4. Klaus

Notes de l’auteur : Hello! L'IRL a été mouvementé, mais j'espère être plus régulière à partir de maintenant! Bonne lecture!

Après avoir confisqué toutes les affaires de sa captive, qui se limitaient à ses nouveaux faux papiers, un téléphone portable sans historique ni contact enregistré, et un portefeuille contenant des liasses de billets de plusieurs monnaies différentes, Klaus réalisa qu’il n’avait pas anticipé la suite. À défaut de plan, il commença par ne pas lâcher la jeune femme d’une semelle pour empêcher toute évasion de sa part : elle n’avait fait encore aucune tentative et le suivait avec un air de sérénité amusée, mais il la soupçonnait de se tenir aux aguets de la moindre baisse de vigilance pour s’éclipser. Il ne pouvait s’empêcher, d’ailleurs, d’être impressionné par son sang-froid, et par son intelligence à déjouer toutes ses tentatives pour obtenir des informations à son sujet : ne connaissant rien d’elle, il lui était difficile de prendre une décision avisée quant à leur prochaine destination. La meilleure option aurait été de choisir un endroit qu’elle ne connaissait pas afin qu’elle se retrouve avec le moins de moyens d’action possibles, mais il allait devoir se contenter d’opter pour un lieu où lui-même serait avantagé. La Nouvelle-Orléans ? C’était le territoire qu’il connaissait le mieux… Mais il y avait presque autant d’ennemis que d’alliés, et tout bien réfléchi, il préférait que l’existence d’une descendante de Tatia ne se répande pas trop : elle pourrait finir par se transformer en moyen de pression contre lui. Et en fait, compte-tenu de la capacité de la jeune femme à sauter dans le premier avion, il valait sans doute mieux pencher pour un lieu isolé : sa propriété d’Elkhart Lake ferait l’affaire. Après quelques formalités et plusieurs heures d’attente, ils décollaient en direction de Chicago.

« Bon, du coup, comment je t’appelle ? Laura, Emma, Ingrid, ou… Irina ? termina-t-il en vérifiant sa dernière identité sur son passeport. Ou par ton vrai nom ?

Elle eut un petit rire.

– Comme tu veux ! Mais, en vrai, tu as plus de chances que je réponde si tu m’appelles Emma.

– Très bien Emma, puis-je en déduire que c’est ton véritable nom ?

Elle se contenta de sourire. Klaus n’était pas plus avancé, elle pouvait avoir désigné son vrai prénom pour l’induire en erreur, ou pas ; impossible de le deviner.

– Question suivante alors : comment sais-tu qui je suis ?

Il doutait qu’elle lui répondît vraiment, mais c’était une information cruciale, sinon la plus cruciale.

– Pourquoi ? Tu es quelqu’un d’important ?

Il la regarda, interloqué : est-ce qu’elle ne savait vraiment pas… Son cerveau décrypta son expression : elle le faisait tourner en bourrique. Il soupira par le nez en serrant les lèvres : il s’était laissé avoir alors même qu’il savait pertinemment qu’elle connaissait son identité !

– Trêve de plaisanterie, fit-il d’une voix glacée. Tu ne sembles pas réaliser la situation dans laquelle tu te trouves, mais tu ferais mieux de ne pas me provoquer.

Elle était bien trop détendue, un coup de pression et des menaces bien senties devraient lui faire perdre de sa superbe.

– J’avoue que j’ai du mal à comprendre exactement ce que tu me veux… Parce que, certes, je suis de la lignée de la Sosie, mais ce n’est pas moi que tu vas pouvoir sacrifier pour te débarrasser de la malédiction de ta mère… !

Elle en savait donc tant que ça ! Comment ? Avait-elle rencontré un de ses frères et sœurs ? Et surtout, elle avait marqué un point : il ne savait pas encore ce qu’il allait faire d’elle. Mais il ne comptait certainement pas l’admettre devant elle.

– Oh mais je ne doute pas que garder un œil sur toi m’aidera à trouver une Sosie !

Elle le regarda avec une moue dubitative :

– C’est ça ton plan ? C’est pas parce que je suis de sa lignée que j’agis comme un aimant à Sosies !

– Il va juste falloir fouiller un peu dans ta famille, avança Klaus avec plus d’assurance qu’il n’en ressentait, guettant du coin de l’œil toute réaction susceptible de lui fournir des indices sur ladite famille.

– Bonne chance avec ça ! Je suis orpheline !

Elle arborait un sourire triomphant et goguenard.

– Genre, tu n’as aucun parent ?

– Aucun que je connaisse !

Impossible de déterminer si elle disait vrai. Il haussa les épaules.

– Ce n’est pas bien grave. J’ai attendu plusieurs centaines d’années, je peux bien patienter encore un peu !

– A attendre quoi ?

Il ne dit rien, satisfait de la laisser sans réponse à son tour ; de toute façon, ce ne serait pas judicieux de lui dire qu’il comptait…

– Attends un peu, fit-elle. Tu ne penses pas que je vais fonder une famille en sachant que tu guetteras une Sosie parmi mes descendants !

Décidément, elle était maline. Il se pencha vers elle.

– Tu n’auras pas le choix.

Une fois arrivés, il s’assurerait qu’elle n’ait plus accès à de la verveine, et celle qu’elle avait consommé, qui devait actuellement la protéger de son pouvoir d’hypnose, finirait pas disparaître de son organisme. Il aurait toutes les réponses à ce moment-là, et elle ferait exactement ce qu’il voudrait. Après avoir soutenu son regard quelques instants, elle se détourna en lui riant au nez et se cala confortablement dans son fauteuil pour une sieste. Elle devait avoir deviné ce qu’il comptait faire, et ne semblait pourtant pas s’en inquiéter ; c’était du bluff, sans aucun doute.

Le vol se déroula sans autre échange, et après avoir franchi les formalités d’arrivée sur le territoire américain, Klaus se dirigea vers une boutique de locations de véhicules, où il obtint un pick-up rutilant aux vitres teintées. Emma le suivit sans faire d’histoire, mais il vit une grimace passer sur son visage quand elle découvrit la voiture.

– Un problème ? s’enquit-il, à l’affût de la moindre information.

– Tu sais combien ça consomme une voiture pareille ? Après la quantité de dioxyde de carbone rejetée dans l’atmosphère par tous les avions qu’on a pris, tu aurais pu choisir quelque chose d’un peu moins polluant !

Klaus leva les sourcils puis les yeux au ciel : une écolo ! Il lui adressa un large sourire, appuya ostensiblement sur la clef de la voiture qui clignota, et lui fit signe de monter avant de s’installer au volant.

– Quelle différence ça ferait, franchement ? fit-il en allumant le moteur. C’est pas une voiture qui va changer les choses.

Elle le regarda d’un air désabusé.

– Sérieusement ? Je n’arrive même pas à déterminer si tu as une mentalité de vieux con ou d’adolescent blasé !

– De toute façon, pour être honnête, je m’en fiche un peu : je survivrai même en cas d’apocalypse.

– Ouaouh, le rêve, être le seul survivant sur une planète dévastée et aux températures trop élevées ! Et de quoi tu comptes te nourrir une fois que tous les êtres vivants auront cramé ?

– J’ai le temps d’y penser d’ici-là ! Et puis j’ai passé la plus grande partie de mon existence sans polluer, alors je peux bien me faire un peu plaisir !

– A quoi sert de vivre plus de mille ans, si tu n’as aucune vision à long terme ?

Klaus pinça les lèvres, irrité de se faire sermonner par une gamine qui avait le cinquantième de son âge.

– Alors c’est pour préserver la planète que tu te balades à cheval ? répliqua-t-il d’un ton sarcastique.

Elle s’esclaffa.

– C’en est une raison.

– D’ailleurs, j’ai été impressionné par le cheval du Mongol ! Comment as-tu connu ce gars ?

Elle lui lança un regard oblique.

– Par hasard !

Au moins, il avait essayé.

Ils se turent. Klaus épia la jeune femme du coin de l’œil pendant quelques minutes avant de repérer qu’elle observait attentivement le paysage, aussi s’arrêta-t-il sur le bas-côté dès qu’ils eurent quitté Chicago, et il se mit la voiture à la recherche d’un morceau de tissu quelconque pour lui bander les yeux : il valait mieux qu’elle ignore où il allaient. Il se rendit rapidement compte qu’il ne trouverait rien, d’autant plus que ni lui ni Emma n’avait de bagages. En désespoir de cause, il enleva sa veste de cuir pour retirer son T-shirt.

– Qu’est-ce que tu fous ?

Elle le regardait avec de grands yeux, l’air méfiant et offusqué à la fois. Il esquissa un rictus amusé : et dire que c’était de le voir se déshabiller qui la déstabilisait pour la première fois ! Il se pencha vers elle sans la quitter des yeux, tout en entortillant son T-shirt, et elle eut un mouvement en arrière, la main sur la poignée de la porte, qu’il savait verrouillée, et les sourcils froncés. Il s’immobilisa quelques secondes, savourant d’être pour une fois celui qui la faisait tourner en bourrique. Puis il élargit son sourire :

– Je veux juste te bander les yeux.

Elle resta interdite un instant et il enchaîna, narquois :

– Qu’est-ce que tu t’imaginais ?

Elle soupira et se détendit, affichant une expression détachée et condescendante tandis qu’il nouait le T-shirt autour de sa tête ; le cœur de la jeune femme reprit son rythme normal en quelques battements. Elle n’avait pas mis longtemps à reconstituer son armure, mais il avait tout de même réussi à y trouver une faille, si infime fût-elle. Il sifflota pendant le reste de la route, satisfait.

Il gara le pick-up devant la maison, sous les arbres, et resta un instant immobile ; cela faisait plusieurs années qu’il n’y avait pas mis les pieds, et la lumière du crépuscule filtrée par la frondaison des arbres donnait à la grande bâtisse blanche une aura mystique.

– On est arrivés ? Parce que j’aurais besoin d’aller aux toilettes là ! fit Emma, toujours aveugle.

Il s’ébroua mentalement ; ce n’était pas le moment de se laisser aller à la poésie !

– Tu peux enlever ton bandeau on est arrivés.

Elle s’empressa de lui obéir et cligna des yeux tandis qu’elle sortait de la voiture en regardant autour d’elle.

– Jolie baraque ! commenta-t-elle.

– Je te l’offre en cadeau de naissance pour ta première fille ! lança-t-il avec un sourire en coin.

Elle lui fit une grimace et gravit les marches du perron à sa suite. Il trouva les clés dans leur cachette habituelle, et déverrouilla la porte. Une intense odeur de produit de nettoyage et de cire à parquet lui assaillirent les narines : Joshua avait bien fait faire le ménage avant leur arrivée. Il indiqua la direction des toilettes à la jeune femme qui s’y précipita, et il se dirigea tranquillement vers la cuisine. Le frigo était en marche, et bien rempli ; il n’aurait sans doute pas besoin d’aller faire les courses avant d’être en mesure de contrôler totalement Emma. A moins qu’elle n’ait un appétit gargantuesque.

 

Elle avait un appétit gargantuesque. Du moins semblait-il à Klaus que vider les deux tiers d’un énorme frigo en deux jours n’était pas franchement habituel pour une fille de son gabarit. Et c’était d’autant plus embêtant que l’effet de la verveine ne semblait pas se dissiper ; elle se montrait toujours aussi insensible à son pouvoir d’hypnose, alors même qu’il avait vérifié chacune de ses affaires avec un soin scrupuleux : elle ne détenait pas un seul milligramme de verveine, et il avait inspecté toute la propriété pour s’assurer qu’il n’en poussait pas. Elle avait dû en consommer une quantité impressionnante.

En dehors des horaires de repas, elle passait son temps à explorer la maison et le jardin sous son étroite surveillance, mais après quarante-huit heures, elle avait tout vu, et il était hors de question de lui permettre de sortir de la propriété. Ils se rabattirent donc sur la télévision, où était justement rediffusée l’intégralité des épisodes de Buffy contre les vampires.

– Mon Dieu, t’imagines si tu ne pouvais pas manger d’ail comme les vampires de la série ? Vos vies seraient tellement tristes ! s’exclama tout à coup Emma.

Klaus lui lança un regard en coin : était-ce un test pour vérifier que l’ail lui était bien inoffensive ? Elle semblait pourtant absorbée par ce qui se passait à l’écran. Et il réalisa qu’ils étaient tous deux en train de tremper des chips dans de la crème d’ail ; bien sûr qu’elle savait.

– Si c’était le cas tu pourrais me neutraliser juste avec ton haleine, répondit-il en plissant le nez.

Elle leva les yeux au ciel.

La soirée termina tard ; ne s’étant pas vraiment dépensé durant la journée, ni l’un ni l’autre n’avait envie d’aller dormir, et une bonne partie de la nuit passa à se disputer la télécommande et zapper entre les différents programmes nocturnes jusqu’à ce qu’ils tombent sur les images d’une fille asiatique courant de toutes ses forces dans un aéroport.

– On dirait toi à Moscou, pensa Klaus tout haut.

Elle gloussa avant d’embrayer :

– Sauf qu’elle est certainement en train d’essayer de rattraper l’homme de sa vie avant qu’il ne quitte le pays pour une contrée lointaine… C’est quelle langue ?

Il observa les panneaux qui passaient en arrière-plan.

– Je pense que c’est du coréen.

– Mmmh… Tiens, je t’avais dit qu’elle cherchait à retrouver son amoureux !

Le personnage était de fait en train d’apitoyer le personnel de l’aéroport afin d’avoir le droit de parler l’homme qu’elle aimait, qui se trouvait à bord d’un avion sur le point de décoller. Il s’avéra finalement qu’elle jouait la comédie pour retarder le départ de l’avion de ses clients qui étaient en retard ; la mésaventure avait pour vocation première de permettre sa première rencontre avec le personnage principal masculin, qu’elle retrouva dans d’autres circonstances à la fin de l’épisode, dans un cliffhanger exagérément dramatique qui les fit rigoler et regarder la suite jusqu’à s’endormir devant.

Quand Klaus se réveilla au milieu de la matinée, il poussa un énorme juron : Emma n’était pas dans la maison.

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annececile
Posté le 05/07/2023
La relation qui s'ebauche entre ces deux personnages est vraiment pleine de piment et c'est tres amusant a lire. Exasperation de l'un, et humour de l'autre qui ne se laisse pas impressoinnee... Elle est capable de lui tenir tete, malgre ses tentatives de la subjuguer. En meme temps, on la sent amusee d'avoir un adversaire a son niveau - et c'est peut-etre son cas aussi, meme si ca contrarie ses projets.

Au debut de ton histoire, je pensais que savoir exactement quel est l'enjeu pour Karl d'avoir cette jeune femme avec lui permettrait d'etre plus investi dans l'histoire. Maintenant, je trouve ca interessant de decouvrir des petits bouts de son passe et de ce qui le motive. au fur et a mesure.

J'apprecie aussi la facon dont tu nous balades dans le monde entier, et tu trouves vraiment des destinations orignales ! Je n'imaginais pas qu'on se retrouverait dans le Middle West!

Le seul moment ou "Emma" perd de son assurance, c'est quand il retire son T-shirt. Craint-elle une agression sexuelle? Etant donne qu'il semble attendre beaucoup de la descendance de la jeune femme, c'est comprehensible.

Le dialogue ecolo est aussi une surprise et ca souligne tres bien la difference de generation.... La jeune generation voit l'importance de cet enjeu, la generation d'avant leve les yeux au ciel. Bien vu!

Et maintenant?? Je ne sais pas si c'est une Sosie, mais elle se debrouille bien dans le rayon evasion! J'ai hate de lire la suite!
Aryell84
Posté le 05/07/2023
Coucou!!
Merci pour ton long commentaire!
Je suis contente que la relation de Klaus et "Emma" te plaise, c'est tout à fait ce que je voulais exprimer. Et si tu n'es plus trop perdue dans les motivations du personnage et que tu te laisses prendre au jeu des révélations et explications petit à petit, ça veut dire que j'ai à peu près réussi mon coup :D
Pour le passage du T-shirt, je ne suis pas encore sûre, j'ai hésité à l'enlever, parce que le but n'est pas qu'il y ait une dynamique de ce genre entre les 2, même si ça sert la caractérisation d'Emma aussi... Bref je verrai en fonction des différents retours, ta remarque me montre bien qu'il faut je réfléchisse bien aux raisons de la réaction d'Emma.
La suite ne devrait pas trop tarder, encore merci pour ton retour et à très bientôt !
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