37. Nesli

Par Hinata

Les mains calées sur ses hanches, Nesli laissa tomber son regard sur ses jambes fourbues, et surtout recouvertes de boue jusqu’aux genoux. Elle se redressa bien vite et en détourna les yeux pour observer le paysage.

Ils avaient enfin terminé de traverser les marais. Cette nappe de mares nauséabondes, séparées entre elles par des taillis verdâtres et quelques rochers gluants, s’étalait à présent derrière eux. Tout comme le désert de sable, les marais étaient une zone inhabitée, excepté par de rampantes créatures qui se nourrissaient de larves et d’insectes ignobles. Et comme le désert, cette région apparaissait si plate qu’au moment d’y mettre les pieds, on ne savait pas sur quelle distance cette zone pouvait bien s’étendre, et combien de temps s’écoulerait avant qu’on en visse le bout.

Heureusement, sur ce point, ils bénéficiaient de l’expérience précieuse d’Enza des fossés. Leur guide aux cheveux noirs leur avait assuré qu’en marchant bien, ils n’auraient pas à passer la nuit dans les marécages. Il n’avait pas menti. Il faisait encore jour, et cette épreuve-là était derrière eux. C’était vraiment plaisant de contempler ce qu’ils avaient déjà accompli.

Au-delà du marais, son regard se retrouvait bloqué par la silhouette sombre des montagnes, comme celle d’un géant couché devant l’horizon. Pour ne pas avoir à le contourner, ils s’étaient faufilés sous le coude de ce géant. Grâce à Enza, ils avaient pu trouver la galerie qui leur avait permis de passer sous la montagne en toute sécurité.

Le risque existait, bien sûr, de rencontrer les ours et autres prédateurs qui habitaient ces cavernes. Mais même un tête-à-tête avec ces bêtes-là valait mieux qu’une escalade des pics, desquels une chute vous amochait bien davantage qu’un grognement impressionnant mais formel. De fait, le seul fauve qu’ils avaient entendu n’avait même pas osé sortir de l’ombre où il était tapi. Les six voyageurs, en brandissant lance et torches, armés également de cris et de pas lourds sur le sol, s’étaient donné l’air assez dangereux pour traverser sans mauvaises rencontres le sombre tunnel sous la montagne.

De là où elle se tenait, campée sur une motte de terre spongieuse, Nesli ne pouvait rien voir après cette chaîne de montagnes. Pourtant, comme si sa mémoire lui donnait le pouvoir de les survoler, il lui semblait contempler parfaitement les autres terres hostiles qu’ils avaient traversées. Non seulement elle pouvait admirer le paysage en pensée, mais revivre également ces journées de voyage. Vraiment, comparées à ce voyage-là, ses premières semaines sur le continent, en Helmer et dans la Plaine, et qu’elle avait prises pour un incroyable périple, frôlaient la simple promenade.

De l’autre côté de l’Étendue, un désert aride les avait sèchement reçus. Après deux jours et une nuit passés à barboter dans l’eau salée, foulant de leurs pieds nus un sable doux et doré, ils s’étaient accordés de longues heures de sommeil sur la rive. Mais, hors de portée de la marée haute, le sol était aussi dur que du rocher, et à peine le soleil levé, tous s’étaient pris à regretter la fraîcheur de l’Étendue qu’ils avaient laissée derrière eux.

Après une journée entière à faire crisser leurs semelles à travers le désert, la silhouette trouble du massif était apparue sur la ligne d’horizon. Suivant les conseils avisés de leur guide, ils s’étaient acharnés toute cette nuit-là pour quitter le désert au plus vite, avant le retour du soleil, surtout. Épuisés, ils avaient pu, comme Enza l’avait prédit, se reposer au pied des montagnes. Un torrent clair et riche en poissons leur avait permis de se désaltérer, se laver, et reconstituer leurs réserves de nourriture épuisées dans le désert. L’atmosphère aurait presque pu être joyeuse s’ils n’avaient pas repéré les traces du précédent passage des armées de bannis.

Étendue. Désert. Montagnes. Marécages. Le royaume du Banni semblait gardé jalousement du reste du monde par la nature elle-même. Les terres désolées, avec chacune leur inhospitalité et leurs maux particuliers, se succédaient presque sans transition sur la route d’Uh’ak. Une route invisible, évidemment. Ou en tout cas elle l’avait été la plupart du temps, dans les marais notamment. À présent qu’ils entraient dans la lande, leur dernière étape avant d’atteindre la ville des bannis, la piste allait probablement redevenir visible.

− Les voilà, déclara Beherzt.

En effet, Atkos et Enza revenaient justement de leur mission de reconnaissance. Après plusieurs jours passés ensemble, ils formaient désormais une équipe d’éclaireurs efficace. Atkos observait depuis le ciel avec sa vue perçante d’Ailé, tandis qu’Enza faisait bon usage depuis le sol de ses talents pour le pistage.

Domy quitta le rocher sur lequel elle s’était assise, et Fenore interrompit les exercices qu’elle avait commencés. Depuis que Domy apprenait de son mieux l’Entraînement elfique, Fenore s’était mise à le pratiquer avec plus d’assiduité, comme si elle voulait se montrer à la hauteur de son rôle de mentor. Elle avait même demandé à Nesli de lui servir d’adversaire pour des simulacres de combats rapprochés. Après quelques soirées à grimacer des tâches rouges sur sa peau, Nesli avait fini par y mettre un peu plus du sien et s’était amélioré dans l’art de l’esquive. Domy avait suggéré qu’elles s’entraînent à combattre avec leurs Dons, mais Beherzt les en avait dissuadées. Il avait raison, leur maîtrise laissait trop à désirer, cela pourrait mal tourner. En outre, les Révélés n’utilisaient pas leurs pouvoirs contre autrui, c’était une loi connue de tous en Archangelsk. Certains disaient que ce précepte datait de l’Ancien Temps, qu’il en allait d’un certain équilibre du monde et de la nature. Concrètement, cette règle se trouvait dans le texte de loi de chaque royaume, une façon pour les Dirigeants de prévenir à l’exploitation militaire d’une partie toute désignée de la population.

Nesli avait toujours trouvé cette injonction un peu ridicule, mais depuis qu’elle savait ce que pouvait accomplir le Don du métal, elle ne pouvait que l’approuver. Serait-elle capable d’utiliser sa lance comme une arme si les circonstances l’exigeaient ? Théoriquement, ils agiraient dans la discrétion et éviteraient à tout prix une confrontation directe avec les bannis. Mais elle doutait que les choses ne se passent en tout point comme prévu. L’esquive ne serait peut-être pas toujours une option.

− Nesli, appela Beherzt.

Elle s’arracha à ses réflexions et rejoignit ses amis réunis près de leurs éclaireurs.

− Les traces sont complètement effacées par endroit, les informa Atkos, mais on devrait tout de même pouvoir les suivre sans trop de difficultés. 

− Elles vont nous indiquer le chemin le plus court à travers la brousse, renchérit Enza, jusqu’à la couronne rocheuse de la ville. Là, nous contournerons Uh’ak pour nous rendre directement à l’enclos.

C’était si étrange d’y être enfin. Ils allaient vraiment franchir le dernier obstacle, la dernière bande de terre sauvage avant d’atteindre Uh’ak. C’était effrayant, Nesli ne se sentait pas prête. Et en même temps, elle avait hâte. Ils allaient prendre l’ennemi par surprise et repartir aussi vite qu’ils étaient arrivés. Sauf qu’Enza ne repartirait pas avec eux.

Leur ami banni comptait bien rester vivre dans sa ville natale et prévoyait donc de se fondre discrètement dans la masse des humains qui étaient trop vieux ou trop jeunes pour prendre part à la conquête. S’il était attrapé avant d’avoir pu se cacher, le sort qui lui serait réservé en tant que déserteur n’aurait pas grand-chose à envier au leur si on découvrait d’où ils venaient. En bref, il risquait autant qu’eux dans cette affaire, et Nesli ne pouvait s’empêcher de trouver cette idée rassurante. De la même façon, l’idée de refaire le voyage du retour sans lui l’attristait un peu. Elle ne le connaissait pas aussi bien que le reste de ses amis, mais il faisait partie de leur groupe maintenant. Or bientôt ils se sépareraient, et elle ne saurait jamais ce qu’il deviendrait. Cela ne lui plaisait pas.

− Est-ce qu’on ne risque pas de rencontrer des bannis dans cette région ? demanda Beherzt.

− Les chasseurs-cueilleurs ne viennent pas au nord, répondit Enza. Nous serons tranquilles dans cette partie de la brousse.

Ce qu’il appelait « brousse » constituait le cœur du royaume du Banni. Cette région vallonnée, hérissée çà et là de buissons épineux, recouvrait une grande partie du territoire entre la zone des marais et une vaste couronne désertique qui la séparait du littoral. D’après Enza, ce désert-là était mille fois pire que celui qu’ils avaient traversé après l’Étendue. C’était de là-bas que les mammouths étaient miraculeusement venus. Peut-être bien qu’une fois libérées, les bêtes retourneraient s’y cacher. Quoi qu’il en soit, eux n’auraient pas à y mettre les pieds.

La brousse n’était pas inhospitalière à proprement parler, mais son paysage avait tout de même une allure sinistre. Quelques ruisseaux y circulaient discrètement, aussi silencieux que les serpents et autres animaux qui venaient s’y abreuver la nuit.

Parfois, des amas de rochers plus ou moins imposants tranchaient sur la monotonie de l’herbe rase et de la bruyère jaunâtre. Leur groupe se garda bien néanmoins de s’en approcher, car c’était là le repaire des coyotes et autres chacals qui y gardaient jalousement leurs portées et leurs proies. Quant aux lapins, bien maigres, à en juger d’après les rares spécimens que Nesli eut le temps d’apercevoir, ils se révélèrent malheureusement trop rapides pour l’arc d’Atkos. À la moindre alerte, ils se cachaient dans les innombrables terriers de la lande.

Un peu avant le coucher du soleil, leur petit groupe s’installa dans un creux entre deux dunes broussailleuses. Comme presque tous les jours, ils commencèrent à préparer le feu et le repas dans un silence fatigué. Une plainte s’éleva tout à coup dans la brousse.

− Des coyotes, commenta sobrement Enza.

Il continua de casser du bois sec pour Fenore sans se préoccuper plus longtemps des sinistres hurlements qui se répondaient de loin en loin. Il avait vraiment gagné en tranquillité depuis l’Observatoire. Nesli se souvenait très bien d’un homme nerveux, toujours aux aguets. Est-ce qu’il aurait été aussi serein sans leur présence à ses côtés dans ce voyage en terre sauvage ? Probablement pas.

− Ils ne vont pas venir nous visiter cette nuit au moins ? demanda Domyrade.

En guise d’exercice, elle se contentait aujourd’hui de faire passer la dague de Fenore d’une main à l’autre. La lame étincelait à chaque passage dans les airs. Nesli avait pris soin de rendre toutes leurs armes les plus aiguisées possible, y compris les pointes de flèches d’Atkos et les petites haches de Beherzt. Si elle avait su que Domy emprunterait le couteau de son mentor pour s’entraîner, Nesli l’aurait gardé un peu émoussé. Il ne manquerait plus que leur amie se blesse toute seule.

− Non, ils resteront à distance, répondit Enza. À condition qu’on ne les attire pas avec une odeur de viande rôtie.

Fenore releva la tête et les flammes s’élevèrent en même temps de leur feu de camp.

− Pas de viande ce soir ? s’apitoya-t-elle.

Enza secoua la tête avec un air d’excuse.

− Heureusement qu’il nous reste un bon paquet de panets, déclara Beherzt en brandissant le sac en question.

Atkos et Domy lâchèrent de concert un grognement dépité. Nesli ne put retenir un petit rire.

C’est vrai que les tubercules qu’Enza leur avait fait déterrer pendant des heures au pied des montagnes n’étaient pas aussi savoureux qu’un morceau de viande grillée, ni même que de bonnes vieilles pommes-de-terre. Ils avaient quand même le mérite de remplir leur estomac, et de faire grimacer Fenore de façon très comique.

Le sommeil leur tomba dessus en même temps que la nuit noire. À peine avaient-ils terminé d’avaler leurs panets que tout le monde s’installait pour dormir. Nesli se cala contre Domy qui avait pris l’habitude de se blottir près d’elle. Les autres n’étaient pas bien loin non plus, à vrai dire. Ils s’étaient tous rapprochés un peu plus les uns des autres au fil du voyage, même Atkos avec ses grandes ailes.

Nesli se concentra sur le concert de leurs respirations pour faire abstraction des glapissements et galopades sourdes des coyotes aux alentours.

 

***

Elle arriva la dernière au sommet de la butte et chercha des yeux la ville que tout le monde regardait. Mais elle ne vit rien d’autre qu’un lointain regroupement de collines rocailleuses, légèrement surplombé par un sommet rocheux qui se détachait sur le ciel de l’après-midi.

− Voilà Uh’ak.

 Cela confirmait ce qu’elle s’était répété bien des fois au cours de ce voyage : sans Enza, ils n’auraient jamais trouvé la ville des bannis.

Uh’ak n’avait rien de cette grande ombre, sombre et massive, que Nesli s’était longtemps imaginée. Pas de murailles hérissées, pas de drapeaux noirs flottant dans l’air sec du désert. La cité se fondait dans le décor.

− On ne la verra vraiment qu’une fois au sommet des collines qui l’entourent.

Ah, c’est vrai qu’ils étaient encore loin. Ils se remirent en marche.  Contrairement à ce que Nesli aurait cru, la cité des bannis ne gagna pas tout de suite en présence. À l’inverse, au fil de la journée, le dénivelé des landes fit souvent disparaître Uh’ak derrière les collines broussailleuses, si bien que la ville prit des airs de mirage. On distinguait bien le sommet, toutefois, qui aimantait aussitôt leur regard à tous dès qu’ils marchaient sur une hauteur de la lande.

Ils s’arrêtèrent justement pour la nuit au sommet d’une colline. Leur regard à tous était comme aimanté par cette forme lointaine qui constituait depuis tant de jours leur seul et unique objectif. À la lumière du crépuscule, Nesli vit passer sur le visage de Beherzt une expression qui tenait presque du soulagement. Comme si jusque-là, son ami avait secrètement douté de l’existence d’Uh’ak, ou peut-être du fait qu’ils puissent la voir un jour.

C’est vrai qu’il y avait là quelque chose qui tenait du miracle. Ils allaient enfin arriver. Tous ensemble, tous indemnes. Pourtant, Nesli n’arrivait pas à se réjouir le moins du monde. L’inquiétude grandissait. Dans quoi s’étaient-ils embarqués ?

 

***

 

L’atmosphère de leur groupe n’avait jamais été aussi sombre, comme si la présence d’Uh’ak à quelques lieues de là projetait vraiment sur eux une ombre sinistre. Concrètement, ils étaient bel et bien plongés dans l’obscurité. Enza les avait fait s’arrêter au creux d’un vallon que n’atteignait pas les derniers rayons du soleil. En dépit de ce renfoncement, faire du feu aussi près de la ville représentait un risque trop grand. Ils se tenaient donc simplement assis en cercle, croquant du bout des dents leur ration de légume et de viande séchée.

La voix de Domyrade rompit le silence pesant du repas :

− Vous ne croyez pas que ce serait quand même bien de lancer une mission de repérage ce soir ?

− Les ailes d’Atkos sont trop repérables, trancha Beherzt.

− Je pourrais y aller avec Enza.

− Non, ce serait une prise de risque complètement inutile.

− Mais c’est stupide de rester sans rien faire !

− Ça suffit, Domy, s’énerva Beherzt. Grâce à Enza nous savons très bien où nous mettons les pieds, nous savons quel chemin prendre pour atteindre l’enclos. Aller se promener de nuit sur un terrain que les bannis connaissent bien mieux que nous, voilà qui serait stupide !

− Et il y a des serpents venimeux la nuit, renchérit Enza.

Domy se renfrogna. Depuis qu’Enza leur avait expliqué le plan tout en traçant sur le sable un schéma de la zone, leur amie avait l’air impatiente d’en découdre. Elle les croyait invincibles, ne doutait pas un instant du succès de leur mission, tout comme Enza.

Pourtant, il restait encore un nombre inquiétant d’inconnues dans leur plan. Pour commencer, Enza n’avait aucune idée de la quantité de gardes assignés à la surveillance de l’enclos. Ils misaient tout sur l’effet de surprise, mais serait-ce suffisant ?

Ils ignoraient aussi la manière dont les bannis comptaient faire sortir les mammouths. Enza parlait d’un espace naturellement clos par des falaises, que les bannis auraient utilisé pour y enfermer les bêtes légendaires. Peut-être qu’ils n’arriveraient pas à l’ouvrir pour leur rendre leur liberté. Atkos avait suggéré de les tuer purement et simplement si les circonstances l’exigeaient. Sa remarque avait arraché un rire jaune à Enza. Non, ils ne pourraient jamais arriver à bout de cette horde de monstres. Même vingt flèches plantées dans leur toison ne leur faisaient presque rien. Même le plus virulent des poisons ne pourrait venir à bout de leur organisme gigantesque.

Mais s’il s’agissait seulement de les rendre à la vie sauvage, Enza ne montrait plus aucune réserve. Ils leur rappelaient régulièrement à quel point leur groupe recelait de ressources incroyables. Après tout, ils étaient arrivés jusqu’ici !

Peut-être qu’il avait raison. Seulement, même en ignorant toutes les failles rationnelles de leur plan, Nesli se sentait plombée de l’intérieur par un affreux pressentiment. Elle chercha autour d’elle le regard réconfortant de Beherzt, mais la pénombre grisait tous les visages. Le soir où elle en aurait eu le plus besoin, les flammes n’étaient pas là pour éclairer le visage de ses amis. Nesli enroula ses bras autour d’elle dans une tentative de chasser la boule au creux de son ventre.

 

***

 

Elle se retourna une énième fois pour chercher le sommeil. À côté d’elle, Domy s’agita légèrement. Elle s’était endormie comme une masse et rêvait sûrement déjà de leur libération héroïque des mammouths qui empêcherait une armée d’aller dévaster leurs royaumes. Leurs royaumes… Est-ce que vraiment la Ruissolvie serait touchée par ce conflit ? Son peuple s’était retiré du combat lors de la dernière guerre. Est-ce que les bannis incluaient l’île dans leur projet de conquête ? On ne savait pas.

Nesli se recroquevilla. Les souvenirs de l’attaque du clan lui criaient de rendre justice, d’empêcher la mort d’autres innocents. Dans le même temps, elle n’arrivait pas à se défaire de l’idée qu’elle se mêlait d’une histoire qui ne la regardait pas. Pire que tout, elle avait l’horrible impression de trahir la promesse qu’elle avait faite à sa famille et à Cyren. Et s’ils ne se sortaient pas vivants de ce périple ? Si elle ne revenait jamais.

Nesli se redressa pour chercher de l’air. Assise au milieu des silhouettes allongées, elle laissa errer son regard vers le ciel étoilé. La lune irradiait de blancheur. Un mouvement ramena son attention sur ses amis endormis. Quelqu’un s’était levé comme elle. Elle reconnut sans mal la stature d’Enza et le regarda se hisser silencieusement sur ses pieds. C’est alors qu’elle remarqua la petite lumière orangée qui oscillait non loin dans le vallon. Il y avait quelqu’un là-bas avec une torche. Et Enza se dirigeait vers cette personne.

Le cœur battant, Nesli attrapa sa lance et se coula le plus discrètement possible à sa suite. Tout en restant à distance prudente, elle observa Enza rejoindre la mystérieuse silhouette assise près d’un rocher. Il s’assit à côté de l’inconnu et Nesli n’eut d’autre choix que de se rapprocher pour comprendre ce qu’il se passait.

Elle ne savait pas exactement à quoi elle s’attendait, mais pas à découvrir à la lueur des flammes le visage de Fenore. Son amie avait allumé un feu minuscule à partir de presque rien et le manipulait distraitement tout en discutant à voix basse avec Enza des fossés.

− Je n’arrivais pas à dormir à cause du stress, mais le Don m’apaise.

− Je comprends, mon père faisait la même chose.

− Ton père était Révélé ?

− Non, potier. Il se levait la nuit pour sculpter la glaise.

− Le mien sculptait le bois, parfois. Quand il avait du temps.

Ils remarquèrent sa présence à ce moment-là. Nesli franchit les quelques pas qui les séparaient encore et ses deux amis ne firent aucun commentaire tandis qu’elle s’asseyait en tailleur à côté d’eux. Après un moment de silence, Enza s’enquit en désignant sa lance :

− Toi aussi tu garde du métal avec toi pour t’apaiser ?

Elle n’osa pas lui avouer les soupçons qui l’avaient traversée.

− Oui, répondit-elle dans un souffle.

− Vous ne devriez pas vous faire autant de soucis, déclara Enza avec un regard presque attendri. Tout va bien se passer, je le sais. Nous allons réussir et arrêter cette folie.

− Je m’en fiche si nous échouons, avoua Fenore en fixant le feu qui ondulait entre ses mains. J’ai plus peur qu’il arrive un malheur à l’un d’entre nous.

Le reflet des flammèches dansait dans le rose pâle de ses iris. C’était la première fois que Nesli la voyait s’ouvrir avec une telle intensité.

− Peut-être que ce sera toi, compléta son amie à l’attention d’Enza.

− Peut-être, admit-il doucement.

− Nous sommes si près maintenant. Tu n’as pas envie de rentrer chez toi ?

− Je vais rentrer chez moi après notre mission.

− Mais si tu nous livrais maintenant, tu serais vu comme un héros.

Nesli restait interloquée. À quoi jouait Fenore ? Son amie gardait son regard rivé aux flammes, elle avait l’air de parler sans réfléchir, et en même temps, ses mots venaient du fond du cœur, cela ne faisait aucun doute.

− Qui ne donnerait pas n’importe quoi pour regagner les faveurs de son peuple ? conclut-elle avec une note de tristesse.

C’est vrai qu’elle était aussi une fugitive, condamnée à l’exil loin de son village. Enfin, elle avait beau rapprocher la situation d’Enza de la sienne, ce n’était pas très malin d’inciter leur nouvel ami à les trahir.

− Je n’en ai rien à faire de l’honneur, répondit Enza avec la même honnêteté spontanée. Peu importe ce que les autres pensent de moi, je veux simplement vivre en paix.

Il fit une pause avant d’ajouter avec lenteur :

− Je préfère vivre caché dans ma propre cité que de vous dénoncer pour me blanchir et prendre le risque d’être condamné malgré tout pour ma trahison.

Dans la clarté de la nuit sans nuages, malgré l’ombre que projetaient sur son front ses mèches noires, le visage d’Enza des fossés frémissait à vue d’œil. La simple évocation de ce que lui vaudrait sa désertion l’effrayait violemment, bien plus même que ne l’avait fait l’attaque de Goran à l’observatoire.

− Je ne suis qu’un lâche, expira-t-il en s’enterrant dans ses grandes mains.

L’une des paumes de Fenore abandonna les flammes pour venir se poser sur l’épaule d’Enza.

− Non, tu as du courage, déclara Nesli. Tu as pris des risques en nous parlant de la conquête en dépit de la présence de Goran. Tu as décidé d’agir. Tu nous as fait confiance à nous, des étrangers, et tu nous as amenés jusqu’à ta cité. Nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher cette guerre. Ensemble, nous allons donner du sens à tout ce qui nous a menés jusqu’ici.

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_HP_
Posté le 06/12/2020
Coucou !

"Les six voyageurs, en brandissant lance et torches, armés également de cris et de pas lourds sur le sol, s’étaient donné l’air assez dangereux pour traverser sans mauvaises rencontres le sombre tunnel sous la montagne." J'ai tellement, tellement imaginé la scène 🤣🤣🤣🤣🤣🤣🤣

Ca me fait un peu drôle, maintenant que j'ai vu tes dessins, de mettre un visage sur chaque personnage ^^ (généralement j'ai du mal à visualiser un personnage lors d'une lecture 😅)

Je me demande à quel moment les routes des Révélés et des Dirigeants vont se croiser, et comment ça va se passer ^^ J'ai peur que ça ne se retourne un peu contre eux, même s'ils poursuivent le même objectif.

'Nesli se sentait plombée de l’intérieur par un affreux pressentiment." Moi z'aussi 😬😬😬

J'ai cru qu'Enza les avait trahiiii, ahhh, méchante Hinataaa 😭 Je SAIS que c'était ton but 😭👀
Après, tu me connais, je vois toujours de la romance partout, j'ai cru que c'était un rendez-vous secret entre Fenore et Enza... Mais non, toujours pas ! 😭
Je suis fâchée ! *croise les bras et boude*

(non, en vrai, je suis impatiente ! *cours vers le prochain chapitre (enfin le bouton)*)


"Et s’ils ne se sortaient pas vivants de ce périple ? Si elle ne revenait jamais." → je mettrais un point d'interrogation à la deuxième phrase ^^
Hinata
Posté le 06/12/2020
Saluuut !!

Yaaaay plein d'émoji partout partout ^^
Haha, je suis contente que cette simple petite phrase ait suffi à te faire voir la scène XD

Ah ha, le vrai croisement des deux niveaux de l'intrigue (Révélés / Dirigeants), je comprends que ça attise la curiosité, je ne dirai rien, mais sache qu'à ce stade tu ne peux même pas imaginer comment ça va se passer :smirk:

Mouahaha, ouais je me suis bien amusée à écrire ce passage, ravie que ça fasse son petit effet !
Nan mais c'est bien que y ait pas de la romance partout où t'en voudrais, comme ça le jour où ça débarque tu seras vraiment contente héhé

Bien vu pour la ponctuation!

Bon bah sur ce, je file lire et répondre à touuuus les comms que t'as laissé, huhu j'ai hâte ^^
Xendor
Posté le 12/10/2020
Coucou Hina ! Pardon pour ce retard.

Je suis assez d'accord avec Nesli, Enza pourraît très bien se retourner contre eux maintenant qu'il est dans son élément. J'attends de voir comment il va évoluer de ce côté-là. J'espère que pour Enza, être aux côtés des Révélés aura plus de valeur que d'être réintroduit parmi les siens. À propos, je n'ai pas compris : quand il disait retourner chez lui après le sabotage des plans de Murne, il va vraiment y retourner ? N'y a-t-il pas un risque qu'il soit démasqué et pendu haut et cours ?

Concernant l'utilisation des dons pour la guerre, j'ai la très grosse impression que Murne ne s'embarrassera pas des conventions entre dirigeants à ce propos ... Je comprend un peu mieux sa confiance vis-à-vis de son plan. Bien que, quand même, je reste convaincu que si Splendor prend la tête de l'opposition sur le plan stratégique, intelligent comme il est il pourrait réduire les plans de Murne à néant malgré les avantages apparents qu'il possède. Enfin, je théorise beaucoup mais c'est l'impression que je retire ^^

Courage pour la suite !
Hinata
Posté le 12/10/2020
Coucou ! Mais non ne t'en fais pas, il n'y pas d'impératif de temps voyons ! Je suis déjà si reconnaissante de recevoir un commentaire à chaque chapitre !

Ce que je peux te dire, c'est qu'il compte vraiment y retourner en effet... Il a l'intention de se cacher, et de fait le risque d'être démasqué et condamné pour sa désertion existe mais il accepte de le courir car vivre à Uh'ak est la seule existence qu'il envisage à vrai dire...

Murn a trouvé quelques utilités aux Dons, il est vrai, mais peut-être pas dans la mesure où on pourrait l'imaginer... En fait les Révélés ont beau avoir du potentiel de manière générale, leurs pouvoirs demandent un apprentissage et des efforts considérables pour être manipulés à leur guise et avec de la puissance suffisante... Ce ne sont pas des forces de frappe, et cela pompe l'énergie de façon terrible... Bon du coup j'ai l'impression de spoiler un peu beaucoup le fait que non, haha, les Révélés ne seront pas utilisés pendant la guerre, sorry ^^

Haha, ça m'étonne/amuse que tu ait perçu Splendor comme une personne intelligente XD Enfin tant mieux pour lui, et puis c'est vrai qu'il est pas tout à fait stupide non plus... En tout cas c'est pas un grand décisionnaire dans l'âme, ça je peux te l'assure ;)

Merci, je continue vaillamment ! On arrive sur le début de la fiiin > <
Xendor
Posté le 12/10/2020
Scandale et choucroutte garnie ! Du spoil ^^ Aucun soucis Hina, tu fais bien de le dire à côté.

Oui, pour moi Splendor est la personne badasse d'Archanglesk. C'est l'impression que je me suis fait de lui, et de ce que tu me dis je suis conforté. Même si ce n'est pas le plus intelligent - comme tu le disais - il est capable de prendre des décisions. Et ça, c'est la base.

Un énorme courage !!!!
Notsil
Posté le 07/10/2020
Coucou !

La fin du périple approche !
C'était intéressant tous ces questionnements sur la suite de leur grand projet. Enza semble plus fiable :)
Je me demande quand même si libérer les mammouths ne va pas être une grosse grosse bêtise, genre qu'ils vont aller tout dévaster... ^^
Hinata
Posté le 09/10/2020
Heey !
Oui, on va (enfin) atteindre le point culminant de ce tome pour nos héros ^^
Haha, ça y est, Enza t'a convaincue alors ?
Ton mauvais pressentiment me plaît bien héhé, je te laisse découvrir la suite très bientôt ;)
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