3 — Passagère clandestine

Le globe biolum de poche projetait un halo lumineux qui n'éclairait pas au-delà de trois mètres. Ne sachant plus depuis combien de temps elle errait dans ce dédale, Effi Rae-Valkryll craignait plus que tout que son unique source lumineuse s'éteigne. À chaque nouvelle intersection, l'archéologue examinait les murs à la recherche d'un signe. Les blocs s'apparentant à une pierre grise possédaient des tailles différentes et leur assemblage ne présentait aucun joint, à l'exception d'une rainure aussi fine qu'un cheveux. Armée de l'un des deux piolets qui garnissaient son équipement, Effi tenta de marquer d'une croix les tunnels qu'elle avait choisi d'emprunter. La pointe en carbone n'entama jamais ce curieux matériaux. À certains endroits, l'exploratrice découvrit des symboles tridimensionnels qui lui parurent familiers, sans qu'elle sut très bien pourquoi. Ils ornaient des blocs rectangulaires qui évoquaient des portes. Ses tentatives afin de les ouvrir échouèrent lamentablement.

L'air chaud et sec qui régnait dans ces tunnels obscurs nécessitait que Effi s'hydrate régulièrement tandis que le contenu de sa gourde s'amenuisait. Elle retardait l'échéance qui l'obligerait à filtrer sa propre urine, ce procédé l'avait toujours rebuté. Pendant que l'exploratrice replaçait la bouteille en alliage isotherme dans son sac à dos, un courant d'air frais la fit frissonner. Elle avait noué le haut de sa combinaison kaki sur ses hanches et ses bras luisants de transpiration dépassaient du débardeur moulant noir qui épousait son torse. La jeune femme logea une mèche rebelle derrière son oreille droite d'un geste machinal. Plus courte que le reste de sa chevelure, celle-ci venait de s'échapper de la queue de cheval qui retenait ses cheveux châtain clair.

D'abord indistinct, le son s'amplifia pendant que Effi replaçait son sac-à-dos sur ses épaules. Un crissement de métal qui lui arracha une grimace. L'archéologue tourna la tête dans la direction du bruit. L'obscurité paraissait se densifier. Elle secoua la tête afin de chasser cette hallucination surgie de son imagination fertile. Rien jusqu'ici ne suggérait la présence d'une forme de vie.

La température de l'air chuta d'un coup, comme si une portion de Vide envahissait le couloir et aspirait l'oxygène qu'il contenait. Des grognements bas accompagnaient maintenant le raclement qui se rapprochait bien trop près au goût d'Effi. Elle saisit ses piolets avant de se mettre à courir derrière sa lanterne volante. Dans son dos, un halètement rauque et puissant rythmait à présent la course de son prédateur invisible.

En dépit de son entraînement, elle perdait du terrain sur la créature qui la pourchassait. Quand son globe biolum éclaira le rebord d'un gouffre, Effi songeait que sa fuite éperdue ne la menait nulle part. Elle bascula dans le puits obscur avant de pouvoir freiner son élan. L'exploratrice tenta de ralentir sa chute avec ses piolets mais ces derniers ne rencontrèrent que le vide. Elle hurla. L'écho de son cri, qui mêlait terreur et frustration, se répercuta dans le dédale souterrain.

 

Effi ouvrit les yeux en inspirant de grandes bouffées d'oxygène. La terreur la faisait suffoquer et son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Elle se trouvait dans un volume cylindrique aux parois matelassées avec un afficheur holographique pour seul source lumineuse. Tout les voyants, dont un clignotant, arboraient une lueur verte rassurante. Oxygène, propulsion, navigation, la capsule de sauvetage ne se trouvait plus dans le Vide mais tout ses systèmes fonctionnaient à merveille. La survivante se remettait à peine de son cauchemar emprunt d'une terreur indicible, que des souvenirs de sa fuite du Vif-argent l'assaillirent avec une violence qui relança sa crise d'angoisse.

 

Effi volait entre des passagers apeurés qui se débattaient avec l'apesanteur. Telle une nef divine auréolée d'une assurance immuable sur un océan chaotique, elle avançait sans peur vers sa destination. Chacun de ses gestes s'emboîtaient à la perfection dans le cours des événements. Elle esquivait des individus apeurés qui tentaient de l'agripper. La jeune femme restait insensible aux suppliques des blessés ou aux ordres que lui hurlait un steward avant qu'un morceau de cloison le coupe en deux.

Le cercle clignotant qui délimitait le sas de la capsule de sauvetage apparut au détour d'une coursive. Il s'agissait de la dernière présente sur ce pont. À l'opposé du module salvateur, un groupe de survivants se débattait dans les affres de l'absence de gravité et la lueur stroboscopique des éclairages défaillants. Les visages grimaçants et apeurés offraient le spectacle avilissant auquel des organiques en proie au désir irrépressible de survivre pouvaient s'abaisser.

Effi se propulsa au bon moment alors que son horizon tournait sur lui-même. Elle ouvrit le sas pendant que la coque cédait derrière les passagers occupés à s'entre-déchirer afin d'atteindre le canot en premier. Quand la décompression aspira tout ce qui se trouvait dans la coursive, la jeune femme refermait la trappe du module. À l'intérieur, une holo-vid répétait en boucle la marche à suivre afin de quitter le vaisseau en perdition. Elle actionna la commande d'éjection sans tenir compte des instructions. La secousse du désarrimage l'envoya valdinguer contre la paroi opposée où elle se cogna la tête. Le choc lui fit perdre connaissance.

 

Effi pressa la commande virtuelle qui clignotait. Les boulons explosifs qui maintenaient la trappe circulaire sautèrent en projetant celle-ci loin du module. L'objet retomba sur le sol dans un fracas métallique qui, si elle se fiait à l'écho, se répercuta dans un espace plutôt grand. Sa robe bleu nuit remonta sur ses cuisses fuselées alors qu'elle faisait passer ses jambes en premier afin de sortir du module. Ses pieds nus se crispèrent au contact du céracier froid et la jeune femme frissonna en découvrant les morceaux du Vif-argent qui encombraient la soute immense. Un cliquetis lui fit lever la tête. Son origine provenait d'un zooïde de forme arachnéenne en alliage blanc laiteux qui venait de se jucher sur la capsule de sauvetage. Il la scrutait au travers du point rougeoyant qui venait de s'immobiliser dans le cercle de teinte identique qui entourait sa tête. Après un moment passé à l'observer, le drone fit demi-tour en s'arrêtant en chemin afin de vérifier qu'elle le suivait.

Son guide mécanique emprunta une succession de coursives hexagonales au plancher grillagé qui lui faisait mal aux pieds. Dans l'une d'elle, un groupe de ces curieux robots procédait à une réparation. L'un d'entre eux tenait une grille de sol ouverte pendant que les deux autres s'affairaient dans les entrailles du vaisseau. Malgré des connaissances limitées en ingénierie, il lui sembla déceler par endroits des couches supplémentaires, voire des remplacements purs et simples, de technologies. Comme si le ou les propriétaires successifs de l'appareil avaient procédé à des modifications importantes. Bien que certaines coursives affichassent une vétusté peu rassurante, la vibration imperceptible qui accompagnait le bourdonnement subliminale de la propulsion lui prodigua un certain réconfort.

Effi nota le désordre de célibataire endurci qui régnait dans la coquerie ainsi que dans le mess. Dans ce dernier, un hublot circulaire aussi large que la pièce occupait tout le plafond. Taillé dans un diamant cristal offrant une vision identique à celle d'un objectif fish-eye, elle se perdit dans le spectacle incroyable offert sur le Vide jusqu'à ce que le droïde lui picote la jambe avec l'une de ses pattes. Ils reprirent leur progression avant de s'arrêter en face d'une porte de forme similaire à celle des coursives. Celle-ci coulissa sur un poste de pilotage de petite taille comparé à celle du vaisseau, estima-t-elle. La pièce, encombrée d'instruments jusque sur le plafond que la jeune femme pouvait toucher en tendant le bras, baignait dans la lueur douce des instruments holographiques. Cette faible luminosité ne polluait pas la vision époustouflante offerte par la baie lenticulaire d'un diamètre égale à celle de la salle. Le vaisseau avançait à une allure réduite dans une sorte de tunnel que les astéroïdes qui les entouraient dévoilaient au dernier moment. Effi pouvait apercevoir par intermittence les feux clignotants de balises matérialisant des points de repères dans ce labyrinthe. Au-delà de cette mouvance inextricable d'astres morts, une nébuleuse aux reflets variant du bleu au mauve palpitait doucement.

Le zooïde se tenait à présent sur l'appui-tête de l'un des trois sièges disposés en triangle. Ses deux pattes avant tapotaient le dossier comme pour l'inviter à s'asseoir. À bien des égards, le comportement du robot lui rappelait celui des assemblants — ces créatures génétiques fabriquées par les Morphos afin de servir d'équivalents organiques aux droïdes qu'affectionnaient les Mécanistes.

— Bienvenue à bord du Borussia. Je suis Adève, la conscience artificielle inscrite dans le processeur quantique de ce remorqueur, déclara une voix féminine qui la fit sursauter malgré sa douceur. Veuillez vous asseoir. Je dois vous informer qu'en qualité de passagère clandestine vous ne devez vous manifester sous aucun prétexte jusqu'à ce nous soyons arrimés.

Une conscience artificielle à bord de ce rafiot. Cette information incroyable piquait sa curiosité. À sa connaissance, le Teth ne laisserait jamais un vaisseau pirate disposer d'une telle technologie.

En prenant place dans le fauteuil désigné par le robot arachnéen, elle aperçut le membre en alliage carbonée sombre qui remplaçait le bras droit du pilote. Une sorte de sphère complexe fixée à l'accoudoir de son siège enserrait sa main cybernétique. En se déployant, son harnais la plaqua au baquet d'apparence similaire à celui d'un appareil militaire et elle ne put en apprendre plus sur l'identité de son sauveur. Bien que secourue par un vaisseau à la technologie Mécaniste, Effi n'éprouvait aucune crainte alors que leur destination grossissait dans son champ de vision. Destination qu'elle identifia comme le tristement célèbre amas de Purcell.

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