Quelque chose nous pourchasse depuis quelques jours, je n'ose te l'avouer. Comment le pourrais-je alors que tu es en âge de comprendre que nous ne serons jamais en sureté... Il n'existe pas de mot pour décrire cette présence de soufre et d'ébène. Une chose qu'on ne peut que ressentir, qu'on ne peut réellement fuir. Par toutes les divinités, pour qui j'ai consacré tant de veillées, n'entendez-vous point nos supplices ?
J'ignore de quoi il s'agit, tous mes sens se mettent à frémir. En plus de cela, un groupe d'hommes est à nos trousses.
Entre les feuilles, quelques cascades de lumières éclairent notre chemin sur lequel nous nous précipitons, furtives. Le temps est beau, le temps est clair.
Mon cœur palpite. Ta main dans la mienne, je t'entraîne entre les arbres, cherchant une échappatoire. Même en foulant la terre avec prudence, elle paraît si hostile, prête à nous engloutir. J'ouïs ta bouffée étouffée par notre course accablante. Soudain, notre marche ralentit. Les oiseaux chantent.
Pour la première fois depuis des jours, j'esquisse enfin un sourire. Comment pourrais-je le retenir en contemplant ta bravoure grandir de jour en jour. Cela te ravit au point où quelques larmes perlent sur tes yeux célestes. Le temps est clair, la forêt est paisible.
Tout à coup, des roues. Cachons-nous. Je serre ton visage contre moi, dissimulée par de denses arbustes.
Là arrivent ces hommes, menaçants et robustes.
Mon étreinte se resserre. Ils ne doivent pas nous trouver. Ils ne doivent pas te trouver.
Ils observent nos traces, pendant que je les fixe avec une attention affolante.
— Elles ne sont pas bien loin. Fouillez les alentours.
— Trois jours que ces petites pestes arrivent à nous filer entre les doigts.
— Vu leur âge et leur endurance, nous aurons un bon prix.
— Faudrait les trouver d'abord, et les capturer. Alors bougez-vous.
En tentant de nous faufiler à pas de loup, mes gestes maladroits, animés par la peur de te perdre, secouent quelques branches. Je me pétrifie.
— Je crois qu'elles sont par là !
Tu t'approches de moi, me tirant par l'avant-bras, comme pour me dire de ne pas abandonner, de se hâter malgré le désespoir qui se dépeint. J'inspire profondément avant de chuchoter.
— Ynes, je vais faire diversion. Toi, tu t'en vas vers le Nord, je t'y rejoindrai, d'accord ?
— Mais je ne peux partir sans toi. Ils vont t'attraper.
— Ils sont beaucoup trop nombreux, si je ne fais rien ils nous trouveront toutes les deux. Tu es tout ce qu'il me reste. Je ne veux pas te voir enchaînée et vendue comme du bétail. Les esclaves ne peuvent plus s'échapper une fois achetés, et ils te garderont en cage jusqu'à que l'on t'achète ou que tu meures. Sois raisonnable.
— Et s'il t'arrive la même chose ? Toi aussi, tu es tout ce qu'il me reste. Pourquoi devrais-je t'abandonner ?
— Parce que je suis ton aînée. C'est à moi de veiller sur toi.
— C'est stupide. Je ne partirai jamais sans toi.
— Ynes, regarde-moi, te dis-je en essuyant tes larmes. Je te rejoindrai, d'accord ? Je ne me ferai pas attraper, je te le promets.
— Tu me le jures ?
— Je te le jure. Maintenant, sauve-toi. Dépêche-toi avant qu'ils ne nous trouvent.
Ta silhouette disparaît à mesure qu'elle s'enfonce dans les bois. Déterminée, je saisis une pierre pour la lancer dans une direction opposée. Immédiatement, les bêtes se ruent de l'autre côté du sentier. Mon corps rampant se dirige tout doucement vers toi. Toi, que je ne vois plus. Un craquement. Trop tard...
Je me fige de terreur, horrifiée de te voir étranglée dans son bras cruel, une arbalète pointée sur ma tête épouvantée.