4: Amicalités prémonitoires

Devant le palais d'Irisàj, entrent EREMNÉO, costumé ; SANY, ZYNNTOLI, avec cinq ou six autres personnes masquées; des gens portant des torches, et des musiciens.

 

EREMNÉO

Il y a du monde par ces champs-là. Tout le monde est sur ses plus beaux atours.

 

ZYNNTOLI

Quand je fais le tour, en effet. Il y a du grain du moudre parmi l'ivraie des graminées. Une fois séparées, les jolies fleurs se feront cueillir facilement avec mon bon talent. Défaisons le jeu des manigances des courtisans et endossons des rôles très charmants. Passons à l'acte. Moi, beau bavardeur et vous, expérimentés souffleurs. Foi de metteur en branle. Nos bronches ne seront pas essoufflées par certains plaisantins.

 

SANY

Bah ! Que nenni en ta dorure ! Je te rabattrais les oreilles ! L'habitude fait l'homme comme l'homme fait d'habitude. Sauf respect, tu n'es pas prude. Ne me clairsème l'exactitude de mes propos en étant rude.

 

EREMNÉO

Comment cela ?!

 

SANY

Je veux signifier que ce messire est une charmante face et un doux sourire. Comme certains courtisans qu'il critique, il suit leur rythmique. Tu tut... Ces paroles sont justes au pire. Pourquoi devrais-tu les médire ?

 

ZYNNTOLI

À moitié raison. À moitié tort. Je ne consume pas ma Nuance en de fugaces représentations. C'est pour oublier ma distinction. Leurs parures sont tels des stigmates de coulure. Ils veulent briller face à l'empereur. C'est en pure perte. En pleine nuit, il ne saurait les observer car il déteste leur superficialité.

 

SANY

Voilà la différence entre toi et eux qui m'ait éclairé. Alors, ne tenez pas compte de ma pensée. À aller à la Fête des Teinteries, notre mérite à nous est dix fois meilleure que le leur.

 

EREMNÉO

Qu'importe les cicatrices ! Un masque reste un masque ! Peu importe qu'il soit fissuré. Cependant, il est mieux aisé de ne pas le porter. Qu'importe les laideurs !

 

SANY

Peut-on savoir pourquoi tu t'enlaidis ?

 

EREMNÉO

Je me suis cauchemardé cette nuit.

 

SANY

Tiens ! Toi aussi ?

 

ZYNNTOLI, la mine coquine,

Un songe commun est un fantasme liber...

 

SANY

Taire ! Il faut te taire. Tu ne veux pas nous mettre dedans !

 

ZYNNTOLI

Quoi ? Dans le lit où tout le monde dort. Où tout le monde dort dans le lit. De la rivière des idées, bien sûr.

 

SANY

Oh ! Que ta fatigue me compte ma mine ! Le fait d'une visite est compromise si tu souffles la bise. Comme hier où un monstre m'insufflait presque l'hiver. Au vent mauvais, j'en porte blême ma Teinte Cuivrée. Au dessus de moi, la mélodie m'a très vite charmé. Je ne sais pas ce qu'elle en était. Néanmoins, j'étais enivré et hypnotisé. La langueur monotone et une larme dissone. Je réalisais bien trop tard que c'était la mienne. Le sanglot de mon cœur faisait sienne. Suffocant, je me souvenais de mon état. J'étais complètement en désarroi. J'ai grincé comme un violon. J'étais allongé sur mon petit bidon. Aplati telle une feuille morte, j'étais arrimé de la sorte. Cet escogriffe m'escaladant, la griffe me lacérant. Que ce soit l'esprit, pire que le corps. J'étais assoupi à un terrible sort. Sonne l'heure de minuit et les démons sont assouvis. Leurs lèvres sont sèches et leur visage est gris. Leurs voiles glissent sur leur corps svelte et terni. C’est dans cet apparat qu’ils chevauchent de nuit en nuit à travers les cerveaux des conquis. C'est alors qui rêvent de de dorures, de tentures et de luxure. Ils durcissent le nœud gordien jusqu'à ce soit pire qu'une brûlure. Ils infléchissent le dilemme tellement ils aiment. Les poitrails veulent se faire pincer les tétons délictueux. Les ingénues lèvres rêvent de baisers langoureux. Et les plus dévergondés veulent l'allégresse en eux. Ces mauvais esprits déploient des charmes exquis pour profiter des endormis. Si le badaud ne prend garde, ils ponctionnent la Nuance de nuit et boivent la coupe jusqu'à la lie.

 

EREMNÉO

Paix, paix, SANY, paix. Calme la chaleur qui t'incombe !

 

SANY

En effet, je parle de ces songes prémonitoires qui s'aggripent un ou chaque soir. Seraient-ce ceux d'un cerveau d'un fou ou d'un savant ? Ou d'un savant fou ? Je ne saurais engendrer une explication car moi-même, je suis dans la compromission. Tout a une heure même la divination.

 

ZYNNTOLI, légèrement moqueur,

Tu sais ce que je devine, moi, Sany ?

 

SANY, dubitatif et intrigué,

Quoi ? Dis-moi donc Zynntoli.

 

ZYNNTOLI

C'est qu'on va à écumer cette fête galante à se mettre plein dans des cruches !

 

SANY, en colère puis exaspéré,

Qu’on me donne le fouet pour le faire battre ! ... Ne sois pas si prompt à rentrer dans ceux qui te remonteront le sens du poil !

 

ZYNNTOLI

Ah ! Mon pieux Sany. Tu es trop doux avec ces brebis galeuses qui vêtent de ténébreux loups.

 

EREMNÉO

À ne pas croire ce que tu pris pour les plus dangereux ennemis. Je suis plutôt dans une voie contraire à toi. Il faut aller à travers les apparences et faire preuve de diligence.

 

SANY

À ce que je vois, vous êtes aussi amoureux de la gentilité courtisane que de la velléité à montrer blanche balzane. Vous portez haut vol aux convenances et vous ne trouvez pas sa redevance.

 

EREMNÉO

La seule qui compte est celle que je dois à ma bien-aimée. Sans elle, je ne saurais m'élancer sur les ailes légères d'une cavalcade d'Amour. En filant des ruades, ce manque de tendresse me met au pas et me foudroie telle une comète.

 

ZYNNTOLI

Puisqu'on est au fouet, prenons la cravache pour maîtriser ce belliqueux équidé.

 

EREMNÉO

Voyons, Zynntoli ! L'Amour est délicat et ne se mate pas comme ça. Il faut de la patience et de la clairvoyance pour avoir une chance.

 

SANY

En effet, l'Amour mord subitement mais il ne faut pas lui montrer les dents. C'est un jeu de séduction brutal mais il est interdit d'écorcher les limites, à aller trop vite. Pour moi, c'est la malice qui le dompterait et tu vas y arriver.. (Aux valets.) Donnez-moi un masque que j'y laisse un souhait ! (Il se couvre le visage.)

 

ZYNNTOLI

Allons, frappons et entrons. Aussitôt dedans, que chacun ait recours à sa raison.

 

EREMNÉO

À moi la logique même si, en rien l'Amour l'explique. Peut-être en accomplissant ce que je dois faire, je pourrais percer bien des mystères. En signant le miracle, plus aucun malaise me fera obstacle. Que les galants portent les brillants ébats. Moi, je serais dans un autre éclat.

 

ZYNNTOLI

Tu vas voir, Eremnéo. Battre le champ va te mettre une mine des plus beaux ! (Ils sortent.)

 

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