34. Sur le fil entre deux mondes

Diane savait qu’elle devait se lever.

Sans aucun doute, elle ne pouvait pas rester prostrée les genoux contre son corps, près de la boîte que Basile et Éléonore avaient scellée. Quand ils étaient devenus guérisseurs, leurs professeurs leur avaient enseigné l’art de protéger un cadavre des intempéries et des bactéries, du passage du temps même. À l’époque, Éléonore avait commenté avec humour que c’était une drôle de dernière leçon pour des guérisseurs, comme une façon de leur dire que leur métier était inutile, illusoire. Le professeur lui avait répondu que son dernier enseignement, en effet, était qu’ils ne pourraient pas sauver tout le monde, et qu’en porter la culpabilité ne ferait que désavantager les prochaines personnes qui auraient besoin de leur aide. Ils devaient dès lors accepter la perte.

Diane n’acceptait pas la perte.

Ses souvenirs de Félix remontaient comme des geysers, avec une puissance qui la secouait de sanglots aussi longtemps que son corps tenait, puis un haut-le-cœur la transportait dans un demi-sommeil épuisé. Quand elle se réveillait, tout était là de nouveau : Félix, allongé dans la cape qu’elle lui avait offerte au Marché Flottant, ne sortait plus de la boîte. Il était devenu une boîte. Son visage avait disparu, car il était réservé à sa tante, qui était encore dans les terres d’exil de Fedha. Ses mains avaient disparu, elles qui s’enorgueillissaient de savoir faire des tours de passe-passe mais les rataient une fois sur deux. Ses yeux, qui riaient avant même qu’il commence sa farce. Sa bouche, qui déblatérait des plaisanteries comme un pêcheur vend du poisson un matin gris. Diane n’avait jamais retenu les visages en entier et recomposait donc son ami morceau à morceau, dans l’espoir qu’il finisse par lui apparaître complètement, ou qu’au moins il ne s’évapore pas tout à fait.

Basile prit l’habitude de s’asseoir près de Diane. Au début, elle ne le percevait pas vraiment. C’était une forme floue et dénuée de pertinence. Il n’était pas Félix. Comment avait-elle pu laisser mourir Félix ?

— Ce n’est pas ta faute, dit Basile en lui apportant un bol de soupe. Mange.

Diane jeta un regard à la cuillère qu’il tenait. Son visage ne changea pas d’expression. Elle ne bougea pas du tout.

— Mange, répéta-t-il du ton sévère qu’il réservait aux patients.

La myfyr fronça les sourcils, énervée, outrée même, par cette insistance, qu’on ne la laisse pas dans le monde de silence où elle pouvait entendre le rire de Félix encore. Pourquoi l’appelait-on de ce côté-ci ? Pourquoi Basile la regardait fixement ? C’était insupportable qu’il se permette de faire semblant de comprendre ne serait-ce qu’un tout petit peu de ce qu’elle ressentait. Il avait apprécié Félix, certes, mais ce n’était pas la même chose. Elle avait trouvé chez le non-mousse le versant joyeux de toutes ses détresses. Il portait les mêmes doutes et deuils qu’elle mais il avait le don de la métamorphose : il allégeait les drames et laissait les ballons s’envoler. Sans lui, Diane ne voulait pas faire face à la tragédie, qui revêtait à nouveau son masque sombre et monotone d’une douleur lancinante qui ne s’arrête pas, même pour dormir, même pour penser à autre chose.

— Mange, répéta une troisième fois Basile.

— Mais qu’est-ce que tu veux, à la fin, prononça Diane, d’une voix qui sonna bien faible à ses oreilles pour transmettre sa colère.

Elle se redressa, et son mouvement était tremblant et lent. Depuis combien de temps était-elle allongée sans manger ? Un regard vers le bol lui montra que c’était un bouillon sans rien dedans.

— Il faut qu’on réhabitue ton estomac à la nourriture. Qu’on te réhydrate. On va commencer par des bouillons.

Diane sentit la limace gluante de la honte s’insinuer dans sa gorge et son estomac : depuis combien de temps ? Était-ce la première tentative de Basile ou la vingt-cinquième ? Ne l’avait-elle même pas remarqué les fois précédentes ? Elle lança un regard furtif au visage de son ami et y découvrit une inquiétude et une tristesse qu’il ne cherchait plus à dissimuler — ou peut-être n’y arrivait-il pas. Peut-être que lui aussi était accablé, finalement, et qu’elle faisait des caprices.

— Où est… où est Nacre ? s’inquiéta-t-elle soudain.

D’habitude, la dragonnelle était dans la chambre, avec elle, à farfouiller parmi les objets. Elle avait même appris à éteindre un coup de patte les étincelles qu’elle allumait parfois sans faire exprès.

— Cours de natation avec Idris.

— Elle sait très bien nager.

— Oui, c’est Idris l’élève.

Diane ne put s’empêcher de rire. L’image était cocasse. Parviendrait-il à tournoyer comme le faisait Nacre pour se donner de la vitesse ? Depuis combien de temps je suis dans cette chambre ? Elle attrapa le bol et le but gorgée à gorgée, puis le tendit à Basile, avec un air de défi (selon elle, mais ça ressembla plus à l’expression d’un chaton tombé dans une flaque d’eau).

— Merci, dit Basile avec un sourire encourageant.

— Tu peux rester ? répondit-elle aussitôt, parce qu’elle avait peur de ne plus oser si elle attendait.

— Bien sûr.

Il s’installa sur le lit simple de l’autre côté de la pièce, assis avec le dos contre le mur, le regard vers Diane. C’était bizarre à quel point ses yeux lui faisaient du bien, se dit la myfyr en sentant le sommeil arriver, c’était comme la preuve irréfutable qu’elle n’était pas morte, ou du moins, qu’elle n’était pas seule.

Il lui fallut encore des jours pour tout à fait ressurgir et rejoindre Nacre et la troupe sur la plage. La dragonnelle bondit sur elle avec joie et la mit à terre. Diane fut secouée de rire. Elle observa le ciel maussade et froid. Il était temps de repartir de cet endroit sinistre — même s’il était vrai que les quarts à la caserne lui manqueraient.

— Bon, les petits matelots, dit Malo, maintenant que Diane a daigné nous rejoindre, on va pouvoir organiser le départ.

Elle lança à la myfyr un regard extraordinairement doux et Diane remarqua que son visage s’était transformé, comme si la mort de Félix avait modifié ses traits, les avait métamorphosés.

— Je suis désolée, dit-elle, non pas pour son retard mais pour le deuil.

Malo inclina la tête : elle savait.

— On va faire comme d’habitude, expliqua Oren. On peint le bateau, on change nos noms, et on fonce droit vers les ports où on est le plus recherchés.

— Je commençais tout juste à m’habituer à Malo, fit celle-ci d’un ton exaspéré.

— Ne t’en fais pas, répondit Ulysse avec un sourire qui perçait au coin de ses lèvres, tu vas adorer le prochain nom que Félix t’avait préparé.

Il sortit les faux papiers d’identité que le non-mousse avait élaborés et les distribua à chacun.

— Camomille ? s’insurgea Malo.

Ulysse et Camélia furent pris d’un fou rire.

— C’est vous qui lui avez demandé de me mettre un truc pareil ?

— Oh, ça, il n’avait pas besoin d’encouragement.

— Mais on peut te surnommer Camo, ce ne sera pas si loin que Malo.

Elle les foudroya du regard. Idris devenait Niev. Ulysse était désormais Jesper.

— Daïnin, lut Oren d’un ton soupçonneux. C’est un vrai nom, ça ?

— Oh ! fit Diane, surprise.

— Quoi ?

— C’était le prénom de son grand frère.

Il y eut un long silence, que le capitaine ponctua d’une toux.

— Bon, eh bien, il faudra que j’apprenne des mots des terres d’exil. Ça tombe bien qu’on passe là-bas, on gardera les oreilles grand-ouvertes.

— Mais ce que je ne comprends pas, dit Diane, c’est que je vous ai toujours connus avec ces prénoms-là. Quand j’allais au port, à Ilyn, on me disait que les voltigeurs étaient de retour, et je courais sur le quai vous observer.

— Et après, vous me jurez qu’elle n’est pas bizarre, dit Malo en levant les yeux au ciel.

— Je n’ai jamais dit qu’elle n’était pas bizarre, précisa Oren, simplement qu’elle n’était pas dangereuse.

Diane remarqua du coin de l’œil qu’Éléonore et Basile restaient en retrait. Contrairement aux autres, ils n’étaient pas marins, donc cette histoire de faux papiers était autrement plus compliquée. Comment rejoindraient-ils leur laboratoire, leur université ? Devraient-ils mener des recherches indépendantes ? Où seraient-ils en sécurité ? Elle apprit plus tard que leur plan avait été décidé des quarts plus tôt. Éléonore rejoindrait Siloë dans la forêt, tandis que Basile s’installerait aux Sept, loin de l’agitation de la capitale. Ils ne pourraient plus utiliser le courrier pour s’envoyer des missives, mais ils se rendraient visite une fois par an, en traversant la mer intérieure, qui était moins surveillée — aux dernières nouvelles — que les ports océaniques.

Diane se résigna enfin à baisser les yeux sur nouveau livret d’identité. Il l’avait vraiment appelée Ursula, mais seulement en deuxième prénom. Le premier était Münié, comme la toute première myfyr. Il avait collé une note à l’arrière et avait écrit : on t’aime comme tu es.

Le bateau fut repeint. Noir en bas, puis une bande blanche, une bande rouge, et une deuxième bande blanche. Ils arboraient les couleurs du courrier interocéanique, celui qui livrait les lettres de port en port. Le plan d’Oren était qu’ils commenceraient par le Marché Flottant, où ils videraient les boîtes aux lettres, puis ils iraient remettre les enveloppes à qui de droit. Quand ils seraient au plus près des terres d’exil, ils rendraient le corps de Félix à sa tante et à sa terre natale. Au bout de quelques lunaisons, quand la tension se serait apaisée dans les ports, ils réfléchiraient à la suite.

Ce qui acheva de rassurer Diane fut la démonstration de Malo, lors de la répétition générale. Diane jouait le rôle de l’agent aux frontières, mais n’avait pas le droit d’utiliser sa magie myfyr, puisqu’aucun gouvernement n’employait de myfyrs. Les matelots se présentaient un à un devant elle. Les papiers étaient en ordre. Quant aux visages, ils étaient repoussants, chacun avec un détail qui lui faisait détourner au plus vite le regard, parce que c’était hérissant, instinctivement insupportable. Malo avait brouillé leurs traits d’une façon qui semblait à la fois possible et désagréable. L’émotion de dégoût était suscitée et empêchait le cerveau de fonctionner rationnellement à la recherche de traits recherchés.

— C’est brillant, lâcha Diane sur un ton surpris.

— Quand est-ce que tu te décideras à reconnaître que je suis brillante ? demanda Malo.

Un matin, tout le monde monta à bord. Diane les suivit pour leur dire au revoir. Nacre l’attendait sur la plage : malgré ses progrès avec le feu, on avait préféré ne pas tout risquer en la faisant grimper aussi.

Diane caressa du bout des doigts le bois du navire qui avait été sa maison sur la haute mer. Elle prit dans ses bras tous les matelots qui le voulaient bien. Basile la raccompagna jusqu’au bout du ponton, et la serra fort de nouveau.

— Tu fais attention à toi, c’est compris ? demanda-t-il.

— C’est toi qui as bien compris ? insista-t-elle. Tu ne parles pas aux gens, d’ailleurs, tiens, parce qu’ils vont tout de suite deviner que tu ne viens pas de chez eux, avec tes mots compliqués et tes idées embrouillées.

— Et toi, t’essayes de pas faire brûler la forêt avec ton lance-flammes à écailles.

Diane éclata de rire. Elle garda la main de Basile dans la sienne aussi longtemps que possible. Elle se souvint de leur rencontre, quand il lisait discrètement son livre tandis qu’elle passait l’entretien de la dernière chance.

— Je n’aurais pas pu imaginer un meilleur ami que toi, dit-elle d’une voix enrouée.

— Et moi donc, dit-il en baissant les yeux.

Il fit demi-tour puis releva le ponton une fois à bord. Le navire s’éloigna immédiatement, comme si Oren ne voulait pas prolonger le déchirement que Diane éprouvait. Elle ne savait pas si elle reverrait ses amis en vie. Elle ne savait pas si elle les reverrait tout court. Elle s’efforça de ne pas penser au pire et se tourna vers Nacre avec un rire ébahi.

— C’est l’heure d’aller rencontrer tes parents, beauté.

Diane refusa d’essayer la voie du mausolée. Le deuil y était trop lourd, de nombreux couloirs s’étaient effondrés, le cadavre de l’Illuminé y était encore, et elle n’avait aucune certitude que Siloë ait ouvert de l’autre côté.

Elle emmena donc Diane sur l’ancienne route qui menait à la forêt. Les plantes avaient dévoré le sentier, qu’on ne distinguait qu’en se concentrant. De toute façon, elle savait suivre les constellations. Son père lui en avait parlé quand elle était enfant. Pendant qu’il était en voyage, elle avait décidé d’apprendre, pour l’impressionner à son retour. Elle avait demandé à sa mère, et Hortense chaque nuit sortait avec elle et lui expliquait : « tu vois, là, c’est le Crabe : quand la lune d'or est au zénith, le Crabe t’indique le sud-est ». Ça avait mis des lunaisons pour que Diane comprenne, puis retienne. Son père l’avait félicitée. À bien y penser, Diane n’avait toujours pas remercié sa mère.

Leur rythme était lent, parce que Nacre était plus à l’aise dans l’eau que sur terre.

— Il y aura une rivière dans la forêt, dit Diane, plus pour l’encourager qu’autre chose parce qu’elle n’en était pas certaine.

Elles aperçurent les premières masses de conifères avec un soulagement pétillant. Nacre se frotta les écailles contre un tronc, qui, il va sans dire, prit feu. Diane avait observé suffisamment de fois les bourrasques du capitaine pour reproduire exactement son sortilège au niveau moléculaire de la toile. L’arbre était sain et sauf, malgré le coup de chaud. La dragonnelle la regarda longtemps. Était-elle pensive ? Impressionnée ? Dubitative ?

— Ce serait plus simple si tu parlais, dit Diane.

Leur cadence augmenta, solède après solède. Elles s’habituaient, malgré les courbatures, à couvrir des distances impressionnantes.

Une nuit, Diane grimpa à un arbre et attendit que la lune d'or parvienne au zénith. Elle se remémora la carte des constellations et dut compléter ce que lui avait enseigné sa mère avec les étoiles de l’hémisphère nord. Le principe était le même. C’était une transposition.

Quand elle décida du cap à suivre, elle n’en était pas certaine, mais il fallait bien que quelqu’un prenne une décision.

— Tu ne sens pas tes parents par une sorte de… télépathie ? demanda-t-elle à la dragonnelle.

Celle-ci la considéra de ses grands yeux, puis reprit sa marche.

— Je suppose que c’est un non.

Sept matins plus tard, Nacre se figea si brusquement que Diane faillit lui rentrer dedans. Les écailles de la dragonnelle devinrent rouges et ses oreilles semblaient s’étirer vers le haut. La myfyr retint la question qui lui brûlait les lèvres (« qu’est-ce qu’il y a ? ») parce qu’il était assez manifeste que cela serait contre-productif. Elle resta donc immobile, dans une position relativement inconfortable, et attendit. Quand Nacre daigna bouger de nouveau, ce fut en bifurquant drastiquement vers la droite. Elles ne pouvaient pas passer par là, tenta d’expliquer Diane avec des gestes, c’était la direction du Bois Originel. Nacre l’ignora complètement et continua ses pas discrets. L’ilyenne n’eut d’autre choix que de la suivre.

Ce ne fut qu’à la tombée du soleil que la dragonnelle s’arrêta. Diane se laissa tomber par terre, assise, épuisée. Nacre enfouit son museau dans son cou et son dos se bomba vers la main de la myfyr, qui passa un bras hésitant autour d’elle. Il n’y eut aucune réaction intempestive. Nacre se détendit peu à peu.

Pendant qu’elles dormaient, Diane entendit soudain dans son rêve des voix humaines. C’est ici et pas ailleurs le campement. Il faut couper toutes les voies à Canopée, ce n’est pas compliqué. Qui était-ce ? Elle n’avait que des visions d’arbre, mais les voix persistaient. Mais Inkala est trop proche, personne ne devrait camper aussi près, le bois pourrait nous attaquer. Diane s’agita dans son sommeil et finit par émerger. Nacre était assise avec les yeux posés sur elle.

— C’est toi qui m’as envoyé ces voix ? demanda la myfyr à demi-endormie. C’est ça que tu as entendu tout à l’heure ?

Nacre ne répondit pas et cette fois-ci, Diane prit cela pour une confirmation.

Il n’y eut donc d’autre choix que de passer par Inkala.

Nacre parlementa longuement avec les arbres de l’orée puisqu’ils s’écartent à peine assez pour faire entrer Diane.

Elle vit des branches-griffes qui la transperceraient si elle tentait quelque chose. Des branches-nœuds qui la pendraient. Des branches-fouets qui l’assommeraient.

Elle essayait de balbutier qu’elle ne voulait pas de mal à la forêt mais tout autour c’était comme un rugissement : le bois ne faisait plus confiance aux promesses des humains.

Les contours étaient troubles. Les arbres étaient verticaux et horizontaux. Toutes les couleurs de la palette étaient représentées. Il faisait parfois chaud, parfois froid. Des espèces qui n’auraient jamais dû se rencontrer se côtoyaient ici, comme s’il s’agissait d’un immense parc botanique destiné à sauver la flore quoi que la faune décide.

Les fleurs bougeaient vite, Diane en était certaine. Elle se sentait observée par les pétales et les graines.

Il y eut une rivière. Elle croyait qu’il y avait une rivière. Elle n’était plus sûre de rien. Ses pensées étaient noyées dans un bruissement vert qui emplissait tout. La forêt n’était pas silencieuse. La forêt racontait en spirales des milliers de millénaires d’histoire et d’évolution. Diane titubait, incapable de recevoir ne serait-ce qu’une fraction de ce savoir sans s’évanouir. Il faut qu’on le transmette. Il faut qu’on sache. Mais cette envie soudaine, ce rêve, cette certitude, s’évanouissait comme toutes les autres idées.

Nacre nageait dans la rivière. Elle sifflait une mélodie étrange (elle savait siffler ?) pour lui montrer la direction. Diane suivait difficilement, comme une enfant qui apprend à marcher. C’était elle dont les pattes venaient de sortir, peut-être. C’était elle, le têtard.

Elle ne dormit ni ne mangea pas une fois pendant la traversée d’Inkala. Elle le sut lorsqu’elle en sortit. Elle le sut dans son cerveau plutôt que son corps, parce que le bois l’avait nourrie sans qu’elle sache comment ni pourquoi. Elle s’agenouilla vers Inkala et posa son front sur la terre, pour remercier les arbres de l’avoir laissée passer, de l’avoir laissée vivante, de protéger tant de vie. Il n’y eut aucune réponse. Le bois l’avait déjà oubliée.

Elles n’étaient plus qu’à quelques jours de la clairière des dragons, près de l’antre de Siloë. Diane hésitait : et si les combats continuaient ? Nacre, cependant, était déterminée, et la poussait de son museau vers l’avant, pour qu’elle lui montre le chemin. Après tous les sacrifices qui avaient été faits pour que cette petite soit en vie, Diane était réticente à la rendre au monde, là où le danger l’attendait de nouveau. Pourtant, il était évident que son rôle était terminé, qu’il était temps.

Elles parcoururent les dernières heures en silence, à l’affût d’un bruit quelconque. Il n’y avait plus rien. Peut-être que Siloë avait remporté la bataille, une fois de plus. Peut-être que ce n’était qu’une trêve. Diane ne savait rien du rythme militaire : les combats étaient-ils constants ou se battait-on de jour et dormait-on la nuit, comme dans les autres métiers ?

Dans la clairière, Koraljni et Dūmaï dormaient enroulés l’un face à l’autre. Nacre plongea une dernière fois son regard dans celui de Diane, avec ce qui sembla à la myfyr être un sourire. La dragonnelle marcha ensuite tout doucement vers ses parents et se glissa dans le creux entre eux, que sa silhouette remplissait parfaitement.

Diane les observa longtemps avant de repartir. Elle essaya de rendre visite à Siloë, mais sa cabane n’était plus au même endroit. Diane crut s’être trompée, perdue, mais il y avait une spirale dessinée tout en bas du tronc, et elle sut que c’était un salut de la chamane, qui s’était retranchée ailleurs.

La myfyr soupira, puis se dirigea vers le sud. Il était temps de rentrer chez elle.

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Raza
Posté le 10/10/2024
La fin arrive, les adieux se font, un par un. Je n’ai pas souvent (voire peut-être jamais, je ne sais plus) commenté tes titres, mais je pense que tu pourrais les rendre plus impactants, plus « essentiels » au sens de essence. Ce chapitre parle d’adieux, d’abord à Felix, puis aux voltigeurs, et enfin aux dragons et à Siloë. Pas vraiment d’un fil entre deux mondes. Si tu voulais filer la métaphore des funambules, Diane ici est plus prête à sauter du fil au rebord (mais ça fait pas un joli titre), ou alors elle dit adieu au fil.

Monde : j’ai beaucoup aimé la traversée du bois. C’était organique. Pas sûr de bien saisir la géographie des lieux, mais j’y reviendrai dans mes commentaires globaux, très certainement.
Histoire : elle se demande combien de jours elle est restée là, et nous aussi ! Pour réhabituer le corps à la nourriture, c’est que vraiiiment c’était super long quand même. C’est peut-être un peu exagéré parce que j’imagine que si elle restait trop longtemps immobile, des caractères moins tranquilles que Basile (à tout hasard, Maloà, l’aurait prise de force et emmener prendre l’air en l’engueulant (je dis pas que ça serait constructif, juste que j’ai du mal à croire qu’elle puisse rester là sans conséquence pendant trop longtemps).
C’est pas un peu risqué de l’appeler Münié quand même ? Genre t’es un français résistant pendant la 2de guerre mondiale et tu choisis comme prénom Vercingétorix par exemple ? Je nuancerai mon propre propos dans la partie thème, mais je voulais écrire ça parce que ça a été mon premier réflexe.
Pour la fin je n’ai rien à dire, tout le passage dès qu’elle est seule avec Nacre est top.
Style :
Le premier paragraphe est un peu expositionnesque, mais j’ai pas de solution pour toi ici :/
« Il lui fallut encore des jours pour tout à fait ressurgir et rejoindre Nacre et la troupe sur la plage. » je pourrais dire que c’est de l’histoire, mais pour moi c’est plutôt du style. Je pense que tu peux faire cette ellipse (mais est-elle nécessaire?) cependant il faudrait retravailler la forme (à mon humble avis).
Ici : « Elle apprit plus tard que leur plan avait été décidé des quarts plus tôt. » j’aurai aimé que tu me racontes, parce que tu racontes bien, et ça a l’air racontable :)
« Nacre parlementa longuement avec les arbres de l’orée puisqu’ils s’écartent à peine assez pour faire entrer Diane. » je pense que cette phrase a un souci ?
« Elle le sut dans son cerveau plutôt que son corps » → dans son corps ?
Perso : « — Mange, répéta-t-il du ton sévère qu’il réservait aux patients. » j’ai du mal à imaginer Basile prendre un ton sévère pour les patients. Je le vois plutôt tenter la diplomatie ou une insistance plus douce. J’aime beaucoup la séparation Basile / Diane, c’est très cool la déclaration d’amitié ! J’aurai aimé avoir plus de réaction de la part de Diane, quand elle laisse Nacre, savoir ce qui se passe dans sa tête pendant la phrase « Diane les observa longtemps avant de repartir. ». Bizarrement, je n’ai pas ce même besoin pour Siloë. Peut-être parce que c’est bref. À sa place je penserai « ah oui, bien sûr. Ok. » et je partirais.
Rythme : attention aux ellipses, mais sinon c’était très bien, c’est fluide et ça se laisse lire tranquillement !
Thème : Diane endosse une nouvelle identité qui est celle de la première myfyr. Ça donne une sorte de force, de volonté de renouveau, comme si elle était devenue, elle aussi, cette première myfyr. J’ai déjà dit ma gène sur le premier prénom, peut-être tu pourrais le mettre en deuxième prénom, ou en nom de famille, un truc qui fasse moins suspect, parce que la symbolique est top.

Merci pour le partage <3
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