La calèche dans laquelle je réside est d’un confort vertigineux. J’engouffre mes pattes et étirent mes griffes dans l’ensemble de coussins et couvertures aux armoiries de sa majesté Tarik. Je suis transporté sur un nuage duveteux parfumé par un léger encens océanique. Le voyage dure sept agréables journées où, à la recherche de la meilleure position de sieste pour encaisser les soubresauts des roues, j’essaie d’inédites positions. Il est probable que des villageois ont vu passer le chariot royal avec un tigre quelque peu... renversant ! Les rares moments pour me dégourdir les pattes contrastent radicalement par un décor moins classieux. Des auberges aux allures délabrées, des soupers complets qui en ont seulement le nom, des cabanes à besoins pressants aux remugles de rhinocéros malade. Et diable ! Ces chambres à la dénomination grand confort ! Paillasses avec poux à volonté, lampes à huile fêlées et porte-manteaux rongés par les mites. Finalement, après m’être lassé des contrées verdoyantes le long de la Gloire, nous pénétrons les marais de la cité-état.
La forteresse de Flamme-Vaillante est imposante à plus d’un titre. D’épais murs de pierre noire protège la cité, surmontés par des tourelles aux créneaux lourdement armées. À l’est de la ville se trouve l’université des archives, elle-même sous bonne garde d’un nouveau rempart. Ses hautes tours sont parsemées de piquants et de lanternes. Ses écorces-ciel offrent un somptueux firmament de lumignons, lanternes et braseros pour tous les habitants aux alentours. À ses pieds se dressent fièrement l’Académie Archiviste de Flamme-Vaillante. Un long bâtiment aux toits en ardoises défie le ciel gris de ses pointes acérées. Derrière les fenêtres, la lueur des bougies et des torches donnent à l’ensemble un air volcanique. Le rempart intérieur à la ville m’empêche de voir le rez-de-chaussée de cet ensemble lugubre. Le cocher me dépose sur La Grande Place, face aux marches de l’hôtel de ville. Je descends mes quelques affaires, réajuste mon manteau, glisse la main sur ma barbiche peignée avec élégance et prends direction du Grand hall.
J’entre dans une vaste pièce flanquée de somptueuses colonnes, de fresques mythiques aux couleurs rougeoyantes, de draperies représentant les grandes familles d’archivistes et autres représentants de la bonne loi. Ici, l’héritage est tout aussi important que l’art des mémoires et les arbres généalogiques aussi précieux que l’or. La première difficulté de mon séjour s’impose à moi sans détour : une queue d’une vingtaine de manants se trouve entre moi et le comptoir d’accueil. Impossible de ne pas s’enregistrer si je souhaite entrer dans l’antre sacré des archivistes ! Je sors mon laissé passer et commence à doubler sereinement la file, mes canines en évidences. Je suis sûr qu’ici, il n’y aura pas de soudard tigre pour m’arrêter ! J’oublie vite la rectitude du peuple de la cité. Un immense reptilien équipé d’une armure de plates rutilante aux couleurs de la garde me stoppe net. Sa pointe de hallebarde acérée chatouille mon cou velu. Il me jette une œillade compréhensible dans toutes les langues. Je retourne, à reculons, à ma place, tout au bout de la file. Je feule d’impatience... Il me faut compter le temps sur l’ensemble de mes doigts pour enfin atteindre le comptoir, et pouvoir discuter avec une ravissante hôtesse de la ville. Une léoparde des neiges comme l’on en croise rarement au milieu d’une cité qui rend gloire aux écailles et aux œufs. Aux œufs ! Bref. Nous échangeons quelques banalités sur mon voyage, je lui certifie que je ne viens pas voler les savoirs ancestraux conservés dans leurs archives, je jette un œil à son écriteau nominatif et je lui transmets ensuite mon document de passage officiel. Je lui demande avec grâce d’accélérer un peu le processus d’entrée dans la cité. La félidé au nom tranchant d’Erzécheera me regarde d’un sourire carnassier. Elle glisse son doigt en dessous de chaque mot, lentement, et prend le temps de lire chaque paragraphe. Chaque ligne. Chaque mot. Chaque ponctuation ! Je balance entre dépit et rage. Mes vibrisses dansent au rythme de mes souffles exaspérés. Elle finit par apposer le tampon de la cité et m’indique sans dérision aucune l’entrée de la tour des archives. Sans blague. Je la remercie et quitte le bâtiment administratif infernal. Je me crus en pleine nuit ! Les remparts, les maisons, les pavés et le fort renvoient tant d’ombres que le soleil peine à éclairer la ville et ses nombreux habitants. Je me dirige vers un pont-levis lourdement gardé. Seul point de passage entre la cité et son centre des opérations. Je dois me résoudre à avancer, encore, pas à pas, dans une nouvelle file... Durant l’attente interminable du contrôle de la populace et des étrangers par une soldatesque d’une obéissance exemplaire, j’en profite pour sortir mon fromage sec. Je préfère n’en prendre qu’un maigre morceau. Sait-on jamais.
Je lève mes pattes avant, j’écarte mes griffes, j’ouvre ma besace, je vide mes poches, je délie mes bottes. Palpation bourrue et indélicate. L’imposant sergent iguane a des allures de vieille tortue de guerre. Son large sourire et ses nombreuses cicatrices lui donnent un air réprobateur à chaque geste. Je passe la Suberne, rivière qui traverse la ville et qui offre un rempart naturel à la forteresse de Flamme-Vaillante. Enfin ! Je me laisse guider par les pancartes et suis l’élégante courbe des remparts est. J’arrive devant l’imposante entrée de la Tour des Archives. Après un salut courtois aux vaillants soldats, je pénètre dans le bâtiment. L’air y est littéralement glacé ! Quel contraste avec ma bien-aimée Kharapath et ses douces matinées. Des nuages grelottants s’envolent à chacune de mes expirations. Poils hérissés, j’interpelle un lézard tout étriqué. Il m’indique que les contes et légendes oubliés se trouvent tous au onzième étage. Il me faudra aussi rencontrer un archiviste de sécurité au huitième pour continuer de monter. Chouette ! Onze fois plus de chances de mourir pendant l’ascension. Sans perdre un instant, je prends la direction des très vieux escaliers. L’adversaire le plus terrible des scribes ! Des centaines de petites marches, glissantes, escarpées, raides et mal éclairées. Je fais une courte prière à la Déesse devant sa statuette, posée malingrement juste avant les premières marches. J’entreprends l’escalade. Je me laisse guider par mon instinct, un bien bon compagnon des hautes volées.
J’arrive rapidement au premier étage. Des bruits de sabots se répercutent sur le parquet. Je dresse l’oreille pour repérer l’origine du boucan. Sans crier gare, des jeunes étudiants me percutent de plein fouet. Souffle coupé, je tombe à la renverse et m’affale tel un flan trop cuit. Ma besace glisse sur le sol à quelques mètres de moi. Une petite tigresse s’approche alors de moi, aussi surprise que je dois l’être. Je me relève en bondissant. Je la reconnais instantanément.
Félindra. Mon enfant, ma tigresse… Je reste coi. Mes doigts s’agitent sans que j’en aie le contrôle. Mes pensées se mélangent dans un ouragan de désir incontrôlable. Hier encore je rêvai de la revoir, de lui dire que j’étais revenu pour elle, pour être son père. Et puis, rien. Mes babines asséchées par la brûlure de mon cœur, je ne sais finalement que dire. Je suis sec. Elle penche la tête sur le côté, intriguée par mon étrange manège muet.
— Ça va monsieur ? Vous paraissez complètement sonné !
— Oh… Oui merci ma petite, ça va. Je vais bien. Je t’assure. Tout va bien. Vraiment.
Je plonge mon regard dans le sien. Iris incandescents aux couleurs de tanzanites.
— Ça n’a pas l’air quand même, vous avez besoin d’aide monsieur ?
— Esmerald, petite. Appelle-moi Esmerald. Je réfléchis un court instant : cela fait dix années, elle ne se souvient pas de moi. Je le savais. J’aurais dû le prévoir. Un goût amer m’envahi le palais. S’insuffle dans ma gorge. Descend jusque dans mes poumons. Se diffuse dans mon cœur. Je reprends la conversation, masquant ma déception : Comment tu t’appelles petite ?
— Félindra, monsieur Esmerald.
— Ravi de te retrouver petite. Et… quel âge as-tu ?
— Je vais bientôt atteindre mon douzième Ilkbahar monsieur Esmerald. Vous ne me venez pas souvent ici vous, sinon vous auriez su que c’est l’heure de la course des premières années en Droit Juridique de Flamme-Vaillante.
— Il est vrai, cela fait bien longtemps que je n’ai pas foulé ce sol. Je ne pensais jamais y revenir. Dis-moi, saurais-tu me guider jusqu’au onzième étage, ma petite Félindra ?
— Je ne monte pas souvent là-haut, vous savez monsieur Esmerald. C’est trèèèès haut.
Elle monte les pattes en l’air pour mimer la hauteur vertigineuse de la tour.
— Et si en échange de ton service, je t’offre un cadeau ?
— Quel genre de cadeau monsieur Esmerald ?
— Ha ! Je ne peux te le dire que quand je serai trèèèès loin du sol. Je m’amuse à mimer la hauteur du bâtiment.
— Vous me faites chanter monsieur Esmerald !
— Haha, peut-être ma petite Félindra. Alors, marché conclu ?
— J’espère que le cadeau en vaut la chandelle monsieur Esmerald ! Ramassez votre fourbi et suivez-moi vite !
— Hé ! Attends-moi !
Je saisis l’anse de ma sacoche au vol et trotte derrière ma progéniture. Disparue il y a si longtemps, séparée de moi à la suite du sinistre du quartier calciné. Moi qui pensais qu’elle avait disparu à tout jamais. Que sa majesté le roi l’avait envoyé si loin de moi que jamais je ne pourrais de nouveau observer les courbes de son visage. Quel imbécile. Nous rencontrons quelque agitation durant notre traversée du premier étage, où les étudiants de l’école de juridiction trouvent plus intéressant de se livrer à une bataille de coussins retranchés derrière des murs de livres plutôt que d’étudier paisiblement. Nous arrivons au second. Cette fois, j’enjoins ma guide de ralentir pour prendre le temps d’observer ce qui nous entoure. Je regarde à droite, puis à gauche, puis de nouveau à droite. Félindra me sourit et m’explique que c’est ici que sont entreposés les livres du vieux royaume des temps reculés antiques et anciens. Bien trop avant la réunification des peuples de Mara. Désuétude. J’en profite pour lui demander ce qu’elle étudie habituellement. L’art de mémoriser les émotions des autres locuteurs ! Me répond-elle du tac au tac, avec sa voix fluette d’adolescente. Un frisson me parcourt l’échine. Je me demande s’il vient du froid environnant ou bien de l’image mentale qui m’est venue en tête. Je ne pourrais cacher mes émotions bien longtemps face à une tigresse pleine apprentie en la matière !
Le troisième étage se trouve être plus tranquille et nous filons au quatrième, où un nouvel univers m’apparaît de plein fouet. Ici, livres et parchemins mènent leurs propres vies. Ils se baladent dans les allées, discutent de mots et de verbes irréguliers. Ils se rangent par eux même quand une envie de repos s’impose. Interdit par ce spectacle, je questionne Félindra. Une magie ancienne occupe encore les lieux de la Tour aux Archives. Cet étage n’a jamais pu être rangé, et les iguanes s’en sont accommodés. Fatigué par l’ascension, je fais une courte pause. Félindra s’assoit à mes côtés.
— Es-tu contente de vivre ici ma petite ?
— Bien sûr monsieur Esmerald. J’apprends tous les jours de nouvelles choses. Vous saviez qu’Edmon IV le vieux pouvait parler douze langages différents et en écrire au moins six ? On dit de lui qu’il est le plus vieil érudit ayant jamais existé !
— Ah, non, je ne savais pas. Moi qui pensais tes cours inintéressants. Les archives, ce n’est pas ma passion. Ne te détrompe pas, j’aime lire. Mais écrire, encore plus. Et puis, faire la sieste bien sûr, comme tout bon tigre.
— Je n’aime pas m’ennuyer, et encore moins faire la sieste. Quelle activité ingrate ! Et vous monsieur Esmerald, vous faites quoi comme métier ?
— Je suis scribe. Le scribe royal du royaume voisin, le royaume de Kharapath. Je peux retranscrire n’importe quel texte, même s’il est dans une langue que je ne saurai lire !
— Oh !
Un puissant cri écourte ma réponse. Une bagarre entre un dictionnaire ventru et un feuillet de poèmes délicats. Les deux protagonistes s’injurient et se parjurent de mots grotesques et finissent par en venir aux feuilles. Le résultat est aussi hilarant qu’humiliant pour le dictionnaire : pages cornées et ratures le défigurent. Félindra me fait signe. Nous reprenons la montée. Les trois étages suivants se trouvent dans une torpeur studieuse où nous décidons de ne pas nous attarder. Lieu parfait pour les somnambules en quête de repos, où sont conservées ici les archives juridiques du royaume de Flamme-Vaillante. De l’apaisement. Sans un mot, sans un bruit, je suis ma fille qui glisse parmi les ombres des rayonnages avec aisance. Sa toge de laine aux tons d’un ciel crépusculaire contraste avec le décor quelque peu clinquant du parquet ciré et des lampes en bronze. Sa silhouette se faufile parmi les reptiles avec désinvolture et les regards extérieurs glissent sur elle aussi simplement que la pluie sur une lame aiguisée. Quant aux coups d’œil que l’on me jette sans arrêt, je fais fi de ne pas les voir. Toisant la plupart des archivistes et étudiants de cette tour, ma stature est suffisamment imposante pour que personne ne vienne me chercher grain de sel.
C’est sans compter le huitième étage.
Un monstrueux dédale de livres entassées çà et là, des tables renversées et couvertes de griffures, des lampes éteintes ou branlantes. Une bataille sans merci s’y livre entre deux personnages pour le moins surprenants. D’un côté un vieil archiviste castor comme il est rare d’en croiser si loin de leur terre d’origine. Son visage m’apparait burlesque avec sa truffe bombée, son cou aussi large qu’un talus, ses oreilles couchées vers l’arrière, ses petites billes noires enfoncées sous un trop haut front et sa barbiche mal léchée. Il est armé d’un bâton en fer forgé dans un style très sobre. Le poids de l’arme transparait au travers des bras bandés et musculeux du vieillard. Face à lui, un iguane aux écailles si lisses et si grises, aux pupilles si oranges que l’on dirait une statue de cire animée. Tout chez lui me fait penser à un monde miniature : de petites dents, de petites taches, des petits yeux, des petites pattes, une petite queue et même de petites griffes. Je reste pantois devant ce combat aux allures aussi grotesques que violentes. Le maître rongeur frappe avec force un projectile, le renvoyant rapidement dans la direction de mon splendide visage. Le temps que je me protège la face, l’objet volant non identifié s’écrase contre le rebord d’une armoire et retombe en un tas de débris difforme. Je hausse un sourcil et remarque Félindra amusée à mes côtés. Elle se met à couvert et m’indique de venir aussi. J’observe, attentif. Le lézard tente une approche sournoise en frappant du plancher vers le buste, mais l’on n’apprend pas aux vieux singes à faire des grimaces. Le castor repousse l’attaque avec une aisance remarquable et frappe l’arcade de son adversaire sans retenir son coup. Ce dernier esquisse un rictus douloureux et crache sur un banc retourné. J’avance alors de quelques pas dans leur direction, et après une nouvelle prière à la déesse, je tente de les interpeller.
— S’il vous plait mess...
La fin de ma phrase se perd dans le vacarme des griffes tranchantes contre le métal de l’arme contondante de l’archiviste. Une fois de plus, il toque le crâne du reptilien et le repousse sans effort.
— Quoi ?!
Le gros castor me fixe d’un regard aussi sombre que le néant infini. Je ressens un frisson dévorant me parcourir le dos et je glisse la queue entre mes bottes. J’indique au bon monsieur l’escalier pour l’étage suivant, juste dans son dos.
— J’ai besoin de passer, sire archiviste.
— Appelez-moi Elyod le rude. Et, quelle idée que de monter ! Ne voyez-vous pas que nous sommes occupés ?
— Je m’en aperçois sire Elyod, mais j’ai un laissez-passer royal.
— Elyod le rude. Et ?
— Et bien... je dois passer, sire Elyod. Le rude.
— Ça peut attendre.
— Certainement pas !
L’archiviste arque un sourcil et prend une mine mauvaise. Le reptilien profite de la distraction pour tenter une attaque par derrière, crocs en avant. Il reçoit un violent coup de canne dans le museau. Il glapit de honte autant que de douleur.
— Mettez-moi à terre et je vous mènerai à l’étage supérieur immédiatement après. Éflir, observe comment se débrouille le chaton chétif dans son costume de nobliaux.
— Oui maître. Croassa le jeune reptilien.
Je retiens son insulte et décide de lui faire regretter ses paroles acerbes. Il se recule de quelques coudées pour prendre place sur une bibliothèque à moitié renversée, les étagères vidées de leurs savoirs. J’étudie mes possibilités. Le regard de l’archiviste m’assomme avec autant d’efficacité qu’un gourdin. Je dépose ma besace à mes pieds, puis retire en toute tranquillité mon manteau. J’en profite pour récupérer mon arme secrète. Je lisse ma veste de personne de lettres et m’approche du vieil homme hardi à pas lents. Très lents. Félindra m’observe. J’accélère soudainement et prends appui sur un banc pour me propulser en direction de mon adversaire. Il recule d’un bon pied et prend son arme à deux mains. Je bondis de toutes mes forces et serre le fromage sec de brebis entre mes griffes. Sans attendre de retomber à portée du bâton, je projette mon arme fromagère en pleine face de mon adversaire. Aussi surpris qu’ahuri par ma forme physique et mon attaque, il se protège de mon arme de jet de fortune. Je retombe à sa droite et saisis son poignet en un instant. Mes doigts, griffes rétractées, s’enfoncent dans ses tendons. Neutralisé, je lui fais une clé de bras propre et nette. Il hurle de stupéfaction et lâche son arme à terre. Un croche-pied plus tard, l’archiviste est genoux à terre, ses longues dents plaquées contre le bois du plancher, son égo humilié. Je remets mon manteau et ma besace sous les applaudissements fournis d’Éflir et de Félindra. J’en souris jusqu’aux oreilles qui frétillent. Le vieillard ne consent pas à me féliciter et aucun mot ne sort de ses lèvres serrées. Il me laisse passer.
Le neuvième étage est calme par rapport au précédent : tables alignées, lampions crépitants, livres aux repos. Quelques personnes vaquent à leurs études dans le plus grand silence. Une archive des plus ordinaires. Excepté la végétation. Les bibliothèques, les bureaux, les bancs, les étudiants... Tous se trouvent enchevêtrés parmi d’exotiques arbres, des murs de lianes et des forêts de fougères ! Des notes pincées, aériennes, traversent l’étage et circulent tranquillement entre les lianes suspendues, les fougères touffues, les plantes en pot, les terrariums de toutes tailles et les marres aménagées. Ma truffe m’indique un mélange de terreau fertile et de senteurs exotiques que je ne connais pas. Je me laisse guider dans cette jungle verdoyante au côté de ma petite archiviste. Quelques contorsions me sont nécessaires pour me faufiler à sa suite, et mes yeux finissent par repérer la harpe, dans un coin dégagé de toute verdure. À ma surprise, c’est un iguane enfant qui y joue. Tout le monde vaque à son occupation comme si de rien n’était. Un iguane coiffé d’un large chapeau arrose même les bacs d’où s’extirpent de tortueuses racines. Cette vision étrange m’étourdit quelque peu. Décidément, cette tour recèle bien des mystères. Si l’on m’avait un jour dit qu’une bibliothèque serait constitué d’autant de feuilles, je ne l’aurais jamais cru ! Félindra me guide parmi la canopée. Je pose un regard attendri sur sa petite tête et, finalement, je lui tends la main. Elle la saisit fermement. Elle avance rapidement et nous conduit à l’étage supérieur.
Le dixième étage est ce que l’on pourrait qualifier de... vide. Aucun livre, aucun meuble, personne ! Les marches ne mènent à rien d’autre qu’un parquet tellement ciré que l’on pourrait croire qu’il est constitué de glace. Dans son reflet dérangeant dansent les flammes des torches situées le long des murs. Les flammes me rappellent à mes souvenirs de notre séparation. Les flammes me chauffent le poil et me hantent le cœur. Je suis figé sur la dernière marche, accroché à Félindra comme un tigre à la mer sur son canot.
— Vous avez peur monsieur Esmerald ? Mais il n’y a rien !
— C’est que… Comment allons-nous traverser cette mer de glace ? J’ai peur d’y rester coincé comme sur un lac en plein hiver !
— Pas le moins du monde monsieur le scribe ! Il est juste très très propre. Vous savez ici, les iguanes, ils aiment quand ça brille. On les dit descendant des grands dragons, monsieur. Vous le saviez ? Moi, je le sais en tout cas. Les dragons, ils aiment les trésors. Ça aussi on nous l’a appris. Alors, on peut dire que les iguanes, ils aiment aussi les trésors non ?
J’opine machinalement, la gueule fermée, trop oppressé par cet étage. Je focalise mes pensées sur le froid hivernal plutôt que sur la chaleur des torches. Félindra garde ma patte dans la sienne et me traine tout droit jusqu’à l’étage suivant. Enfin. Le onzième étage ! Là, Félindra m’arrête, son petit poing contre mon torse. Je l’interroge du regard.
— Ça ne va pas vous plaire monsieur Esmerald.
— Pourquoi cela ma petite ? Fais-moi voir.
L’apprentie archiviste s’écarte de mon chemin, repoussé par mon impatience. Une pancarte m’attend sagement en travers des escaliers. Un message à m’en arracher mes plus beaux poils.
Fermé pour travaux. Réouverture prochainement. Pour plus d’informations, veuillez demander à l’accueil au Rez-de-chaussée. Nos excuses pour la gêne occasionnée.
J’en tombe sur l’arrière-train. Aucun avertissement de la part des archivistes rencontrés ! Je frappe l’écriteau de toutes mes forces, froissant mes muscles avec violence. Je bouillonne, je rugis de l’intérieur. Félindra prend peur. Elle me fixe, inquiète. Je perds patience et bande mes muscles pour frapper. Elle me fuit. Mon cri d’exaspération résonne dans l’étage vide en contrebas des marches. Je calme mes nerfs et apaise ma noirceur naissante. Une fois de plus, je suis seul. Mes affaires gisent sur les marches, interdites. Je murmure à moi-même.
— Félindra... Quand j’ai entendu ton nom dans la bouche de Baharak, j’ai cru perdre patte une nouvelle fois. J’aimerais pouvoir t’expliquer ce que j’ai ressenti le jour de ton exil. Tu pleurais tellement, tu hurlais à la mort, jusqu’à la porte de Kharapath. Et puis, avant d’être emportée par une calèche, tu t’es tue. Comme morte. Tu as disparu de ma vie, tu as disparu de la vie de ta mère. Je n’ai même pas couru après toi. J’ai fait le fier. J’ai fait le tigre loyal auprès de sa majesté. Je n’ai jamais oublié, mais toi si. Tu as oublié.
Et puis, je l’entends revenir. Elle s’approche de moi. À genoux, je lui jette un regard amer. Elle a des allures de souvenir. Son visage élancé aux poils courts, ses petites oreilles rondes entièrement noires, son joli pelage auburn, son sourire franc rehaussé par ses pommettes de jeune adolescente, sa collerette décoiffée couleur brasier de feu de camp. Son tendre regard, encore quelque peu affolé, me subjugue comme auparavant. Je saisis sa petite patte tendue pour me relever, époussète mon manteau et ramasse ma besace.
— Monsieur Esmerald... Je suis désolé. Je ne savais pas que le dernier étage était fermé...
— Félindra, c’est à moi de m’excuser. Je n’aurais pas dû m’énerver. Je n’aurais pas dû… Tu te souviens du cadeau dont je t’ai parlé tout à l’heure ?
— Oui monsieur Esmerald. Vous avez promis de me le donner si je vous amenais tout en haut de cette tour. Mais l’étage est fermé...
— Ce n’est pas grave ma petite. Je reprends une voix confiante et m’essuie une larme. Je suis un grand scribe de mon royaume, et vois-tu, je suis venu ici pour accomplir une mission d’une très grande importance. Je dois recopier une légende pour que la princesse de mon royaume puisse célébrer son mariage. C’est une idée de sa majesté le roi en personne. C’est très important pour mon peuple que la princesse puisse émerveiller ses convives, et son futur prince. Félindra, désormais assise devant moi, m’écoute avec grande curiosité. Cela fait bien des années que tous les habitants de Kharapath attendent ce moment de grâce. Car en plus d’apporter force et courage à mes semblables, le mariage apportera paix et sérénité sur les Landes de la Gloire. Félindra penche sa petite tête sur le côté, comme perdue. Les landes constituent tous les royaumes autour de la plus grande rivière du continent : La Gloire. Enfin, passons ce détail géographique.
— Et c’est pour cela que vous avez fait tout ce chemin monsieur Esmerald ?
— Eh bien, pas seulement. J’avais très envie de revoir ma…
— Suivez-moi monsieur Esmerald, je vais vous trouver la meilleure des légendes !
— Mais je...
Sans attendre, je suis Félindra qui file à toute berzingue, comme un mouton qui suit son chien de berger. Nous redescendons quelques marches maléfiques et quelques étages pour rejoindre une alcôve des plus douillettes : coussins, table en chêne massif et fenêtre en ogive. Une superbe vue sur la forêt de Flamme-Vaillante s’offre à moi. Les pins s’accrochent aux remparts tandis que leurs branches poussent vers le ciel telle une marée de bras tendus en direction de la Déesse céleste. Une brume légère et onirique offre au paysage une vue inoubliable. Félindra me fait prendre place sur le banc qui jouxte le mur de la tour.
— Attendez-moi là !
Sans pouvoir émettre la moindre objection, je patiente alors sagement, le temps que ma sauveuse revienne avec ladite légende. J’en profite pour retirer mon manteau et préparer mes outils d’écriture. Je dépose dans un ordre précis la plume et son écritoire, la vasque d’encre, le mouchoir, une plaque en bronze pour déposer les gouttes de trop. Je finirais bien mon morceau de brebis si je ne l’avais pas envoyé dans la tronche de mon précédent adversaire. J’écoute alors avec amertume mon ventre gronder de faim.
La journée passe à vive allure, et la fatigue me rattrape aussi sûrement que la paix que me procure le lieu. Riche d’une connaissance et d’une organisation sans limite, la Tour aux Archives a sur moi un effet déroutant. J’ai l’impression d’être sous contrôle d’une magie ancienne, parfois obscure. Tandis que j’use mon regard sur une lampe à huile tout près de moi, je pense à ma fille devenue apprentie archiviste. À sa vie dans un monde étranger de son peuple. De sa famille. Le temps s’égrène aussi lentement qu’une tortue qui s’aventure sur une pente glissante. Je bats de la queue pour passer le temps. J’attends. Pattes avant croisées. Pattes arrière à demi allongées. La faim me tenaille. La flamme danse. La nuit tombe. J’attends.
— Monsieur Esmerald ? Ses petites mains m’ébrouent comme l’on secoue un prunier.
— Hein ?! Oh pardon, je m’étais assoupi.
— J’ai vu ça monsieur Esmerald. Tenez : voilà le livre qui vous permettra de marier votre princesse !
— Merci. Merci beaucoup Félindra. Bon... Et quelle page me conseilles-tu, plus grande archiviste de notre époque en devenir ?
— La page treize, monsieur Esmerald. C’est le début de la plus grande légende que je connaisse ! Il y a tout un tas de peuples que je ne connais pas du tout, de jolis paysages et plein de beaux mots. Et puis surtout, il y a une grande dame féline qui part à la conquête d’un château fort dans le désert ! C’est épique, ça se bagarre tout plein, pour finir sur une danse nocturne comme vous n’en avez jamais lu. Promis, je n’ai rien lu d’aussi beau.
— Rien que ça ! Et pas de méchant qui gagne, pas de sang, pas de malédictions ici ?
— Aucun monsieur Esmerald. C’est promis ! Parole de tigresse.
— Très bien Félindra, je te crois.
— Monsieur Esmerald. Dites-moi… Je sais que ce n'est pas très poli mais… Maintenant, est-ce que j’ai mérité votre cadeau ?
— Haha, oui Félindra, tu mérites amplement ce présent.
Je saisis ma chevalière familiale que je retire de mon doigt. Sur le dessus est représenté une plume et une rivière. Deux émeraudes finement taillées rehaussent l’ensemble. L’anneau en or est rutilant. Je l’essuie d’un coup de chiffon, puis je me mets à la hauteur de Félindra et la regarde droit dans les yeux. Je dépose délicatement la bague en or dans sa paume.
— Ohhhhh.
Elle place sa patte libre sur la bouche et me regarde, ahurie. Elle approche ses doigts du bijou et la caresse délicatement. Elle hésite, le retourne, le regarde sous tous les angles. Ses yeux passent du bijou à moi, de moi à la chevalière. Elle toque dessus, comme pour s’assurer de sa solidité, de sa réalité. Sans crier gare, elle saute contre moi et m’enlace de tout son poids. De tout son cœur. Je la serre fort. Fort.
— Merci monsieur Esmerald. Elle est trop belle ! Il se fait tard, je dois rentrer… Reviendrez-vous vite ?
— Dès que je le pourrai Félindra.
— Au revoir, monsieur Esmerald.
— Au revoir ma petite.
Je lui tends ma paume qu’elle s’empresse de taper de toutes ses forces. Cela l’amuse un instant, puis, après une harmonieuse courbette, elle disparait derrière une bibliothèque aussi massive que débordante de parchemins et autres vélins. Félindra. J’inspire une bouffée de calme. Elle a tant grandi. Son avenir rayonne devant elle, je n’en doute pas un seul instant. J’aimerais lui courir après. La rattraper. La serrer dans mes bras, encore. Pourtant, ma mission m’attend. Je détends mes muscles des bras, des poignets, des paluches et des doigts. Je fronce les sourcils et renifle l’air. Toujours aussi glacial, avec un léger parfum de renfermé. J’empoigne alors ma plume, la trempe dans le pot d’encre, essuie le trop-plein sur le rebord puis ouvre mon parchemin vierge. Je lis la première phrase d’un dialecte fort ancien, et la recopie. Lettre après lettre. Je gratte le papier avec la plus grande délicatesse. Dans mon monde, tout va plus lentement, plus doucement. Chaque syllabe doit s’inscrire dans une compréhension plus vaste. Dans un ensemble complexe, dans une signification globale. Ici, pas de place pour l’individualité. Aucun mot ou idéogramme ne peut être écrit seul. Dans cet exercice de style, je prends tout mon temps. Je ne dois pas commettre la moindre erreur dans le copiage, au risque de déshonorer la lignée de sa majesté Tarik. Je dois m’appliquer comme si ma vie en dépendait, et sans vantardise, je le fais de la plus belle des manières. Rien ne me dérange. Ni les bavardages des étudiants encore debout, ni les plaintes langoureuses du vent. Même le crépitement de la lampe à huile ne vient pas à bout de ma concentration. Je termine la rédaction de la légende de la première reine de Mara après que le soleil se soit endormi. La joie bruyante et enthousiaste de ma petite Félindra résonne en moi. En mon cœur.
Tu verras monsieur Esmerald m’a-t-elle dit. Le ciel en sera bouleversé, les nuages seront méconnaissables, et les invités époustouflés ! Je ne peux que la croire au vu de la longueur du texte. J’espère simplement que la princesse aura assez de souffle pour tout prononcer de bout en bout ! Je range mes instruments et me prépare à la dangereuse descente des escaliers. Seul. La noirceur environnante causée par la nuit et les murs de pierres volcaniques n’aident en rien ma sécurité. Alors que j’approche de la première marche, j’aperçois une porte métallique et une pancarte en fer rouillée. Derrière la petite barrière se trouve un vaste trou qui offre la sombre vue du Rez-de-chaussée, six étages plus bas. J’en frissonne. Je revins à l’indication : Élévateur.
Je me retiens de frapper très fort la porte grillagée. Je jure quelques sobriquets fleuris qui me viennent à l’esprit. Le son se répercute en écho sourd dans la tour vidée de toutes ses âmes. J’actionne le levier pour appeler la cabine, soufflée par quelques mécanismes ingénieux et un peu de magie du Vent calme. Je me retrouve quelques instants plus tard dehors, les yeux éblouis par la forteresse, illuminée de mille feux dans une nuit silencieuse et nuageuse.
La brise nocturne apaise mon esprit. Je sors de l’enceinte du fort sans encombre, et me rends à l’auberge prescrite par Vermeil. Bien qu’insolent, pot de colle et même parfois machiavélique, je dois bien lui admettre une qualité. C’est un trésor à bonnes adresses ! Une dernière nuitée confortable me ferait grand bien avant de reprendre la route. Je traverse la grand place remplie d’une immensité vide, et sans difficulté trouve l’auberge dans laquelle je pourrais me reposer : « Le bruyant chaudron ». J’en reste perplexe. Les fenêtres sont éclairées de vives lueurs rouges, bleues et jaunes. Plusieurs groupes profitent de la fraîcheur de la nuit pour fumer la pipe et discutailler en toute liberté. L’endroit me parait fort animé pour un repos réparateur. Mais tant pis, je pénètre dans l’établissement, confiant.
Quelle ne fut pas ma surprise ! Je me retrouve au milieu d’un pré à l’herbe grasse et verdoyante. Trois cerisiers majestueux soutiennent l’étage supérieur de leurs ramures massives, les murs disparaissent de ce lieu fantastique par leurs peintures champêtres en trompe-l'œil. Je prends place sur un petit tabouret et demande au serveur un thé vert. Fumé je vous prie. Il s’approche de moi, me regarde de bas en haut, juge ma stature et mon visage de roi des félins, s’en va et finit par ramener une lourde pinte de bière. J’élève la voix :
— Monsieur, ce n’est pas ce que je vous ai commandé !
— C’est pourtant ce que vous offre ce client. Cet apprenti archiviste, juste là.
Le barman tend sa main aussi épaisse que le cou d’un buffle en direction d’une petite table où réside un iguane vêtu d’une simple toge d’apprenti. Une pile de livres colorés trône à sa table. Je ne le reconnais pas immédiatement et décide de le rejoindre, avec ma bière. Je traverse la salle pour venir m’attabler auprès de mon généreux donateur. Il me tend sa chope à demi pleine pour trinquer l’amitié. C’est en plissant un peu plus mes yeux fatigués que je le reconnais : Éflir, le vaillant combattant du vieil archiviste aigri !
— Vous êtes doué pour vous battre, l’étranger. Mais l’êtes-vous autant aux jeux ? La bonne fortune décidera de son champion !
Je marmonne mon mécontentement, avant d’avaler une bonne lampée de cette bière aux herbes. Délicieuse ! J’accepte finalement sa proposition. Nous jouons plusieurs parties de dés durant lesquelles je perds plusieurs cubes d’argents, et nous buvons bien plus que de raison. Mon thé ne vient jamais me sauver du traquenard et la nuit s’étire aussi longuement et langoureusement que mon mal de crâne s’installe. S’évadent mes pensées dans un sommeil aviné.
Je reviens suivre les aventures de notre cher Esmerald.
Un petit retour sur le fond :
Je trouve ça dommage qu'il retrouve sa fille, mais ne dise pas qui il est.
Concernant ce sujet, il y a autre chose qui m'a embêtée : on manque un peu d'intériorité je pense : Esmerald pense brièvement à la situation, mais uniquement par rapport à lui, au fait qu'il a été séparé d'elle. Il lui demande à peine si elle est heureuse où elle se trouve... Vu qu'il ignorait lui-même jusqu'à un temps récent où elle se trouvait, j'aurais pensé qu'il serait plus curieux de découvrir ce par quoi elle est passée, comment elle a vécu.
Finalement, on aura une réplique qu'il murmure où il parle de son traumatisme mais j'ai un peu plus de mal à le ressentir que je l'aurais été, je pense, si c'était disséminé dans le texte. Surtout que ça ne me paraissait pas particulièrement lié à son état de colère.
Aussi dans ses pensées, on a beaucoup d'observation, de descriptions tout au long du chapitre, mais assez peu de ressenti sur ses retrouvailles avec sa fille et ses intentions derrière ça. On dirait que c'est juste un petit bonus sur le chemin de sa mission, alors que j'avais l'impression, au chapitre précédent, qu'il avait choisi cette mission pour pouvoir approcher Félindra.
Après sur une note plus positive, j'ai aimé voir comment Félindra a l'air de s'attacher naturellement à lui.
Mais je pense que tu peux renforcer la psychologie d'Esmerald sur ce chapitre, ça s'y prête bien !
Et peut-être faire quelques coupes sur les descriptions. Il y en a beaucoup sur ce chapitre.
Remarques sur la forme :
- Peut-on "résider" dans une calèche ? J'aurais dit "voyage".
- "Paillasses avec poux à volonté" -> puces ?
- "m’affale tel un flan trop cuit." -> j'ai eu un peu de mal à avoir l'image
J'espère que mon avis t'aura été utile !
À bientôt! :)