Maeve
Naouri est en train de parfumer l’eau de mon bain d’une essence de rose dont les vapeurs me remontent aux oreilles. Mes cheveux, adoucis par l’eau, caressent mes épaules tandis que j’essaie tant bien que mal de décolérer depuis mon altercation du matin avec Darion. Même si son père m’a proposé de poursuivre mes entraînements à l’Académie Royale, je ne pardonne toujours pas au fils de me priver de tant de libertés au nom de ma soi-disant sécurité.
— Parfois, j’aimerais être invisible… grincé-je.
Naouri sourit et part récupérer près de la porte les cruches d’eau bouillante destinées à relever la température de mon bain déjà fumant.
— Nous, les domestiques, sommes invisibles aux yeux du monde, chuchote-t-elle en versant le contenu de la première cruche dans un filet délicat et régulier.
Cieux, quelle cruche je fais. Je me plains de mon sort devant elle, alors qu’elle non plus, n’a sûrement pas demandé à être ici. À rester silencieuse, cloîtrée dans ce pavillon, à être à mon service sans jamais s’en plaindre, alors qu’elle ne me voit que me morfondre sur ma situation.
Sa situation est sûrement pire encore que la mienne.
Je me relève aussitôt afin de mieux m’adosser contre le rebord.
— Pardon, Naouri, je ne voulais pas…
— Ce n’est rien, Madame. C’était un simple constat.
Elle me tend une éponge que je gorge d’eau avant de l’essorer au-dessus de mon visage.
— Est-ce à ce point ? ajouté-je d’une voix compatissante.
— Les gens ici, quand ils regardent dans notre direction, ils ne nous voient pas, Madame. C’est comme si leur regard vous traversait. Comme si vous étiez… Transparente.
— Invisible, chuchoté-je avant de plonger mes cheveux à nouveau dans le bain.
Sous l’eau, le silence vibre dans mes oreilles. Je ferme mes paupières un court instant, avant de réaliser que Naouri vient peut-être de m’offrir la réponse à tous mes problèmes.
— Est-ce que tu pourrais… Me procurer une tenue comme la tienne ? ai-je repris.
Naouri hoche la tête, et le soir-même, en entrant dans ma chambre, je découvre la tunique que je lui ai demandée : elle est crème, comme la sienne, le tissu est aussi rêche que celui de la tenue qu’elle m’a dénichée hier pour m’entraîner. Sur le vêtement plié, la cordelette fine que les domestiques nouent autour de leur taille est soigneusement enroulée.
Avec ça, je pourrai enfin me déplacer comme je l’entends.
Le sourire aux lèvres, je savoure ma victoire. Je mettrai mon plan à exécution demain après-midi. Le matin, je suis déjà engagée auprès de Dame Lotrande et Dame Messieu… Peut-être qu’avec la perspective de ma petite escapade, cette entrevue sera moins pénible.
Le lendemain, après avoir quitté la Salle des Mets, je me dirige vers mon pavillon pour mettre mon plan à exécution. J’ai déjà réfléchi à tout : puisque je ne peux pas fouler le sol de la Cité Interdite en tenue de domestique, j’utiliserai les souterrains. J’attends d’avoir revêtu la tunique apportée par Naouri et noué la cordelette pour régler avec elle ce dernier détail.
— Naouri, appelé-je depuis le couloir.
La domestique arrive aussitôt et incline la tête.
— J’aurais besoin d’utiliser les souterrains. Vous pourriez me guider ?
Un éclair de stupeur frappe ses pupilles, et elle me répond à voix basse :
— Si c’est ce que Madame veut vraiment…
Je la suis jusqu’à la salle de service où je n’ai jamais mis les pieds jusqu’à aujourd’hui. Celle-ci ne donne sur aucune fenêtre et malgré la bougie qui y est allumée, l’intérieur est sombre. Sur des étagères s’amoncellent des draps soigneusement pliés. Naouri me désigne alors le sol à côté d’un placard, dans lequel des escaliers s’enfoncent dans la pénombre. Elle saisit un bougeoir et en allume la mèche pour mieux éclairer le chemin. Pourtant, elle ne bouge pas.
— Y allons-nous ? commencé-je.
— Les souterrains contiennent de nombreuses galeries qui nous permettent de communiquer avec le reste de la Cité Royale. Madame veut-elle simplement voir les souterrains ?
— J’aimerais sortir d’ici.
Naouri se fige. Malgré l’obscurité, je discerne ses yeux qui s’écarquillent, même si elle se ressaisit aussitôt.
— Je te saurai gré de n’en parler à personne, continué-je.
Elle respire si fort que son souffle agité balaie la pièce.
— Je ne connais que le chemin qui mène au pavillon de service, dit-elle enfin.
— Ce sera très bien.
Quoi de mieux qu’un pavillon rempli de domestiques pour passer inaperçue ? De toute façon, si ce que disait Naouri hier est vrai, même ailleurs, personne ne me remarquera.
Naouri descend les marches et je m’empresse de la suivre. Une fois en bas, la lumière du bougeoir me laisse entrevoir une longue galerie qui s’enfonce. Un courant d’air frais chatouille ma peau. Des bruits de pas résonnent : ils semblent proches et lointains à la fois.
— Seuls les domestiques qui travaillent au sein de la Cité Interdite sont autorisés ici, chuchote Naouri.
Je la suis en silence, essayant de mémoriser les croisements que nous empruntons pour me repérer dans ce dédale. Nous croisons tellement d’escaliers et prenons tant de galeries qui se ressemblent que je ne suis pas certaine de retrouver aisément mon chemin sous terre.
Je finirai bien par revenir sur mes pas.
Quand Naouri m’indique enfin des escaliers que nous allons prendre, mon cœur bat à tout rompre.
C’est maintenant…
Nous arrivons sous un porche qui donne sur une petite place. Si les bâtiments arborent ici aussi les pierres rouges caractéristiques de la Cité Royale, ils sont bien plus rapprochés que dans les autres quartiers. Entre deux bâtisses, d’étroits passages laissent à peine de la place pour une personne. Sur le terre-plein fourmillent des domestiques reconnaissables à leur tenue crème dont je me suis par deux fois procurée des vêtements semblables.
— Du balais ! tonne une voix dans notre dos.
Naouri esquisse quelques pas en arrière et un homme chargé d’une caisse remplie de légumes qui fait ployer ses bras nous dépasse.
— Nous ferions mieux de ne pas rester sur le chemin, Madame, chuchote Naouri.
Tandis que nous nous installons dehors le long du mur, Naouri me jette des œillères inquiètes.
— Je peux m’en sortir à partir de maintenant, Naouri.
— Mais Madame…
— Vous pouvez m’attendre à la Cité Interdite.
Je n’ai pas l’habitude de lui parler sur un ton incisif, mais je ne veux laisser place à aucune négociation. Naouri se fige quelques instants avant d’acquiescer d’un signe de tête.
Si elle continue d’agir ainsi, il ne sera pas difficile de remarquer que je ne suis pas une domestique.
— Comment retrouverez-vous votre chemin ? murmure-t-elle.
— Je me débrouillerai.
Naouri hoche la tête une dernière fois avant de disparaître de nouveau en direction du porche par lequel nous sommes arrivées et j’expire, soulagée de me retrouver enfin seule.
Je n’ai pas de mal à me repérer au sein de ce quartier. En descendant l’artère principal, je tombe bientôt sur une large porte dans le rempart.
Une sortie…
Je rebrousse chemin et remonte l’allée qui mène aux jardins.
Il n’est pas facile de trouver le quartier des domestiques si l’on ne sait pas où il se trouve. Niché à l’ombre des remparts, des rangées d’arbres camouflent son accès.
Je n’ai jamais mis les pieds dans cette partie de la Cité Royale, mais j’ai déjà aperçu ces arbres au loin pendant mes multiples promenades.
Devant moi se dressent des serres dont les verreries reflètent la lumière du soleil. Je ne m’y suis jamais rendue. Cilia y a déjà fait allusion une fois, lors de l’une de ses visites de courtoisie à mon pavillon, et en avait allègrement vanté les mérites en déplorant que de telles merveilles ne soient jamais visitées.
Les Jardins d’Ailleurs… C’était de ça dont elle parlait.
Il n’y a personne dans les environs, aussi ai-je le loisir de m’approcher de plusieurs serres pour jeter un œil à travers les verreries qui abritent des plantes aussi touffues qu’étrangères tandis que je ressasse mon plan de repli : si quelqu’un arrive, je ferai semblant de marcher comme si je savais où je vais. Après tout, j’ai déjà vu des domestiques s’occuper des jardins pendant mes promenades.
Je m’apprête à rentrer dans une serre quand un bruit bourdonne dans mes oreilles.
Un bruit diffus. Un bruit inconnu.
Je suis toujours toute seule, même si je suis persuadée que ce son ne peut provenir d’aucun humain.
Je reste figée quelques instants, à me demander de quoi il s’agit, avant de décider d’entrer dans la serre. À peine franchis-je le seuil que ce bruit grince plus fort encore.
Il est strident, aigu, désagréable.
J’ai beau me boucher les oreilles, il ne disparaît pas. Pire encore, il augmente à mesure que j’avance de quelques pas.
Il tonne.
Il crie.
Et soudain, alors que je progresse dans la serre en plissant les yeux tant le son est insupportable, je me fige.
Plus loin, dans une allée voisine, de fins cheveux d’argent ondulés flottent sur des épaules bien trop familières.
Odrien est ici. Et il n’est pas seul.
Son maintien est droit, mais ses bras sont relâchés. Et sa main…
Je cligne des yeux, espérant qu’en les ouvrant de nouveau, cette vision d’horreur aura disparu.
Une femme tient la main d’Odrien et la caresse tendrement.
Si mon fiancé est de dos, je la vois, elle. Ses yeux noisette dévorent leur proie, ses longs cheveux bruns relâchés se lovent au creux de sa chute de rein.
Qui est-elle ?
Je ne l’ai jamais vue.
Et en quelques instants, elle m’offre le portrait d’une intimité partagée avec mon fiancé telle que je n’en ai jamais eu avec lui, telle que je n’en aurai peut-être jamais…
À cause d’elle ?
Je ne fais même plus attention au bourdonnement incessant qui gronde dans mes oreilles. S’il n’a jamais été aussi proche, il paraît soudain si lointain.
Et surtout, il ne me préoccupe plus autant que la scène qui se déroule devant mes yeux.
Odrien, mon Odrien, proche d’une autre.
Il l’aime. Il doit l’aimer depuis le début.
J’ai d’abord pensé qu’il ne s’était peut-être pas remis du décès de son ancienne épouse, qu’après une telle histoire, son évitement est compréhensible même s’il est froissant, mais je ne m’étais pas imaginée ça. Ni elle.
Soudain, cette vision me devient insupportable.
Je fais quelques pas en arrière sans les quitter du regard avant de m’enfuir à grandes enjambées une fois sortie de la serre.
Dans mes oreilles, le bourdonnement diminue jusqu’à disparaître totalement, mais je le note à peine.
Je le déteste. Je la déteste.
J’ai si mal.
Pourquoi ai-je si mal ?
Je n’aime pas Odrien. Depuis que j’ai posé le pied ici, je ne l’ai jamais aimé. Je n’ai jamais cherché son attention, tenté de le séduire, espéré que nous soyons plus que le rien qui nous caractérise tant. Alors pourquoi est-ce que ma poitrine est si douloureuse ?
Je ne peux pas être jalouse d’un homme que je n’aime pas…
Pourtant, je sens les larmes monter. Je m’arrête dans ma course pour lever les yeux au ciel et inspirer profondément.
Il est hors de question de pleurer pour lui.
Mais tout m’est insupportable. Ma situation, cet époux, ce palais…
Je n’en peux plus.
Et, sans me retourner, je repars vers les rangées d’arbres qui cachent le quartier des domestiques pour descendre son avenue qui mène tout droit vers la sortie du Palais Royal.
* * *
Darion
Santon vient de m’annoncer que les travaux de nettoyage sur les remparts sont terminés. Ce matin, au réveil, j’ai eu le déplaisir d’apprendre que des petits plaisantins ont profité de la nuit pour vandaliser le mur d’enceinte.
« À mort la Couronne… »
Depuis quelques temps, les indépendantistes ne nous laissent pas le moindre repos. Il y a quelques jours, l’autre abruti brûlait une poupée à l’effigie du Roi Fernan et aujourd’hui, c’est la Cité Royale qui a été souillée.
J’ai dû poster plusieurs gardes aux alentours pour empêcher les badauds de s’arrêter trop longtemps. En les tenant à distance, il leur était plus difficile de lire, mais le mal était déjà fait.
Les indépendantistes ont encore frappé.
Ils se rapprochent chaque jour davantage, veulent nous faire nous sentir menacés et surtout, faire parler le monde. Les rallier à leur cause.
Et mes enquêtes patinent toujours…
Même si nous mettons la main sur les responsables, les coupables ne semblent jamais avoir de lien entre eux. Pire encore, à les écouter, ce ne serait pas eux. C’est toujours la même chanson. « Je ne sais pas ce que je faisais. » « Mon corps bougeait sans que je puisse y faire quoi que ce soit. » « Ce n’est pas ma faute. »
Bien sûr que c’est leur faute.
Sous la torture, ils finissent toujours par le reconnaître.
Alors pourquoi nous sortent-ils toujours les mêmes salades ?
Je compte profiter de mon entrevue quotidienne avec mon père pour le mettre au fait de l’épisode de ce matin. Chaque jour, en milieu d’après-midi, je le retrouve au Petit Salon pour faire le point avec lui sur les affaires du cabinet. Ça lui laisse le temps de faire sa traditionnelle sieste sur son divan favori une fois les audiences avec le peuple terminées.
Je remonte le couloir qui me mène au Petit Salon en préparant mon annonce : les remparts ont été vandalisés, ils sont nettoyés mais nous n’avons pas encore arrêté les responsables. Ils ont agi de nuit et pour l’heure, nous n’avons pas encore trouvé de témoin. Mes dents grincent quand je ressasse ce dernier fait : j’aime lui prouver que j’ai les choses en main. Avec les épisodes récents, je ne peux pas me permettre de prendre du retard sur les ennemis de la Couronne. Nos ennemis…
J’ouvre la porte du Petit Salon d’un coup sec. Mon père est encore affalé sur son divan, recroquevillé, sans un bruit.
Il dort encore…
Ce n’est pas dans ses habitudes de ne pas être réveillé à mon arrivée, à quelques exceptions près, souvent dues à un coucher matinal les soirs de fête.
— Père ?
Il ne cille pas. Je m’approche d’un pas volontairement lourd pour m’installer sur la banquette d’à côté en espérant le réveiller.
C’est là que je le découvre.
Ma main se porte à ma bouche et je laisse échapper un râle horrifié.
Son visage est violacé, ses yeux révulsés. Sa main sur l’estomac, il git.
— Père !
Je tombe à ses genoux. Les larmes inondent mes joues tandis que je pose ma main sur la sienne. Une dernière fois.
Elle est froide.
Que s’est-il passé ?
Depuis quand est-ce arrivé ?
Je balaie la pièce d’un regard mais n’y trouve pas âme qui vive.
Ce Petit Salon est privé à l’usage de la famille. Hormis les domestiques qui amènent des victuailles, personne ne vient ici.
Mes yeux courent jusqu’à la table basse où s’amoncèlent les fruits secs et les petits biscuits, puis s’arrêtent sur le sol où une serviette est froissée, accompagnée d’une part de sucrerie entamée et brisée.
J’ose à peine regarder mon père. Ce visage ne lui ressemble pas.
Je peine à réagir.
Dès que je sonnerai l’alerte, tout sera fini. Ceci est notre dernier moment seul.
Et pourtant, il est déjà parti.
Je dois faire le nécessaire, lancer les recherches, mettre les autres à l’abris, mais pour l’instant, je suis pétrifié.
Père…
Il me faut de longues minutes pour me relever. J’essaie de me concentrer sur ma respiration, d’essuyer mes larmes avec mes manches pour effacer par là-même toute trace d’un sentiment qui est incompatible avec ma fonction.
Je récidive une nouvelle fois, assailli par les sanglots, quand l’évidence me frappe.
Père a été assassiné. Les autres sont en danger…
Il n’y a plus de temps à perdre. Dans l’entrebâillement de la porte, j’ordonne au laquais d’aller quérir Santon.
Je ne veux faire confiance à personne d’autre que lui.
Alors, en son attente, je reste enfermé dans le Petit Salon, droit contre le mur, suffisamment loin pour ne pas revivre cette scène d’horreur que mon père m’offre bien malgré lui.
Quand le laquais toque enfin à la porte pour m’annoncer l’arrivée de Santon, je m’empresse de le faire rentrer avant de nous enfermer de nouveau.
— Messire…. commence-t-il en fronçant les sourcils.
Il sait que sa présence ici est inhabituelle. Il balaie la pièce d’un regard avant de s’arrêter sur le divan où il repère le dos de mon père. Quand il pose ses yeux sur moi à nouveau, il doit remarquer mon air épouvantable car il se fige, l’air interdit.
— Mon père a été assassiné, chuchoté-je.
— Je vous présente toutes mes condoléances, Messire, souffle-t-il.
— Assure-toi qu’Odrien, Cilia, Nirien et Maeve soient dans la Cité Interdite au plus vite. Je veux que personne ne sache ce qu’il vient de se passer pour l’instant. Après ça…
Ma gorge se noue. J’ai encore du mal à réaliser ce qu’il vient de nous arriver. Mes jambes chancellent et je fais un pas en arrière pour éviter de perdre l’équilibre.
— Envoyez des hommes de confiance ici. Je veux que cette salle soit gardée intacte jusqu’à ce que je m’occupe des détails. Rien ne doit être négligé. Faites fermer la Grande Porte et le portail des domestiques. Personne ne doit entrer ou sortir de la Cité Royale.
— Tout de suite, Messire.
Et, tandis que les pas de Santon résonnent dans le couloir derrière la porte qu’il a refermée, je m’effondre sur une banquette et laisse le chagrin me submerger.
Le temps me semble diffus. Arrêté. Il m’échappe tant et si bien que quand Santon revient, je n’ai aucune idée de s’il est parti longtemps. D’un signe de tête, il commande à cinq hommes d’entrer dans le Petit Salon. Le silence religieux est rompu par leur pas lourd et le bruit de ferraille de leurs cuirasses en mouvement. Je les laisse se poster au garde-à-vous face à moi avant de leur dire à voix basse :
— Gardez cette salle. Si quelqu’un essaie de rentrer… Vous le gardez ici jusqu’à nouvel ordre.
D’un coup de pied synchronisé, ils me signifient que l’ordre est bien reçu. Je fais signe à Santon de me suivre et dès que nous arrivons dans mon cabinet, il me dresse son rapport :
— Les entrées ont bien été fermées, Messire. Votre famille a été rassemblée dans la Cité Interdite. Toutefois…
Santon déglutit. Je n’ai pas encore entendu ce qu’il a à me dire que je le dévisage déjà d’un œil noir.
Toutefois ?
— Je suis au regret de vous annoncer que Madame la future princesse, Maeve Bressild, est introuvable.
Je vois rouge. Dans ma tête, les idées les plus sombres défilent. A-t-elle quelque chose à voir avec tout cela ?
Et si c’était elle ?
Je me mords la lèvre inférieure.
Elle est donc sur la liste des suspects. Et s’il y a plus… Nous ferons en sorte qu’elle paie. Comment, quand, ce sont des questions que je remets à plus tard, mais elle paiera. Je m’en fais la promesse.
Pour mon père…
Et soudain, une autre voix, plus petite, plus faible, souffle dans ma tête.
Et s’il lui était arrivé quelque chose à elle aussi ?
Ma respiration se coupe et je revois le visage violacé de mon père. Aussitôt, des frissons prennent d’assaut mes muscles.
— Comment ça, introuvable ? Elle doit bien être quelque part.
— Les gardes l’ont vue rentrer dans son pavillon et depuis, elle n’en est pas ressortie. J’ai fait fouiller ses appartements, mais elle n’y est pas.
Mon père qui est assassiné, Maeve qui disparaît… Tout se bouscule tant dans ma tête que j’ai du mal à garder les idées au clair. Je ne parviens pas à réfléchir.
Maeve…
Pourquoi ferait-elle une chose pareille ? Les Norlandais auraient-ils voulu nous faire croire à une alliance avant de mieux nous frapper en plein cœur ? Après tout, ils nous ont bien envoyé une fille élevée pour se battre en guise de princesse. Et si, jusqu’alors, j’avais associé ce fait original à une probable différence culturelle, à présent je redoute que nous ayons fait rentrer le loup dans la bergerie.
Mais si ce n’est pas elle… Alors, qui ce serait ?
Il faudra interroger les domestiques autorisés à pénétrer dans le Petit Salon, tout le personnel qui a participé à la conception des mets, depuis la cueillette de la moindre carugne au glaçage du dernier biscuit. Remonter les pistes et traquer le coupable.
Et s’il s’agissait des indépendantistes ?
Après le coup de ce matin, ils auraient mis à bien leur plan de terreur. À mort la Couronne avaient-ils écrit… Avant d’en tuer le représentant ? Et d’enlever une future princesse en pleine Cité Interdite, pour nous signifier que même entre ces murs intimes et protégés, nous ne sommes plus à l’abris ? Mais pourquoi auraient-ils agi ainsi, et pourquoi elle ? Ils avaient peut-être comme plan d’en faire une otage, ou pire… Mes pensées s’interrompent.
Je ne veux pas l’imaginer.
— Et ses gens ? Vous les avez interrogés ?
— Il n’y avait que sa domestique. Elle m’a répété plusieurs fois que Maeve s’était enfermée dans sa chambre et que depuis, elle ne l’avait pas revue. Mais elle ment. Je sens qu’elle ment. Il n’y a qu’à voir son air affolé et comment elle m’a répété mot pour mot la même phrase pour le savoir.
Maeve. Tu seras donc ma première piste. Que la chasse à la femme commence.