30. Beherzt

Par Hinata

Les mains nouées autour de ses genoux, il réprima un long frisson. La pièce n’avait beau comporter qu’une seule porte, des courants d’airs circulaient partout. Beherzt y avait vu une bonne façon d’évacuer la fumée, mais en réalité, c’était surtout une bonne façon d’attraper un rhume carabiné. Le feu ne suffisait pas à le réchauffer. Sans doute parce qu’il avait renfilé ses habits avant qu’ils ne soient secs. Au moins, le froid ne semblait pas déranger Fenore et Domyrade.

Elles dormaient blotties l’une contre l’autre depuis un moment déjà. Il ne pouvait pas s’empêcher de les observer plus que de rigueur à travers les flammes. Dans le sommeil, leur différence d’âge disparaissait presque tout à fait. Ou plutôt, elle semblait s’inverser. Les sourcils bruns de Domyrade et les marques rousses de la fresk sur ses joues et son nez, tout cela lui donnait l’air plus vieux que Fenore, avec sa peau parfaitement unie et ses sourcils blancs à la limite de l’invisibilité. Mais tout compte fait, elles avaient toutes les deux l’air d’enfants, recroquevillées comme ça, les traits détendus, les joues rondes et lisses.

Lui aussi devait avoir l’air d’un gamin, grelottant dans ses vêtements humides, à bailler sans arrêt. Pas très digne, pour un veilleur de nuit.

Son soupir se transforma en un raclement de gorge plutôt désagréable. Il chercha un peu de salive dans sa bouche empâtée. Nesli et Atkos auraient du revenir avec de l’eau, depuis le temps. Mais Beherzt n’osait pas s’agacer. Il s’inquiétait trop des ennuis qui avaient pu retarder sur ses amis pour leur en vouloir du délai. Qu’ils prennent leur temps. Il pouvait bien se dessécher, mourir de soif, de froid et de fatigue, du moment qu’ils revenaient tous les deux sains et saufs, tout lui allait. Enfin, s’ils pouvaient aussi rapporter avec eux des gourdes pleines, il leur en serait tout de même reconnaissant.

Pris d’une profonde lassitude, il se passa une main sur le visage et grimaça légèrement en sentant les poils rêches sous sa paume. Garder ses joues barbues lui donnait l’air trop vieux, et le démangeait, aussi. Cela faisait deux bonnes raisons de se raser soigneusement. Il avait appris à le faire rapidement, dans la fraîcheur du matin, sans miroir. Une caresse aiguisée de partout et le tour était joué. De partout sauf la moustache, bien sûr. Cela, c’était autre chose. Une bonne façon de rappeler aux gens d’Helmer qu’il n’était pas un garçonnet prépubère, pour commencer. Et pour finir, c’était le dernier souvenir qu’il s’autorisait d’une époque abandonnée derrière lui. D’une personne à laquelle son esprit s’interdisait de penser.

Alors pourquoi y pensait-il, bougre d’âne ? Ses doigts engourdis se mirent à triturer machinalement le bout de ses fines tresses, à pincer les poils naissant de sa barbe, jouer avec les bijoux sur ses oreilles… Un bruit de pas se fit entendre. Beherzt se retourna vers la porte, pas tout à fait certain que ce ne soit pas simplement un effet de son imagination. L’apparition dans l’encadrement d’une silhouette qui n’était ni celle d’Atkos, ni de Nesli, le fit bondir sur ses pieds. Il se baissa pour attraper sa hache et se redressa derechef. Trois autres personnes étaient entrées. Les ailes d’Atkos et la peau diaphane de Nesli le rassurèrent un peu, mais juste un peu.

− Tout va bien, Beherzt, le héla Nesli avec un signe d’apaisement.

Beherzt comptait bien le vérifier par lui-même. Son regard sonda les deux étrangers qui accompagnaient ses amis. Un grand garçon aux cheveux noirs, vêtu comme un hybride, mais présentant bien deux jambes nues terminées par une paire de chaussures. Un elfe ou humain, donc. Et à côté de lui, un nain du troisième âge, engoncé dans un habit en fourrure, qui s’appuyait à deux mains sur une canne de bois noueux. Au plus grand soulagement de Beherzt, ni l’un ni l’autre n’étaient armés, pas en apparence du moins.

− Qui sont ces gens ?

− Des voyageurs, comme nous.

Nesli n’avait pas l’air franchement convaincue par ce qu’elle disait, et la moue froncée d’Atkos allait aussi dans ce sens. S’ils étaient si méfiants, pourquoi avait-il fallu qu’ils escortent ces deux-là jusqu’à leur campement ?

− Nous ne nous sommes pas encore présentés, déclara le vieux nain.

Il s’avança d’un pas vers le feu et le bruit de sa canne résonna dans la pièce.

− Je suis Goran des taillis. Et celui-là s’appelle…

D’une main ridée il invita son compagnon à parler.

− Enza des fossés, compléta l’autre d’une voix grave mais hésitante.

C’était bien la première fois que Beherzt entendait quelqu’un se présenter de cette façon. Même ceux et celles qui ne connaissaient pas le nom de leurs parents, gardaient la formule de filialité et se référaient à leur royaume d’origine. Beherzt avait déjà entendu plusieurs fois les expressions « fils d’Helmer », ou « fille de Galfinir ». C’était absurde, mais c’était ainsi. Peut-être que des régions s’était finalement soustraites à cet usage vieux comme le monde. Mais de ce qu’il savait, ce n’était le cas nulle part en Edelstein, ni en Helmer. S’il y avait bien deux royaumes que Beherzt pouvait se targuer de connaître un peu, c’était ces deux-là.

− D’où venez-vous ? interrogea-t-il le nain et l’humain plantés en face de lui.

− Oh, d’ici et d’ailleurs, répondit le plus vieux sans aucune hésitation. Vous savez ce que c’est, quand, à force de voyager, on finit par considérer la route et le ciel étoilé comme son véritable foyer.

Il avait la langue bien pendue. Une sorte de poète frustré, peut-être. Ou un charlatan rompu à l’art de la diversion.

− Quelles étaient vos intentions en accompagnant mes amis, exactement ?

Le vieil homme pivota brièvement vers Atkos et Nesli avant de répondre :

− Leur prouver notre bonne foi, je crois. Tout simplement. Ce sont eux qui ont pris l’initiative de cette petite réunion, pour tout vous avouer. Nous étions prêts à rester de notre côté sans vous embêter. Ces ruines sont bien assez grandes pour nous tous.

Un beau-parleur, sans aucun doute, mais dont les accents sonnaient parfaitement honnêtes. Beherzt ne demandait qu’à le croire, à endormir ses soupçons, à boire une longue rasade d’eau fraîche et à s’endormir dans un coin jusqu’à l’aube. Seulement, il ne pouvait pas se permettre de négligences. S’il arrivait quelque chose à Nesli, Fenore, Domyrade ou même à Atkos, cette fois c’était certain, Beherzt ne parviendrait jamais à survivre au poids de la culpabilité.  

− Nous ne voulons embêter personne non plus, assura-t-il à Goran et Enza, mais de récents évènements nous forcent à la vigilance.

Près de Nesli, le visage d’Atkos s’assombrit à vue d’œil. Beherzt fit tout à coup le lien entre les attaquants de son clan et l’humain debout devant eux. Sauf que celui-là ne se promenait pas le visage couvert au milieu d’une troupe de ses congénères, et surtout, la présence du nain à ses côtés ne collait pas. Cet échalas aux cheveux sombres ne devait pas être plus responsable de ces horreurs que leur petite Domyrade. Il serait injuste de le soupçonner à cause de sa seule race. Ce qui ne voulait pas dire non plus qu’ils avaient affaire ici à une paire de chatons inoffensifs. En fait, Beherzt avait même une bonne raison de leur suspecter quelques griffes affutées, ou au moins une, en tout cas.

− Est-ce que vous portez des armes sur vous, quelles qu’elles soient ?

 L’humain secoua tout de suite la tête. L’autre poussa le zèle jusqu’à ouvrir son gros manteau de fourrure.

− Aucune, quelle qu’elle soit.

− Menteurs, les accusa aussitôt Beherzt.

Le vieil homme plissa les yeux de dessous sa capuche en poils de bête.

− Ton coup de bluff n’est qu’une perte de temps, mon gamin. Et un chouia offensant, qui plus est.

Il eut la désagréable impression que son père venait d’apparaître à la place de Goran. Cet air à la fois désapprobateur et condescendant, mais toujours empreint d’une sorte de pitié pétrie d’attendrissement. Un frisson lui remonta l’échine, mais Beherzt ne se démonta pas.

− J’ai vu la rayure sur les murs. Une marque nette dans la pierre qui fait comme un fil argenté. Elle est à hauteur de nain, et je mettrais ma main à couper que c’est la pointe d’un couteau qui l’a tracée. Et que ce couteau, c’est le tien.

− Tu as l’œil, lui concéda l’autre. Mais tu te trompes sur un point : je n’ai pas menti. J’ai bien un couteau en ma possession, mais il n’est pas ici. Je l’ai laissé avec le reste de mes affaires.

C’était plausible. Fenore et Domyrade choisirent ce moment pour apparaître dans son champ de vision. Leurs éclats de voix les avaient réveillées. Beherzt vit clairement les yeux de leurs deux visiteurs se poser alternativement sur l’une et l’autre des filles.

− Votre petite bande est pour le moins intrigante, fit remarquer le vieux Goran. Cela donne envie de vous rendre la pareille en matière de questions.

Peut-être bien que s’ils leur racontaient vraiment comment ils s’étaient retrouvé là tous les cinq, Goran ne les croirait pas. Parfois la vérité sonnait plus invraisemblable qu’une histoire montée de toutes pièces. Peut-être que c’était aussi le cas pour Goran des taillis et Enza des fossés.

− Mais nous avons peut-être assez parlé, reprit le petit homme dans son manteau. Vous devez être épuisés après avoir marché dans cet orage.

− Depuis combien de temps êtes-vous ici ? demanda Beherzt.

− Plus longtemps que vous. D’ailleurs, nous sommes bien mieux installés. Et si vous n’avez pas trop peur de nous à présent, je vous inviterais volontiers à me suivre jusque là-bas.

Une aura de désapprobation émana d’Atkos, c’est-à-dire qu’il combina sourcils froncés et plumes hérissées. Les filles semblaient plus hésitantes. Nesli se rapprochait tout de même petit à petit de Domyrade, dans une attitude protectrice. Elle n’était pas sereine, aucun d’eux ne l’était.   

− C’est une pièce un peu comme celle-ci, mais en meilleur état. Nous avons de la nourriture, un feu dans la cheminée, et une réserve d’eau à proximité. Ce n’est pas grand-chose, mais je crois que vous y serez plus confortables pour vous reposer, avant de reprendre la route.

− Et vous, vous ne comptez pas la reprendre, la route ?

Goran eut un sourire grimaçant.

− Je me suis salement blessé à la jambe. Avant de repartir, je préfère attendre ici d’avoir suffisamment guéri.

Encore une fois, le vieil homme parlait comme si l’humain aux cheveux noirs ne voyageait pas avec lui. Mais Beherzt préféra ne pas poser de questions à ce propos dans l’immédiat. Il interrogerait directement le dénommé Enza des fossés.

− Vous permettez que l’on se concerte rapidement avant de répondre à votre proposition ?

Sans attendre d’acquiescement, il fit signe aux autres de se rapprocher. Tout en gardant constamment les deux individus à l’œil, ils débattirent à mi-voix. Ce fut plutôt rapide. Tout le monde avait plus ou moins les mêmes craintes en tête, mais aussi la même fatigue dans le regard. La conclusion s’esquissa sans coups d’éclat, dans une apparente unanimité. Beherzt était prêt à s’en contenter.

− Nous voulons bien venir, annonça-t-il finalement à Goran.

 

***

 

Leur arrivée sur les lieux commença sur une note pour le moins agréable : le battant de la porte demeurait en parfait état, et lorsque Goran l’ouvrit devant eux, une douce tiédeur vint caresser le visage de Beherzt. Pour que le feu de cheminée, qui irradiait depuis le mur opposé, parvienne à chauffer ainsi toute la pièce, il fallait vraiment que murs et plafond aient été épargnés par le temps et les pillages qui avaient saccagé l’observatoire. Ou bien les deux clandestins étaient-ils allés jusqu’à effectuer quelques réparations ?

Les petits martèlements syncopés de la canne de Goran et des sabots d’Atkos sur la pierre s’estompèrent tout à coup. Un tapis relativement épais recouvrait le sol sur toute une partie de la salle. Soit, de petits nuages de poussière se soulevaient à chacun de leur pas, et le tissu empestait probablement, mais cela restait néanmoins un meilleur support que les dalles pour passer la nuit.

Goran s’avança vers la cheminée, abandonnant derrière lui leur groupe qui contemplait muettement les alentours. Toujours appuyé sur son bâton, il se pencha pour alimenter l’âtre en bois sec. Puis dans la lumière des flammes ravivées, il retira tranquillement son gros manteau de fourrure.

Cela faisait si longtemps que Beherzt n’avait pas eu sous les yeux une telle silhouette. Goran ne devait pas avoir beaucoup plus de soixante ans, et pourtant son corps semblait déjà osciller entre la vie et la mort. Beherzt savait que le peuple nain se fragilisait plus que les autres dans la vieillesse. Il avait grandi dans la maison de sa grand-mère, à qui il avait toujours trouvé un air de sac d’osselets ambulant. Mais après tant d’années passées loin de chez lui, à croiser de solides bûcherons aux cheveux gris, des centaures inébranlables aux crins blancs et des faunes qui se passaient de canne pour bondir, sans parler des elfes qui ne prenaient pas la moindre ride avec l’âge… Oui, cela faisait un choc de recroiser une de ces carcasses éprouvées physiquement par le temps.

 Un hoquet de stupeur tout proche fit écho à sa pensée. Fenore ouvrait des yeux effarés sur les os saillants du vieux Goran.

− Tes cheveux blancs m’ont induit en erreur, grommela-t-il en revenant vers eux. Si tu n’es pas une elfe sang-pur en fin de compte, je veux bien manger du bois. Mais on meurt tous un jour, que la vieillesse soit visible ou non, garde bien ça en tête, ma pauvrette.

La jeune fille referma sa bouche de poisson hors de l’eau.

− En voilà une de moins impressionnable, apprécia Goran en tendant son manteau à Domy.

Comme elle le fixait sans ciller ni amorcer le moindre geste pour prendre le vêtement, il insista :

− Tu as la trempe d’un buisson d’épine, mais pour le moment tu trembles comme une feuille. Alors prends ça.

La comparaison dut lui plaire, car elle accepta.

− C’est un simple prêt, je compte bien le récupérer au matin. En échange je compte sur toi pour ne pas mettre le bazar dans mes poches avec tes petites mains, compris ?

Elle hocha la tête avec une ébauche de sourire. Que Goran ait réussi à apprivoiser leur farouche Domyrade aussi rapidement relevait presque de l’exploit.

Ce n’était pas bien surprenant, ceci dit. Le corps du vieil homme aux cheveux gris avait beau crier son usure extrême, il n’irradiait pas moins de cette personne une aura de vie. Son aplomb avait quelque chose de fascinant venant de cette peau ridée et de ces os anguleux. Ses yeux et sa parole se faisaient comme l’écho assourdissant d’une existence pleine.

Une grande plume lui frôla l’épaule.

− Oy, tu dors debout ? souffla Atkos.

Beherzt se secoua. La chaleur des lieux l’engourdissait sournoisement. Ses jambes ne le tiendraient pas debout beaucoup plus longtemps… Il remarqua seulement à ce moment-là qu’Atkos lui tendait une outre pleine. Beherzt prit garde à boire avec modération, à petites goulées, mais ce n’était pas facile tant la sensation de l’eau lui faisait du bien.

Lorsqu’il rendit l’outre presque vide à Atkos, les filles discutaient avec Goran pour savoir où dormir. Dans un marmonnement que Beherzt ne comprenait pas, le vieil homme leur désigna successivement le tapis, la cheminée et une porte sur un mur latéral. Les tensions de leur arrivée s’estompaient doucement et une atmosphère paisible s’installait dans la pièce. Beherzt se sentait de moins en moins disposé à guetter un potentiel retournement de situation. Un détail toutefois le dérangeait dans ce qu’il voyait, sans qu’il parvienne à mettre le doigt dessus. Le problème lui sauta aux yeux par surprise ! Enza ! La grande silhouette de l’humain n’était visible nulle part !

Avant d’arriver à articuler quoi que ce soit, Beherzt attrapa d’un sursaut le bras d’Atkos près de lui. Son ami l’écouta en plissant le front mais les traits de son visage se détendirent rapidement.

− Ne t’en fais pas, il s’est simplement déjà couché. Regarde, on le voit allongé là-bas.

Emmitouflé dans une couverture, Enza avait l’air d’un tapis roulé sur le côté de la salle. Ses cheveux noirs se fondaient parfaitement dans l’obscurité.

− Tu n’es pas le seul à veiller au grain, le rassura encore Atkos. Je n’ai pas quitté l’humain des yeux une seule seconde.

Beherzt avait toute confiance en ses amis, et savait qu’il pouvait compter sur eux, mais il lui arrivait souvent de l’oublier.

− Va dormir, Beherzt.

− Toi aussi, Atkos, s’immisça la voix sérieuse de Domy.

Elle se rapprocha d’eux, Fenore dans son sillage.

− Nous avons déjà pu nous reposer un peu tout à l’heure grâce à Beherzt. C’est votre tour maintenant.

Pour une fois, Atkos ne posa pas sur la jeune fille son regard indulgent tendant vers l’indifférence. Il avait l’air de la jauger, de réfléchir sérieusement à ce qu’elle disait. Pour Beherzt, le choix était tout fait :

− Parfait. Vous vous chargez toutes les deux de garder Goran et Enza à l’œil, et nous nous occupons de reprendre un peu des forces.

Fenore ne payait pas de mine avec ses airs d’adolescente un peu empotée, mais elle avait de réelles capacités en matière de combat rapproché. Elle paniquait facilement, mais rien ne lui enlèverait ses réflexes et son endurance. Avec un peu de chance, leurs deux nouvelles connaissances ne lui soupçonneraient pas de telles aptitudes. Un effet de surprise était toujours bon à prendre.

Quant à Domyrade, il ne doutait pas de son implication. Quand elle était chargée de veiller, ses yeux restaient grand ouvert, aussi fort que soit l’appel du sommeil. Il en allait de sa réputation de jeune adulte.

Atkos ne trouva finalement rien à redire, et ce fut décidé. Beherzt attrapa son sac et partit s’allonger sur le tapis à côté de Nesli. Elle tournait le dos à la cheminée, paupières déjà fermées et son épaule soulevée par une respiration profonde et régulière. L’une de ses grandes mains restait enroulée autour du manche de sa lance, posé à côté d’elle. Peu désireux de dormir à quelques pouces de ce métal tranchant, Beherzt se cala derrière son amie, face à l’âtre qui rougeoyait à dix pas de là.

Retardant encore un peu son coucher, il chercha des yeux, appuyé sur un coude, la forme ailée d’Atkos. Il le trouva à l’opposé d’eux, du côté d’Enza. Tiens, lui qui cherchait d’habitude la proximité de Nesli… Sans doute que sa méfiance à l’égard de l’humain surpassait ce soir ses affinités pour Nesli.

Beherzt se laissa tomber à l’horizontal, et sentit tout de suite sa conscience sur le point de basculer dans un sommeil qui lui tendait depuis trop longtemps les bras. Avant de se fermer, ses yeux enregistrèrent l’image de Fenore, Domy et Goran, assis en triangle non loin des flammes. En se concentrant un peu, il pouvait distinguer leurs paroles dans l’obscurité imparfaite de ses paupières.

− C’est une jolie nuée de brûlures que tu as là, ma pauvrette.

− Arrêtez un peu de l’appeler comme ça.

− Une grande fille qui ne sait pas se défendre toute seule, on peut bien l’appeler comme ça nous chante.

− N’importe quoi.

− Est-ce qu’elle veut que je soigne ses brûlures la jeune fille, oui ou non ?

− Avec quoi ? répondit la voix hésitante de Fenore.

− J’ai des onguents avec moi. Avec ça tu cicatriseras plus vite et surtout ça apaisera immédiatement la douleur. Toi, le buisson d’épines, cherche dans ma poche intérieure de droite un sachet en vessie de lapin.

− Celui-là ?

− Non, rien à voir. Tu crois que c’est poilu comme ça de la vessie bien tannée ? Oui, voilà, celui-là… Range l’autre et donne-le-moi. Faut réchauffer un peu l’onguent pour le ramollir.

− C’est fait avec quoi ?

− Des plantes, mon petit. Du pur végétal. Ces choses-là ont un pouvoir incroyable, mais peu de gens savent l’exploiter.

 − Les elfes Révélés savent, osa Fenore.

Goran s’esclaffa.

− Donne ton bras au lieu de dire des énormités pareilles. Y a pas un seul elfe Révélé qui pourrait faire ce que je fais avec les plantes. Ils sont bien trop enfermés dans une pratique banale de leur Don. Ils regardent leurs mentors sans rien écouter de leur élément. Comme tous les Révélés, d’ailleurs. Ce sont des moutons qui suivent le berger, et puis au bout d’un moment ils deviennent bergers à leur tour, et ils utilisent leur pouvoir comme un collet pour attraper la nature. Mais ils ne communiquent pas avec elles, tout au plus ils arrivent à lui crier des ordres, et elle a la bonté d’obéir…

Beherzt buvait les paroles de Goran sans trop savoir qu’en penser.

− Je… Je ne sens plus rien, balbutia la voix émerveillée de Fenore.

− Je te l’avais dit. Donne-moi ton autre bras maintenant. Et toi, buisson d’épines, est-ce que tu ne voudrais pas quelque chose ?

− Quoi donc ? Et pour quelle raison ?

− Tu ne trembles plus, mais je crois bien que ton crâne te malmène. J’ai un breuvage qui te débarrassera de ta migraine en un clin d’œil.

− Non, ça ira, merci.

− Comme tu voudras.

Cela devenait de plus en plus difficile pour Beherzt de se concentrer pour écouter leur conversation. Il laissa doucement le brouillard de ses pensées prendre le dessus.

Domyrade et Fenore se montraient à la fois aimables et méfiantes avec le vieux Goran, et surtout, elles avaient l’air sûres d’elles sans tomber dans l’excès de confiance. Beherzt pouvait s’endormir tranquille.

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Alice_Lath
Posté le 28/08/2020
Aaaaah, je l'aime toujours autant ce duo Goran-Enza héhé, il est mystérieux comme je les aime et relance parfaitement bien l'intrigue. Puis on s'y sent bien, nous aussi, au coin de ce feu. Tu as très bien rendu l'atmosphère de fatigue et de chaleur qu'on aimerait y trouver et je dois avouer que j'ai baillé en même temps que Beherzt haha ! Moi aussi je risque d'avoir les yeux qui piquent, mais je dois rester éveillée pour savoir ce qu'il va se passer, mouhahahaha !
Puis je sens qu'il aura des trucs sympa à leur apprendre au sujet des dons de Révélés, après tout, ce n'est pas pour rien que les cartes ont été redistribuées. En tout cas, j'en suis même certaine !
Hinata
Posté le 15/09/2020
Yeees, trop contente que ce duo ait réussi à te convaincre !
Ouf, merci, j'ai toujours peur de pas arriver à transmettre les atmosphères ^^

Ah ha, pour les théories sur le Don et le pourquoi du comment de nos petit.e.s Révélé.e.s , vous avez encore le temps de m'en soumettre un bon paquet avant la révélation XD

_HP_
Posté le 17/08/2020
Coucouu !

Tu as totalement réussi à installer l'ambiance, même nous on ne sait pas si oui ou non on peut leur faire confiance ! 😅 Enza, c'est difficile de se faire une opinion car on l'a très peu vu. Et Goran... J'sais pas, y a un truc qui me dérange 😅🤔 A voir à voir 😝
Le début est super intrigant, cette personne dont "parle" Beherzt, ce passé... Finalement c'est un personnage dont on ne sait pas beaucoup de choses, notamment au niveau de son passé justement ^^ Je serais très curieuse d'en apprendre plus 😜
La suite dans le prochain chapitre, en espérant pouvoir me faire une opinion 😄😝

• "Il s’inquiétait trop des ennuis qui avaient pu retarder sur ses amis pour leur en vouloir du délai" → "qui avaient pu retarder ses amis", non ? ^^
• "Ses doigts engourdis se mirent à triturer machinalement le bout de ses fines tresses, à pincer les poils naissant de sa barbe" → j'aurais dit "naissants" ^^
• "Peut-être bien que s’ils leur racontaient vraiment comment ils s’étaient retrouvé là tous les cinq" → retrouvés ^^
• "Quand elle était chargée de veiller, ses yeux restaient grand ouvert, aussi fort que soit l’appel du sommeil" → j'aurais dit "ouverts" 🤔
Hinata
Posté le 17/08/2020
Saluuut! ^^

Yeees ! Trop contente que l'ambiance fonctionne !
Oooh ça me plaît bien que tu sois autant intriguée par le passé embrumé de Beherzt que par l'ambiguïté des deux nouveaux personnages !

Et merci pour les coquilles, t'as eu l'œil à chaque fois, je vais modifier tout ça !
Xendor
Posté le 05/08/2020
C'est ... c'est trop malaisant 😅 Comme les personnages, je n'arrive pas du tout à savoir si on peut leur faire confiance ou pas. De ces côté-là le chapitre est très réussi 👍 Pour le prochain, j'espère que les choses vont se clarifier. (Trop de suspens tue le suspens 😁)

Sinon tu m'as fait douter de l'identité de Behertz - vu que cela faisait un petit bail que je n'avais lu de chapitres des Révélés. Le bail, c'est que dans ma tête un nain est barbu peut importe l'âge. Donc j'ai vraiment douté 😅

La seule chose qui m'intrigue, c'est de voir si les deux individus ont quelque chose à voir avec ce qui se trame en ce moment. Mais comme dit le proverbe : la suite au prochain chapitre. Donc j'ai hâte 🙂
Hinata
Posté le 12/08/2020
Salut Xendor !! (Désolée pour le délai de réponses, j'ai un peu fui FPA récemment pendant que je me débattais avec le chapitre suivant ^^")

Ahh yes ! Je suis super contente si l'effet de mystère malaisant fonctionne autour de ces deux personnages ! J'espère que les choses se clarifieront assez rapidement pour toi, en tout cas je te garantie qu'on aura le fin mot de l'histoire sur eux à un moment donné ! ^^

Et ouais huhu, Beherzt n'est pas un nain barbu ^^ sorry si ça porte à confusion, va falloir casser un peu les codes de la fantasy haha, je sais d'expérience que c'est pas facile !

Merci pour ton commentaire, ça me fait toujours aussi plaisir, j'ai de la chance d'avoir de super lecteurs comme ça =D
A la prochaine !
Notsil
Posté le 25/07/2020
Coucou !

Je retrouve Behertz avec plaisir !

J'aime beaucoup la réunion des groupes, on sent la méfiance, on a envie de faire confiance tout en ayant peur...

Je reste persuadée que le petit vieux nain cache des trucs. Il a quand même l'air d'être un spécialiste des Dons et/ou des Révélés... s'il se révèle être un ami, ça pourrait être un mentor de choix pour les guider !
Ou alors, il va critiquer leur façon de faire dès qu'il les verra à l'oeuvre :p

L'humain, je ne parviens pas à le situer. Il s'est fait discret, jusque-là. J'imagine qu'il a été récupéré par le nain.

Soit ils font partie de la troupe du méchant, soit, ils sont effectivement de potentiels alliés, je pense.

On apprend donc que Behertz a un passé qu'il a "oublié".... ça donne vraiment envie de connaitre les raisons pour lesquelles il a quitté son peuple.
Qui sait, dans le prochain chapitre, peut-être, avec le petit vieux ? ^^
Hinata
Posté le 25/07/2020
Salut salut Notsil ! :)

Aaah je suis contente ! Je l'ai retrouvé avec plaisir aussi à l'écriture d'ailleurs ^^

Héhé, pour les mystères je ne dis rien, évidemment, mais en tout cas je suis ravie que tu m'en parles, de savoir un peu tes soupçons ou ta curiosité ^^
Moi aussi j'ai hâte de révéler de nouvelles choses ! Désolée j'ai l'impression de vous faire tout le temps attendre, de repousser les moments forts avec des scènes trop tranquilles XD

Comme toujours, merci merci de me lire et de commenter ^^
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