23h30. Marie regarde son écran d'un air furieux. 3-0. Le score est sans appel, même si ça ne semblait pas aussi violent que la dernière fois. Mais ses mains tremblent de rage au-dessus du clavier. Tout le monde est parti, mais elle ne bouge pas, fixant l'écran avec obstination. Elle broie du noir. Elle est prête à exploser.
Ils n'y arriveront jamais comme ça. La défaite paraissait serrée, mais elle sait qu'elle n'est pas au niveau de Draz. Elle se demande ce qui lui manque. Elle cherche à quel moment elle a échoué. L'adrénaline reflue lentement dans ses veines. Elle sait qu'elle ne pourra pas se coucher tout de suite. Personne ne lui a dit mot en sortant. Liem a demandé à ce qu'on débriefe demain matin, le temps que chacun et chacune prenne le temps d'analyser les parties.
Quand on parle du loup. Il revient dans la pièce, deux tisanes sur un plateau. Il pose le tout précautionneusement entre leurs écrans et lui tend une tasse. Elle la prend avec reconnaissance.
– Pourquoi les combats de groupe ont-ils eu l'air si durs ? », demande-t-elle d'une voix faible.
– Parce que Draz t'a affecté. Il a percé ta carapace. »
– C'est faux. Il ne m'a pas perturbé cette fois-ci. »
Liem ne dit rien. Il se contente de relancer le jeu.
– Ferme les yeux, inspire et expire plusieurs fois. Garde les yeux fermés. »
Elle s'exécute. Elle ne sait pas où il veut en venir, mais elle le laisse faire. Elle l'entend pianoter, cliquer. Puis plus rien.
– OK, ouvre les yeux, et dis-moi ce que t'évoque cette situation le plus vite possible. »
Les yeux de Marie survolent l’écran. Elle se voit avec Ezreal, au centre de l'écran, au tout début d’un combat de groupe :
– Tu es parti aider Jiya, donc je suis seule, je dois augmenter mon spacing vis-à-vis du brouillard, et lancer un tir mystique pour tenter de localiser le Darius. Ils vont tenter de m'empêcher de sortir par la droite le temps que Darius arrive, donc je dois faire un pas de côté puis utiliser mon saut des arcanes. »
Liem appuie sur le bouton de lecture. Darius apparaît comme prévu, sauf qu'elle est partie à gauche. Isolée, plus personne ne peut l'aider et elle meurt peu après.
– Tu l'as vu en un quart de seconde quand je te l'ai montré là. Pourquoi pas tout à l'heure ? »
– Je connaissais déjà la situation. Je l'ai vécue. »
– OK, admettons, ferme les yeux à nouveau. Respire profondément. »
Il pianote à nouveau. Puis lui demande de rouvrir les yeux. Cette fois, elle ne connaît pas la scène. Elle regarde les deux compos sur les bords, identifie les personnages et leur position. Elle comprend tout de suite :
– Je dois utiliser mon filet pour passer à travers le mur. Tout de suite, sinon je suis morte. Ça devrait les attirer et nous permettre de les piéger. »
– Si je donne ce replay à Draz, je parie qu'il lui faut trois secondes pour comprendre la situation. Sauf qu'il n'aurait pas eu trois secondes dans ce cas. »
Marie lève à nouveau les yeux. Qu'est-ce que tu essaies de me dire, bon sang ? Liem la regarde intensément et semble chercher quelque chose. Quand il voit que ça ne vient pas, il soupire.
– OK, encore une fois, ferme les yeux. Tu me fais confiance ? »
Elle hoche la tête. Cette fois, pendant qu'il pianote, il continue à parler d'une voix plate :
– Dans 5 secondes, ouvre les yeux et analyse-moi la situation. Ceci dit, je vais finir par croire que Draz a raison et que vous n’avez vraiment aucune stabilité vous, les filles. Une chance que Farm Ville ne demande pas d'analyse immédiate. Go ! »
La rage monte instantanément. Elle ouvre les yeux et regarde la scène sans comprendre. Il lui faut plus de cinq secondes pour voir ce qui se trame.
– Il faut que j'avance. Tout droit vers l'ADC adverse. »
– Un peu tard. »
Il se fout de ma gueule. Elle n'arrive pas à conserver son calme :
– Tu me balances une atrocité et tu te plains que je mette du temps à réagir. Comment tu veux que je réfléchisse proprement dans un tel état ? »
– Précisément. »
La réponse de Liem est placide. Marie verrouille ses yeux dans les siens. L'énervement commence à monter, mais quelque chose dans le ton de Liem lui indique que c'est voulu. Puis ses yeux s’écarquillent. Elle comprend.
– La colère, ou la rage, ne sont pas des sentiments neutres », articule-t-elle.
Liem hoche la tête avec un sourire, et prend une gorgée de tisane avant de répondre.
– La première fois que tu l'as rencontré, tu t'es retrouvée terrifiée, dominée, ce qui est un sentiment horrible. Cette fois, tu croyais être prête, mais ses piques t'ont quand même atteinte. Pas que toi. », dit-il en se tournant vers l'entrée de la pièce.
Elle se retourne et constate que tout le monde est là.
– Je n'étais pas moi-même non plus », lance Katy d'une voix morne.
– Et quand j'ai vu l'impact sur vous deux, sur Katy particulièrement, j'ai voulu surjouer et j'ai fait des erreurs », ajoute Blinks d'un ton contrit. « Ne me dis pas que tu vas nous faire un cours de science cognitive, là, maintenant ? ».
– Non », sourit Liem. « C'est Jiya qui va s'en charger ».
La colère peut te permettre d'agir par réflexe, oui. Je pense que ça peut marcher en escrime, parce que d'un coup, tu changes de dynamique, ce qui peut surprendre ton adversaire.
Ça marche avec un peu moins de probabilité en jeux vidéos, parce que les situations que tu affrontes ont trop de paramètres, tu peux moins fuir dans l'instinctif.
Merci pour ton retour,
LX