien ressentir. Mais une part d'elle, minuscule mais tenace, lui soufflait d'essayer.
— D'accord... murmura-t-elle.
Le centre commercial de Fairpoint était immense, presque démesuré. Des vitrines brillantes, des odeurs de parfum, des éclats de voix, le tout d'un élégant blanc éclatant. Arwen marchait à côté d'Amy sans trop parler, observant tout sans vraiment s'y attacher.
— On pourrait aller voir des carnets de dessin ? proposa Amy en s'arrêtant devant une papeterie.
Arwen leva les yeux, surprise. Elle n'avait parlé de son amour du dessin à personne ici.
— Tu... tu te rappelles que je dessinais ?
— Ton père m'envoyait des photos de tes croquis, dit-elle avec un sourire doux mais une voix brisée. J'en ai gardé plusieurs sur mon téléphone. Tu étais douée, Arwen.
Le cœur d'Arwen se serra. Elle hocha simplement la tête et suivit Amy à l'intérieur.
Devant un mur de carnets et de crayons, Arwen sentit quelque chose se déverrouiller en elle. Lentement. Comme si ses doigts se souvenaient mieux que son esprit. Elle effleura la couverture en cuir d'un carnet brun, et sans trop réfléchir, le glissa dans le panier.
— Tu veux qu'on prenne un chocolat chaud ? demanda Amy plus tard, en sortant d'un magasin de déco. Y'a un petit kiosque sympa juste à l'étage.
Arwen hocha la tête. Le geste paraissait simple, mais dans ses yeux, Amy lut l'ombre d'un accord plus profond. Elles s'installèrent à une petite table, les boissons fumantes devant elles.
— Tu sais, commença Amy après un moment, je veux pas te forcer à quoi que ce soit. Mais si un jour tu veux parler... je suis là.
Arwen regarda la vapeur s'élever de sa tasse.
— Je sais. Merci.
Ce n'était pas une grande déclaration. Mais c'était pas de plus dans leur nouvelle relation.
Un peu plus tard, alors qu'elles quittaient le centre commercial, Arwen s'arrêta brusquement.
Juste en face, un groupe de jeunes riaient bruyamment près d'un escalator. Parmi eux, un garçon attira aussitôt son regard. Grand, les cheveux sombres ondulés, les yeux d'un vert profond qui accrochaient la lumière artificielle. Il portait une veste en jean sur un t-shirt noir, et parlait avec assurance à une fille blonde qui semblait pendue à ses lèvres.
Il tourna la tête un instant. Son regard effleura celui d'Arwen. Rien de plus. Juste un battement de cils. Puis il détourna les yeux.
Arwen détourna les siens aussi.
— Tu viens ? demanda Amy doucement.
— Oui, pardon...
Sans le savoir, elle venait de croiser Liam Sullivan pour la deuxième fois.
En fin d'après-midi, Arwen s'était enfermée dans sa chambre avec son nouveau carnet. Elle resta longtemps à le regarder, assise sur son lit, le crayon posé contre ses lèvres.
Puis, dans un souffle, elle l'ouvrit.
Le trait était hésitant, tremblant au début. Mais à mesure que la pointe glissait sur le papier, sa main retrouva un rythme oublié. Elle dessina un arbre. Celui de la cour du lycée, celui où elle s'était assise avec Nelly. Il avait quelque chose d'apaisant. Comme un refuge silencieux.
Elle pensa à Nelly, justement. Depuis quelques jours, leurs échanges devenaient plus fluides. Nelly avait le don de parler sans brusquer, de rire sans se forcer, et surtout, de lui faire oublier pendant quelques instants tout ce qui pesait sur ses épaules.
Un grattement discret retentit à la porte.
— Tu dessines ? demanda Amy, la tête passée dans l'entrebâillement.
— Mmh... oui.
— Tu veux que je te laisse tranquille ?
Arwen hésita. Puis, doucement :
— Tu peux rester... si tu veux.
Amy sourit et s'installa sur le bord du lit, sans rien dire. Elle regardait Arwen dessiner, sans commentaire, sans attente.
— Tu lui as donné un nom, à cet arbre ? demanda-t-elle au bout d'un moment.
Arwen haussa les épaules, un sourire en coin.
— Pas encore. Mais je crois qu'il écoute mieux que certaines personnes.
Amy éclata d'un rire franc, et pendant une seconde, Arwen sentit sa poitrine s'alléger.
Ce soir-là, Arwen relut quelques anciens messages échangés avec son frère Kyle. Ils parlaient de tout et de rien. Mais entre deux mots, elle remarqua quelque chose d'étrange.
Un message vieux de plusieurs mois, jamais ouvert, envoyé par un numéro inconnu.
Elle hésita. Et décida de ne pas l'ouvrir tout de suite.
Sans le savoir, elle venait de frôler la première pièce d'un puzzle dangereux.