Octobre 1831
126 jours que personne ne me voit. J'arpente les rues pavées de la ville, accostant tous ceux que je croise. Personne ne me regarde ni ne semble m'entendre. Je sais bien que tout le monde raconte qu'il ne vaut mieux pas m'aborder mais de là à m'ignorer. Je continue de marcher, désespérée. Un homme passe à côté de moi. Grand, bien habillé, c'est le conte Oscar. Je me retourne et m'approche de lui, écoutant sans gêne la conversation qu’il entame avec une femme de la noblesse. Celle-ci vient toutes les semaines depuis des mois, dans le seul but de montrer sa richesse et d'acheter des oranges. Uniquement ce fruit. A chaque visite, elle prend un air suffisant lorsqu'elle arrive devant la marchande et ne montre pas un seul signe de remerciement. Pas une fois elle n'a été polie. J'ai essayé de la voler de nombreuses fois. Mais cette femme est très douée, elle protège bien son argent. Elle coud ses bijoux à ses vêtements pour qu'on ne puisse pas les dérober.
Le conte fait la cour à cette femme. Quelle belle occasion pour les expériences, je n'apprécie ni l'un ni l'autre. Je m'approche suffisamment du conte et lui décoche un coup de poing dans la figure. Ma main traverse son visage et ressort de l'autre coté comme si elle avait brassée de l'air. Je n'ai rien ressenti. Le conte non plus apparemment, il continu de répandre sa richesse à la noble. Je réitère l'expérience avec la femme cette fois : aucune sensation ni aucun changement dans son comportement. Je n'existe pas.
- Pourquoi aller chez moi ?
Une voix qui commence à m'être familière me tire de mes pensées.
- Gwen ? tu es la ?
Je regarde Sam : il m'observe, soucieux.
- Pour que tu prennes des affaires, lui répondis-je
Nous marchons à pas soutenu vers l'appartement de Sam qui, heureusement, n'était que quelques rues plus loin.
- Pourquoi ? Je ne peux pas rester chez moi ? On les a tué ces types, je ne crains plus rien, n'est-ce pas ?
- Ils ne sont pas seuls, c'est toute une organisation qui veut te tuer, lui dis-je. Et peut-être que d'autres personnes sont aussi là, quelque part.
Je disais cela en surveillant constamment derrière nous. J'aperçois un homme : il est grand, chauve, la quarantaine. Il nous regarde. Furtivement certes, mais il nous suit depuis au moins 5 minutes. Avez-vous déjà remarqué que personne ne marche parfaitement à la même allure ? On finit tous par ralentir ou accélérer selon ce qu'on voit ou ce que l'on fait. Hors cet homme, situé de l'autre côté du trottoir, marche exactement à la même allure que nous depuis les 500 derniers mètres.
- Toute une organisation ? Qui d'autre nous suit ? demande Sam, qui recommence à paniquer.
- Des chasseurs. Ils ont pour but de surveiller les événements surnaturels, et de vérifier qu'aucun humain ne s'y retrouve mêlé. Ils veulent surement te tuer car eux aussi pensent que tu es humain et...
Je m'arrête net de parler.
- Et ? demande Sam
- Ils vérifient que les humains n'apprennent pas notre existence. Or je viens de hurler devant une foule d'innocents. Aucun humain n'est capable de faire ça. Les mortels finiront donc par comprendre que nous existons, ce qui les place dans la ligne de mire des chasseurs. Et moi aussi par la même occasion car j'ai provoqué ça. Mon dieu, qu'es ce que je viens de faire ?
Derrière nous, une énorme explosion se fait entendre. Par réflexe on s'arrête et se retourne : de la fumée s'échappe de la rue que nous avions quitté un instant plus tôt. Les chasseurs effacent les traces. Je me risque à jeter un coup d'œil vers celui qui nous suit. Il s'est lui aussi arrêté mais ce n'est pas l'explosion qui l'intéresse. Il continu de nous surveiller. Je prends le bras de Sam et lui dit de ne pas s'arrêter de marcher.
- J'ai encore une question, s’hasarde-t-il.
- Je m'attends au pire, je réponds en souriant
- Comment fais-tu pour que les balles te traversent sans te toucher ?
- Techniquement je suis un fantôme, c'est-à-dire que je suis intangible, les choses me traversent sans me toucher car je ne suis qu'un esprit. Mais j'ai appris à, comment dire, posséder un corps. A le rendre tangible, et ainsi avoir une apparence humaine.
- Tu peux posséder quelqu'un ?
- Non, je ne peux posséder que mon propre corps. C'est celui que j'avais quand je suis morte. Ce corps est comme figé dans le temps, si on me blesse d'un coup de couteau par exemple, la plaie va disparaître et ne laissera aucune cicatrice. Mon corps ne vieillit pas non plus.
- Tu es morte à quel âge ? Demande-t-il ; Étais-tu mariée ? Des enfants ? Comment vivais-tu ? Étais-tu une Banshee avant ta mort ? Désolé je pose trop de questions, mais tout cela me fascine. Tu te rends compte que je parle avec un fantôme ?
- Ce n'est rien, je dois dire que tu es le premier à ne pas me poser en première question : comment faire pour te tuer ?
- Vraiment ? c'est la première question qu'on te pose en général ?
- Tu n'imagines pas ce qui ce passe dans la tête de certaines personnes... Pour répondre à tes questions : je suis morte à trente ans, j'étais mariée, j'avais deux enfants et j'étais humaine avant de mourir. Et je suis morte en me prenant une balle dans le cœur. Mon assassin était un soldat ennemi venu s'emparer de mon village. Et il est mort quelques minutes après moi car les alliés sont arrivés.
- Comment as-tu su que ma prochaine question concernait ta mort ? laisse-moi deviner, ajoute-t-il, tout le monde te pose cette question ?
- En effet, tout le monde semble toujours très intéressé par la mort. A moi de te poser une question : Comment as-tu fais pour ne jamais croiser aucune créature comme nous ?
Il se tut un instant.
- Je suppose que je n'ai jamais cherché à rencontrer quelqu'un comme moi, dit-il. Je me suis toujours considéré comme un humain, surement fou certes, mais un type normal avec un penchant animal.
- Un penchant animal ? répété-je, je savais bien qu'il y avait autre chose : tu te transforme, n'est-ce pas ?
- Comment tu as pu deviner ?
- Les chiens loups ont un côté animal, comme les loups garous, les vampires, les coyotes, les dragons,.... Tous ces créatures se transforment, il est logique qu'un chien loup aussi.
- Il n'y a pas que ça, dit-il, d'un coup moins confiant. Lorsque je me transforme, je deviens violent, et ...
- Et tu as déjà tué, je complète.
- Oui.
- Tu viens de me voir à l'œuvre, moi aussi je tue, et c'est normal pour une créature comme toi de tuer.
- Tu trouves ça normal de tuer ? s’indigne-t-il.
- Pas des innocents, mais c'est dans ta nature, tu ne peux pas éviter ça. Mais en acceptant ce que tu es, tu contrôleras mieux tes pulsions.
- Tu crois ? comment as-tu appris tout ça ?
- J'ai eu le temps d'en faire des choses en 200 ans.
- On est arrivé, dit Sam.
- Quoi ?
- Chez moi, on y est.
L'espace d'un instant j'ai oublié que nous nous dirigions vers l'appartement de Sam pour qu'il puisse se changer et prendre quelques affaires. Je jette un coup d'œil derrière moi : le chasseur est toujours là. Il faut que je l'occupe. Je me tourne vers Sam :
- Il y a une entrée par l'arrière ?
- Bien sûr, répond-t-il.
Sur ses mots, il partit vers la rue voisine. Le chasseur me regarde : il ne sait pas qui suivre. Je le fixe tout en le rejoignant.
- Vous n'êtes pas très discret, lui dis-je.
- Ce n'était peut-être pas mon but.
La situation l'amuse. J'espère seulement qu'il est seul. Pourquoi ne pas lui poser la question.
- Vous vous promenez seul ou une équipe nous tourne autour ?
- A votre avis ?
- Peut-être que vous bluffez.
- Peut-être qu'ils ne vous trouvent pas assez importante pour s'occuper de vous.
Il vient de faire une erreur. Vu le carnage qui vient de se produire, ils sont forcément là quelque part. Reste à connaître leur plan.
- Et vous, êtes-vous seule ? Ajoute-t-il
- Je n'ai pas...
Je n'achève pas ma phrase. Quelqu'un de l'autre côté de la rue venait de siffler. Je me retourne et vois Sam me faire signe. Il a maintenant une chemise grise, un jean et des baskets. Il tient un sac de sport. Comment a-t-il pu être aussi rapide ? Je regarde le chasseur et lui dit :
- Vous m'excuserez mais quelqu'un de plus important que vous m'appelle.
Alors que je m'apprête à retourner vers Sam, le chasseur m'agrippe le bras. D'autres débarquent. Il me tient fermement et porte la main à son oreille. « J'ai la fille » sort-il. Les autres se ruent sur Sam qui se met à courir. Son coté animal a pris le dessus, il est trop rapide pour des humains, même bien entrainés. Je profite que Sam arrive à gérer la situation pour me concentrer sur mon propre problème. J'ai appris beaucoup de techniques pour me défendre mais ce qui m'amuse le plus ce sont toujours les petit trucs les plus bêtes : je profite qu'il m'agrippe fortement pour tomber au sol. Mon poids ajouté au sien le fait basculer lui aussi à terre, me lâchant au passage. Je le frappe au visage. Mon poing poussant sa tête contre le sol a fait plus de ravages que je ne le pensais car il est à présent sonné.
Sam n'est plus qu'à quelques dizaines de mètres de moi, se faisant toujours poursuivre par au moins cinq chasseurs. Les rues ne sont plus très fréquentées à cause de l'incident récent un peu plus loin. Nous laissant toute la rue pour nous affronter. J'entends une moto s'approcher à toute allure. Elle arrive vers nous. L'engin est noir et la conductrice semble déterminée à passer dans cette rue. Elle s'arrête à ma hauteur et enlève son casque. Elle a de longs cheveux noirs bouclées et le teint mat.
- J'ai mis du temps à te trouver Sayha, me dit-elle.
Plus personne ne m'appelle comme ça depuis des dizaines d'années. Je peux sentir qu'elle est, elle aussi une créature surnaturelle. Avec son regard déterminé et son sourire, elle inspirait surement confiance à n'importe qui. Sam fonce droit sur nous et s'arrête juste avant de taper dans la moto. Ses yeux sont brillants. Toujours vert mais ils brillent.
- Monte, dit la nouvelle venue, on se retrouve chez toi Sayha.
- D'accord, je réponds. Monte, j’ajoute en regardant Sam.
- Quoi ? répond l'intéressé, et toi que vas-tu faire ?
- Je peux me débrouiller, monte avec elle.
Il me regarde comme si j'avais perdu la tête mais monte néanmoins sur la moto. La fille remet son casque et démarre en trombe. Ils partent tous les deux dans un nuage de fumée, me laissant seule face à 8 chasseurs bien entraînés.