4. Sortie

Par Aylyn

Assise en tailleur sur mon lit, je suivais les aventures de Buck, plongée dans les grands espaces sauvages décrits par London. Je ne prêtai pas plus que ça attention à l’arrivée de Cassie, même si elle ne brillait pas par sa discrétion. Je finis pourtant par abandonner mon livre en la sentant trépigner d’impatience non loin de moi.

— Allez, vas-y, Cassie. Je t’écoute.

Il ne lui en fallut pas plus pour me bondir dessus.

— Ce soir, on sort, s’écria-t-elle.

— Ah oui ? Et où ?

Elle ne se formalisa pas de mon manque d’enthousiasme.

— En boîte, pardi ! C’est une soirée spéciale étudiants, on ne peut pas manquer ça.

Une fête étudiante. L’idée de me retrouver au milieu de jeunes en transe, entre musique assourdissante et alcool coulant à flots, ne me tentait pas plus que ça. J’allais formuler un non en bonne et due forme quand mon amie m’arrêta d’office en me posant un doigt sur les lèvres.

— Je n’accepte pas de refus. Ce n’est pas toi qui voulais décompresser ? Vois ça comme mon cadeau d’anniversaire en avance, plaida-t-elle.

Celui-ci avait lieu dans moins d’une semaine. Je la foudroyai du regard, car elle savait qu’elle touchait une corde sensible. Je levai les mains en signe de reddition. Elle me sauta au cou et me claqua un baiser sonore sur la joue.

— T’es la meilleure ! Et puis peut-être que par chance ton inconnu sera là. Alors, que va-t-on se mettre ? C’est moi qui choisis OK ? Un peu de changement ne te fera pas de mal.

Alors qu’elle prenait d’assaut sa penderie, je commençais déjà à regretter ma réponse.

 

*

 

La nuit nous accueillit à la sortie de la résidence. J’essayai de refouler mon stress à l’idée du lieu où nous nous rendions. Je ne cessais de tirer sur le fin tissu de mon haut pour le descendre. Au moins avais-je réussi à éviter la jupe, non qu’elle n’ait pas tenté le coup. Je m’étais prêtée de mauvaise grâce à la séance de maquillage, insistant pour qu’il reste le plus discret possible. Après un coup d’œil dans le miroir, je dus avouer qu’elle avait su rehausser mon regard sans excès.

À l’entrée de la discothèque, un grand baraqué se saisit de ma main pour y plaquer un tampon. J’observai le grossier dessin sans y trouver une forme reconnaissable. On n’était clairement pas dans l’artistique ici. Imitant Cassie, je craquai le bracelet fluorescent offert, puis le glissai à mon poignet avant d’entrer dans l’antre.

Le contraste entre le relatif calme de la nuit et le volume sonore démesuré à l’intérieur faillit avoir raison de ma bonne volonté. J’esquissai un mouvement de recul. La main de mon amie se posa sur mon avant-bras pour me rassurer et contrer une éventuelle fuite. Pouvait-on vraiment s’amuser dans cette ambiance ? Les jeux de lumière zébraient l’obscurité, éclairant par intermittence les corps entassés qui se trémoussaient en rythme ou non. La musique, si on pouvait qualifier ainsi ces basses vibrantes qui ébranlaient mon corps, le traversant telles des vagues avant de repartir, était bien loin de mes goûts habituels, mais apparemment Cassie appréciait.  Je pris une inspiration avant de la suivre, veillant à ne pas lui lâcher la main de peur de la perdre dans cette foule anonyme. 

— Tu crois qu’Ethan va nous retrouver parmi tout ce monde, lui demandai-je en me penchant vers elle.

— Quoi ? me cria-t-elle.

Parler allait se révéler extrêmement difficile songeai-je. Je répétai ma question directement dans son oreille pour couvrir le bruit ambiant. Elle leva un pouce en l’air.

— Ne t’inquiète pas.

Je scrutai la vaste pièce, au centre de laquelle trônait un immense bar. Elle nous dirigea vers un coin un peu moins bondé et se mit à bouger en rythme avec la musique. J’essayai de l’imiter, tout en me sentant ridicule. Ses mouvements étaient fluides, contrairement aux miens. Cassie me saisit les mains et m’entraîna à la suivre, tout en faisant le pitre. Je pouffai. Doucement, je me détendis, m’amusant avec elle, faisant abstraction du reste de la salle. Je m’étonnais moi-même d’avoir su dépasser ma timidité et d’arriver à me détendre, enfin, d’agir comme une fille de mon âge, d’apprécier l’insouciance de l’instant. La pénombre permettait de se libérer, de baisser certaines barrières. Je laissai mon regard errer dans la foule, au cas où Ethan arriverait. Mon cœur rata un battement. L’espace d’un instant, j’avais cru le voir. Impossible d’en être certaine, déjà les jeux de lumière se déplaçaient, m’empêchant de vérifier. L’arrivée d’Ethan détourna mon attention sans effacer complètement le trouble ressenti. Cassie l’interpella à grands gestes. Pour une fois il avait abandonné son éternel jean lâche et son pull informe pour une chemise sombre et un jean noir. À voir la mine de mon amie, elle aussi avait remarqué le changement. Je lui donnai un léger coup de coude agrémenté d’un sourire en coin. Elle me le retourna aussitôt.

Après une bonne heure à danser, Ethan proposa d’aller chercher quelque chose à boire au bar.

— Vas-y avec Cassie, proposai-je.

J’ignorai son regard surpris. Je n’étais pas dupe des nombreux coups d’œil qu’ils s’échangeaient, c’était l’occasion qu’ils soient un peu seuls tous les deux.

— Tu es sûre Aylyn ? s’inquiéta mon amie.

— Oui. Je garde notre place, ajoutai-je avec un clin d’œil. Un verre d’eau pour moi. Allez, zou !

 

L’angoisse me saisit peu de temps après leur départ. Sans la présence distrayante de Cassie, je ressentais tout plus vivement. Trop de gens, d’inconnus, l’air saturé d’odeurs, le bruit omniprésent, aucun espace pour se retrancher, trop exposée. Ma respiration se fit plus laborieuse. Non, pas maintenant, songeai-je. Pas question de faire une crise de panique ici. La présence en moi. Je me concentrai sur elle. Aucun signal d’alerte, aucune menace, je pouvais me détendre. Je m’immergeai de nouveau dans le son, les yeux à moitié fermés, ressentant plus intensément les pulsations de la musique. Léger pincement. Une sensation de danger pulsa. Je me crispai aussitôt, sur le qui-vive Puis, je la sentis à mon tour, une présence envahissante, de plus en plus proche. Un jeune homme, discernai-je par un bref coup-d’œil par-dessus mon épaule. J’essayai de mettre un minimum de distance entre lui et moi, de lui faire comprendre que je n’étais pas intéressée. Mes amis allaient bientôt revenir. Je m’accrochai à cette pensée et continuai de danser, malgré l’appréhension qui me tordait l’estomac. Je ne me faisais pas d’illusions en acceptant de venir ici, la promiscuité était de rigueur.  Le garçon revenait à la charge, apparemment insensible aux signaux de malaise que je lui envoyais. Un « non » clair et net aurait eu le même effet. Il jouait à me coller, à jouer avec mes cheveux malgré mes tentatives de m’écarter, ce qui était loin d’être simple vu la place dont je disposais. Mes mouvements devinrent de plus en plus ténus. L’envie de danser cédait la place à l’angoisse. Lorsque sa main se posa sur ma hanche, je sursautai et voulus me faufiler loin de lui. Il prenait vraiment trop de libertés. Son bras s’enroula autour de ma taille réduisant à néant ma tentative de fuite. Un souvenir remonta à la surface, flashback violent d’une situation similaire. J’allais étouffer. J’entrouvris la bouche, mais aucun son n’en sortit. Mes muscles se tétanisèrent. A l’intérieur, je sentis la présence ruer, montrer les crocs. Quant à moi, je n’étais plus capable de rien. Son souffle balaya ma joue alors qu’il se penchait, réduisant l’espace entre nos têtes. Une forte odeur d’alcool me prit à la gorge. Affolée, je cherchai des yeux de l’aide.

Je vis avec horreur ses lèvres se rapprocher. Mes mains s’obstinaient à pousser contre son torse, mais il était plus fort. Mes yeux se fermèrent comme pour fuir l’inéluctable.

 

— Lâche-là.

Cette voix… Une vague de sérénité m’envahit, la présence en moi frémit de contentement. Je me reconnectai à la réalité, me tournai pour être certaine de ne pas avoir d’hallucinations auditives. Lui, mon inconnu de la bibliothèque. Son regard toisait le garçon face à moi. Il n’avait pas compris le message. Je sentais toujours la désagréable pression de ses doigts sur moi, pourtant la panique reflua. À présent, je me sentais en sécurité. Il était là.

— Tu n’as pas compris ? Lâche-là tout de suite, répéta-t-il un ton plus fort.

— T’es qui ? Son mec ? On est là pour s’amuser, non ?

Je percevais la violence couvant chez le jeune homme derrière moi. Comment faisait ce garçon pour ne pas le sentir ? L’alcool. Il en était littéralement imbibé. Le sourire idiot qu’il affichait, cet air de bravade inconscient.

— La demoiselle te repoussait, il me semble. Alors, va voir ailleurs.

Il lui fit desserrer sa prise d’un geste vif. Le mouvement fut rapide. La seconde d’après, j’étais libre. Il m’attira doucement vers lui, un bras protecteur autour de mes épaules. Des papillons prirent leur envol dans mon ventre, leurs ailes comme autant de chatouillis étranges à l’intérieur de moi. Rien de comparable avec l’étreinte forcée de cet étudiant. Celui-ci tituba avant de reprendre un équilibre précaire. Il haussa les épaules, puis se mêla aux danseurs un peu plus loin, certainement à la recherche d’une autre fille à coller.

                J’avais une conscience aiguë de sa main sur moi, de sa chaleur. Lorsqu’il l’enleva, mon corps en ressentit l’absence. Il pencha la tête pour se mettre à ma hauteur.

— Ça va ?

Mon cerveau tournait au ralenti.  Je ne m’étais pas encore remise de l’excédent d’émotions. Le début de panique, puis la sensation plus que troublante de son contact. Comment passer en un instant du cauchemar au rêve…

— Je… Oui, je… ça va. Merci.

Je bégayai lamentablement, les joues enflammées. Heureusement le peu de lumière m’épargnait un peu. Il hocha la tête et sembla sur le point de dire quelque chose quand quelqu’un l’interpella avec insistance.

— Arenht ! Ramène-toi, c’est urgent.

L’air soucieux, il regarda une dernière fois aux alentours puis me sourit avant de s’éloigner. J’en restai figée sur place. Son nom tournait en boucle dans ma tête. Je resserrai mes bras autour de moi, des frissons rétrospectifs parcourant ma colonne vertébrale. Toute envie de m’amuser m’avait quittée et quand mes amis revinrent, à peine quelques secondes après, je leur annonçai mon envie de rentrer.

— Ça va ? me demanda Cassie en me prenant par le bras. Tu fais une drôle de tête.

— Juste un début de mal de tête, la rassurai-je en me forçant à sourire. Continuez à vous amuser.

— Non, je vais te raccompagner avec Ethan…

— Pas question. Je peux rentrer seule. L’arrêt de bus est juste à côté. Vous avez à peine profité.

Mon amie hésita, me scrutant pour jauger de mon état. Finalement elle accepta. Je les embrassai avant de quitter les lieux.

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Cléooo
Posté le 15/07/2024
Hello Aylyn !

Suis-je trop stressée ? Après sa rencontre avec ce mec-lourd-des-soirées, je suis inquiète à l'idée qu'elle reparte toute seule !

J'ai bien aimé ce chapitre, tant dans la description de la soirée (même si je trouve que son amie Cassie, bien que de prime abord gentille, la force un peu trop à sortir de sa coquille - on est pas tous obligés d'adoré aller en boîte) que dans la seconde rencontre avec le ténébreux Arenht. Je m'interroge par ailleurs sur l'origine du nom, c'est peu courant.
Quoiqu'il en soit, il m'a semblé que la "voix intérieure" d'Aylyn se réveillait un peu plus à ce chapitre.

Je te fais quelques remarques sur la forme :

○ "L’angoisse me saisit peu de temps après leur départ. Sans la présence distrayante de Cassie, je ressentais tout plus vivement. Trop de gens, d’inconnus, l’air saturé d’odeurs, le bruit omniprésent, aucun espace pour se retrancher, trop exposée."
-> j'ai trouvé le passage d'un moment joyeux à l'angoisse très rapide. Plutôt que d'entamer sur "l'angoisse me saisit", j'aurais insisté sur ce qui la provoquait. Parler de l'absence de Cassie qui révèle l'omniprésence les autres, de ces odeurs (quelles odeurs d'ailleurs?), du bruit... qui petits à petits font monter l'angoisse.

○ "Je vus avec horreur ses lèvres" -> vis

○ "d’un geste vif. Le mouvement fut rapide." -> le sens est redondant sur ces deux aspects.

À bientôt pour la suite ! :)
Lily D.P.
Posté le 11/07/2024
Je la foudroyais du regard -> foudroyai
(Dans ce chapitre, il y a quelques verbes mis à l'imparfait au lieu du passé simple. Si jamais, mon astuce pour m'aider, c'est de conjuguer avec il dans ma tête. ((il la foudroya / il la foudroyait)) ^^ De mémoire, il y a un sujet là-dessus sur le forum de PA ?)

Imitant Cassie, je glissai le bracelet fluorescent offert à mon poignet avant d’entrer dans l’antre. -> j'aurais aimé mettre qu'elle "le craquait" avant de l'enfiler à son poignet. J'ai toujours aimé la sensation que ce craquement procure. :p

Affolée, je cherchais des yeux de l’aide. -> je cherchais de l'aide des yeux ? J'intervertirai les deux blocs.

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Ce chapitre suit la trame et est au même niveau que les autres. :) Je trouve l'enchainement cohérent. Jolie plume ^^
Aylyn
Posté le 12/07/2024
Merci pour tes conseils. J'avoue que j'ai oublié de relire le chapitre à ce niveau car habituellement je suis le même conseil. Je prend note :-)
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