Neya, une jeune fille de bientôt 14 ans. A son époque, j'entends.
Elle était belle. Brune, les cheveux toujours attachés en chignon, telle les danseuses étoiles des contes que lui racontaient ses parents. Elle avait les yeux roses, aussi. C'était la seule à avoir de tels iris, et également la seule à vouloir partir. Neya était unique, de par bien des aspects.
Selon ses propres mots, qu'elle répétait à longeur de journée, elle étouffait. Non pas qu'elle manquait d'air, non non. Elle se sentait opressée. C'était idiot, lui répétait-on. Elle respirait sans problème, et jamais elle n'aurait de difficulté pour cela.
Personne ne la comprenait. Elle voulait partir. Sortir, dans un sens ; sortir de cet immense bocal dans lequel elle se sentait enfermée. Car c'est ainsi qu'elle ressentait leur monde : un bocal. Des bords invisibles, trop éloignés pour pouvoir un jour les voir, un couvercle translucide indévissable, qu'elle fixait bien trop souvent au goût de ses compagnons, et aucune sortie possible.
La veille de ses 14 ans, une jeune créature se présenta à elle, lors d'un de ses nombreux moments d'isolement. Elle possédait des cheveux semblables à des rubans de soie écrue, et ses yeux mauves étaient hypnotisants. Elle possédait la même queue de sirène que tous les êtres humains se trouvant dans cette prison, de la couleur de ses iris, et pourtant, elle semblait différente. Elle brillait.
Ebahie, et intriguée, Neya l'observait. Que lui voulait-elle ? Ses yeux s'écarquillèrent en entendant la douce voix chantante de la créature.
— Neya.
C'était tout ? La nouvelle venue fixait la jeune fille, sans rien dire de plus. Neya, gênée, se tortilla, puis s'exprima d'une voix enrouée par la surprise.
— Que... Qui êtes-vous ? Et que faites-vous ici ?
Son interloctutrice éclata d'un rire cristallin, qui surprit Neya. Devait-elle s'inquiéter ?
— Qui je suis ? Mais personne ne m'a jamais demandé ça !
La question de la jeune fille paraissait réellement divertissante, mais elle ne comprenait pas pourquoi pas. Qu'y avait-il de si dérangeant à demander son identité à un inconnu ? N'était-ce pas légitime ? La créature finit par reprendre son souffle, mais une étincelle d'amusement resta dans ses yeux, et un sourire plaqué sur ses lèvres.
— Tu es réellement unique, comme on me l'avait dit ! Enfin bon, peu importe. Comme tu le sais, demain est le jour de tes 14 ans.
Comme elle le sait ? Bien sûr qu'elle le sait ! Neya trouvait cette individue de plus en plus étrange. Elle fronça un sourcil, mais ne dit rien, attendant que l'autre poursuive. Elle pointa un doigt à l'ongle verni de mauve vers le lointain, derrière elle.
— Nous ne sommes pas le seul peuple des mers, le sais-tu. Il y en a un, qui possède nombre de traditions. Il faut se l'avouer, certaines sont horribles, désopilantes ou bien stupides. Mais, une devrait t'intéresser.
Neya défronça son sourcil, et le haussa. Comment pouvait-elle savoir ce qui l'intéresserait ? Non pas que sa passion soit secrète, mais elle était persuadée de n'avoir jamais vu cette sirène parmi eux.
— Eux-aussi, ils aimeraient savoir ce qui se cache là-haut. (Elle pointa le plafond.) Peu ont cette chance. Mais, le jour de la fête de la Découverte, une jeune fille de 14 ans, peut aller voir. Passer la tête, et pourquoi pas sortir de l'eau un bref instant, puis retourner parmi ses compagnons. Oh, bien sûr, certaines ont péri, mais c'est très rare !
La jeune créature agita la main d'un geste désinvolte, comme si ce n'était qu'un détail. Neya se racla la gorge.
— Ecoute, hum, c'est gentil de votre part de m'en parler, mais.... Je ne suis pas de leur peuple !
— Certes, mais le jour célébrant la Découverte, si c'est l'anniversaire d'une jeune sirène, elle est prioritaire pour partir. Peu importe son peuple. Et, au cas où tu n'aurais pas encore fait le lien, ce jour, c'est demain. Enfin bref, c'est l'une de leurs coutumes. Elle te semble peut-être étrange, mais si tu ne me crois pas, tu peux te renseigner. Ne me remercie pas, je saurais me souvenir que tu as une dette envers moi...
Un sourire mielleux sur ses lèvres, elle secoua à nouveau sa main, dans un geste d'au-revoir cette fois-ci, et s'éloigna, sa nageoire mauve ondulant gracieusement.
— Attendez ! s'écria Neya. Où... où est ce peuple ?
La jeune créature se retourna avec un sourire. Elle tendit son bras dans la direction où elle partait, puis reprit son chemin.
Neya la rejoignit rapidement.
— Vous pouvez m'y accompagner ?
La sirène mauve rit à nouveau.
— Oh non, Neya ! Je ne t'accompagnerai pas ! En attendant, je te recommande de te dépêcher, ou tu arriveras trop tard.
Un clin d'oeil, et la voilà repartie, à gauche cette fois. Neya se retrouva seule. Elle réfléchit. Elle n'avait rien à perdre à aller voir ce peuple, non ? Et puis, peut-être s'y sentirait-elle acceptée, puisqu'eux aussi veulent découvrir d'autres horizons, et monter à la surface.
Déterminée, elle décida de partir à la recherche de ce peuple. A son grand bonheur, elle ne croisa personne, et redoubla d'efforts, essayant de garder la direction indiquée par la créature.
~
Epuisée, elle n'avançait plus très vite. Sa nageoire battait mollement l'eau, vidée de toute énergie. Elle était au bord de l'évanouissement, lorsqu'un mouvement attira son regard à droite. Une sirène venait vers elle ! Durant les longues heures qu'avait duré sa traversée, elle n'avait croisé personne, pas même un poisson ! Elle soupira de soulagement lorsque l'enfant s'arrêta à ses côtés.
— Bonjour, vous... vous êtes perdue ? Exusez-moi, madame, mais vous paraissez très fatiguée...
Neya sourit devant l'attention de la petite.
— Je... Est-ce que vous fêtez la Découverte ?
— Oh oui, les premières animations commencent dans quelques dizaines de minutes ! Ca va être génial ! Vous y avez déjà assisté ?
— Non, je viens de... loin. Très loin, répondit Neya d'une voix lasse, exténuée. Pour ça.
N'en pouvant plus, elle se posa sur le sol et s'allongea.
— Tout va bien madame ? Venez à ma maison, vous pouvez vous reposer un peu !
—Est-ce que... quand est-ce que la jeune fille ira à la surface ?
— Oh, ça, c'est à la fin. Le clou du spectacle, comme dit ma maman !
— Il ne faut pas que je rate ça... Réveille-moi si...
Ses paupières étaient lourdes, et elle ne put résister plus longtemps face à la bataille acharnée du sommeil.
~
Lorsqu'elle se réveilla, perdue, elle observa le plafond. Non pas le plafond habituel ; celui-ci était un vrai plafond, d'une habitation. Elle se redressa. Où était-elle donc ?
— Madame, vous allez mieux ?
Elle tourna la tête. La petite sirène avait sa main posée sur son épaule.
— Je... Je vous ai réveillée, le Voyage va bientôt commencer.
Neya bondit du lit, et passa les doigts précipitamment dans ses cheveux.
— Est-ce qu'ils ont choisi la jeune sirène ?
— Non, pas encore. Je vous ai réveillée avant que quoique ce soit commence. Je savais pas, je... Désolée si...
Elle rougit, et Neya, attendrie, se baissa, et lui embrassa la joue.
— C'est parfait, merci. Est-ce que je peux encore abuser de ta gentillesse et te demander où se déroule ce Voyage ?
La petite sirène, ravie, hocha énergiquement la tête.
— Bien sûr madame !
Neya sentit son ventre protester contre l'absence de nourriture. Cela faisait un moment qu'elle n'avait rien ingéré, réalisa l'adolescente. L'enfant se retourna.
— Oh, attendez, vous voulez peut-être manger ?
Et sans attendre de réponse, elle sautilla vers la cuisine, et ramena quelques gâteaux.
— Désolée, on a plus que ça.
— Ne t'excuse pas, tu es géniale, merci.
La jeune enfant rosit de plaisir, et lui prit la main, pour l'emmener dehors. Neya croqua dans un biscuit tout en observant les environs. Ce n'était pas excellent, mais ça calma les manifestations de son estomac.
Elles arrivèrent à une place bondée. Elle ressemblait bien plus à celles des histoires pour enfants qu'à une place sous la mer !
Elle se faufilèrent jusqu'à l'estrade, au-dessus de laquelle se tenait un vieil homme se présentant comme le maire. Neya supposa que c'était le nom attribué à leur chef.
— Bienvenue, habitants, à cette quatre-vingt-dixième édition du Voyage, organisé lors de la journée célébrant la Découverte ! Vous connaissez sûrement le principe, mais au cas où nous ayons des nouveaux parmi nous, je le répète : une jeune fille de 14 ans pourra à partir d'aujourd'hui se vanter d'être allée voir ce qu'il y a là-haut !
Il brandit un doigt fripé vers le couvercle du bocal, et Neya ne put s'empêcher, une fois de plus, d'admirer les reflets bleutés que l'eau produisait sur cette surface transparente, semblable à du verre. L'enfant, qui tenait toujours sa main, la pressa, pour attirer à nouveau son attention sur le maire.
— Bien, que toutes les prétendantes Voyageuses se placent à ma droite !
Un grand silence tomba sur l'assemblée, et chacun observait autour de lui, espérant apercevoir les jeunes filles se présentant comme Voyageuse. A la grande surprise, personne ne bougea. Neya, intimidée, n'osait pas s'avancer.
Au bout de quelques instants, le maire se racla la gorge.
— Hum, bon, c'est la première fois que...
Elle allait laisser passer sa chance ! Neya inspira un grand coup, et, tête baissée, fit un mouvement en avant. Sous le regard ébahi de la jeune sirène dont elle lâcha la main, et de toutes les personnes présentes, elle avança un peu à nouveau. Le maire posa sur elle un regard surpris, puis un grand sourire fit son apparition sur son visage.
— Fantastique ! Venez là, demoiselle ! Quel est votre nom ?
Neya leva la tête, déterminée, et s'éleva jusqu'au vieil homme. Elle écarquilla les yeux en voyant la quantité d'habitants rassemblés ainsi, mais se força à reprendre un visage impassible. Elle baissa les yeux sur la jeune enfant, qui sautillait, heureuse, et lui faisait plein de signes d'encouragement. Elle sourit, puis releva la tête, fixant un point lointain.
— Neya.
Elle ne put s'empêcher de remarquer qu'elle l'avait prononcé du même ton que la jeune créature la veille.
— Très bien, Neya. Vous connaissez le principe. Vous avez le droit de sortir complètement de l'eau, mais je vous préviens, ne tardez pas à y revenir. Quand vous voulez !
Neya, un grand sourire sur les lèvres, se propulsa vers le haut, prenant toujours plus d'élan à chaque battement de nageoire. Elle tournait gracieusement sur elle-même, les bras joints au-dessus de la tête.
Au moment où elle aurait normalement dû être stopée par le couvercle, celui-ci se brisa, lui laissant la liberté de passer. Sa vitesse la fit sauter hors de l'eau, où elle retomba quelques instants plus tard. Elle tourna à nouveau, plus lentement, observant les environs. Il n'y avait rien, rien à perte de vue. Elle poussa sur ses bras et s'assit sur le bord extérieur de ce plafond.
— J'y suis ! Je suis sortie !
Elle cria de bonheur, puis éclata de rire. Elle respira l'air glacé à pleins poumons, puis, en regardant cette surface plane, elle voulut danser. Oui, c'était l'endroit idéal ! Elle tenta de se lever, mais malheureusement, une nageoire ne permettait pas de danser aisément, et, déçue, elle se rassit. Elle s'imagina alors bouger sur cette piste de glace. Elle ne pouvait rien faire de mieux, de plus réel.
Les joyeux cris des habitants la sortirent de ses pensées. Il fallait redescendre... Elle ne put empêcher ses larmes de couler en réalisant cela. Elle se laissa tomber dans l'eau, et ne bougea pas. Son poids l'éloigna hors de portée de ce monde, certes vide, mais si libre. Elle ferma les yeux, l'eau salée s'échappant de ses yeux se mêlant à celle qui l'entourait.
Elle sursauta en sentant le sable sous sa peau.
~
A compter de ce jour, elle ne rentra pas chez elle. La jeune créature n'était pas venue la voir. Pas encore. Neya savait qu'elle viendrait. Elle vécut avec les parents de l'enfant qui l'avait accueillie lors de son arrivée, loin de ce paradis qu'elle avait pu observer pendant quelques instants.
Et malgré une vie heureuse, bien plus que quand elle vivait avec ses parents, un fond de tristesse et de regrets colorait en permanence son regard.
Neya est une jeune fille qui rêve d'ailleurs, qui rêve de plus, et son histoire fait écho. Cette nouvelle est très bien écrite, douce et pourtant déchirante. La fin fait mal... Après tout, on a beau réaliser nos rêves, on a toujours besoin de plus.
Merci pour ce joli moment de lecture ♥
J’ai lu ta nouvelle il y a un moment déjà, mais je n’avais pas eu le temps de commenter. Du coup je me suis replongée dedans (sans mauvais jeu de mots).
J’ai compris plus de choses en la lisant une seconde fois, au début j’avais cru qu’elle était coincée sur terre alors qu’elle est restée sous l’eau (je vais parfois trop vite).
Tu trouves souvent de très belles formules : « Elle possédait des cheveux semblables à des rubans de soie écrue » « Sa nageoire battait mollement l'eau » « un fond de tristesse et de regrets colorait en permanence son regard. », qui rehausse vraiment l’ensemble.
Je suis restée sur ma faim avec la créature étrange qui lui parle de la cérémonie (peut-être la Pieuvre revisité ?), je pensais qu’elle ferait son apparition à la fin, pour boucler l’arc narratif. Tu dis qu’elle va venir, mais du coup je me demande pourquoi :)
Dans tous les cas je vois que tu prends beaucoup de plaisir dans ces challenges, je lirais les autres textes!
A+
C'est très gentil, merci ^^ (je t'avoue que je "redécouvre" ces phrases, depuis le temps, je ne me souvenais même pas avoir écrit cela 🤭😂🤦♀️)
Oui, j'y ai pensé en écrivant, mais je ne savais pas trop comment l'amener... 😅 On va dire que j'ai laissé ce job à votre imagination 😜😅😅 (et je ne connais pas la Pieuvre, donc ce n'est pas inspiré de ça, volontairement en tout cas ^^")
Merci beaucoup ! C'est vrai que je trouve ça très intéressant à faire ^^
Il était dur celui-ci je trouve.
Bravo !
Mais c'est triste de goûter à la liberté pour ensuite retourner s'enfermer. C'est un peu cruel comme fête je trouve en un sens, si on se dit "heureux les ignorants"...
Merci pour ce texte ! :)
Pour tout t'avouer j'
Je disais, pour tout t'avouer j'ai clairement hésité à la faire mourir xD Et puis non je me suis dit que j'allais opter pour une fin un peu plus douce xD
Merci à toi pour ta lecture ! ^-^
Merci pour ce partage avec nous.
Merci à toi d'être venue !
Oh en effet ça correspond au Maymaid 😄
Merci en tout cas <3
J’ai aimé la préparation de Neya à découvrir la surface, c’est une belle interprétation de la carte ! L’image de la danse de joie qu’elle voulait faire était bien pensée.
Merci pour ton partage !
Jolie réécriture de la petite sirène. C'est marrant parce que la carte m'avait aussi fait penser à une sirène ou quelque chose qui s'en rapproche :D
Une petite pointe de tristesse sur la fin qui me fait penser à l'oiseau qui s'envol du nid pour vivre sa vie, mais qui garde une part d'amertume en repensant aux siens.
Bravo !
Oh oui, c'est une très belle image qui correspond bien !
Merci beaucoup ! <3
Très jolie ré-interprétation de la petite sirène ! Ca me fait sourire, parce qu'on a vu toutes les deux un petit clin d'oeil à ce conte, dans la carte ! Je suis contente d'être connectée à toi là-dessus, c'est glorifiant ♥
Très agréable à lire, très amer et triste sur la fin. Le rythme était peut-être un peu plus lent au milieu, mais ça reste un récit d'une grande qualité !
Glorifiant... Mais non mais 🙈🥺
Mais oui, c'est amusant de voir comment certains pensent à la même chose et d'autres pas du tout 😄
Merci beaucoup Zig ! <3
C'est doux, un peu amer, j'ai respiré de grandes foulées d'air frais avec ton perso
Bien joué HP !