Après cette étrange soirée, à échanger à peine quelques phrases avec ce présumé ange gardien, Julien s'était vite endormi d'un sommeil profond et paisible. À l'aube, son corps révélait entièrement détendu et son esprit reposé. Cela faisait bien des semaines qu'il ne s'était pas tenu dans une forme aussi olympique.
C'est donc ça, je manquais simplement et cruellement d'une bonne nuit de sommeil !
Le jeune homme ne put faire abstraction bien longtemps des images de la veille qui inondèrent alors son cerveau, où il se revoyait parler seul dans l'obscurité. Ou presque. Car cette voix pleine de chaleur et tendresse lui répondait patiemment. Était-ce un songe, ou même une hallucination de son cerveau submergé de fatigue ? Sûrement.
Rien qu'un rêve, voilà.
Seulement, l'étudiant ne se doutait pas un seul instant que cette soirée allait être le début d'une étrange aventure. Les jours défilèrent, tandis que ce soit-disant Tomas revenait régulièrement pour se manifester. Que ce soit par cette vague familière réconfortante qui l’enrobait entièrement, ou par cette voix tendre qui lui murmurait à l'oreille, ou encore par toutes ces fois où sa malchance se révélait moins dramatique que prévue. Même la plus imperturbable raison scientifique commençait à se fendre, doucement mais sûrement. À chaque manifestation, ses certitudes pourtant jusque-là d'une fermeté à toute épreuve ramollissaient. Plusieurs semaines filèrent de la même façon. Chaque apparition, même discrète, de son prétendue ange gardien lui procurait un capharnaüm d'émotions. Julien se sentait bouleversé par tout ce maelstrom de sensations qui valsait au fond de son cœur : incompréhension totale, réconfort étrange, curiosité grandissante, tendresse inexpliquée…
Il n'en parla pas à aucun de ses amis, pas même à Samuel et encore moins à ses parents envers qui ce Tomas semblait le pousser pour renouer le contact. Son cœur refusait de partager cette bizarrerie qui venait de s'immiscer dans son existence. Et entre tout ça, l’étudiant essayait de composer comme il le pouvait avec son école d'infirmier. En réussissant sa période d’examen, il vit arriver l'été avec beaucoup de plaisir.
Julien s’accorda un mois entier de vacances, afin de réserver le second pour un job estival dans le but de mettre un peu d'argent de côté. Ainsi, les premiers jours de juillet lui permirent de complètement se détendre. Jeu vidéo, lecture et promenade dans les bois : voilà son principal programme quotidien pour son plus grand plaisir. Au deuxième jour de l'été, il s’enfonça dans une forêt domaniale avec bonne humeur. Les mains au fond des poches de sa veste légère, la brise fraîche sur son visage lui procura une douce sensation de bien-être. Après ces derniers mois de rush, entrecoupés des différentes présences surnaturelles, cela lui faisait énormément de bien de pouvoir enfin relâcher la pression. Chaque fibre de son être respirait enfin, et profondément, la détente. Enfin presque. Car son cœur palpitait d'une drôle de façon au moment où le souvenir de cette voix jaillit à la surface de ses plus intimes pensées. Impossible de se défaire de cette sensation si agréable qui courait sur sa peau à l'évocation de ces étranges manifestations. Cela le suivit durant toute sa balade, et jusqu'au soir, et jusqu'au lendemain, et encore sur les jours suivants.
Même une raison fortifiée avec des remparts cimentés à la logique pur et dure ne purent résister bien longtemps. Au fil du temps qui passait, sa conscience vacillait et hésitait à emprunter ce chemin où l'impossible était possible. Petit à petit, c’est comme si son être intérieur acceptait toutes ces étrangetés. Alors, au lieu de lutter - et ce avec douleur et frustration - il se laissa transporter par ces vagues de chaleur douces ainsi que ce murmure vibrant de tendresse. Julien, en laissant tomber tous ces murs rationnels, apprécia de se laisser envelopper uniquement par ces sensations chaleureuses. Chaque murmure, chaque vague dans son corps, lui procuraient une sérénité sans nom. Et surtout, une profonde et authentique sensation de se sentir aimé de manière infinie. C’en était troublant. Lui qui n'avait pas l'habitude de ressentir autant de marques d'affection, étant donné que ses parents lui ont vite tourné le dos une fois qu'il s'est proclamé athée. Fils unique, il ne trouvait du réconfort que dans ses relations amicales; mais il se rendit compte que jamais ça n'avait égalé cette intensité là.
Ainsi, à la fin de l’été son état d’esprit vis à vis du surnaturel avait sensiblement changé. Et, comme un aimant attiré par une surface magnétique irrésistible, depuis qu’il avait accepté cette étrangeté dans son quotidien, il se retrouva bien souvent dans des discussions tournant autour de sujets au-delà du réel. Autrefois, il préférait rester en retrait et arguer ne plus croire en rien hormis la science pure et dure. Désormais, il prenait un vrai plaisir, couplée d’une belle curiosité, à écouter témoignages et récits d’expériences autour de lui comme pour s’abreuver de cet élixir qui apportait à son existence toute une nouvelle palette de ressentis nouveaux. Et puis, vagues chaleureuses et murmures faisaient partie de son quotidien. Il en venait même à s’inquiéter lorsque Tomas ne réapparaissait pas assez vite, ne se manifestait pas assez souvent à son goût. Son absence creusait un manque en lui à petits feux, à l’image d’une pierre qui subit bien malgré elle les effets de l’érosion. Julien, ainsi ballotté par tout cet aspect surnaturel, voyait non seulement toutes ses convictions être remises en doute - voire carrément démolies en innombrables morceaux - mais aussi des émotions nouvelles se dessiner en lui. Ce manque quand Tomas tardait à se révéler, cette profonde sérénité en sa présence, ou encore ce sentiment encore indescriptible qui réchauffait ses entrailles et faisait louper quelques battements à son cœur. Pour ce dernier, le jeune homme l’avait bâillonné pour ne pas l’écouter. Un doux déni fort confortable dans lequel il lui plaisait de s’emmailloter.