30 Avril

Il était 21 heures 47. Le température était poisseuse, en extérieur comme intérieur. Du ciel couvert tombait une pluie tiède et irrégulière. Ce n’était ni une heure ni un temps pour aller voir un détective privée. C’était pourtant ce que faisait Ellie Simon. 

À l’intérieur du bureau de Samuel Grant, Ellie était assise dans une chaise grinçante, grelottant en face dudit détective. Elle n’avait pas pris son parapluie et était complètement mouillée : ses vêtements sales lui collaient à la peau, ses cheveux coulaient sur son dos comme des vignes noires. Elle respirait bruyamment, et on ne pouvait savoir si l’humidité sur son visage était plus due à la pluie ou à sa transpiration.

Ellie venait d’entrer en trombe, s’asseyant avec précipitation et épiant les moindres réactions du détective Grant. Le visage du détective demeura impassible et fatigué. Il déglutit puis sortit d’un tiroir un dossier ridiculement mince. Il l’ouvrit méticuleusement, comme s’il dégoupillait une bombe. 

Le détective rassembla son courage et regarda Ellie droit dans les yeux :

« Je suis désolé, Madame Simon. J’ai fait tout ce que j’ai pu. »

Ellie demeura immobile comme un cadavre, fixant Samuel Grant d’un regard froid, tandis que lui s’agitait légèrement sur son siège, attendant une réponse. Un court silence passa, uniquement troublé par le son diffus de la pluie à l’extérieur. 

Lorsqu’il comprit qu’Ellie n’allait ni répondre ni partir, Samuel prit le risque de continuer :

« J’ai recherché -plusieurs fois- dans les endroits où on l’a aperçu pour la dernière fois, dans les lieux qu’il fréquentait le plus, même dans votre ancienne adresse. Rien du tout. Je me suis surtout concentré sur son lieu de travail. Comme il avait beaucoup de collègues, j’ai eu beaucoup de témoignages. La même chose, à chaque fois : il est bien rentré sain et sauf chez vous, le soir du 29 Mars.

— La police m’a déjà dit tout ça, répondit Ellie sèchement.

— J’ai souvent demandé comment il se comportait avant sa disparition, poursuivit-il lentement. S’il était stressé, anormalement irrité, ce genre de chose…

— Ils vous ont dis qu’il avait l’air très fatigué, c’est ça ? Et que c’était de ma faute, c’est ça ? »

Samuel s’arrêta de parler. Il ne savait pas comment lui répondre, puisqu’elle était plutôt dans le vrai. Il jaugea Ellie une nouvelle fois : elle était visiblement épuisée, trempée, tremblotante, perdue. 

Et pourtant, elle avait une présence imposante, terrifiante même.  Samuel ne voulait pas dire qu’il comprenait que son mec se soit barré, mais quand même. Et dire qu’elle a un gosse, pensa-t-il malgré lui.

« Madame Simon, articula Samuel avec précaution, comprenez bien que je suis vraiment navré de ce qui vous arrive, et que j’ai vraiment fait tout ce qui est en mon pouvoir. Mais ce… cas est particulier. Je dirais même difficile. Surtout quand la disparition remonte à aussi longtemps. Vous devriez faire confiance à la police.

— Je sais déjà tout ça, cingla-t-elle. Putain, je suis déjà allé les voir, et ils n’ont rien foutu. 

— Je suis désolé. Sincèrement, c’est une tragédie, et…

— Vous me cachez quelque chose, déclara-t-elle soudainement. Arrêtez de me faire perdre mon temps. Dîtes-moi tout, ou je ne vous paie rien. »

Malgré toute sa contenance, Samuel Grant ne put s’empêcher de soupirer. Il serra les dents, sentant de plus en plus la situation lui échapper. Si elle veut savoir…

« J’ai peut-être quelque chose de nouveau. Ce n’était au début que des rumeurs qui couraient, mais j’ai un peu creusé. Votre mari avait une liaison, Madame Simon. Avec une dénommée Amélie Chaptory. Je l’ai interrogée plusieurs fois, je l’ai suivie, je l’ai mise sur écoute. Elle ne sait rien. »

Alors, à la totale surprise de Samuel, la froide et impitoyable Ellie Simon fondit en larmes. Le détective était désemparé : sans aucun signe annonciatieur, Ellie s’était soudainement pliée en deux, des larmes jaillirent de ses yeux, elle se mit à renifler bruyamment. 

Alors, entre deux sanglots, toujours courbée en avant, Ellie articula :

« Je… je sais déjà tout ça ! Depuis longtemps… Mon dieu, mon dieu, il n’y a plus rien à faire. Je ne… personne ne reverra Arthur ! Je vais devoir vivre… avec ma fille… toute seule… dans cette maison… »

Samuel ne savait pas si elle lui adressait la parole. Il hésita, pensant malgré tout à de nombreux clients qui avaient feint de pleurer pour ne pas le payer. Samuel s’avança, cherchant quoi dire de juste :

« Madame Simon, on a déjà vu de nombreuses personnes disparues revenir d’elles-mêmes quelques temps plus tard. Et… Monsieur Simon était une personne forte, ça m’étonnerait qu’il lui est arrivé quelque chose de grave. Ne perdez pas espoir. Quittez votre maison pour quelques temps. Partez avec votre fille dans un endroit plus calme. »

Ellie Simon releva la tête et fixa intensément Samuel. Ses yeux écarquillés rougis par les pleurs contrastaient avec le bleu clair de ses pupilles. Elle respirait encore plus bruyamment, les joues striées de larmes. Ses lèvres étaient entrouvertes, ses dents serrées, sa mâchoire crispée. À cet instant, Samuel Grant sut qu’elle ne mentait pas.

Dans une voix tordue qui ressemblait à un râle, Ellie parvint à dire :

« Je sais ! J’ai essayé ! Tout ce que je veux, c’est partir ! Mais… ma fille ne veut pas ! Elle a une crise dès que je parle de quitter cette maison. Elle dit qu’on ne peut pas ! Elle dit qu’on la mettrait en colère ! »

 

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Isapass
Posté le 30/11/2020
Oulà ! Il s'en est passé, des choses, en quelques mois ! En même temps, il y avait déjà une petite allusion dans le chapitre précédent qui laissait penser que Arthur avait un petit problème avec sa fille (ou sa belle-fille ?).
Par contre, tu parles d'une disparition le 29 mars et on est le 30 avril. Or, le détective dit que ça fait "remonte à aussi longtemps". Il me semble que pour une enquête sur une disparition, ce n'est pas très long, si ?
En tout cas, tout ça donne très envie de continuer, même si on pressent que c'est pas jouasse, dans cette baraque XD
Alice_Lath
Posté le 13/04/2020
Oooh, purée, j'adore ce rebondissement, j'ai le palpitant qui frémit à l'idée d'en savoir plus haha, et si c'était eux les poupées dans un jeu cruel? Ça pourrait marcher par rapport au titre de l'histoire. En tout cas, je n'ai rien à redire, je suis l'histoire avec plaisir et avec frissons, tout ce que j'aime dès qu'il fait un peu chaud et un peu beau huhuhu J'ose pas imaginer le confinement dans une maison hantée, l'horreur que ce doit être
NM Lysias
Posté le 09/04/2020
Alice est une méchante fille.... Si c'est elle qui sévit.
Le pauvre papa a dû mal finir.
Ou ! ça fait palpiter mon coeur, j'aime les histoires de fou et d'esprit démoniaque.
Tu laisses planer pas mal de question sur Sophie, Arthur et Alice...
ça me plaît.
Le Saltimbanque
Posté le 09/04/2020
Super content que ça te plaise ! Les réponses viendront peu à peu, car ce n'est que le début du cauchemar...
NM Lysias
Posté le 09/04/2020
J'en doute pas...
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