4. Le murmure entre les pages

Par Wen
Notes de l’auteur : Certains mots rapprochent, d'autres éloignent, mais ceux qu'on ne lit pas cachent souvent la vérité.

Le ciel cendreux, pâle et froissé comme une vieille page oubliée, s’étend au-dessus du lycée. Dans la cour, les élèves bavardent et rient, mais Arwen marche à contre-courant, enfermée dans une bulle de solitude. Les voix autour d’elle sonnent lointaines, étouffées, comme si elle observait le monde derrière une vitre. Même au milieu de la foule, elle se sent ailleurs, étrangère à leur agitation.

 

Elle aperçoit Nelly près de la fontaine, entourée d’un petit groupe. Son rire fend l’air humide, clair et franc. Arwen, à quelques mètres, lui adresse un sourire timide avant de détourner les yeux. Leur lien naissant est fragile, encore hésitant, mais il existe. Et c’est déjà beaucoup. Pourtant, elle choisit de s’éloigner, d’aller se réfugier sous son arbre habituel, là où elle se sent presque à sa place.

 

Assise sur le banc, elle sort son carnet et ses crayons. Elle trace les contours d’une forêt imaginaire, baignée d’un ciel bleu éclatant, comme pour chasser le gris au-dessus d’elle. Depuis l’accident, elle avait cessé de dessiner, mais l’appel du papier avait fini par la rattraper. Lentement, ses gestes retrouvent leur souplesse, et chaque trait apaise un peu la tension en elle. C’est là, entre la craie et les lignes, qu’elle respire enfin.

Un mouvement attire son attention. Elle relève les yeux et aperçoit une silhouette familière, qui traverse la cour à contre-sens. Lui. Le garçon aux yeux verts. C’est la troisième fois qu’elle le voit, et pourtant il semble toujours sortir d’un rêve un peu trop réel. Il marche d’un pas tranquille et indifférent, son sac jeté sur l’épaule dans une attitude presque arrogante, ses cheveux décoiffés. Il ne regarde personne. Arwen baisse immédiatement les yeux sur son carnet, le cœur battant. Mais elle ne peut s’empêcher de le suivre du regard, discrètement.

Il traverse la cour comme s’il n’y appartenait pas, avec cette même nonchalance distante. Une part d’elle voudrait comprendre pourquoi il reste imprimé dans sa mémoire alors qu’ils ne se sont jamais parlé. Mais elle préfère se replier dans son dessin.

 

L’heure du déjeuner arrive. Dans le tumulte de la cafétéria, Arwen se faufile jusqu’à une table isolée, un coin tranquille où elle peut se fondre dans l’arrière-plan. Elle croque distraitement dans une pomme, plus pour faire semblant que par faim.

Nelly ne tarde pas à la rejoindre, enjouée comme toujours. Elle s’assied sans attendre d’invitation, balayant d’un regard les alentours avant de se concentrer sur Arwen.

— Alors, t’as décidé de sortir de ta grotte aujourd’hui ? plaisante-t-elle.

Arwen hausse les épaules, un sourire discret aux lèvres.

— On dirait, murmure-t-elle.

Nelly la scrute un instant, puis lance avec un enthousiasme désarmant :

— T’as des dessins sur toi ? J’veux voir.

Un peu hésitante, Arwen sort son carnet de son sac. Elle l’ouvre à la page du matin, et le pousse lentement vers Nelly. Celle-ci s’y penche aussitôt, les yeux brillants.

— Wow… c’est magnifique. Sérieux, la lumière entre les branches, les détails des feuilles, t’as un vrai don. Tu devrais les montrer, tu sais. À d’autres.

Arwen secoue la tête, mal à l’aise.

— C’est... juste pour moi.

Sa voix est douce, presque murmurée. Elle n’est pas prête à exposer ce qui lui tient le plus à cœur. Nelly semble le comprendre. Elle ne force pas, se contente d’un petit sourire complice. Ce n’est peut-être pas encore de l’amitié, pas tout à fait, mais c’en est une esquisse. Une main tendue que Arwen commence doucement à accepter.

 

 

À la fin des cours, Arwen traîne un peu avant de quitter le lycée. En s’approchant de l’entrée, elle aperçoit une autre silhouette sous son arbre. C’est Layla. Assise en tailleur, dos au tronc, ses yeux bleus un point invisible dans l’espace. Quand Arwen doit manger avec Nelly et ses amis, Layla y est toujours présente, même si elles se parlent peu. La jeune fille possède de longs cheveux roux ondulés, une peau clair et son visage est constellé de tâches de rousseur.

 

Arwen ralentit, hésite, puis s’approche.

— Tu attends quelqu’un ? demande-t-elle, la voix prudente.

Layla tourne la tête vers elle, un demi-sourire tranquille aux lèvres.

— Non. J’avais juste besoin d’un peu de calme.

Elle tapote doucement le sol à côté d’elle.

— Tu peux rester, si tu veux.

Arwen accepte. Le silence qui suit est doux, presque confortable. Ni l’une ni l’autre ne parle, mais quelque chose de discret se tisse entre elles. Arwen n’a pas encore décidé si elle pouvait faire confiance à Layla, mais au moins, en cet instant, elle ne se sent pas seule.

 

Le soir venu, après le dîner, Arwen remonte dans sa chambre. Elle s’installe à son bureau, entre ses piles de feuilles, de crayons et de vieux carnets. En fouillant dans l’un d’eux, elle tombe sur une enveloppe qu’elle ne reconnaît pas tout de suite. Elle l’ouvre, intriguée. À l’intérieur, un simple morceau de papier plié.

Elle le déplie. Une phrase. Manuscrite. Sans signature :

Tu n’es pas seule, même si tu crois l’être.

Le cœur battant un peu plus vite, elle relit les mots. Qui les a écrits ? Quand ? Et surtout... pourquoi ici ?

Elle n’a pas le temps de réfléchir davantage. Sa porte s’entrouvre.

— Arwen ?

C’est la voix douce d’Amy.

— Je peux entrer ?

Arwen range rapidement le message dans son carnet avant de répondre.

— Oui, bien sûr.

Amy entre, s’assied au bord du lit. Son regard est tendre, un peu embué.

— Tu sais, ton père… Il avait une énergie incroyable. Il illuminait chaque pièce où il entrait.

Elle marque une pause.

— Tu lui ressembles. Beaucoup.

Arwen ne sait pas quoi dire. Son père. Un nom qu’elle n’entend presque jamais. Elle sent quelque chose remuer en elle, une émotion qu’elle ne sait pas encore nommer.

Elle ne répond pas. Mais dans le silence qui suit, un lien se renforce. Doucement. Comme un fil entre deux cœurs abîmés qui se cherchent.

 

 

Et cette nuit-là, Arwen s’endort avec le message serré contre elle, une étrange chaleur dans la poitrine. Peut-être qu’elle n’est pas aussi seule qu’elle le pense.

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