32. Légumineuses

Par tiyphe
Notes de l’auteur : Hello o/
Voilà un nouveau chapitre avec Chloé qui divague (vague) un peu !
N'hésitez pas à me dire si vous trouvez certains moments répétitifs ou peu compréhensibles, j'ai essayé de jouer là-dessus, mais je ne suis pas certaine que ça fonctionne complètement ^^'

Bonne lecture :D

Chloé

Assise au bord du lit, Chloé laissait mollement pendre ses jambes au-dessus du sol. Le regard fixé vers la seule porte de la pièce, son esprit se trouvait ailleurs. L’adolescente ne ressentait presque plus rien, vidée de toute émotion et de toute force physique, comme si son essence avait été aspirée hors de son corps. Telle une patiente d’hôpital psychiatrique lobotomisée, elle restait ainsi, bras ballant, tournée vers la sortie. 

Ou était-ce une entrée ? C’était ce que Chloé se demandait dans ses courts moments de lucidité. Où était-elle ? Qui étaient ces gens qui venaient lui rendre visite ? Pourquoi ses parents et ses frères n’étaient-ils pas à son chevet ? Sa tumeur devait être plus grave que ce que les médecins lui avaient annoncé, sinon pourquoi sa mémoire lui jouait-elle autant des tours ?

Les yeux noisette toujours rivés vers la porte, Chloé ne réalisa pas tout de suite que quelqu’un était entré. Un homme, plutôt jeune, mais plus vieux qu’elle — enfin, quel âge avait-elle ? — se tenait dans l’embrasure. Il semblait hésiter à sortir de là où il surgissait. Ou attendait-il une autorisation quelconque pour s’introduire chez elle ? L’adolescente chercha à parler, elle souhaitait inviter ce garçon. Était-il une distraction qu’elle imaginait dans son ennui ou une vraie personne ?

L’inconnu avança doucement dans la pièce. Il avait l’air suivi par une ombre noire plus grande que lui. Chloé ne pouvait pas bouger, son corps ne répondait pas aux ordres de son cerveau. L’individu disparut de son champ de vision, frustrant la jeune fille. Sa tête se décida finalement à se mouvoir, mais pas comme elle l’aurait voulu. Le crâne nu tangua sur le côté, entraînant avec lui le buste qui bascula. 

Si elle tombait, Chloé savait qu’elle ne pourrait pas se relever toute seule. Cela lui était arrivé plusieurs fois de finir sur la dalle dure et froide. Au début, elle avait même essayé de provoquer ces chutes. La douleur était une sensation appréciable dans cette inhibition totale. Mais lorsqu’elle était restée de longues heures le nez et la bouche dans son sang, elle avait espéré ne plus revivre cette désagréable expérience.

Une main sortit de nulle part et attrapa son épaule pour la tirer en arrière. Quelqu’un la réinstalla contre le mur qui était plus à même de la soutenir.

— Je sais que tu aimes faire pendre tes jambes, mais c’est dangereux, Chloé, s’éclaircit une voix sur sa droite.

La jeune fille souhaita découvrir la source de ce son, mais son cou ne lui répondait pas.

« Allez, bouge ! », s’ordonna-t-elle.

— Tu n’en sais rien si elle m’entend ou pas, reprit l’accent français. Je suis sûre qu’elle est là quelque part.

Chloé chercha un moyen de soulever un sourcil. L’inconnu s’adressait-il toujours à elle ? Peut-être qu’une seconde personne était entrée. Elle n’apercevait pourtant aucune autre présence. L’individu poursuivit :

— Pourquoi je parle à voix haute ? Sérieux Conan, tu me soûles. Oui, tu vois, j’ai dit ton prénom. Qu’est-ce que tu vas faire ?

La jeune fille remarqua alors que la compagnie de l’inconnu lui donnait un répit dans son état de légumineuse. Elle retrouvait peu à peu de sensations et de présence d’esprit. Cet endroit n’était pas sa chambre d’hôpital, elle l’avait quitté depuis quelques années et pas de la meilleure des façons. Cette odeur, elle la reconnaissait pour l’avoir humée plusieurs fois depuis qu’elle était dans ce lieu impersonnel. Cet effluve aux arômes de sauce soja sucrée lui mit l’eau à la bouche. Elle avait envie de sushis. Pourtant elle n’avait pas faim, juste un désir de manger l’homme à côté d’elle.

— Oui, je sais, tu m’en veux encore pour Cacilda, continuait-il. De toute façon, j’ai l’impression qu’elle ne m’a pas vraiment cru. On a qu’à dire qu’on est quitte pour la possession avant la compétition. Oh mince, attention, s’exclama soudainement le garçon. Tu es en train de baver, Chloé.

Un tissu sec vint essuyer son menton humide. Puis la dispute à sens unique reprit sans que l’adolescente en saisît l’intérêt ou le sens. Était-elle par ailleurs toujours à l’endroit ? Sa tête semblait tourner. Le flot de paroles devenait de plus en plus fort, martelant son esprit. Chloé voulut fermer les yeux, mais du mouvement l’interpella. Cette fois, elle en était persuadée, une nouvelle personne venait de se présenter dans l’ouverture de sa prison, interrompant la discorde et donc son malaise.

— Hans ! s’étonna le jeune homme assis à côté de Chloé.

— Lucas, lui répondit froidement son interlocuteur. Qu’est-ce que tu fais encore là ?

Un silence s’installa. Le dénommé Hans s’avança sous le puits de lumière. Il ressemblait à une armoire à glace tant il était grand et costaud. Ses traits tirés, sa mâchoire anguleuse crispée et ses poings serrés démontraient une animosité mal dissimulée. Pourtant dans les quelques souvenirs de Chloé, qui refaisaient surface comme de petites bulles d’air venant des profondeurs de l’océan, elle associait cet homme au bonheur, à la douceur, à la sérénité. 

À sa droite, l’odeur de sauce soja devint acide, désagréable. Chloé sentait monter une exhalaison de stress. Le reproche de l’un avait touché l’autre. Et tout ce mélodrame ennuyait l’adolescente qui avait maintenant envie de bâiller. Elle ne ressentait plus le désir de manger qui que ce soit, elle souhaitait simplement qu’on la laissât tranquille, quitte à ce qu’elle redevienne un pois chiche.

— Je voulais voir comment elle va, murmura celui qu’elle décida de nommer Lucas, sans savoir d’où lui venait cette idée.

— Depuis quand son état t’intéresse ? C’est de ta faute si elle est diminuée de la sorte ! gronda le second.

Comme si elle était une poupée de chiffon, Hans la tira à lui avec peu de délicatesse. Il la posa sur ses pieds et la lâcha juste le temps d’observer sa composition en papier. Une de ses chevilles se tordit dans la démonstration ratée d’équilibre. Chloé ne savait pas si elle devait être furieuse d’être traitée de la sorte ou s’il lui suffisait d’apprécier une autre position que sur les fesses ou le nez dans le matelas, le carrelage, son sang.

— Tu vois ! Elle ne tient même pas debout, continua Hans en remuant dans tous les sens et en maugréant trop fort pour la jeune fille.

Dans sa gesticulation, il lâcha Chloé qui s’affala au sol. Cette fois, elle savait quelle émotion elle devait ressentir à cet instant. Elle fulminait. Quel imbécile il était de l’avoir laissée tomber alors qu’il reprochait à l’autre son état ! Quatre mains s’empressèrent de la relever. L’action se ponctua de « Ne la touche pas ! » et « Ce n’est pas moi qui l’ai jetée comme une vieille chaussette. ».

Tous ces mouvements, ces bruits et cette présence avaient le mérite de la réveiller de sa léthargie. Chloé commençait à discerner de plus en plus de détails autour d’elle. Ce qu’elle avait pris pour une ombre noire dans le dos de Lucas était d’immenses ailes magnifiques. Elle s’imagina lever la main pour caresser les plumes de jais. Si elle crut sentir le bout de ses doigts bouger, elle n’atteignit jamais son objectif.

Alors qu’elle était tiraillée au sens propre entre deux hommes qui ne prenaient pas en compte son intégrité, Chloé avait envie de fuir le plus loin possible. Ne pas avoir le contrôle sur sa mobilité était déjà bien assez compliqué ces derniers jours, mais à présent qu’elle se voyait manipulée comme un pantin, l’adolescente s’impatientait. 

« Laissez-moi tranquille ! », avait-elle envie de leur crier.

Mais aucun son ne sortait de sa bouche. Ses lèvres n’avaient même pas frémi. L’angoisse se mêlait à la rage dans la pièce. Chloé n’arrivait toujours pas à juger s’il s’agissait de ses propres sentiments ou si c’étaient ceux des deux hommes. En tournant la tête, peut-être pouvait-elle apercevoir un peu mieux la dispute qui se poursuivait comme si elle n’était pas présente. 

Pourquoi l’avaient-ils allongée sur le dos ? Le plafond n’était vraiment pas d’une grande distraction. Les yeux focalisés sur une pierre lisse et claire, Chloé ne pouvait que reprendre le comptage des différents blocs qui soutenaient l’étage du dessus. L’ennui, la dispute, le bruit, la roche changeante en fonction de l’heure de la lumière, pourquoi tout cela lui rappelait-il vaguement quelque chose ? 

D’un coup, elle se retrouva dans le dortoir, sur son lit. Était-ce un rêve ou la réalité ? Éreintée, elle avait l’impression d’avoir passé une journée si longue qu’elle pouvait s’endormir instantanément. Chloé essaya alors de se souvenir de ce qui avait pu tant la fatiguer. Le matin, elle s’était rendue dans les souterrains pour assister à une pièce de théâtre. Des enfants de l’aile N lui avaient conseillé de se divertir parce qu’elle avait mauvaise mine. Elle était arrivée en cours de spectacle. Le sens même des scènes lui échappant, elle s’était énervée de l’inutilité de cette activité.

Puis, écran noir. Comme un entracte dans sa mémoire.

Elle s’était réveillée à la sortie du monde du dessous avec une migraine aussi douloureuse que ces derniers instants de vie. Pourtant, elle ne s’était pas posé de questions. Elle avait continué sa journée, s’était rendue à la Bibliothèque, puis à la Grande Académie. Elle avait rencontré un géant et s’était enfuie au dortoir en apprenant que l’Entre-Deux n’était rien de plus qu’une grosse boîte.

Sur son lit, Chloé observait les rainures du plafond. Elle soufflait enfin. C’était sa dernière nuit ici et cela la soulagea. Un bébé se mit alors à pleurer. Il appelait ses parents. Des enfants accoururent pour le consoler, mais l’un d’eux fit tomber le petit dans sa maladresse. Les cris de douleur se mêlèrent aux reproches, réveillant tout le dernier étage. La pression de la journée accumulée et quelque chose en plus qu’elle ne contrôlait pas envahirent la jeune fille.

Puis, écran noir. Comme un rêve qu’on oublie au réveil.

— Écoute Hans, je ne sais pas qui t’a mis cette idée en tête, surgit la voix de Lucas dans son songe. 

Que faisait-il au dortoir ? s’interrogea Chloé. Puis elle remarqua le puits de lumière sur le plafond et l’odeur des sushis âcres. Venait-elle d’avoir une vision ? Ou était-ce un flash-back, comme dans les films, mais dans la mort réelle ? Le cerveau de nouveau ankylosé, l’adolescente ne put que se concentrer sur son ouïe.

— Je n’ai jamais fait d’expériences sur Chloé. Ni moi ni Cacilda, continuait le garçon. Pourquoi ferions-nous ça ? 

— Tu as la réputation d’un scientifique fou, ça ne m’étonnerait pas, cracha le colosse.

— Mais tu t’entends parler, Hans ? Depuis quand es-tu devenu si méfiant ? Je croyais que nous étions amis !

— Chloé est ma descendante ! Et regarde ce que tu lui as fait !

Un silence vint bourdonner aux oreilles de l’intéressée, toujours incapable de donner son avis. Cette déclaration fit écho à un nouveau souvenir, moins oppressant que le précédent. Une jeune femme lui avait fait cette même annonce quelque temps auparavant. Elle lui avait dit tant de belles choses sur Hans, l’homme généreux, modeste et empli d’une sincère gentillesse. Que lui était-il arrivé pour qu’il débarque ainsi comme un bulldozer ?

Louise — Chloé décida de l’appeler comme cela, avec une certaine intuition — avait peint le portrait de quelqu’un très proche de sa famille. Était-ce la condition de son arrière-petite-fille huit générations sous lui qui le mettait dans une telle colère ? 

— J’ai plutôt l’impression de l’avoir sauvée, se vanta Lucas. Tu n’as pas vu dans quel état elle se trouvait juste après l’attaque. L’ombre qui l’habitait la vidait de son énergie positive, c’est ce que j’ai ressenti près d’elle. 

La voix se déplaça alors dans la pièce.

— Je ne suis pas entièrement responsable, poursuivit le garçon, plus pour lui que pour ses interlocuteurs, traduisit l’intuition de Chloé. Mes ailes ont bougé d’elles-mêmes, comme en opposition avec l’ombre qui possédait ta descendante. Tu devrais me remercier, plutôt que de me crier dessus.

Chloé entendit un long soupir, puis les lattes de son matelas craquèrent sous une lourde masse. Avec les sons qui parvenaient jusqu’à elle, la jeune fille tentait de deviner les gestes du colosse. Le frottement d’une peau rêche contre une autre plus douce lui fit penser qu’il se passait une main sur le visage. Un râle contenu s’accompagna du grincement des planches de bois, tandis que Hans devait certainement se redresser pour dévisager Lucas.

— Excuse-moi, souffla l’homme-armoire à glace. J’ai eu tellement peur de la perdre alors que je viens tout juste de la rencontrer. Cette petite semblait avoir besoin d’aide et j’ai tout de suite eu envie de lui en apporter. Je… j’ai besoin d’être un peu seul, je crois, conclut-il dans un soupir.

« Alors, rentre chez toi. », pensa Chloé.

De nouveaux craquements se firent alors qu’un poids s’enlevait du matelas.

— Je peux repasser plus tard, suggéra la voix de Lucas. Je peux vous laisser en famille, si tu veux.

Chloé entendit un tapotement étouffé, comme une main que l’on pose sur une épaule avec bienveillance.

— Non, j’ai besoin de me calmer, répondit Hans. Je ne suis plus moi-même ces derniers temps. Je crois que nous sommes tous à cran.

Des pas lourds s’éloignèrent, puis une porte grinça à la fermeture puis à l’ouverture. Un épais silence accompagna le départ du géant. Si Lucas devait réfléchir aux paroles de l’homme, Chloé espérait simplement que le garçon la laissât également. Elle avait ressenti trop de choses en un si court moment et souhaitait retrouver son état de lentille corail. 

Cependant, il était difficile pour Lucas de savoir ce qu’elle attendait sans pouvoir lire dans ses pensées. Alors Chloé sentit un nouveau poids se poser à l’emplacement du précédent. Les lattes ne s’en plaignirent pas aussi bruyamment, à l’inverse de la jeune fille. Enfin, elle aurait aimé sortir un son de mécontentement.

— Je suis désolé moi aussi, Chloé, se confia alors Lucas, brisant le silence. Oh, attends.

Il prit délicatement le poignet de l’adolescente, passa une main sous sa nuque, puis l’attira vers lui. Doucement et prudemment, il mit ses jambes au bord du lit comme elle aimait et soutint son dos d’une aile qu’il déploya. Chloé sentait la caresse des plumes sur ses bras, dans son cou et dans le bas de son crâne nu.

— Mince, tu ne me vois pas, peina le garçon. 

Il voulut bouger sûrement pour trouver une meilleure façon d’être en face de Chloé, mais celle-ci réussit à effectuer une légère pression avec ses omoplates pour lui intimer de demeurer dans cette position. Lucas dut le ressentir puisqu’il se figea. Il esquissa de nouveau un faible mouvement pour retirer son aile, mais la jeune fille réitéra son exploit. Ils restèrent un instant ainsi, dans l’incertitude des intentions de l’autre, comme dans une histoire romantique où les deux héros ne savent pas s’ils se touchent les doigts par accident ou parce qu’ils ont tous les deux des sentiments l’un pour l’autre.

À l’exception près qu’ici Chloé était incapable d’effectuer le moindre geste tout en trouvant vraiment agréable ce dossier. L’odeur de sauce soja redevint plus sucrée, trop sucrée à son goût, tandis que Lucas se raclait la gorge.

— Je… Hum… Excuse-moi de te toucher encore une fois sans ton autorisation, bégaya-t-il, la laissant imaginer la gêne sur son visage. Je te promets que je n’ai pas d’arrières pensées.

Cette dernière phrase inquiéta plus la jeune fille qu’elle ne la rassura. Pourtant elle ne put que se laisser faire lorsqu’il posa des doigts frais sur son menton. Tout en maintenant son équilibre fragile de ses plumes, Lucas tourna le visage de l’adolescente vers lui. La tête du garçon était si proche de la sienne. Son regard pétillait et Chloé crut loucher sur quelques taches de rousseur. 

— C’est mieux comme ça, non ? sourit-il timidement. Je suis convaincue que tu me vois et m’entends. Sinon tu n’aurais pas l’air aussi incommodée de notre proximité que moi. 

Lucas relâcha son menton puis laissa tomber ses yeux sur ses propres genoux. L’embarras disparut aussi vite qu’il était survenu. Chloé ne pouvait toujours pas bouger, mais son paysage avait changé. Elle observa chaque détail du visage, des traits, des mèches emmêlées du jeune homme. Elle se souvint avoir été en colère contre lui, mais ne se rappela pas pourquoi.

— Je suis désolé, Chloé, répéta Lucas en gardant le regard baissé. Je t’ai détestée pour Louise, pour les enfants, pour toute cette pagaille que tu as causée dans l’Entre-Deux et les souterrains. Mais je t’ai reproché aussi de m’avoir brisé, d’être à l’origine de mon désespoir et de certains de mes défauts. Je ne sais pas encore combien de temps tu resteras dans cet état, mais tu as ma parole qu’on attendra que tu ailles mieux avant de te juger. 

Il releva les yeux comme pour marquer sa promesse, ou déceler une nuance de compréhension dans ceux de Chloé. Mais l’adolescente ne saisissait pas tout. Que pouvait-il bien entendre par la juger ? Avait-elle fait quelque chose de mal et c’était pour cela qu’il lui en voulait ? Elle chercha, puisa dans ses souvenirs. Louise, les enfants, le désordre dans les souterrains, il semblait lui manquer encore tant de clés pour ouvrir tous les cadenas de sa mémoire. Lorsqu’elle fouillait, elle se retrouvait à chaque fois devant un écran noir ayant avalé une partie de son vécu. 

— Je ne peux pas te pardonner, pas pour l’instant en tout cas, continua Lucas en reportant son attention sur son jean troué aux genoux. Mais tu as le droit de donner ta version. Et cette... chose, hésita-t-il. Ce qui semblait te posséder est peut-être plus responsable que ce que nous pensons. Tu n’avais pas toute ta tête, ton libre arbitre, je ne sais pas.

Le garçon soupira. Un air peiné flottait sur ses traits. Et malgré cela, Chloé était incapable de le réconforter, de sortir une phrase gentille ou de tapoter amicalement son épaule. Elle ne pouvait qu’observer le champ de bataille que se livraient les cheveux clairs au-dessus du visage triste.

« Souviens-toi ! », essaya-t-elle de s’encourager.

De quoi pouvait-elle être responsable ? Cela paraissait si grave. Comme si elle avait tué des gens. Et qu’insinuait-il par cette chose ? Lucas avait parlé d’une ombre qui l’avait habitée, qui l’avait vidée de son énergie positive.

— C’est vrai, tu as raison, s’exclama le garçon en relevant les yeux devant lui.

Son geste précipité manqua de faire basculer Chloé. Les deux ailes s’étaient déployées dans leur totalité avant de se rétracter dans le dos de leur propriétaire. Ce dernier s’en aperçut rapidement et rattrapa de justesse la jeune fille.

— Attends, ça commence à bien faire, marmonna Lucas. Je suis Créateur, je peux faire quelque chose pour ton confort tout de même.

Quelques secondes s’écoulèrent, puis Chloé se sentit soulevée de son lit. Si elle avait eu la capacité de bouger, elle aurait laissé échapper un cri de surprise et se serait rattrapée vivement au cou du garçon. Elle ne put qu’observer avec effarement la pièce se mouvoir tandis que sa tête dodelinait entre ses deux épaules. Lucas l’installa finalement dans une assise moelleuse où ses pieds ne touchaient toujours pas le sol. 

Sa nuque était bien maintenue et l’adolescente avait à présent un meilleur champ de vision que le plafond ou le visage trop près du jeune homme. Celui-ci se posait dans un fauteuil qui volait au-dessus des dalles. Venait-il de créer ces deux sièges avec son fabuleux pouvoir ? Chloé aurait aimé l’interroger sur cette habileté, mais Lucas paraissait ailleurs. Il s’était remis à parler tout seul.

— Louise avait l’air de l’apprécier. Alors pourquoi elle l’aurait attaquée ? se demandait-il. Souviens-toi, Conan. J’ai été blessé et j’ai tout de suite perdu le contrôle, si je puis dire, ajouta-t-il en grimaçant. Je discutais avec Louise et j’ai reçu…

Le garçon marqua une pause, une pause qui sembla durer une éternité pour Chloé. Qu’avait-il reçu ? Lucas releva les yeux sur la jeune fille. Son regard avait changé. L’incompréhension et la déception se mêlaient au bleu glacial.

— Ce n’était pas Louise que tu visais ? demanda-t-il, cette fois bien à l’intention de Chloé. C’était moi, non ? Pourquoi ? Parce que je t’ai ignorée quand Louise nous a présentés ?

Lucas soupira en s’avachissant dans son siège. Un silence s’installa, mais Chloé ne le remarqua même pas. De nouveaux souvenirs affluaient. Elle tenait un alto à la main et regardait rêveusement les cordes de son archer. Lorsqu’elle leva les yeux, elle aperçut une femme de dos qu’elle ne reconnut pas immédiatement. Ces longs cheveux bruns, ce dos droit, cette robe beaucoup trop volumineuse, était-ce la Louise dont Lucas parlait ?

Avant même de trouver la réponse, elle s’avançait vers cette inconnue. Quand cette dernière remarqua la présence de l’adolescente, ses traits devinrent enjoués et Chloé eut un choc. Comment avait-elle pu oublier Louise, son amie, celle qui la respectait malgré leur différence d’âge et de culture ? Cet instant s’éternisa où elles s’observaient toutes les deux, se souriaient, se considéraient.

Puis le temps défila de nouveau. Chloé était devant Lucas. Louise la présenta avec beaucoup trop d’entrain et une pointe d’espièglerie dans ses yeux verts. Le garçon la toisa avant d’oublier sa présence pour une affaire urgente. Était-ce de ce moment qu’il avait mentionné ? Pourtant elle ne se rappela pas avoir été blessée plus que cela. Les secondes s’accélèrent une fois de plus, comme un film passé à une vitesse supérieure.

Chloé se trouvait sur une estrade, l’alto sur son épaule. Face à elle, une femme imposante lui lançait des encouragements par son sourire. Une mélodie retentit autour d’elle, un air qu’elle avait travaillé pendant longtemps et qu’elle connaissait à présent sur le bout des doigts. Dans l’assistance, elle reconnut Louise et Lucas. Mais aucun des deux ne l’écoutait. Ils riaient, semblaient parler fort et ignoraient complètement sa performance.

Non, ce n’était pas vraiment ce qu’elle voyait. Lucas dérangeait Louise, mais la dirigeante tentait de lui intimer le silence. Il l’importunait alors qu’elle souhaitait profiter du spectacle. Un nouvel écran noir vint brouiller la suite. Pas encore, soupira Chloé pour elle-même. Comment découvrir ce qui se cachait derrière ces instants que son cerveau cherchait apparemment à oublier ? Si Lucas arrivait à stimuler sa mémoire, il fallait qu’elle se concentre sur ses mots.

Ce n’était pas Louise qu’elle visait, mais lui. Pourquoi ? Que signifiait viser ? Chloé se focalisa sur ce souvenir qui persistait comme en suspens devant ses yeux. Elle était sur scène, elle venait de se lever de sa chaise et une rage intense l’avait envahie. À cet instant, le mur sombre s’écroula et elle fut éjectée de son corps.

Chloé assista à l’attaque qui s’ensuivit. Les cheveux de cette fille qu’elle ne reconnaissait pas s’élançaient dans toutes les directions et blessaient des Occupants, les empalant, les transperçant comme de vulgaires insectes cloués à un tableau de liège. Qu’avait-elle fait ? Qui était ce monstre qui attaquait ? Cela ne pouvait pas être elle. Non, elle n’était pas une meurtrière.

— Chloé ? entendit-elle alors qu’elle se retrouvait dans le dortoir et qu’elle assistait à un massacre dont elle était également responsable. 

Une secousse la ramena dans sa cellule. Lucas la tenait par les épaules et semblait affolé. Les paupières de la jeune fille se collaient entre elles tandis que sa gorge piquait. Ses joues humides la démangeaient à cause des larmes qui coulaient à flots. Elle qui n’était pas capable de bouger, elle pleurait. Chloé se souvenait à présent de tout ce qu’elle avait fait et seule une émotion restait : la culpabilité.

***

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SweetPeace
Posté le 14/06/2021
Yo
Déjà je me suis WTF le titre du chapitre lol.

Bah oui, tiens, Conan, qu'est-ce tu vas faire ?!
Son état de légumineuse ahah d'où le titre OK. J'aime bien ce POV de Chloé, je trouve que ça fonctionne bien. Tu epux peut-être rendre tout ça encore plus nébuleux, mais dans l'idée on comprend dans quel état elle est.
La lentille corail, excellent LOL.
J'ai vraiment bien aimé le fait que Chloé réalise qu'elle est coupable, c'est hyper intéressant. Est-ce que du coup son procès va être radical ? Elle va plaider coupable direct, non ? Et qui va bien vouloir la défendre après tout ce qu'elle a fait ?
En tout cas ce chapitre m'a fait de la peine pour Chloé et m'a presque fait oublier les horreurs jusqu'à ce que tu les rappelles et c'est terrible de devoir apprécier un personnage qui ne semble pas entièrement responsable. Ça change de Jacquouille ;)

A la revoyure o/
tiyphe
Posté le 17/06/2021
Eheh c'est bien si j'intrigue avec le nom du chap xD

Ahah tu vas voir c'qu'il va faire mouahaha !

Je note pour le plus nébuleux, merci :3

Tu poses de bonnes questions, j'espère que je saurai y répondre ;) Ah cool si tu te sens tiraillé, pas comme avec Jacquouille mdrr

Encore merchi :D <3
Sorryf
Posté le 19/03/2021
"Elle retrouvait peu à peu de sensations et de présence d’esprit." -> ya un truc qui me gêne dans cette phrase
"Sinon tu n’aurais pas l’air aussi incommodée de notre proximité que moi. " -> celle-là aussi :x "par" notre proximité ? inverser l'ordre des mots ? ("incommodée que moi par notre proximité)

Pauvre Chloé, c'est triste de a voir comme ça. Elle a rien fait de mal, je suis contente que Lucas s'en rende compte ! J'espère que ça va aller pour elle T_T

Tant que je suis là, pour répondre au com précédent avec reine/rennes : bordel xDDDD heureusement que t'as vérifié !
tiyphe
Posté le 22/03/2021
Merci pour les coquilles ! Je note tout ça dans mon doc de coquillages :D

Alors, elle n'a rien fait de mal, bon si un peu quand même ^^' Mais ça n'empêche qu'elle est dans un sale état et qu'elle ne mérite pas d'être maltraitée en effet !

Merci pour ton commentaire <3
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