30. L'Arbre-montagne

Notes de l’auteur : Et voici le dernier chapitre ! Il y aura bientôt une épilogue, en attendant je remercie tous ceux qui on lu jusqu'au bout, ça signifie beaucoup pour moi. N'hésitez pas à faire part de vos opinion sur la fin ;-)

Ces mots si difficiles à dire finirent par émerger de la bouche de Katy, après un effort démentiel.

— Timmy… tu es en vie…

Elle lutta contre l’égarement.

— Oui. j’ai survécu, et je constate que toi aussi.

Cette voix calme et atone la glaça.

Le physique de son frère n’avait pas beaucoup changé, si on ne tenait pas compte de la croissance. Son regard, en revanche. Il était froid, comme si la vie avait déserté ses yeux. Ce n’était plus le Timmy peureux et pleurnichard qui se tenait devant elle, mais une version sombre et lointaine de son frère.

C’est normal, après tout ce qu’on a traversé. Moi aussi j’ai changé, il fut une époque où j’étais joyeuse et bavarde.

Malgré tout, il n’esquissait pas un sourire, il ne semblait même pas surpris. Katy commença à douter. Elle prit la main qu’il lui tendait et se releva.

— Donne-moi un surnom qu’on me donnait quand j’étais petite, ordonna-t-elle d’une voix méfiante.

Il ne cilla même pas.

— Katy-caprice, Madame la dictatrice, Petite reine, Grande-bouche…

Il les énuméra tous sans faute.

C’est bien Timmy…

Elle grimaça lorsqu’un sanglot monta en elle. Elle voulut s’effondrer, mais se ressaisit.

— Je suis en mission, expliqua-t-elle, je dois délivrer un de mes camarades pris en otage sur ce bateau, veux-tu m’aider ?

— Bien sûr, et ensuite je te suivrai et nous nous enfuirons ensemble.

Il n’y a pas assez de place dans le  sous-marin…

Elle écarta cette pensée.

Plus tard.

Par contre je ne sais pas qu’elle est sa cellule, ajouta-t-il.

— Ce n’est pas grave, moi je le sais.

Elle ne précisa pas que c’était Tempête qui lui indiquait le chemin.

Timmy à sa suite, elle s’engagea dans les couloirs sombres. Quand ils arrivèrent au cachot, la jeune fille tira des rayons bleus avec une arme aérienne récupérée sur la carcasse du Migrateur. Son frère ne posa pas de question mais glissa un regard circonspect sur le pistolet futuriste qu’elle tenait.

Les cellules presque entièrement vides défilèrent une à une, jusqu’à ce qu’ils arrivent devant la bonne.

Katy fit fondre la serrure et poussa la porte du pied.

Rhyn était là, recroquevillé dans un coin. La pièce était vide hormis un pot de chambre. Le jeune homme gémit quand la lumière se déversa dans ses yeux. Il marmonna des mots en Aérien.

— Viens Rhyn, c’est moi, souffla-t-elle en le soulevant par le bras.

— Ka… ty…

Sa voix était enrouée. Comme elle l’avait prévu, il n’avait eu ni eau ni nourriture pendant les deux jours qui étaient passés. Prévenante, elle avait amené une gourde et du pain, que le prisonnier avala goulument.

— Nous devons partir, viens, suis-moi.

— Pourquoi tu… es venue ? C’est… dangereux.

— Tais-toi et suis-moi.

Ils retournèrent à l’hydroport, mais les trop nombreux soldats présents les forcèrent à se cacher derrière un tuyau.

— On ne peut pas rejoindre votre embarcation pour l’instant, constata Timmy, mais je connais une très bonne cachette, pas loin d’ici. Suivez-moi.

Évitant au maximum les soldats, ils parvinrent jusqu’à un couloir étroit et désert.

— Personne ne passe jamais ici, sauf les domestiques, ce couloir mène aux appartements de l’amiral et des invités prestigieux.

Katy haussa les sourcils, les événements s’enchaînaient étrangement bien.

— C’est exactement ce qu’il me faut. Je dois assassiner Rudolf et Gobelstein.

Timmy fronça imperceptiblement les sourcils mais hocha la tête.

— Je vais te guider. Suis-moi.

— Non… Katy… n’y va pas… , articula Rhyn.

— Je n’ai pas le choix. Mais je te laisse Onetto pour qu’il te guide à moi au besoin.

Timmy sursauta. Il fixa le petit chiot que Katy attachait à un tuyau.

— C’est un joli nom, commenta-t-il.

Après avoir enlacé Rhyn, Katy suivit Timmy. Il courait devant elle, ses épaules s’étaient beaucoup élargies.

Quel âge a-t-il maintenant ? Treize ans, je crois.

Encore des pensées inutiles.

Ils arrivèrent rapidement à une intersection.

— L’amiral n’est probablement plus dans ses appartements, dit Timmy, mais Gobelstein ne quittent presque jamais les siens.

— Commençons par lui, alors.

Ils prirent le corridor de droite et parvinrent à une petite porte rectangulaire d’un mètre sur un mètre.

— À partir de maintenant tu me laisses faire, chuchota-t-elle à son frère.

Il hocha la tête.

Doucement, la jeune fille poussa la porte pour y jeter un oeil. La pièce qu’elle découvrit, semblable à celle où les avait accueillis l’amiral, possédait elle-aussi une mezzanine d’où s’échappaient de puissants ronflements. Le fait que Rudolf n’ait pas jugé nécessaire de prévenir son collègue de l’attaque en disant long sur la confiance qu’elle lui accordait.

Katy se glissa hors du couloir.

— Toi reste ici, ordonna-t-elle à Timmy, qui approuva de nouveau.

Elle avança à pas de velours jusqu’au bas de l’escalier et monta les marches une à une. Savoir sa vengeance si proche faisait battre son cœur plus fort, mais elle se força à rester calme. Elle arriva à l’étage et aperçut un grand lit à baldaquin. Se faisant la plus silencieuse possible, malgré les ronflements bruyants qui couvraient ses pas, elle s’approcha du lit.

Elle ne saurait dire si c’était son sixième sens ou un mouvement derrière le lourd rideau qui l’alerta, mais elle se jeta soudain à terre, alors qu’une rafale de balles passa au-dessus de sa tête. Cinq soldats armés jaillirent du lit. Pour ne pas se faire trouer la peau, Katy sauta sur la rambarde de l’escalier, trois mètres plus bas tandis que les gardes essayaient de l’atteindre. Elle n’eut pas le loisir de s’enfuir ou de se cacher, des Amaryens sortirent de sous les tables, de derrière les rideaux, et des murs. Elle fut encerclée par une vingtaine d’hommes en quelques secondes.

Un piège. Évidemment.

Elle aurait dû s’en douter, ça avait été trop facile.

— Stop ! Stop ! tempêta une voix grasse. Je la veux vivante !

Gobelstein émergea du mur de gardes.

— J’avais raison de parier que tu viendrais. Tu es là ! Ah, tellement prévisible.

Tant pis si on me tue après.

Elle brandit son pistolet aérien et…

— Non, lâchez-moi !

Elle baissa l’arme alors que son coup partait. Le rayons bleu brûla le tapis rouge.

Deux soldats apparurent, tenant fermement Timmy qui se débattait vainement.

Une supplication muette traversa ses lèvres verrouillées. Sa respiration s’était tue.

Elle fixa le général.

— Que voulez-vous ?

— Voyons je crois que tu le sais déjà, je veux ta mort. Mais je vais te faire souffrir avant. En torturant ton frère par exemple.

Elle prit une inspiration douloureuse.

— Comment savez-vous que c’est mon frère ?

Il fallait trouver une solution, et vite. Lentement, alors que les soldats regardaient leur chef, elle glissa sa main dans sa sacoche.

— Pourquoi crois-tu que je l’ai accueilli sur ce bateau ? Les dossiers de recensement, ça existe. D’ailleurs j’ai…

Elle l’interrompit en jetant quelque chose en l’air et en plaquant Timmy et les gardes qui le tenaient au sol. La BIMC, Bombe à Impulsions Magnétique Circulaire, explosa, envoyant valser tous les hommes debout. Elle se releva rapidement pour abattre les soldats qui tenaient Timmy.

— Relève-toi, vite ! le pressa-t-elle. Et enfuis-toi.

Puis elle se tourna vers l’endroit où était étalé Gobelstein et pointa son pistolet sur lui. Mais avant qu’elle n’ait le temps de tirer, une main lui entoura la gorge tandis qu’une autre la désarmait. Suffocante, elle agrippa le bras de son agresseur. L’air commençait à lui manquer. Sous ses yeux, le Général se releva, repoussant le corps inconscient d’un de ses subordonnés qui lui avait servi de bouclier.

— Tu peux la relâcher, 133, mais maintiens-la bien.

133 ?

Une peur sourde la fit jeter un regard derrière.

C’était bien son frère qui l’étranglait, arborant un visage impassible.

— Non…

La terre s’écroula sous ses pieds, un vide l’engloutit.

Non.

— Timmy… bégaya-t-elle les larmes aux yeux… pourquoi ?

— Parce qu’il fait partie du programme R, annonça fièrement Gobelstein.

Le sang de Katy quitta son visage. Elle n’y avait jamais pensé, pourtant c’était évident. Timmy avait moins de sept ans lors de l’attaque du manoir, il était éligible au programme R. Ils l’avaient transformé en arme.

Elle ne put retenir ses larmes, alors que son frère la plaquait au sol.

— Oui, c’est bien, jubilait le général.

— Tuez-moi, souffla Katy en s’absorbant dans les détails des étoffes du tapis.

— Plus tard, je te tuerai plus tard ! Une fois que j’aurai brisé ton cœur en mille morceaux.

Il l’est déjà, songea-t-elle.

Puis, il y eut comme un grondement. Une voix fit vibrer sa boîte crânienne.

M’entends-tu, enfant ?

Gobelstein arrondit les yeux.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

La voix était grave, caverneuse et empreinte de sagesse.

Ygg… drasil ?

— Oui. J’ai entendu ton appel.

Qu’est-ce qui se passe ?! hurla Gobelstein.

La voix d’Yggdrasil semblait faire trembler le sol. Un verre de vin tinta sur une table non loin.

— Es-tu prête, mon enfant ?

— Je… oui.

— Bien.

— Mais…

— Qui ya-t-il ?

— Mon frère… si vous pouviez faire quelque chose pour lui… s’il vous plaît. Le… le faire redevenir lui-même.

— Ton frère ? Mmmh, je sens son âme. Je devrais pouvoir faire ça.

— Merci…

— Merci à toi.

Timmy se mit soudain à hurler, son étreinte se relâcha et il se roula par terre.

— Qu’est-ce qu’il lui arrive ?! s’affola Gobelstein. Qu’est-ce que c’était que cette voix ?! Dis-le moi, sorcière !

Il pointa un pistolet sur elle.

Elle avait retrouvé son calme, elle se releva lentement.

— C’était Yggdrasil, le Grand Arbre qui règne sur cette île.

— P… pardon ?

— C’est fini pour vous.

— Comment ?!

Elle plongea sur son arme et la brandit.

— C’est fini.

À ce moment, une voix frêle s’éleva.

— Katy… ?

Surprise, elle se tourna vers son frère.

À genoux sur le sol, il la regardait comme s’il la voyait pour la première fois.

— K… Katy, tu es vivante…

Elle ne le laissa pas finir et se jeta dans ses bras. Jamais elle n’avait autant étreint quelqu’un.

Ils furent interrompus par une balle qui siffla à leurs oreilles. La jeune fille attrapa son pistolet et le pointa sur Gobelstein.

— La prochaine fois, je ne vous raterai pas ! vociféra-t-il.

— Moi non plus.

Et elle tira.

Gobelstein reçut la balle en plein cœur, mais il eut le temps de presser la détente de son arme avant de s’écrouler.

La balle traversa la tête de Katy.

Elle ne ressentit aucune douleur, mais elle entendit parfaitement le cri de Timmy.

Elle tourna brièvement les yeux vers lui, elle voulut esquisser un sourire rassurant, mais n’en eu pas la force.

Elle ne sentit pas son corps heurter le sol, elle avait l’impression de chuter, encore et encore.

Le néant l’engloutit. La chute durait, durait…

Elle mourut.

 

___

 

C’était un champ de bataille. Des hommes criaient, se battaient et mouraient. Des explosions déchiraient l’air. Des fumeroles s’élevaient dans le ciel, surplombant le terrain meurtri jonché de cadavres et de machines éventrées. Partout régnaient la mort et la violence.

Mais, étrangement, ce vacarme n’était qu’un murmure, ce paysage était flou. Seul un son surpassait les autres.

Des pleurs. Des pleurs de petite fille.

Une fillette de huit ans vêtue d’une robe noire déchirée, dont les boucles brunes cachaient le visage, pleurait, recroquevillée sous un monticule de terre retournée.

Une personne s’approcha d’elle, ses pas résonnaient étrangement dans le paysage macabre. Il s’agissait d’un jeune homme vêtu d’une élégante livrée de valet. Il avait des cheveux sombres et des yeux bles pâle, un sourire triste étirait ses lèvres.

Il arriva devant la petite fille et se pencha sur elle.

— Katy ? Katy pourquoi pleures-tu ? dit-il d’une voix douce.

La fillette leva vers lui un visage larmoyant.

— Parce que c’est triste. C’est triste la vie. C’est triste la guerre. Et vous êtes tous morts. Toi, Maman et Papa, Abby et les autres, Delphine, Rupert, le Commandant Otto, vous êtes tous morts… et moi aussi.

Elle replongea dans ses bras pour sangloter.

Le jeune homme lui releva doucement la tête.

— Allons, Katy, cesse de pleurer. C’est fini, maintenant.

— C’est fini ?

— Oui, tout va bien. Suis-moi.

Il lui prit la main.

— Où allons-nous ? questionna la petite fille.

— Nous allons les retrouver, tes parents et tous tes amis.

Le visage de son interlocutrice s’illumina.

— C’est vrai ?

— Oui, allez viens.

Il voulut l’aider à se relever mais elle résista.

— Attends ! Je ne peux pas venir avec toi.

— Pourquoi ?

— Des gens m’attendent, Rhyn, Théo… et Timmy,  ils ont besoin de moi, ils seront tristes si je pars.

Le jeune homme eut un sourire chaleureux.

— C’est magnifique, ce que tu as fait pour eux. Peu de gens en aurait été capables.

— Je sais mais… Je voudrais rester avec eux.

— Ne t’inquiète pas, tu les retrouveras un jour.

— Ah bon ?

— Oui, maintenant viens.

Il la prit par la main, doucement. Elle se releva et ils avancèrent ensemble vers une porte de lumière qui était apparue près de là. À l’intérieur se découpait une grande prairie ensoleillée. Un groupe de personnes les attendaient en souriant.

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