Diane chemina de Landamæri jusqu’à la mer Isiée. Comme elle était partie de la côte fantôme, elle traversait en fait Madeira de sa pointe nord à sa pointe sud. Avec Nacre, le rythme avait été lent, et elle avait pu s’habituer aux longues marches sans que ça la fasse trop souffrir. Sans la dragonnelle, elle garda la même cadence, comme pour honorer la route qu’elles avaient faite ensemble.
Son balluchon s’allégea à mesure qu’elle descendait et les températures augmentaient. Elle finit par déposer sa cape en peau sur une branche d’un arbre, où quelqu’un pourrait la récupérer s’ils en avaient besoin, pour les hivers malgré tout rudes de Madeira. Elle termina ses provisions et vécut de cueillette et de pêche. Elle ne demandait jamais l’hébergement ou l’aumône aux fermes qu’elle apercevait. Elle n’avait pas été seule depuis longtemps, mais maintenant qu’elle y était, qu’elle retrouvait cette saveur étrange du silence, elle n’était pas prête à le rompre encore. Elle ferma même son esprit aux communications d’ailleurs. Elle ne voulait rien savoir de personne, juste pour quelque temps, juste le temps de comprendre ce qui venait de lui arriver et de se préparer à ce qu’elle s’apprêtait à affronter.
— J’ai peur, murmura-t-elle au tronc d’arbre contre lequel elle s’adossa.
Les nuits où elle rêvait de Félix étaient les plus douces, les plus belles. Ils ne faisaient rien de particulier : ils discutaient, s’échangeaient des nouvelles, se prenaient parfois dans les bras. Félix souriait, et quand Diane se réveillait, elle souriait aussi, de toutes ses dents et de toute son énergie. Ces jours-là, elle marchait plus longtemps, portée par tout l’amour qu’elle éprouvait.
Elle savait que bientôt Aymée mourrait aussi. Elle s’obligeait à penser avec les vrais mots : mourir, et non pas partir, disparaître, s’éclipser, s’estomper, s’effacer. Sa poitrine se serrait, parfois jusqu’à l’empêcher de respirer, et alors elle traversait en silence de longues minutes à se noyer sur terre. Quand ça se terminait, elle repartait. Elle éprouvait sa capacité à survivre à la tragédie. De quoi avait-elle eu peur pendant si longtemps ? De quoi s’était-elle prémunie alors qu’elle n’avait même pas effleuré le vrai drame ?
Une silhouette partait en mettant son chapeau.
La poussière s’accrochait fermement à ses jambes et ses bras. Elle échangea un gilet en laine contre un chapeau de paille, qui sauva son visage cramoisi. Les bains dans les rivières lui arrachaient des grimaces et des onomatopées de douleur amusée.
Son père était parti. C’était étrangement pire que s’il était mort. Il avait choisi de ne pas revenir. Il les avait regardés, tous, et il avait décidé qu’ils n’étaient pas assez, que cela ne le comblait pas, qu’il s’était trompé dans son choix et qu’il préférait rectifier plutôt que rester quelques voltes de plus à les éduquer. En même temps, les avait-il éduqués avant ? Avait-il vraiment été présent ? Il n’avait pas cessé de faire des allers-retours, comme piqué par l’urgence du départ. Quand il avait été là, il parlait peu, plongé dans ses pensées, ou bien s’animait soudain à la table du dîner pour raconter les prochains voyages qu’il envisageait de faire. Il récitait des faits improbables sur des pays lointains, la légende de l’Archipel Perdu ; les Danseuses, cette île gigantesque dont certaines parties s’immergeaient tant et si bien qu’on aurait soudain dit une myriade d’îles côte à côte ; les gardiens des phares, qu’on disait être des ours marins, sages, féroces et doués de parole ; les tornades qui frappaient la falaise de l’Équinoxe, où les hybrides avaient trouvé refuge ; les terribles cimes de glace où un dragon dormait, emprisonné dans le gel éternel ; les mines de Fedha, où la magie était si forte qu’on n’avait plus le droit de l’utiliser, et elle était puisée par des capteurs qui la transformaient en électricité collective. « Assez », disait Hortense d’une voix douce lorsqu’il ne s’arrêtait plus — à chaque fois —, « c’est l’heure d’aller dormir », et elle emportait les petits Diane et Pardo au lit. Leur père ne semblait même pas le remarquer : il se taisait, certes, mais ses yeux restaient là-bas, au loin.
A-t-on une responsabilité lorsqu’on devient parent ? Doit-on alors faire une promesse simple : celle d’offrir de la présence à son enfant ? Diane avait entendu les conseils croisés des voisins, après le départ du voyageur : chaque famille avait une idée de comment il fallait en parler aux enfants ; certains recommandaient un nouveau mariage, pour qu’ils aient une figure masculine présente ; certains soutenaient qu’il fallait faire un enterrement pour qu’ils puissent dire au revoir, même s’il n’était pas mort. Diane en avait voulu à sa mère de ne rien faire du tout, d’avoir continué leur vie comme si ce n’était pas impensable qu’un membre de leur famille soit parti et jamais revenu. Elle lui en avait voulu de ne pas se jeter par terre en hurlant et s’arrachant les cheveux : ça lui aurait pris un peu de sa douleur, ça lui aurait montré qu’elle avait le droit.
Maintenant, elle voyait que Hortense avait fait le plus important : elle avait été présente. Solède après solède, elle les avait nourris, habillés, avait écouté leurs difficultés à finir un devoir, avait apaisé leurs conflits, soigné leurs coupures. Elle n’avait pas su trouver les mots pour combler l’absence d’un père, mais elle avait rempli sa promesse d’être un port sûr auquel les enfants pouvaient revenir.
Diane considéra le chemin qu’elle foulait avec un air ébahi : elle rentrait chez elle. Elle n’était pas en route pour Arroyos. Elle était de plus en plus près des Sept. Elle reverrait sa famille pour la première fois depuis des voltes. Et elle reverrait Merle, qui, elle le savait, était d’une certaine façon sa famille aussi.
Les champs s’arrêtèrent et cédèrent le pas à une vallée maritime fleurie et boisée. Le vent était salé de nouveau, ce qui fit sourire Diane. Dire qu’elle avait toujours eu ce plan d’eau à quelques heures de son village, mais qu’elle l’avait dédaigné parce que son rêve était l’océan, le grand lointain.
Un pont majestueux, lisse et boisé, avait été construit entre les deux rives : ici, on était à Madeira, et là-bas, à Ilyn.
Diane salua d’un signe de tête les agents madéens qui déjeunaient au soleil, peu préoccupés par les gens qui sortaient de leur territoire — à vrai dire, ils semblaient peu préoccupés tout court. En grimpant la pente du pont, Diane se dit que les canopéens bureaucrates seraient outragés de voir cette table conviviale au lieu d’agents féroces.
Lorsqu’elle arriva de l’autre côté, elle fut surprise de trouver les yeux attentifs d’agents ilyens.
— Bonjour, officière, dit Diane automatiquement (elle avait bien appris sa leçon avec les casqués de Landamæri).
— Papiers ?
Diane hésita. Dans sa poche gauche, elle avait son vrai document, avec son vrai nom. Quelque chose dans la posture rigide et les regards fixes la poussa à palper sa poche droite, plutôt.
— Ursula ? lut son interlocutrice. C’est un prénom original, vous êtes d’où ?
— L’Ambré. Ma grand-mère a une conception toute particulière de l’histoire, et elle a fait des caprices jusqu’à ce que ma mère accepte. Elle a été un peu secouée pendant la Révolution d’Ingrid, si vous voyez ce que je veux dire, donc elle prétend que c’était une figure très importante à l’époque. On n’en a trouvé aucune trace, bien sûr, mais…
— Bon, bon, l’interrompit l’officière, avec des gros yeux.
Diane remercia les monologues interminables de sa famille car ils lui sauvaient toujours la mise. Elle eut une pensée pour Basile, qui lui manquait puissamment. Son regard honnête, dépourvu de toute méchanceté, était un des rares à qui elle faisait pleinement confiance. C’était né si progressivement, pourtant… Elle avait hâte de rencontrer sa femme et sa fille, de voir quel type de famille il avait construit. Elle lui expliquerait sa théorie de la présence et que les voyages, ça allait bien cinq minutes.
— Tout semble en ordre, conclut l’officière.
Dès que Diane eut récupéré son livret, elle demanda en retour :
— Dites, il s’est passé quelque chose entre Ilyn et Madeira ? C’était une zone de libre passage, avant.
Son interlocutrice renâcla, comme offensée qu’une civile lui pose une question. Pourtant, ses yeux montraient qu’elle aussi ne comprenait pas bien les ordres qu’on lui avait donnés, et que ça la démangeait d’en parler avec quelqu’un.
— Il paraît que Madeira a renforcé ses contrôles, chuchota-t-elle précipitamment, sans prévenir Ilyn. C’est ce qu’on m’a dit. Qu’on doit montrer qu’on n’est pas n’importe qui alors on renforce aussi.
Diane se tourna vers l’autre rive, où tous les agents avaient interrompu leur déjeuner pour interroger, ensemble, une famille qui semblait partie pour passer la journée sur l’autre rive puis rentrer chez eux.
— Vous voyez, dit la casquée.
Diane acquiesça en fronçant les sourcils. Quelque chose n’allait pas. Cette méfiance qui grandissait de tous les côtés du triangle était nouvelle. Depuis l’Avènement, la signature du traité de coalition, il n’y avait pas eu besoin de contrôles. Qu’est-ce qui avait changé ? Est-ce que tout pouvait être vraiment lié à Nacre ? Ou y avait-il bien plus que ce qu’elle avait aperçu ? Pourquoi avait-elle l’impression absurde que la cendrure jouait un rôle important dans tout ça ?
Diane salua d’un signe de tête la casquée, puis repartit. Elle était presque arrivée.
Elle était presque rentrée.
La tradition voulait qu’on salue chaque lac devant lequel on passait. Diane avait envie d’ignorer ce rituel ridicule, mais elle savait que ce serait la première question que Ludivina lui poserait. Elle ne tenait pas à se disputer avec sa grand-mère dès son retour. Elle suivit donc le détour qui longeait l’Azuré puis le Lilas. Chaque fois, elle atteignit un promontoire rocheux qui surplombait le lac. Là, elle s’agenouillait, touchait le sol de son front, prononçait les mots « louée sois-tu, eau céleste », puis se relevait. Dire que son peuple avait su lire l’avenir dans les marais salants, il fut un temps. Plus personne ne parcourait leurs surfaces réfléchissantes depuis qu’ils avaient été intégrés à la base de repos de l’armée, au sud, près des dunes d’Alba. Plus personne ne devinait le futur.
Diane atteignit l’Ambré au soleil levant. C’était un présage d’espoir, qu’elle accueillit avec gratitude. Elle irait au village plus tard, décida-t-elle à l’embranchement, se dirigeant plutôt vers la cure. Le haut bâtiment en pierre lui sembla somptueux dans la lumière du matin, avec sa façade couverte de lierre fleuri.
À l’accueil, une enfant la reçut avec un regard ravi.
— Ma maman est partie aux toilettes, dit-elle très vite, mais je peux vous dire où aller, je sais lire.
Diane eut un rire attendri et acquiesça. Elle expliqua qu’elle venait voir Aymée. Elle crut voir l’inquiétude se mêler à la tendresse sur le visage de la petite fille, comme si elle voulait prononcer mille mots mais jugeait préférable de ne rien dire du tout. Elle lui indiqua le chemin : tout droit, quatrième porte à gauche pour l’escalier, deuxième étage, prendre à droite, deuxième porte à gauche. Diane répéta, puis s’en fut.
Elle monta lentement les escaliers. Certes, ses jambes étaient fatiguées, mais surtout son cœur battait la chamade. Pourquoi avait-elle pensé que c’était une bonne idée de venir sans s’annoncer ? Pourquoi n’était-elle pas passée par la boulangerie, comme toute personne sensée et raisonnable ? Pourquoi s’imposait-elle à Aymée, qui n’avait peut-être aucune envie de la voir ? Avaient-elles vraiment été amies ou Diane s’était-elle imaginée quelque chose ? Et avait-elle vraiment envie que Merle la voie dans cet état plutôt qu’après quelques heures de repos ?
Une seule pensée l’apaisa : en ce qui la concernait, elle était certaine de vouloir retrouver et Merle, et Aymée. Si ce n’était pas réciproque, ils le lui feraient savoir.
Elle poussa un long soupir avant d’émerger dans le couloir où était la chambre d’Aymée. S’avança jusqu’à sa porte, la poussa, et…
— Diane ! s’écria la jeune patiente, sans aucun regard pour son frère, qui dormait sur le fauteuil et sursauta.
Il ouvrit les yeux et les plongea dans ceux de la myfyr, qui sentit une aurore boréale dans son corps. Elle sourit, il sourit, puis elle se tourna vers Aymée.
— Tu as ramené des cadeaux ? demanda celle-ci avec un air malicieux.
Diane rit en ouvrant son sac, soulagée de pouvoir détourner ses yeux d’Aymée pendant quelques secondes. Il fallait qu’elle intègre ce qu’elle venait de voir. La cendrure avait déposé des cernes violets sous ses yeux et sa peau était pâle. Ses cheveux et sourcils avaient blanchi. La ligne de son cou et de sa clavicule était bien trop fine, presque squelettique.
Heureusement que ce sac était ample. Diane finit par en sortir tous les éléments sur la table basse de la chambre, qui fut remplie d’objets incongrus. Enfin, enfin, elle trouva un parchemin qu’elle transportait depuis Yor. Elle le tendit à Aymée, qui le déroula.
— C’est une carte que j’ai trouvée dans une maison abandonnée, dit-elle en s’efforçant d’ignorer sa nausée et son envie de pleurer. C’est à ça que ressemblait la ville d’Yor avant.
Aymée en bégaya de contentement. Elle tourna le parchemin pour montrer le trésor à son frère, qui cessa de se frotter les yeux pour faire une danse avec ses bras. Diane s’en voulut de scruter ses traits à la recherche de symptômes, mais elle ne put pas s’en empêcher. Il était en bonne santé. Sa fatigue était manifeste, mais il allait bien. Quelque chose en lui semblait même renforcé, se dit-elle en plissant les yeux. Ce n’était pas physique. Elle résista à son envie de jeter un œil à la toile. D’un bond, il se leva précipitamment.
— Installe-toi, pardon, je suis vraiment un flan quand je me réveille.
Diane éclata de rire.
— Un flan ?
Tandis qu’il rougissait, Aymée s’esclaffait gentiment aussi. Toutes les inquiétudes de Diane se dissipèrent aussitôt. C’était comme s’ils s’étaient vus la veille.
— Vous m’avez manqué, dit Diane aussi vite que ces mots peuvent être prononcés.
— Tu nous as manqué aussi, répliqua Aymée immédiatement, beaucoup moins encombrée de pudeur. Surtout à Merle, ajouta-t-elle en riant. Dis, j’ai fait une carte, moi aussi, tu veux la voir ?
Diane se pencha sur la commode, où tous les objets avaient été retirés pour laisser la place à un grand parchemin. C’était la cure, le parc et l’Ambré, jusqu’à la boulangerie. Les couleurs changeaient tandis que le temps défilait sur la carte, mais les traits restaient peu ou prou les mêmes.
— C’est sur une période de combien de temps ? demanda Diane, intriguée.
— Juste mon séjour, expliqua Aymée. J’ai pensé que c’était comme un journal. Comme un peu dire : j’ai été ici.
Bien entendu, Diane éclata en sanglots. Elle connaissait heureusement assez bien ses réactions intempestives pour avoir fait un grand pas de recul, ce qui évita une contamination de la carte par ses larmes et sa morve. Merle lui apporta un mouchoir tandis qu’Aymée riait bruyamment.
— Je suis désolée, je ne sais pas ce qui m’arrive, réussit enfin à prononcer Diane au bout de quelques minutes.
— T’oublies que c’est comme ça que je t’ai rencontrée ? demanda Aymée.
Diane repensa à cette solède à Canopée, où Aymée lui avait montré une carte, et puis Diane avait appris qu’Aymée était atteinte de cendrure, avait pleuré, était sortie, et avait vu Merle pour la première fois. Il y avait eu une telle douceur dans ces quelques moments où ils étaient apparus dans sa vie, malgré l’insoutenable vérité qui se profilait devant eux, la pente qu’ils dévaleraient qu’ils le veuillent ou non. Et ils en étaient ici maintenant, après tout ce temps. Le résultat fut que Diane sanglota de nouveau.
— Tu devrais faire de l’animation en chambre, tu cartonnerais, se moqua gentiment Aymée pour la détendre.
L’après-midi, Merle réveilla doucement Diane, qui s’était assoupie sur le fauteuil. Elle eut envie d’attraper sa main pour qu’il ne la retire pas de son bras.
— On a de la visite, chuchota-t-il.
Comment ça ? Diane cligna des paupières pour revenir à la réalité et vit qu’Aymée était dans un fauteuil qui lévitait au-dessus du sol, habillée et maquillée. Elle était belle avec sa crinière blanche, finalement.
La myfyr les suivit distraitement jusqu’au parc, où elle s’arrêta net de stupeur : les visiteurs n’étaient nul autre que Ludivina, Hortense et Pardo. Eux aussi eurent l’air stupéfait. Ils se saluèrent avec une sobriété terrifiante, comme on dirait bonjour à une connaissance lointaine, puis tous s’installèrent et se concentrèrent sur Aymée. Celle-ci fit semblant de grignoter leurs pâtisseries mais rit sincèrement à leurs chamaillages et plaisanteries. Diane observait sa famille avec étonnement : ils avaient les mêmes visages qu’avant, mais quelque chose lui semblait différent, comme si ce n’était pas du tout les mêmes personnes, comme s’il s’était passé des siècles.
Quand ils rentrèrent au village, Merle l’encouragea à partir avec eux, et lui serra brièvement la main pour lui donner du courage.
Tétanisée, elle marcha en silence près des siens, incapable de trouver ses mots, des mots. Elle n’y était pas arrivée face à la feuille blanche pendant des voltes, et elle ne semblait pas y parvenir magiquement maintenant qu’ils étaient là. Son problème n’était pas à l’écrit. Son problème était de la pure stupidité. Elle en était là, lorsque Ludivina dit :
— Eh beh, t’étais drôlement plus bavarde avant de faire des études. Ils t’ont coupé la chique, les binoclards ? Ils ont menacé de te recaler si tu bavassais ?
Pardo et Hortense ne dirent rien et marchaient quelques pas devant eux, mais Diane sentait qu’ils écoutaient.
— Ils m’ont recalée, dit-elle parce qu’il fallait que ça sorte, que ça ne pouvait plus rester entre sa famille et elle. Mais pas parce que je parlais trop, précisa-t-elle au cas où, j’ai juste raté l’examen pratique.
— Ah, comprit Ludivina. C’est bien. Mieux vaut taire ce qui doit être tu.
Diane envisagea de répliquer qu’elle avait trouvé des gens qui acceptaient sa magie, qui l’acceptaient comme elle était ; mais elle entendait la phrase dans sa tête, et savait que c’était une pique, une façon d’appeler de l’amour. Elle n’avait pas besoin d’en arriver là. Sa famille était là. Ils étaient présents. Fâchés ou non, ils ne la renvoyaient pas d’un geste, ne l’ignoraient pas, ne l’insultaient pas. Elle se força à prendre une respiration. Ludivina lui jeta un regard sur le côté.
— Ça va nous durer combien de temps, ton rôle de muette catastrophée ?
Diane haussa les épaules avec un sourire. Ça faisait du bien de ne faire semblant de rien. Ça faisait du bien d’admettre qu’elle ne savait plus quoi dire, d’être ici en silence plutôt que de fuir à travers le monde à la recherche de la phrase juste.
Elle dormit dans son lit d’enfant, parce que Merle ne venait plus se reposer depuis plus d’un quart ; il préférait passer les nuits à la cure.
Le lendemain, il passa pourtant la chercher au petit matin.
— Je n’étais pas sûre que tu retrouverais le chemin vers nous, dit-il, avant de devenir cramoisi. Je veux dire que je comprends bien que tu viens d’ici, beaucoup plus que nous, donc ce n’est pas un commentaire sur ton sens de l’orientation, c’est juste que…
— Ça me fait plaisir de te voir, dit Diane en passant ses bras autour de lui.
Une toux feinte derrière elle la fit grimacer et rire à la fois. C’était Hortense, qui leur donna à chacun une tartine de pain frais avec du fromage. Elle rentra tout de suite dans la boulangerie.
Avant de retourner à la cure, Diane emmena Merle dans son endroit préféré. C’était une grotte derrière une cascade. D’ici, on n’entendait plus le fracas de l’eau sur la roche, ou du moins ça devenait un bruit sourd, grave. On ne voyait plus le monde qu’à travers la lumière arc-en-ciel de l’eau qui tombait. Le chemin entre les buissons était peu connu, donc c’était une cachette parfaite pour les jours où Diane avait eu besoin de solitude.
— Pourquoi tu ne m’en as pas parlé dans ta lettre ? demanda Merle, curieux.
— Je ne pouvais pas prendre le risque que ça tombe entre les mauvaises mains…
C’était une transition comme une autre.
— Il y a autre chose que je ne t’ai pas vraiment dit dans ma lettre, dit-elle, et ses boyaux se retournèrent et contractèrent la pauvre tartine au fromage dans son estomac. J’ai réfléchi. Enfin, non, je n’ai pas réfléchi, ce n’est pas le bon mot. Disons plutôt que j’ai… ressenti.
Merle restait parfaitement silencieux à côté d’elle, attentif. Elle avait envie qu’il prononce tous les mots à sa place, et en même temps, pour une fois, elle savait exactement ce qu’elle voulait dire.
— J’aime ta façon de vivre et de voir le monde, dit-elle. Je trouve qu’elle va bien avec ma propre vision… du monde. Et donc, je me disais que ce serait probablement une bonne idée, peut-être, si nos visions du monde vivaient, d’une certaine façon, ensemble.
Merle eut un rire gentil et joyeux, dont il clarifia immédiatement la nature en prenant la main de Diane dans la sienne.
— J’aime beaucoup ta vision du monde aussi, répondit-il en approchant son visage.
Il posa son front contre le sien.
Pour revenir sur l’ensemble du chapitre, un chapitre « fin de quête », et la paix. La paix pour Diane, pour sa famille, pour Aymée, et bien sûr, pour cet amour naissant. Je me demande donc : mais alors, il reste 2 chapitres ? Mmmh, curieux curieux curieux. Je pronostique une mort d’Aymée, mais que peut-il rester d’autre ?
Perso : Diane ne regrette-t-elle pas d’avoir quitté Aymée sans lui avoir vraiment dit au revoir ? N’a-t-elle pas envie de laisser Merle lui parler, juste pour ça ? J’aime beaucoup le fait qu’elle « connecte » avec la fille de Basile, en mode : mais en fait, Basile il a fait n’imp avec moi là. Suggestion : tu pourrais le mettre plus tôt. Ça peut être cool d’avoir cette réflexion, soit quand elle culpabilise (« oh non, mais enfin je suis tarée, Basile a une fille et je lui fais affronter un mec sanguinaire ») ou avant ( « quoi mais enfin Basile tu dois rentrer chez toi tout de suite ! Ta fille t’attends ! »). Super le moment où elle repleure et le lien qui est fait avec la première fois. On notera qu’elle pleure très explicitement que dans ces deux moments là je crois (peut-être au deuil de Felix mais je n’en suis pas sûr.
Aymée reconnaît Diane tout de suite : n’est-elle pas (fortement) mal voyante désormais ?
Style : j’ai beaucoup aimé le paragraphe qui commence par « a-t-on une responsabilité ... », parce que je l’ai trouvé très juste. <3
Je suis en revanche toujours dubitatif de l’emploi du prénom pour les parents alors que le point de vue est 3ème personne subjective centée sur Diane.
« C’était une transition comme une autre. » fait un peu commentaire ironique sur la réplique, genre « commentaire de l’autrice ».
Monde : j’aime les lacs et l’univers que tu mets autour. J’aime la mer aussi, bien sûr, mais les lacs ont ce quelque chose de paisible, et c’est bien que après avoir été en mer, pendant si longtemps, Diane finisse près de ses lacs à elle. Je ne sais pas si c’est fait exprès mais j’aime la symbolique qui va avec. Et si j’ai inventé moi même et bien tant pis j’aime quand même. <3
Rythme : je le redis un petit coup ici, les ellipses ! Des petits bonds temporels imprévisibles. Peut-être que comme tu me l’as proposé pour les PdV chez moi, un * ou tout autre signe typographique pourrait marquer ces coupures temporelles.
Thème : bon là tu l’as carrément écrit, l’acceptation de soi. Je pense que c’est un très bon cadre de scène d’avoir de la famille reloue et de rester calme, pour montrer qu’on est en paix avec soi-même.
Histoire : Awww. La fin <3. La partie politique, c’est le même souci qu’ailleurs : je me demande quand démarre (même si là j’ai plus aucun espoir) l’intrigue secondaire ! XD Mais juste. Awww.
Merci pour le partage !