5 : Le fantôme face aux humains

Ils sont 8, je suis seule. Ils ont passé leur vie à s'entrainer à se battre contre nous. Ils sont bien équipés contre le surnaturel mais ils sont tout de même humains. Je suis un fantôme. Les humains ne peuvent pas voir les fantômes, pas quand ils sont intangibles. C'est la meilleure idée qui me vient. Je me concentre et je disparais sous leurs yeux. Le monde est différent lorsque nous ne sommes plus fait de matière : je ne sens plus les odeurs, ni les sensations. Je vois tout ce qui se passe mais je ne peux pas agir pour modifier la scène. Je peux seulement me déplacer. Certains fantômes arrivent à bouger des objets par la pensée mais je n'ai jamais réussi. Il faut dire que je ne me suis pas beaucoup exercée, je passe la plupart de mon temps à ressembler à une humaine.

Les 8 hommes regardent autour d'eux, me cherchant. Je me décale vers la gauche pour me retrouver derrière l'un d'eux. Je ne me sens même pas marcher, je constate juste que je me déplace. Une fois derrière un des hommes je songe à l'étrangler. Mais je ne peux rien toucher tant que je suis un esprit. J'approche mes bras de sa gorge, redevient tangible et serre de toutes mes forces. L'homme essaie de se débattre et m'attrape les bras mais il est pris au piège. Les autres m'ont vu et pointent à présent leur arme sur moi. Ma victime me lâche. Je redeviens un fantôme et l'homme tombe, mort. Plus que 7. J'ai pris l'habitude de toujours compter combien d'assaillants sont en face de moi. Je ne sais pas si c'est devenu une mauvaise habitude mais ça me permet de rester lucide et concentrée. Je fais quelques pas, réapparais, sors mon arme et tire. J'en tue deux puis je disparais. Je change d'endroit et recommence la manœuvre. J'en élimine un. Cette fois je vais de l'autre côté de la rue, réapparait encore et élimine deux chasseurs. Je sens quelque chose de froid traverser mon épaule. Ça fait un mal de chien. Je me retourne : un des chasseurs vient de me tirer dessus. Contrairement aux types en noir, leurs balles sont faites d'argent. C'est la matière qui tue la plupart des êtres surnaturels. Sauf que je suis déjà morte. L'argent me fait mal pendant plusieurs minutes puis plus rien. Comme si rien ne s'était passé. J'essaye de disparaitre mais la douleur m'empêche de me concentrer suffisamment. Mais ils ne sont plus que deux. Je vise et tire.

Je me retrouve au milieu de la rue, seule avec huit cadavres. J'en suis à 18 morts aujourd'hui. Il faudrait que je calme la partie violente qui sommeille en moi. Je sens une odeur de brulé. L'immeuble de Sam est en train de prendre feu. Un homme sort de l'immeuble. Il est beaucoup trop détendu pour la situation. Je m'approche très rapidement de lui. Il est habillé en noir. Encore un. En me voyant approcher il sourit. En voilà un qui n'a pas peur de mourir. Du feu sort de sa main droite. Il en lance sur moi. Je disparais. Le feu passe en moi sans me toucher. Je réapparais. Il me regarde assez surpris. Il ne m'a cependant pas quitté des yeux. Les créatures comme lui et moi pouvons voir les fantômes. Voilà pourquoi leurs balles ne me faisaient rien tout à l'heure, devant l'école. Il me suffit de disparaitre pendant la seconde où la balle me traverse. Personne ne se rend compte de rien car ce sont tous des créatures surnaturelles. Ils me voient tous, même lorsque je suis un esprit. Je vise sa tête avec mon arme, toujours dans ma main et presse la détente. Merde, mon chargeur est vide. Je n'en ai pas d'autres sur moi. Alors qu'il me renvoi une boule de feu je me penche et récupère l'arme qui est par terre. C'est celle du chasseur qui m'a attrapé tout à l'heure. Il est d'ailleurs lui aussi toujours à terre et semble reprendre ses esprits. Je range mon arme et vise avec l'automatique du chasseur. Je tire. Le recul de l'arme est plus grand que celui de mon glock. Le type en noir tombe à terre. Une femme et son enfant sortent de l'immeuble en courant. Je regarde le chasseur à terre. Il est encore trop sonné pour songer à me tuer. Je lui redonne son arme et m'approche de celui qui contrôle le feu. J'ai loupé son cœur de quelques centimètres. Peut-être est-ce une chance pour moi de l'interroger.

- Pour qui travailles-tu ? lui demandai-je

Il rigole. Du sang sort de sa bouche et il s'étouffe. Les plus arrogants sont ceux qui craquent le plus vite quand on les interroge. Je vais récupérer l'arme du chasseur toujours immobile et tire dans la jambe de la créature. Il hurle de douleur.

- D'accord, d'accord, dit-il en m'implorant. Je travaille pour un type. On l'appelle le boss.

- Quoi, c'est tout ? dis-je en visant son autre jambe.

- Non ne tire pas, s'il te plait. Je ne sais rien d'autre.

Il a l’air honnête, ne me servant donc à rien. Je songe un instant à l’achever mais il vient de mettre le feu à un immeuble, provoquant la mort de nombreuses personnes. Il mérite pire. J'entends des cris venant du bâtiment. Je lâche l'arme et cours à l'intérieur, espérant aider tous ceux que je croiserai.

 

Lorsque j'arrive enfin devant mon propre immeuble, j’aperçois Sam et Zoé discuter, assis sur les marches de l'entrée, la moto de Zoé devant eux. A mon arrivée ils se lèvent et Sam s'exclame :

- Te voilà enfin ! je commençais à croire qu'ils t'avaient tué.

- Je t'ai déjà dit qu'elle est morte il y a bien longtemps, rappelle Zoé, plus amusée qu'en colère.

- Je vois que vous avez déjà parlé de moi, dis-je à mon tour.

- Ne m'en veux pas, implore Zoé, mais il manquait cruellement d'informations.

- D'ailleurs il me manque encore plein de morceaux dans cette histoire, ajoute Sam en se tournant vers moi.

- Je t'écoute, dis-je.

Je soupire en attendant ses nombreuses questions. Elles doivent déjà fuser dans son esprit.

- J'ai une seule question : pourquoi penses-tu que ton appartement est plus sûr que le mien ? je sais déjà que mon appartement a été repéré mais pourquoi le tien ne le serait pas ?

- Ça fait deux questions, je réponds. Tu loues ton appartement avec ton vrai nom, tout comme tu travailles sous le même nom, pareil pour ta carte de crédit. Maintenant que tu es repéré, tu ne peux plus te servir de rien. Mon appartement est loué sous un faux nom, ma voiture sous un autre, j'ai trois comptes bancaires à des noms différents. J'ai fait ça toute ma vie, ils ne me retrouveront jamais.

- Je confirme, intervient Zoé, je t'ai retrouvé grâce à un satellite. Aucun de nos ennemis ne peux avoir de tels moyens. Ils n'ont surement pas les contacts nécessaires.

- Je ne suis pas si sûr. En revanche, ils n'ont ni ma photo, ni mon nom. Mon appartement est donc sur pour le moment. D'ailleurs ne restons pas là, entrons.

- J’accroche juste ma moto et je vous rejoins, dit Zoé.

Elle prend son engin et l'accroche à un arbre pendant que nous montons les quelques marches à l'extérieur. Pendant que je cherche mes clés, Sam se retourne et observe Zoé. Elle est à côté de sa moto sur le trottoir. La seconde suivante elle est à coté de nous. Elle a parcouru les quelques mètres qui nous séparent en moins d'un dixième de secondes.

- Comment tu fais ça ? Commença Sam

- Je contrôle l'espace-temps, répondis Zoé, plutôt contente de bluffer quelqu'un, chose qui nous arrive rarement.

- Tu contrôles quoi ? Répète-t-il.

- Sa veux dire qu'elle se téléporte, j’interviens en ouvrant la grande porte en bois.

- Je peux aussi arrêter le temps, complète l'intéressé.

On pénètre dans le hall. Le grand escalier, face à nous, domine l'entrée. Sam continu de questionner Zoé mais je n'écoute plus. Nous prenons l'ascenseur et j'appuie sur le dernier bouton. Zoé est déjà venue une fois ici. Elle est détective privée. Lorsque nous nous sommes rencontrées il y a deux ou trois ans, elle traquait une créature surnaturelle mais n'arrivait pas à l'approcher. Celle-ci filait toujours. Je l'ai aidé puis nous sommes restées en contact, travaillant parfois ensemble. J’ai mis quelques instants à la reconnaitre quand elle a enlevé son casque tout à l’heure.

Nous sortons de l'ascenseur et je me dirige vers la porte de mon appartement, Sam marche au ralentit, admirant les courbes du bâtiment. La structure de cet immeuble est particulière : son extérieur parait moderne mais l'intérieur se trouve être complètement diffèrent avec ses pierres apparentes et ses poutres en bois cintrés. L'unique meuble du couloir est une commode en bois qui doit avoir un certain âge. Le sol quant à lui est fait en parquet en chêne sans doute centenaire. L'ensemble créé une ambiance particulière, un mélange relaxant et angoissant, ce couloir si ordinaire en apparence me donne l'impression de remonter dans le temps, d'oublier où je me trouve. Je l'ai déjà traversé des centaines de fois et je l'apprécie toujours autant. J'ouvre la porte et entre. Mon appartement est tout proche du centre-ville et de la gare. Le séjour comprend la cuisine américaine d’un côté et le coin salon de l’autre. J’ai choisi différentes teintes de bruns pour les murs et du pastel pour le mobilier. Je suis assez fière du rendu final. Le séjour est très lumineux ; ce dernier point est surement dû au fait que l'appartement est au dixième étage, le dernier de mon immeuble et le plus haut de la rue. Les grandes fenêtres laissent donc entrer le soleil sans modération. Je ne possède qu'une chambre que j’utilise peu. Zoé referme la porte et Sam s'approche de moi, regardant attentivement mon épaule.

- Qu'es ce que tu as à l’épaule ? demande-t-il.

Je regarde à mon tour. Il y a un trou dans ma chemise, et un petit peu de sang. Mais aucune trace sur ma peau découverte à cet endroit.

- On m'a tiré dessus. Ce n'est rien, ça a déjà guéri.

- Comment ça, on t'a tiré dessus ? insiste-t-il.

- Que veux-tu que je te dise de plus ? Je m’exaspère.

- Je crois qu'il veut une nouvelle précision sur ton immortalité, s'interposa Zoé, ou plutôt pourquoi certaines balles te traversent et d'autres te touchent.

Je lui lance un regard mauvais, elle se met à rire.

- Je crois que c'est moi qui vais t'expliquer les bases concernant ce que nous sommes, ajoute Zoé en constatant mon manque d'entrain à faire de longs discours.

Alors qu'ils s'assoient sur le canapé, je m'éclipse dans ma chambre dans l'intention de me changer. Je m'arrête un instant devant mon miroir : la balle du chasseur a en effet troué mon épaule et ma chemise avec. La plaie sur ma peau a déjà disparue depuis longtemps mais je ne peux pas effacer le trou dans mon vêtement. Il ne me reste plus qu'à le jeter. J'en profite pour inspecter mon allure générale : ma queue de cheval commence à se défaire, à part ça tout va bien. J'enlève mon haut, laissant apparaitre mon tatouage sur la hanche gauche. C'est une étoile entourée d'un cercle, il ressemble à l'insigne que portaient les shérifs. Il représente la justice, cause que je défendais avant. J'ai eu beaucoup de mal à le faire. J'étais déjà morte quand je me le suis fait tatouer. Etant donné que mon corps fait disparaitre les cicatrices, le tatouage a disparu peu de temps après sa réalisation. J'ai dû aller voir un type étrange pour qu'il le fixe à ma peau. Je me dirige vers mon armoire et prend un tee-shirt. J'en profite pour recharger mon arme.

- Donc je suis arrivée au bon moment, entendis-je Zoé depuis la cuisine alors que je m’approche d’eux.

- Qu'es ce qu'on va faire maintenant ? questionne Sam.

- Avant de résoudre un problème il faut toujours regarder comment on en est arrivé là, dis-je en revenant dans le séjour.

Sam est assis au bar et Zoé s'est mis à faire la cuisine. Je la regarde alors qu'elle me dit :

- Désolé de me servir de ta cuisine mais on avait faim. Et je me rappelle que tu ne manges pas toujours donc je me suis dit que ça ne te poserait pas de problème. D'ailleurs comment vous vous êtes attiré ces problèmes ? et tu n'as plus grand chose dans ton frigo.

Zoé a toujours été comme ça : confiante, énergique et un peu rebelle. Elle parle beaucoup et souvent. Néanmoins, elle n'est pas désagréable.

- Pas de soucis, sers-toi. Lui dis-je. Voilà les faits connus : Sam a vu un carnivore manger un humain, il a pris Sam pour un autre humain, des créatures en noir qui, au passage, sont très nombreuses, sont bien décidées à appliquer la loi sur les humains. Et des chasseurs ont croisés notre chemin, faisant de nous leurs cibles.

- Quelle loi ? s'interroge Sam. Je suis avocat et je ne vois pas quelle loi j'ai violé.

- Tu es avocat ? s'étonne Zoé

- Oui, j'ai fait une fac de droit. Mais je ne trouve pas de cabinet.

- Tu connais les lois des hommes, dis-je. Mais qui dit un autre monde, dit d'autres lois et d'autres normes. L'une des lois dit qu'un humain ne peut découvrir notre monde. S'il en prend conscience il doit mourir. Le carnivore que tu as vu est fautif aussi car il te l'a indirectement montré. Le code stipule donc que lui aussi doit mourir. Les carnivores sont souvent protégés par des personnes plus influentes. Les types en noir font surement partis d'une organisation qui protège ce carnivore.

- J'ai déjà entendu parler de ces organisations, ajoute Zoé. Les carnivores les payent pour effacer les traces de leurs repas mais aussi pour effacer tous les problèmes qu'ils pourraient avoir. Les carnivores, contrairement aux apparences, font partis des créatures surnaturelles les plus faibles. Ils ont impérativement besoin de ces organisations.

- Ils les payent avec de l'argent ? demande Sam. Comment fonctionne cet autre monde ? Et comment y va-t-on ?

- Ils peuvent s'acheter leurs services par de l'argent, mais souvent les carnivores n'ont pas les moyens. Ils peuvent donc être à leur service. Ils peuvent faire disparaitre leurs ennemis par exemple. Explique Zoé.

Elle a délibérément évité les questions sur l'autre monde. J'y vais rarement car je n'aime pas l'ambiance qui y règne. Mais je ne me suis jamais posé la question pour Zoé : Pourquoi vit-elle à la surface ? Elle pourrait avoir beaucoup plus de clients si elle se faisait connaitre dans le monde souterrain. Car oui, le monde surnaturel est en dessous de nos pieds. A une centaine de mètres peut-être. Sam me tire de mes pensées :

- Que fait-on alors ?

- Ils ne chassent que les humains, on doit donc prouver que tu n'es pas humain Sam, dis-je. Tu vas devoir leurs montrer que tu es un chien loup.

- Il n'en est pas question, dit Sam en s'énervant.

- On n'a pas beaucoup d'autres solutions, dit Zoé.

- Je ne veux pas me transformer devant ces types, dit-il. Et si je ne le contrôlais pas ? Et si je vous blesse ? Et si je les blesse ? On risque une guerre sur ce coup.

- Alors qu'es ce que tu proposes ? Je lui demande.

- On peut peut-être négocier, propose Sam.

Je le regarde avec insistance. Comment peut-il imaginer négocier avec des brutes ?

- Et pour les chasseurs, on fait quoi ? Intervient Zoé.

- Je ne pense pas qu'ils nous réattaqueront pour le moment, dis-je. Ils sont beaucoup plus réfléchis que les créatures surnaturelles avides de sang et de pouvoirs. En plus ils savent de quoi je suis capable seule maintenant, alors je ne pense pas qu'ils oseront agir quand on est trois. Surtout qu'ils ne savent pas encore qui vous êtes.

- Qu'est-ce que tu as fait au juste ? demande Sam.

- Tu es sûr de toi ? ajoute Zoé.

- Oui j’en suis certaine, et Sam, sache que je les ai quasiment tous tués.

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