4. Héloïse et Abélard

Héloïse et Abélard.

Les deux noms tourbillonnent sous sa chevelure rose, se fondant l’un dans l’autre, se mélangeant et se séparant au gré de ses pensées.

Les yeux dans le vide, sa gomme de son crayon heurte la table à intervalles réguliers, seul témoin de sa nervosité. Et si ? Non. Mais.. Non ! Ce serait lui offrir une petite victoire, et ça, c’est absolument hors de question. Plutôt crever ! Mais d’un côté…

N’y tenant plus, Claire bondit de sa chaise et, piquée par la curiosité, file sous la mezzanine de la Bibliothèque à la recherche de l’ouvrage tant convoité. Arpentant les rayons, le regard serpentant entre les côtes et les livres, elle se flagelle mentalement de son pitoyable appétit pour les romances tragiques. Touchant au but, elle aperçoit le recueil sur la plus haute plateforme de l’étagère. L’attraper relève de l’épreuve olympique, mais, à force de détermination, de vacillement et de crampes dans les mollets, elle met finalement la main dessus. Jugeant la couche de poussière manifeste sur le livre, Claire est consternée face au manque d’intérêt suscité par la correspondance de deux amants médiévaux qui s’avèrent figurer, quand même, parmi les plus grands intellectuels de leur temps, merde. Feuilletant le papier jauni, elle tombe nez à nez avec un petit mot, plié en huit au milieu des lettres.

Intriguée, ses doigts l’ouvrent presque automatiquement.

« I win. »

Réaction immédiate. « Bordel. Je hais ce type.»

Le cerveau en ébullition, Daniel s’égare. À l’origine, il est tout de même supposé chercher de quoi alimenter son exposé, les sources antiques, Thucydide, la bataille de Potidée. Le regard toujours à l’affût du moindre détail, il se surprend à dériver vers la littérature médiévale. Il laisse ses yeux parcourir les côtes et reliures. Un sourire triomphant s’étend soudain sur son visage à la vue d’un ouvrage. Mis en évidence de manière particulièrement ostentatoire, comme si la dernière personne à l’avoir lu l’avait reposé là du bout des doigts. Sans difficulté aucune, il s’en saisit, l'ausculte, élargit son sourire. Déplié, un morceau de papier trône sous la première de couverture.

« This isn't a war. »

« Stupide. Stupide, stupide, stupide. À quoi tu joues, Claire ? Pourquoi tu lui réponds à ce taré ? » Grogne-t-elle à sa propre attention. Ceci dit, je ne fais rien de mal, songe-t-elle. Je plaisante avec un nouvel ami. Recommandé par Barnabé, donc gage de qualité. Si l’on omet celle de son humour, naturellement. Est-ce que ce ne serait pas un genre de harcèlement sexuel ? Me semble pas. Il est sérieux ? Non, sûrement pas. Est-ce comme ça qu’on sociabilise à la fac ? Si j’en parlais à Amara ? Elle me boxerait, ouais. Puis il y a ça..

Sortant de ses pensées, Claire lance un coup d’œil à la mezzanine surplombant les rayons histoire médiévale, histoire antique, géographies et littératures. Le sac et la veste de Daniel sont posés près de la chaise qu’il occupait quelques minutes auparavant, mais aucune trace de leur propriétaire. « Meh, il est sûrement en train de prendre sa dose horaire de sucre à la cafet. »

Confiante, elle se lève. Une seule chose infeste son esprit, soudainement. Elle doit absolument savoir. Absolument.

Le Livre a bougé. « L’enfoiré, il l’a poussé bien au fond de l’étagère ! » Fulmine Claire.

Deux étirements plus tard, elle trouve la réponse à sa réponse, pliée et rédigée sur ce qui semble un morceau de l’infâme étude de texte de Thucydide. Elle grimace puis le déplie presque avidement.

« Not yet. »

Quel emmerdeur.