35. Le Podestat

 

— Tu aurais dû me laisser concourir plutôt que de jeter le discrédit sur notre nom de famille.

Sympa l'accueil. Elle venait de franchir la ligne d'arrivée comme une bombe, s'employant à dépasser le plus de concurrents possibles sur les derniers mètres, sans parvenir, néanmoins, à rattraper son retard. Un retard dont elle comptait bien imputer la responsabilité à cet inconscient de cavalier noir. Pour cela fallait-il encore le retrouver, et dans la foule qui débordait sur la piste pour venir soutenir vainqueurs et perdants, ce n'était pas chose aisée. Encore moins flanquée d’un idiot très occupé à débriefer sa médiocre performance. Pâris, lui, semblait plus sur la réserve. 

— Tout va bien, Astro ? demandait-il. Il s'est passé quoi ?

— Et dire que tu prétends que je ne sais pas monter ! Mille excuses Milady, mais même les yeux bandés je faisais mieux que toi.

Elle n'écoutait pas. Elle n'avait d'attention que pour sa quête du cavalier noir, et dirigeait sa monture au travers de la foule en veillant à ne piétiner personne. Depuis la tribune, le Maire était réapparu. Il félicitait tous les participants, même les perdants qui avaient vaillamment concourus, et bien évidemment la population touristique et locale pour sa contribution à la compétition. Comprenant qu'il allait annoncer le vainqueur, et qu'ainsi le cavalier noir ne pourrait plus se cacher, Astrée reporta son attention sur l'homme au micro, et immobilisa monture et ses deux palefreniers trop bavards.

— ... Et j'appelle sur le podium, le vainqueur de cette six-cent-quatorzième édition du tournoi de Beynac... Martin Larrieu pour le quartier du port !

— Martin Larrieu, grommela Astrée en le cherchant du regard.

Elle ne s'arrêta qu'en repérant cette partie de la foule qui s'agitait plus que de raison, dont fini par s'extraire un cavalier bariolé de vert et de jaune, aux couleurs du quartier concerné. Un cavalier qui n'avait absolument rien de noir sur lui ou en lui. Un illustre inconnu certes, mais pas celui qu'elle recherchait. Qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ? Le cavalier noir n'était-il pas censé arriver vainqueur ? S'était-il fait doubler par ce quadragénaire enrobé sur la dernière ligne droite ?!

— Qui est arrivé deuxième ? beugla-t-elle à l'attention de son frère. Pâris ! Qui est second ?

— Le fils du boulanger, pourquoi ?

— Le cavalier noir, il est où ?

— Qui ?

— Le cavalier tout en noir, celui qui me collait au train sur les deux premiers tours ! s'énerva-t-elle.

— J'en sais rien, moi ! Il a dû arriver après toi. Et elle est où ta bombe ?

— Dans ton… commença-t-elle, la dernière syllabe avalée par l'intervention d'un nouvel arrivant, accrochant la bride pour prendre la direction de l'étalon sur lequel elle était toujours.

— Où est-il ? venait de l'interroger le danseur à peine essoufflé par sa course.

— Je ne sais pas, lui répondit-elle, sincèrement désolée et perdue. Je ne comprends pas, il semblerait qu'il ne soit jamais arrivé.

Du moins, d'après ce que prétendait Pâris. S'il n'avait pas terminé avant elle, et puisqu'elle ne l'avait pas croisé sur les derniers mètres, se pouvait-il qu'il ait simplement disparu ? Alors qu'elle fouillait l'espace derrière elle, s'attendant à le voir débarquer après le coup de sifflet final, une main se posa sur sa cuisse, et la ramena à la réalité.

— Descends, lui ordonnait le Russe en glissant depuis sa cuisse jusqu'à sa taille pour l'aider à se soulever de la selle et en descendre.

— Pourquoi faire ? s'opposait-elle tout en se laissant faire, paradoxalement. Non, attends, j'ai mieux comme question : qu'est-ce que tu comptes faire avec mon cheval ?

— Retrouver ce connard, annonça-t-il le plus calmement du monde.

Un sourire insolent aux lèvres, il la déposa sur le sol après l'avoir fait glisser contre lui, ce qui en soi, avait achevé de faire totalement oublier sa question à Astrée. Enfin, temporairement.

— Je viens avec toi ! tenta-t-elle malgré tout.

Un simple haussement de sourcil lui laissa entendre que cette option n'était absolument pas recevable. Une seconde plus tard, il fendait la foule sur un Néron lancé à pleine vitesse, tandis qu'elle se retrouvait coincée dans l'indigne rôle d'observatrice, le contemplant s'éloigner dans le soleil couchant. Certes, l'astre était encore très haut dans le ciel mais qu'importe, il s'agissait de l'effet qu'il lui faisait, ainsi, héroïque défenseur de la veuve et de l'orphelin. L'orpheline en l'occurrence. Prodigieusement agaçant !

— Tu couches avec lui ?

Tirée de sa léthargie par la voix de Benjamin, elle se retourna brusquement vers lui pour le découvrir, lui aussi, en pleine contemplation du cavalier qui s'éloignait.

— Je te demande pardon ?

— Il faut au moins ça pour que tu te transformes en gentille petite chose docile.

— La ferme, Ben ! Je n'ai rien de docile ! lui asséna-t-elle en même temps qu'un coup de poing sur l'épaule.

C'est vrai, elle n'avait rien de docile. C'était simplement lui qui ne lui obéissait jamais, à la différence du reste de la population.

— N'empêche qu'il se passe un truc entre eux, je ne suis pas aveugle... continuait-il dans son dos tandis qu'elle s'avançait jusqu'au podium pour récupérer son prix de consolation.


 

*

 

— Qu'est-ce que t’as là ? demandait Jeanne dans son dos.

Astrée avançait distraitement depuis plusieurs minutes, son regard vide perdu sur sa paume ouverte et ce qu'elle contenait. Une médaille de mauvaise qualité sur laquelle se refermèrent ses doigts lorsqu'elle réintégra l'espace et le temps. La jeune femme obliqua un sourire malhabile en direction de son interlocutrice, à moins d'un mètre derrière elle.

— La preuve que les seigneurs de Beynac ne sont plus ce qu'ils étaient, répondit-elle sans se départir de son sourire.

— Une médaille de bronze, remarqua Jeanne en tirant un peu plus sur les rênes de la jument qu'elle traînait derrière elle pour aligner son pas sur celui de la petite baronne.

— J'hésite entre la faire fondre ou la mettre en vente sur internet. Tu penses que je pourrais en tirer un bon prix ? ironisa-t-elle de son habituel ton sarcastique.

— Une troisième place, c'est pas si mal que ça, ma foi. Sans préparation et avec la monture la plus nerveuse que j’connaisse, tenta de la réconforter la postière, avant de remarquer l'étalon que la jeune femme promenait dans son dos. Hoy, mais c'est pas Néron, ça. Qu'est-ce que t’as fait d’ton cheval ?

— Je me le suis fait dérober par le Prince Charmant.

— Syssoï, j’présume ?

— N'est-ce pas ainsi que tu le perçois ?

— Si on veut, en moins niais et plus torturé p’t-être.

— Perturbé, tu veux dire.

— Qui ne l'est pas d’nos jours ? lui rétorqua-t-elle armée de son regard en coin ne souffrant aucune forme de contradiction. J’constate que c'est toujours l'amour fou entre vous deux. 

— Eh bien... Disons que je le tolère un peu mieux.

Diou, l’village parle plus qu’du chauffard et d’ton sauvetage suicidaire... J’dois dire que j'admire ton degré d’tolérance à sa personne.

— Il me doit encore le loyer du mois, je ne pouvais décemment pas le laisser mourir avant de recevoir le chèque, rétorqua-t-elle en faisant claquer sa langue en direction du cheval pour lui faire presser le pas.

— Un chèque d’jà encaissé par ta tante... Quelle dévotion, Gouyate !

— Je sais, j'irai directement au Paradis.

— Ça, j'en doute mon ange.

Le ton emprunté par Jeanne trancha si radicalement de part son sérieux, que la jeune femme fronça les sourcils face à cette affirmation. Mais la postière ne l'observait pas. Elle fixait droit devant elle, les yeux dans le vague, sa jument suivant lentement derrière elle. Peut-être n'était-ce là qu'une manière de railler son mauvais caractère ou encore sa façon d'utiliser des jurons en guise de ponctuation, mais l'espace d'une seconde Astrée y avait entrevu quelque chose de différent, quelque chose de plus.

— Où sont tes deux esclaves ? reprit-elle en retrouvant instantanément visage souriant et timbre chaleureux.

— Ils nous devancent, ils étaient impatients de voir les poneys.

— Les chevaux, tu veux dire ?

— Non, non, les poneys... répéta-t-elle en dépassant la grille du centre équestre, Jeanne sur ses talons.

Au loin, par-delà les deux imposants bâtiments qui flanquaient la large entrée, un Beynac hurlait « Plus vite ! Plus vite ! » à l'intention de l'autre qui tirait, au petit trot, le poney que chevauchait le premier.

— Non, je te le confirme, c'est pas facile tous les jours, reprit Astrée devant l'air interdit affiché par Jeanne. 


 

*

 

La vieille femme resta un moment ainsi, immobile, perturbée, occupée à fixer cet espace que les deux garçons venaient de quitter, avant de se remettre en marche sur les talons de la petite baronne qui la devançait. Le centre équestre se trouvait n'être autre que les anciennes écuries du village. Des écuries si vastes qu'elles se composaient d'une multitude de bâtiments d'époques aussi diverses que variées. L'entrée était du XIIIème siècle, ainsi que les deux édifices massifs et mal dégrossis qui la flanquaient. La suite, une succession d'agrandissements plus tardifs, créait maladroitement un ensemble impressionnant d'enchevêtrements improbables et charmants. Au centre s'étendait le cirque, large piste circulaire en terre battue sur laquelle cavalaient les immatures Beynac masculins. Les deux silhouettes féminines, quant à elles, s'avançaient en direction du grand bloc en pierre de taille, à l'ardoise des toits ondulants. Ce même bloc d'où provenaient hennissements et coups de sabots sur les planches. 

Les autres concurrents, cavaliers d'un jour, avaient abandonné leur monture aux bons soins de l’organisation. Et puisque l'organisation se résumait au Maire et son conseil municipal, c'était plus ou moins aux âmes charitables du village de se dévouer. Benjamin et Pâris en avaient ramené deux jusqu'aux box, Jeanne en avait un troisième et Astrée le quatrième. Et puisque le cinquième était toujours en possession du russe, l'étape suivante se résumait aux soins à prodiguer à chaque bête. Ce qu'Astrée préférait à vrai dire. Brosser, curer, tresser, autant de tâches généralement jugées ingrates qui procuraient pourtant, un réel apaisement à la jeune femme. 

Son esprit se vidait, ses soucis s'effaçaient, ses pensées s'évaporaient, juste le temps de l'oubli de soi au profit de l'existence concrète de l'animal. Évidemment, elle aurait préféré s'occuper de Néron, mais qu'importe le nom porté par celui-ci, son flanc chaud sous sa paume, sa respiration lente et bruyante, et les ondulations de sa robe à chaque passage de la brosse achevait d'emplir le crâne de la jeune femme d’une nuée voletante de papillons aussi efficacement qu'une myriade de doigts cavalant dans ses cheveux. Du moins, était-ce l'impression qu'elle en avait avant que son cousin ne s'en vienne fracasser sa douce torpeur tel César traversant le Rubicon à dos de poney.

— Dis-moi ! prononça-t-il en guise d'introduction, tenant les rênes de sa minuscule monture d'une main, se frottant un sourcil de l'autre. J'ai repensé à ton cauchemar, tu sais ? Celui avec le Pâris mort.

Dans l'embrasure de la porte du box, à contre-jour, sa silhouette se détachait comme auréolée d'or. Une vision qui aurait pu s'avérer charmante si la monture eut été plus imposante. D'un haussement de sourcil, elle l'invita à poursuivre alors qu'elle coinçait la patte arrière de son étalon sur sa cuisse pour s'occuper de ses fers crottés.

— Quelque chose me semblait familier dans ce que tu racontais. Ezelin, c'est bien le nom du seigneur que tu devais épouser dans ton rêve ? Ça pourrait n'être qu'une coïncidence, mais il s'agit d’un seigneur italien durant le Moyen Âge, et pas des moindres… Le conflit opposant les Guelfes aux Gibelins, ça te parle ?

À dire vrai, ça lui parlait autant que s'il s'était exprimé en klingon. En revanche, c'était la deuxième fois qu'on évoquait une possible réalité historique à l'un de ses rêves. Ce qui n'avait été jusque-là qu'une bizarre anomalie prenait les traits de phénomène récurrent et profondément perturbant.

— Guelfes et Gibelins ? répéta-t-elle en grimaçant son incompréhension. Excuse-moi, mais j'aurais vraiment du mal à me concentrer tant que tu t'obstineras à chevaucher Twilight Sparkle.

— Tu vois, je ne sais pas ce qui m'attriste le plus, ton manque cruel de culture générale pour tout ce qui concerne l'Histoire, ou ta capacité à nommer les personnages de My Little Pony ?

— Toutes mes excuses, Howard Carter. Ayez la bonté d’âme d’instruire votre ignare cousine, soupira-t-elle face à cette condescendance à peine voilée. 

— Les Guelfes et les Gibelins... reprit-il en flattant sa monture. Comment expliquer ça à une néophyte ?

Elle ne se vexa pas de son ton supérieur. Benjamin avait beau paraître superficiel, futile et immature, il était également un très prometteur étudiant en Histoire et Archéologie. Sa capacité à tout prendre à la légère n'avait d'égale que sa soif de savoir et son sérieux concernant tout ce qui pouvait avoir trait au passé. Cet été représentait une pause bien méritée entre une Maîtrise sur l'art de la torture sous l'Ancien Régime, et une thèse qu'il attaquerait à la rentrée et dont le sujet était encore à l'état de secret d'alcôves. Alors oui, dispenser un peu de son colossal savoir à sa cousine devait lui faire, à peu près, le même effet que de tenter d'expliquer l'utilité d'une fourchette à un chien.

— Si je te dis Saint Empire Romain Germanique, tu vois de quoi je parle ou pas ? reprit-il.

Elle hocha la tête bien que dans son esprit s'imposa non pas une image réaliste de la chose mais plutôt le camp de Babaorum encerclant un village d'irréductibles gaulois. Pas du tout la bonne époque, déjà. Benjamin ne s’y trompa pas

— Tu vois Charlemagne ? A force de conquêtes, il étend le royaume franc jusque dans l’actuelle Allemagne et l’actuelle Italie, et fonde l’empire carolingien… Eh bien, le Saint Empire Romain Germanique se veut l’héritier de cela à travers la descendance de Charlemagne…. Tout se passe bien jusqu’à ce que l’empereur Henri V meurt sans héritier. Tu suis ?

Jusque là, oui. Astrée hocha, une fois encore, de la tête.

— Nous sommes au tout début du XIIIème siècle, et la succession au trône n'était plus assurée par lignage direct… Du coup, quand c'est comme ça, on tape dans la famille proche. En gros, c'est comme si tu décédais sans avoir eu d'enfant, tu vois ? A qui doit revenir le titre de Baron ? Certains pourraient dire Pâris, d'autres répondront qu'il ne peut s'agir que de mon frère aîné… Et bien là c'est pareil, mais en plus compliqué. Donc deux clans s'affrontent, chacun pour que leur poulain remporte le trône tant convoité. Ce sont les Guelfes et les Gibelins… Je résume vulgairement, hein.

Ah ? Parce que ça lui semblait déjà bien long, pourtant.

— Et ça s'affrontent tellement que certaines cités sont à feu et à sang. Surtout en Italie… Florence, Venise, Vérone, Mantoue... Ça devient le grand n'importe quoi, les nobles familles se foutent perpétuellement dessus, tout ça, tout ça. Du coup, on tente de calmer le jeu en nommant des podestats, un genre de grand magistrat, censés diriger la ville. C'est le cas d'Ezelin à Vérone. C'était pas une mauvaise idée en soi, sachant que le podestat devait être neutre, mais ils le seront rarement... Bref. Ça ne te dit toujours rien ? 

— Pas le moins du monde... répondit-elle en libérant la patte de l'animal qui s'en ébroua de plaisir.

Rien ne saurait lui être plus étranger que cette période de l'Histoire d'un pays qui n'était pas le sien. Et pourtant... Pourtant, il avait raison, quelque chose sonnait familier à son oreille. Peut-être n'était-ce que le fruit de son imagination, ou bien la possibilité qu'il en fût ainsi, mais cette sensation se distillait en elle, aussi efficacement qu'un poison à effet immédiat. Elle s'apprêtait à lui poser la question qui lui brûlait les lèvres lorsque la voix de Syssoï toute proche les fit sursauter l'un et l'autre.

— « Deux familles, égales en noblesse, dans la belle Vérone, où nous plaçons notre scène, sont entraînées par d'anciennes rancunes à des rixes nouvelles où le sang des citoyens souille les mains des citoyens. » 

Une déclamation sous forme d'argument supplémentaire, tandis que le danseur entrait dans le bâtiment suivi d'un Néron passablement épuisé. Depuis combien de temps était-il là ? Suffisamment pour avoir entendu une bonne partie de l'explication de son cousin. Ce qu'elle ne comprit pas tout de suite, évidemment, cherchant encore le rapport entre le conflit italien et son entrée théâtralisée.

— Tu cites du Shakespeare par cœur ? l'interrogea Benjamin avant de se rappeler que l'interpellé n'était que peu loquace et de se tourner vers sa cousine. Il cite du Shakespeare par coeur !

— Ca me semblait à propos, répondit le principal intéressé en attachant Néron au crochet rouillé prévu à cet effet à côté de celui occupé par l’animal d’Astrée.

— C'est marrant que tu fasses le rapprochement entre cette œuvre et le conflit Guelfes et Gibelins, s’enthousiasma Benjamin. William Shakespeare s'est inspiré du récit de Masuccio Salernitano, qui lui-même aurait tiré sa nouvelle d'un fait divers de l'époque. Une théorie évoque qu'il pourrait s'agir du bain de sang véronais de la période. Sous Ezelin, donc. 

Benjamin semblait prendre vie à mesure qu'il fouillait sa mémoire et exposait connaissances et réflexions. Des connaissances et des réflexions tellement pointues que même le très inébranlable Russe laissa entrevoir sa surprise.

— Oui, c'est choquant, lui offrit la jeune femme dans un sourire timide. Le pire c'est qu'on ne s'y fait jamais réellement. À un moment il est normal, et la seconde suivante t'as Wikipédia sous le nez.

— Attends, intima le russe légèrement hésitant. Tu es en train de dire que la tragédie de Shakespeare est tirée d'une histoire vraie ? Roméo et Juliette ont réellement existé ?

C'est à cet instant, après ce résumé, qu'elle réalisa réellement de quoi ils parlaient, ou plutôt dans quelle direction inattendue ces diverses réflexions la menaient, elle, contre sa volonté. Incrédule, à l'orée de l'horreur, elle observait la scène en s'interdisant d'y prendre part. Tant qu'elle ne faisait qu’entendre sa voix, tant qu'elle ne participait pas à ce débat, il n'existait pas, il n'avait aucune légitimité. Aucune.

— Moi je ne dis rien du tout, mais c’est là où je voulais en venir, poursuivait Benjamin en remontant sur le dos de son poney. Il s'agit d'une théorie récente très intéressante… Le premier à écrire sur le sujet est Masuccio Salernitano, un riche napolitain du XVème siècle. Il change les noms et les lieux pour faire croire à l'originalité totale de son récit dans une époque où, vraisemblablement, on parlait encore de cette histoire tragique dans la région véronaise. Plus tard, un autre italien, Luigi da Porto reprend l'histoire de Masuccio. Il y a prescription, donc il redonne leurs véritables noms aux personnes et aux lieux, et évoque même le contexte : le conflit Guelfes et Gibelins. Et puisque c'est de l'œuvre de Luigi da Porto que s’inspirera William Shakespeare… 

— Stop ! implora Syssoï les yeux clos, les index décrivant des courbes larges contre ses tempes. Je n'ai pas demandé une thèse complète sur les origines de la tragédie shakespearienne, je voulais juste savoir si elle était réelle.

— Tiens, il est presque aussi patient que toi, Astro, s’amusa Benjamin en s'adressant à sa cousine, occupée à s'occuper, justement, pour ne surtout pas penser. Donc selon moi, et il ne s'agit que de mon avis, oui. Cette histoire est tirée de faits réels. Je pense qu'elle s'est déroulée sous le podestat d’Ezelin… Les archives de l'époque permettent de confirmer l'existence des Montecchi. Sans parler de la Divine Comédie de Dante où les rivalités entre Capulletti et Montecchi sont évoquées. Pour le reste, je ne sais rien de plus…

— Où est Pâris ? le coupa Astrée brusquement en sortant du giron de son cheval.

Elle avait beau s’être employée à s’éloigner le plus possible de cette conversation, doigts et pensées focalisés sur l’animal, les mots, les idées lui parvenaient tout de même. C’en était trop. Il lui fallait mettre un terme au scénario de Benjamin. Elle ne voulait plus rien entendre qui ne concernerait pas ici et maintenant.

— Je ne sais pas. Il voulait être seul, il avait un truc à faire, répondit-il distraitement.

Le regard qu’Astrée posa sur son cousin, regard qui pesa sur sa haute silhouette, le fit ployer légèrement. Il obliqua ses yeux bruns sur elle et la surprise de cette dernière sembla faire brusquement écho en lui. Pâris ? Avoir besoin d’être seul ?

— Oui, tu as raison, c'est étrange, reprit-il comme s’il répondait à une question orale. Je vais voir ce qu’il fabrique.

— Merci, soupira-t-elle, reconnaissante envers le silence revenu.

Dans une révérence très approximative, Benjamin la salua avant de tirer légèrement sur la bride de son poney et de s'éloigner dans le contre-jour rougeoyant, abandonnant les deux cavaliers du jour dans un tête à tête étrange dans la grange.

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Notsil
Posté le 07/05/2021
Coucou !

Le cavalier noir s'est donc fait la malle, intéressant... je sens qu'il ne va pas en rester là.
Jeanne... elle en sait davantage, hein ? ^^

Et Benjamin qui connait bien son histoire (je crois que j'ai appris des trucs ^^), parvenant même à impressionner Syssoï ! Qui du coup semble en savoir moins que je ne le croyais, pour le coup.

Pâris... j'espère qu'il ne file pas un mauvais coton.... n'aurait-il pas eu une vision, d'ailleurs, lui aussi ? S'isoler, c'est la porte ouverte au kidnapping, ou pire...

Et le tête à tête qui s'annonce, AH AH AH :) Plein de gênance (et évidemment s'il se passe un truc ils vont être interrompus :p).

Je me demande si y'aurait pas quelqu'un qui les manipule en douce, genre envoyer Benjamin leur filer des info tout en le séparant de Pâris....

Que leur réserves-tu donc ? ^^
OphelieDlc
Posté le 14/05/2021
Le pire, évidemment (pour répondre à ta dernière question), mouhahahahaha !

Est-ce que le passage historique de Benjamin ne t'a pas semblé trop indigeste ? Je ne veux pas que ce chapitre se transforme en cours d'Histoire, même si les informations apportées par Benjamin ont leur importance.
Notsil
Posté le 14/05/2021
Ça ne m'a pas paru indigeste non, après je suis curieuse de ce genre de détails de base, donc.... ça permet aussi de les distraire, d'avoir des info secondaires sur les 2 zamoureux.... mais je crois qu'il te faudra plusieurs avis, là :)
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