30- Ton cœur sait

« Je crois pas non ! »

Julien tremblait de partout, le regard accroché dans le vide et l’esprit confus. Un silence avait pris place autour de lui, tandis que son cerveau tentait de mettre de l’ordre dans le rouage désordonné de ses pensées. Cette certitude qui pulsait au fond de son être le rendait fou : cette voix, il ne l’avait pas imaginée ! En poussant un petit rire nerveux, il se laissa tomber mollement contre le dossier de son canapé rastifolé de partout.

« Je vois que ça, je perds la tête ! »

Un soupir de soulagement s’échappa d’entre ses lèvres, accompagné par un frisson tout aussi apaisant dans son corps. Il se passa une main sur les yeux, se frotta le haut du front comme pour relaxer ses neurones en surchauffe et lâcha son meilleur bâillement. C’en était si évident que cette idée ne lui avait pas effleuré l’esprit, tout ça de la faute à cette soirée où ils avaient parlé de surnaturel, d’anges gardiens et blablabla. Surtout que Sam’ en avait remis une couche avec son allusion à l’église et ses anciennes croyances ! Tout en débarrassant son assiette, car la faim l’avait quitté pour de bon, il se lança dans sa vaisselle en sifflotant légèrement.

Je suis exténué par les cours, m’étonnes pas que je rêve comme ça tout éveillé. Mon vieux, va falloir te reposer un peu plus là !

Le jeune étudiant ne remarqua rien d’inhabituel sur le restant de sa soirée tandis qu’il se préparait pour aller se coucher et profiter d’un sommeil réparateur. Bien sûr, il y avait toujours cette histoire de malchance qui lui collait à la peau comme une moule s’agrippe à son rocher mais en même temps… Il poussa sa réflexion en se disant qu’après tout, s’il conditionnait ses perceptions à ne remarquer QUE la mauvaise fortune alors forcément il n’allait remarquer que ça. C’était ainsi que le biais de perception de la réalité se mettait en place.

T’es con quand même.

Une fois bien au chaud sous sa couverture, il flâna sur les réseaux sociaux, le visage seulement éclairé par la faible lumière de son téléphone. Bien que se cramponnant à cette idée que le surmenage lui faisait voir et entendre des choses qui n’existaient pas, un petit quelque chose le dérangeait au fond de son être. Un sentiment qu’il niait, bien enfoui, tout au fond de sa poitrine. Un quelque chose qui était enveloppé par cette vague de chaleur presque familière qui lui donnait l’impression de recevoir la plus douce des étreintes. Julien se trémoussa au fond de ses draps comme pour se défaire de cette chose encore engluée au fond de ses émotions, et tentait de complètement abandonner son attention dans le vaste océan virtuel que représentait internet. Vidéos de chatons, gifs à la con et réels d’une débilité profonde n’arrivaient pourtant pas à l’empêcher de cogiter. Son esprit incisif ne cessait de se rejouer la scène de tout à l’heure, et malgré sa détermination profonde d’y accorder le moins d’importance possible voilà que ses mécanismes logiques se mettaient en place pour décortiquer la situation. Aucun signe clinique de fatigue extrême n’était décelé dans tout ça, pas le moindre œil qui brûle, pas de vertiges, pas de maux de têtes, pas d’absence, aucune once de douleurs dorsales ni cervicales. Il était déjà passé par des périodes compliquées où son corps savait parfaitement lui signifier que l’heure du repos absolu avait sonné. Mais là, ça n’était pas le cas.

D’un grognement, il se retourna de l’autre côté et augmenta le volume sonore de l’épisode qu’il venait de lancer. La série en cours qu’il regardait allait peut être enfin réussir à libérer ses pensées de toute cette stimulation mentale. Alors que son corps, autant que son esprit, parvenaient enfin à se relaxer; la même voix que plus tôt dans la soirée se manifesta dans ses oreilles dans un murmure doux.

« Julien, n’aies pas peur de moi. S’il te plaît… »

Julien se figea, comme pétrifié. Tandis que son cœur effectua un looping dans sa poitrine, sa respiration prit le même virage à toute vitesse et lui rendit le souffle haletant. Chacun de ses membres était parcouru d’un fourmillement familier, cette même vague de chaleur qui voulait l’étreindre avec beaucoup d’affection. Il baissa doucement son téléphone, et sans savoir pourquoi décida de suivre ce que son instinct lui criait depuis longtemps :  c'est-à-dire répondre à cette voix qu’il trouvait apaisante. D’autant plus que la supplication qui s’était évanouie dans l’obscurité lui avait fait ressentir inexplicablement une tristesse à lui rendre les yeux humides. Tout en se frottant les pommettes mouillées, troublé par cette réaction corporelle, il éleva la voix en s’adressant au noir complet de son appartement.

« Vous-vous êtes qui au juste ?
— Tomas, juste Tomas. »

Sans réussir à comprendre le pourquoi du comment, Julien sentit son coeur palpiter plus fort, plus vite, plus chaleureusement à ce prénom. La vague de chaleur qui l’enrobait déjà s’accentua, pour accompagner la folle chevauchée de son rythme cardiaque. Comme si son cœur savait des choses que son esprit ne saisissait pas encore.

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