4 : Après

Par EmmaLy
Notes de l’auteur : Carina veut dire mignonne/ma mignonne en italien

Ce n’est que quand je trouvai ma place dans le troisième train que je commençais à me détendre. J’avais déjà passé deux frontières et même si je trajet allait bien me prendre encore une journée, j’étais heureuse que tout ceci soit terminé. Enfin. Je crois que même à ce moment-là, je n’avais pas d’illusions sur le fait que ce n’était pas terminé. J’avais lu Dracula de Bram Stocker. Et, même si je refusais de me l’avouer, je savais que tout comme le personnage du célèbre romancier, j’étais marquée et les choses allaient forcément être différentes.

Comme pour confirmer cette idée, les retrouvailles avec Gabriel et Juliette furent assez tièdes. Juliette était malade et ne cessait de vomir. Gabriel voyait bien que j’avais besoin de repos alors il m’envoya me coucher tandis qu’il s’occupait de laver, changer et recoucher notre fille. Même une fois dans mon lit et malgré ma fatigue, je ne parvins pas à dormir. À quel moment étais-je devenue si inutile ? Je ne dormais toujours pas lorsque Gabriel vint s’allonger à côté de moi. Mais je feignis le sommeil. Il devait être épuisé. Cela faisait des semaines qu’il gérait tout dans la maison, en plus de mes coups de fils impromptus à toute heure du jour et de la nuit. Je m'efforçais de refouler la panique qui me gagnait. Une fois de plus, je l'avais abandonné. A ce moment-là, je ne savais pas encore qu’il avait appelé à la rescousse la plupart de mes copines et qu’elles l’aidaient plusieurs fois par semaine. J’ignorais encore comment les choses s’étaient déroulées et je me sentais coupable d’en avoir demandé autant. En plus de ça il allait reprendre le boulot d’ici quelques semaines. Il avait sans doute mieux à faire que d’écouter mes jérémiades toute la nuit. Il pouvait commencer par rattraper les heures de sommeil qui devaient lui manquer. J’attendis qu’il s’endorme et me blottit contre lui. Ce sentiment de chaleur et de sécurité m’avait tellement manqué.

Je restais blottie dans ses bras un long moment sans être capable de dormir. J’écoutais les bruits de la maison, le petit tic tic du chauffage, une voiture qui passait dans la rue, un chien qui aboyait non loin, le ronron de la chaudière qui préparait déjà l’eau chaude pour la douche du matin. Je connaissais par cœur chaque petit bruit de notre chez nous. Je me mis à suivre des yeux les guirlandes qui décoraient les murs de notre chambre. Je comptais les petites loupiottes qui scintillaient d’une lumière douce, et m’endormit sans m’en rendre compte.

Je dormis d’un trait et me réveillai toujours dans les bras de Gabriel. Sa main caressait doucement mes cheveux. Il n’était pas toujours simple de savoir s’il était éveillé ou si sa main avait simplement trouvé mes cheveux dans son sommeil. Je souris en pensant à toutes les fois où il m’avait rassurée après un cauchemar sans même avoir à se réveiller. Lorsque sa main cessa son va-et-vient rassurant, je soupirai. Il dormait encore. Je me blottis contre lui prête à me rendormir pour quelques minutes encore quand je le sentis se crisper contre moi. Je restai aux aguets. Quelques minutes plus tard, il était réveillé et me serrait très fort contre lui.

- Qu’est-ce qui ne va pas ? demandai-je.

- Rien. Un mauvais rêve.

Nous avions une règle tacite. Il ne me racontait jamais ses cauchemars lorsque ceux-ci me concernaient. Au début, on s’en fichait. Mais après quelques cauchemars qu’il avait faits où il me voyait mourir de mort violente, le plus souvent juste devant lui sans qu’il soit capable de faire quoi que ce soit, il avait fini par me filer des angoisses. Alors il ne me racontait plus ces rêves-là. La façon dont il me serrait contre lui comme s’il avait cru ne jamais me revoir et dont il était resté évasif ne laissait pas de doute sur le scénario du fameux cauchemar.

Après avoir profité encore un peu de la chaleur de son étreinte je filai à la douche et me préparai pour aller au bureau. Je n’avais pas d’illusion. Marco allait me négocier un départ à l’amiable aux petits oignons, certainement. Ce n’était pas un mauvais gars. Et ce n’était pas non plus comme s’il avait le choix. Il ne pouvait pas simplement envoyer ses supérieurs se faire foutre. S’ils avaient décidé de me sortir du circuit, ce n’était pas lui qui pouvait changer ça.

Mon passage dans l’open space fut bref. Je récupérai les quelques affaires que j’avais laissé à mon bureau en vue de ma reprise. Mais j’avais déjà emporté l’essentiel de mes affaires avant mon congé mat pour faire de la place à Laura. Elle me regardait avec un air de chien battu tandis que je récupérai ma boîte à trombone en forme de Lucky cat. Lucky cat tu parles. J’essuyais les quelques blagues sur mes ‘’vacances’’ en Transylvanie. Certains semblaient ignorer encore que je ne faisais que passer. Je ne parlai pas de l’incident de l’hôtel à Marco. Ça n’aurait rien changé et je ne voulais pas avoir l’air de vouloir l’apitoyer sur mon sort. D’après ce que de nombreuses connaissances me dirent plus tard, j’aurais sans doute pu faire augmenter mes indemnités. Le taf m’avait mise en danger et j’étais en position de force pour la négociation. Mais je n’avais aucune envie de négocier. En fait c’est même Marco qui se chargea de ça. Il se contenta de me transmettre les propositions avec des conseils.

Je le croisais en coup de vent ce matin-là. Malgré la lenteur et le calme qui émanaient toujours de lui, il était toujours pressé. Un peu comme une tortue championne de Ferrari. Il s’arrêta un instant, pris le temps de croiser mon regard.

- Carina, je suis désolé. Je vais faire ce que je peux pour que t’aies de quoi payer tes cadeaux de Noël.

Je ne répondis rien et hochai les épaules. Il voyait bien que quelque chose me travaillait mais, comme toujours, il était pressé. Je le vis peser le pour et le contre. Le rendez-vous, sans doute important, où il devait se rendre et la culpabilité qui le poussait à offrir un verre à une bientôt ancienne collègue déprimée. Il tourna les talons. Je n’étais pas autrement surprise. Marco était un mec en or. Mais il était aussi un peu trop pragmatique.

Aux quelques collègues -- eux aussi pragmatiques -- qui avaient déjà deviné ma disgrâce et qui s’empressaient de me souhaiter bon courage, de me conseiller untel ou unetelle pour un nouveau poste, je ne racontai pas non plus ce qui s’était passé à Bran. En fait, je crois que la seule personne à qui je mentionnai l’incident du verre pilé ce matin-là fut Laura. Ce qui passe encore aujourd’hui au journal pour une mesquine tentative d’intimidation de ma part pour récupérer mon poste n’était en fait que pure distraction de ma part.

Tandis que je me penchais pour atteindre le dernier tiroir du bureau et vérifier que j’avais bien vidé de toute trace de ma présence ledit bureau, mon pull trop court remonta un peu, laissant apparaître mon dos constellé des marques qu’avaient laissé les éclats de verre sur lesquels je m’étais si imprudemment allongée. Laura, que j’intimidais de toute évidence par ma simple présence -- ce qui, au vu de la situation, n’était pas non plus farfelu -- se tenait derrière moi, les mains jointes un peu comme si elle allait réciter une poésie. Elle me racontait je ne sais quoi, je ne sais plus si à ce moment-là elle m’expliquait toutes les raisons qui faisaient qu’elle ne pouvait pas refuser le poste ou si elle était en train de s’excuser mais elle vit les traces dans mon dos. En fait, je ne pris pas vraiment la décision de lui en parler. C’est-à-dire qu’elle me posa la question et comme j’étais en mode automatique ce matin-là pour éviter de péter une durite, je répondis. Elle fut horrifiée mais je lui répondis qu’après tout, cela ne m’était arrivé qu’une fois dans ma carrière et qu’il y avait peu de risques que ça lui arrive aussi.

Après avoir quitté le bureau je ne rentrais pas directement. Je ne me sentais pas prête à affronter Gabriel et Juliette dans leur monde si différent des limbes dans lesquelles je m’enfonçais. Ce n’est que lorsqu’il m’envoya un message pour me prévenir qu’ils sortaient voir les illuminations des vitrines de Noël que je pus enfin rentrer. Je m’affalai sur le canapé. J’aurais bien eu besoin d’un bon thé mais malheureusement, malgré les nombreuses fonctionnalités de notre bouilloire dernier cri elle ne s’allumait pas lorsqu’on la regardait. Je restais là un moment. Lorsque je me levais finalement ce fut pour ramasser quelques jouets qui traînaient sur le tapis de jeu et autour. Il y avait un peu de bazar dans l’appartement. Ce n’était pas non plus catastrophique. Les jouets de Juliette dispersés un peu partout. Quelques courriers que Gabriel n’avait pas ouverts et avait laissé sur le meuble de l’entrée. Une armada de manteaux qui faisaient pencher le porte-manteau. Je rangeais distraitement les vestes d’été que Gabriel n’avait pas pensé à remettre au placard. À croire que je ne pouvais pas m’en empêcher.

Ma période de préavis fut un genre de calvaire. J’utilisai Juliette comme excuse pour bosser de chez moi. J’envoyais quelques articles sans grande envergure pour la forme, puisqu’en théorie je travaillais encore au journal. Sitôt que je fus officiellement au chômage je profitais de la période de préparation des fêtes de Noël pour enchaîner les missions d’intérim. Il n’y avait rien d’ambitieux ni de stimulant dans ce que je faisais mais au moins j’étais occupée et suffisamment exténuée le soir pour m’écrouler dès que je me couchai. Je dormais mal. Je n’étais pas la seule. Gabriel faisait des cauchemars chaque nuit. Il avait fini par rompre notre règle et m’avait raconté son cauchemar qui hantait chacune de ses nuits depuis que j’étais rentrée. Chaque nuit il me voyait enterrée vivante, m’étouffant, asphyxiant dans une terre noire et humide. Je le rassurai comme je pouvais mais plus le temps passait plus le moment du coucher devenait un moment de tension. C’est à ce moment-là que je repris plus ou moins mon rôle de mère auprès de Juliette.

Les cauchemars rendaient Gabriel de plus en plus anxieux et bien que jusqu’alors Juliette ait semblé complètement insensible à nos angoisses vespérales, je décidais de prendre le relai pour le coucher. Je lui lisais des histoires. Au début Gabriel restait dans l’encadrement de la porte et écoutait. J’avais toujours aimé lire et raconter des histoires. Ces agréables moments de calme m’aidaient. Mais ne duraient jamais assez longtemps. Les mondes merveilleux que je racontais à Juliette m’étaient aussi nécessaires qu’à elle.

Le problème des fêtes de fin d’année c’est qu’on voit davantage ses proches et qu’ils ont également davantage le loisir de deviner ce que vous pensez que lors de l’habituel et lacunaire coup de fil hebdomadaire. En l’occurrence, ma mère et mes sœurs furent assez épuisantes car elles me questionnèrent assez longuement et lorsque j’abandonnais et leur expliquaient ce qui était arrivé. C’était la première fois que je narrais en détail ce qu’il s’était passé depuis cette fameuse nuit où j’avais appelé Gabriel en pleurs.

Juliette jouait dans le salon avec ses cousines et lorsque j’eus fini de raconter le silence s’abattit sur la salle à manger. Je savais déjà ce qu’ils pensaient tous. Lorsque j’étais fatiguée, ma vision des choses étaient déformées. Enfant parfois je confondais fiction et réalité, peut-être était-ce revenu. Contrairement à ce à quoi je m’attendais, personne ne répondit frontalement. Gabriel changea le sujet en parlant de sa reprise du taf d’ici une semaine. Oui ça allait être un grand changement. Oui bien sûr il était content de reprendre. Mais Juliette allait lui manquer, évidemment oui. Ça tombait bien que je sois au chômage temporairement. Oui c’était plus simple comme ça. Je me noyais dans ces paroles plus ou moins vides. Je savais que je n’aurais pas dû les trouver vides. Je savais qu’on parlait de Juliette et que les problèmes de garde auraient dû me préoccuper davantage.

La semaine suivante Gabriel reprit le travail comme prévu. Il me proposa néanmoins de décaler. Mais je savais qu’il avait besoin de reprendre. Je crois que, bien que je ne fus pas si enthousiaste à ce moment-là, m’occuper de Juliette toute la journée m’aidait beaucoup. Je me souviens de ces paresseuses après-midi de janvier où telles deux petits chats nous faisions la sieste dans un rayon de soleil qui tombait de la fenêtre jusque sur le lit. Les cauchemars de Gabriel cessèrent peu de temps après qu’il ai repris le travail, ça lui faisait du bien de sortir. Quant à moi, je commençais à passer à autre chose. Bien sûr ma vie n’était plus ce qu’elle était avant toute cette histoire. Je recommençais à chercher un boulot de journaliste avec une certaine assiduité. En attendant je donnais des cours particuliers par-ci par-là et, bien sûr, je m’occupais de Juliette. Mais j’étais bien loin d’avoir le caractère placide de Gabriel et sans ces cours particuliers, je n’aurais pas supporté. Un petit tour au parc ou au supermarché de temps à autre était loin de me suffire comme sortie. J’avais besoin de voir des gens.

J’avais découvert pendant mes études l’univers des petits boulots, des babysittings et des cours particuliers. J’adorais ça. On m’avait souvent dit que je faisais trop confiance aux gens ou que je m’attachai trop à eux. C’était vrai. Malgré mon caractère de cochon, j’adorais rencontrer des gens. J’adorai écouter leurs problèmes, leurs petits soucis et, lorsque je le pouvais, donner quelques conseils, tenter d’aider à ma façon. J’avais une tendresse toute particulière pour ces gens dont je connaissais finalement bien peu de choses mais dont j’avais vu la maison, les enfants, que j’aidais comme je le pouvais.

Je maîtrisai largement la plupart des matières jusqu’au niveau début lycée mais je me sentais surtout à l’aise pour donner des cours de conversation anglaise. J’aimais voir mes élèves, des collégiens le plus souvent, un peu bredouillant au début, progresser et après quelques séances être capables d’inventer une histoire en anglais en impro totale. Seul problème, j’étais toujours obligée d’emmener Juliette avec moi. La plupart du temps, elle dormait dans son couffin ou jouait sagement. Je trouvais assez incroyable que cette enfant soit si calme sachant qu’elle était ma fille. Elle devait avoir hérité du caractère complaisant de son père. Même si Juliette se faisait discrète, certaines familles n’appréciaient pas que je les envahisse de la sorte. Dès lors, lorsqu’un parent d’élève se montrait compréhensif j’étais toujours plus encline à les aider.

C’était lors d’une de mes leçons chez une de mes familles préférées que je reçus l’appel de Marco. Cette après-midi-là je me trouvais en compagnie de Cassis, une petite collégienne de quatrième qui avait demandé des cours particuliers d’anglais comme cadeau de Noël parce qu’elle n’aimait pas sa prof d’anglais, une vieille peau revêche qui ne cessait de leur répéter qu’ils ne sauraient jamais parler anglais suffisamment bien pour être compris par un anglophone. Valérie, la mère de Cassis, venait de m’apporter un thé aux épices qui sentait divinement bon tandis que j’écoutais sa fille me raconter sa semaine dans un anglais un peu hésitant mais somme toute assez correct. En voyant le nom de Marco s’inscrire sur l’écran de mon portable je fronçais les sourcils mais retournai le téléphone, écran vers la table. Cela faisait plus de deux mois que j’avais quitté le journal, qu’est-ce qu’il pouvait bien me vouloir ? Bien sûr, j’étais curieuse, mais j’étais occupée.

Ce n’est que tard ce soir-là, après être rentrée et avoir couché Juliette que j’y repensai. Gabriel était dans la cuisine en train de faire la vaisselle — j’avais fait à manger donc c’était son tour de faire la vaisselle — je m’approchais.

- Devine quoi ? Marco m’a appelée aujourd’hui.

Il cessa un instant de frotter l’assiette qu’il tenait dans la main.

- Qu’est-ce qu’il voulait ?

- Je ne sais pas. Je n’ai pas décroché. Mon thé était chaud et Cassis était en train de m’expliquer pourquoi elle aurait dû être autorisée à amener son chat en cours de maths pour déstresser les autres élèves.

- Hum. Tu n’as pas rappelé ?

- Non. Tu penses que je devrais ? Je t’avoue que je ne vois pas bien ce qu’il pourrait avoir à me dire qui ne soit pas un sujet de contrariété.

- Peut-être qu’il a un poste à te proposer, qu’un pote à lui dans un autre journal est parti à la retraite ou quelque chose comme ça ?

- Mouais. J’en doute.

- Je pense que tu devrais rappeler. C’est peut-être important.

Il était rare que Gabriel ait un avis tranché sur les choses. Alors quand il en avait un je m’y pliais. Je sortis sur le balcon et rappelait mon ancien chef. Je savais que l’appeler en soirée allait le faire chier mais bon. Déjà que j’appelai d’assez mauvaise grâce, je n’allais pas non plus me montrer courtoise.

Etonnamment, je n’eus pas à attendre longtemps avant qu’il décroche. Il ne m’accueillit pas non plus avec son Carina habituelle. Peut-être que quelqu’un lui avait enfin remarqué qu’appeler toutes ses collègues « mignonne » était au mieux de la lourdeur et pouvait au pire être considéré comme du harcèlement. Il n’alla tout de même pas jusqu’à utiliser mon vrai prénom mais d’un autre côté, venant de lui, ça aurait été plutôt inquiétant.

- Em ! Contentissimo de t’entendre. Comment va Justine ?

- Justine, je ne sais pas, ma fille à moi s’appelle Juliette.

- Ah, si. La petite Julietta.

Pour la première fois depuis que je le connaissais, je me demandais s’il était vraiment incapable de faire une phrase complète en français ou si il aimait juste se la jouer.

- Juliette va bien. Gabriel aussi d’ailleurs. Mais je suppose que ce n’est pas pour ça que tu m’as appelée, je me trompe ?

- Qu’est-ce que tu fais en ce moment ? 

- Je suis sur mon balcon.

- Certo. C’était pas la question. Tu as retrouvé du taf ?

J’inspirai profondément. C’était dans ce genre de moment que je regrettais de ne pas fumer. Ca m’aurait permis de calmer mes nerfs.

- Nan. Je fais des trucs par-ci par-là. J’apprends l’anglais à des gamins. Des trucs comme ça.

- Okay. J’ai un truc à te proposer.

Je regardai par la baie vitrée. Gabriel essuyait la vaisselle en secouant la tête au rythme de la musique que devait diffuser son casque. Il n’y avait aucune chance qu’il entende ce que j’allais dire. Tant mieux. J’avais pris ma décision et je ne voulais pas avoir à en discuter avec qui que ce soit.

- Je ne reviendrais pas au journal.

C’était quelque chose que Gabriel, peut-être, ne comprendrait pas. Ce n’était pas seulement que j’étais rancunière, même si je devais bien reconnaître que ce trait de ma personnalité était peut-être pour quelque chose dans ma décision. Mais j’avais plutôt tendance à voir la possibilité de revenir au journal comme celle de revenir avec un ex qui t’a déjà jeté pour une raison à la con. Rancune, fierté ou prudence, je n’avais pas les pourcentages exacts, mais il était hors de question que je remette les pieds au journal. Enfin, pas sans avoir des garanties.

- C’est pas l’idée. Personne au journal ne sait que j’ai décidé de t’appeler. On a reçu un message pour toi. Par rapport à ton dernier article.

- Lequel ?

- Celui sur Bran. Celui où tu racontes ce que tu as vu. Il était très bien écrit d’ailleurs. Parler du contexte historique, donner un vrai aperçu de l’atmosphère de la ville, les communautés religieuses un peu extrémistes, c’était bien vu.

Je n’en croyais pas mes oreilles. Je n’avais pas écrit cet article. Enfin, si je l’avais écrit. Mais je ne l’avais jamais envoyé. Je jetai un regard à Gabriel qui se dandinait toujours dans la cuisine sur un rythme que je n’entendais pas. Il allait définitivement avoir des problèmes.

- Ouais, okay je vois. Bon donc cet article ?

- J’ai reçu un email d’une dame qui voulait à tout prix te contacter. Elle avait tenté ta boîte pro mà elle n’existe plus, donc son mail est revenu. Elle a fini par me contacter moi.

- Okay, qu’est-ce qu’elle veut ?

- Quand je lui ai dit que tu avais quitté le journal, elle s’est montrée très méfiante. Elle ne voulait parler qu’à toi. Je lui ai dit que je te transmettrai mais que je devais d’abord savoir un peu de quoi il s’agissait.

- Tu pouvais pas juste lui donner mon numéro ?

- Ah. Non ho pensato…

- Okay. Bon, alors ?

- Son fils a disparu, il était parti à Bran. Elle pense que tu peux le retrouver.

- Je suis pas flic.

- Justement. Les flics de là-bas refusent de lui communiquer des informations. Ils lui ont répondu que le gamin était assez grand pour décider de ne pas rentrer.

- Quel âge il a ?

- 16 ans.

- Ouais, ça se discute. C’est comment leurs relations ?

- Je ne sais pas, elle ne voulait pas m’en parler, elle voulait te parler à toi. Il y a quelque chose d’autre. Il y avait quelque chose qu’elle ne disait pas, ça s’entendait. Elle mettait beaucoup de temps à répondre. Comme si elle réfléchissait soigneusement à ce qu’elle pouvait ou ne pouvait pas dire. C’était vraiment bizarre.

- Okay, je verrais ça directement avec elle je pense.

- Tu vas retourner là-bas ?

- J’en sais rien.

- Laura m’a dit pour l’hôtel. Tu n’as pas besoin d’y retourner. Tu ne dois rien à questa donna.

- Laisse-moi le temps de voir s’il y a quelque chose à voir. Aller, file le mail.

Je notais distraitement le mail que Marco me dicta. Retourner là-bas. Honnêtement il y avait peu de chances. Mais, si je pouvais vraiment faire quelque chose, peut-être que je n’aurais pas le choix.

- Je n’en reviens pas d’avoir à te demander ça mais… Si tu retournes là-bas…

Je savais déjà ce que Marco était en train de me demander. Ce mec était quand même culotté.

- Tu veux que je te rapporte un souvenir, ricanai-je.

- No mais…

- C’est bon j’ai capté. Tu veux l’exclusivité.

- On n’a plus personne sur place.

- Je ne servais à rien quand j’étais sur place et tu le sais très bien.

- Si, mais la situation semble avoir changé.

- Je te promets rien. Je verrai une fois sur place.

Nous raccrochâmes. J’envoyais aussitôt un mail à l’adresse qu’il m’avait donnée. J’étais intriguée. De l’autre côté de la baie vitrée, le salon était sombre. Gabriel était parti se coucher. Charmant. Mais il n’avait pas tout-à-fait tort. Fut un temps où je pouvais passer des heures au téléphone avec Marco pour parler d’une enquête ou d’un article. Je prétendais toujours avoir un simple détail à régler, en avoir pour quelques minutes, mais Gabriel savait à quoi s’en tenir désormais. Lorsque je vins m’étendre près de lui, il ne dormait pas encore.

Je l’embrassais et ne parlais ni du coup de téléphone, ni de l’article qu’il avait envoyé à Marco sans mon accord en utilisant ma boîte mail.

 

 

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HinaCoven
Posté le 24/07/2024
Plus on rentre dans le sujet, plus mon intérêt est piqué !

Ils y a quelques répétitions de mots, qui rendent parfois le texte un peu saccadé mais trois fois rien.

Je trouves que tu arrives très bien à dévoiler ton personnage au furs et à mesure. Laissant des informations ci et là, ça paraît naturel et fluide.

Seul petit hic pour moi, et c'est un avis personnel, concernant son rapport avec la maternité ainsi que son travail, c'est bien amené, on comprend ses émotions et elle sont justifiable. Mais parfois il faut faire attention à ce que le personnage ne tombe pas dans le "trop", car ça peut être un peu redondant !

En tous cas, trés belle plume
EmmaLy
Posté le 04/08/2024
Ah oui c'est possible qu'elle boucle un peu effectivement ! Et vu qu'on voit l'histoire de son point de vue forcément, ça devient redondant, je regarderais pour rebosser dans ce sens là (c'est noté pour les répétitions, je ferai la chasse)
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