4.Rien qu’un très vieil enfant

Il était accoudé à la rambarde, les yeux se perdant dans la gigue joyeuse des feuilles mortes, en bas. Leur teint délicieusement orangé, leur tournoiement mi-frivole mi-élégant leur donnaient un air de mannequins précieuses, insolentes. Sa tresse fouettait doucement son dos, rebondissant légèrement. Je n’osais pas m’approcher, de peur de déranger, de bousculer quelque chose de crucial.

— Le plus vieux des enfants…, marmonna-t-il enfin, brisant le silence.

Il hochait la tête, d’un air grave. L’air semblait vibrer autour de lui, presque bourdonner. Je ne savais pas quoi dire…

Et l’homme le sentit. Il haussa un sourcil.

— Ne cherche pas à être quelqu’un d’autre, Noé. Jamais.

Il continua à fixer les feuilles, dansant telles les étincelles d’un jeune feu de camp.  
J’esquissai un pas en avant :

— Mais alors… qui êtes-vous, vraiment ?

Il s’arrêta dans sa contemplation, se tourna vers moi, m’adressa un regard mi-satisfait mi-fatigué. Les mots qui suivirent furent lourds, retentissants dans leur calme apparent.

— Je ne suis qu’un errant. Qu’un hasardeux. Je ne suis que vague, flux et reflux. Marée. Je ne suis que tambour, qu’une onde de choc. Rien qu’une caresse. Je suis irrégulier, amoureux. Violent.

Il déglutit.

— Je ne suis qu’homme. Aussi, finalement.

Ses cheveux s’étaient gorgés de vent. Sa voix s’était faite délicate, caressante. Seul ce « qu’homme » avait sonné nu, brut, vulnérable.

— Je m’éteins, Noé Solian. Lentement, mais je m’éteins. Je me disperse en volutes informes. Faibles. Bientôt ne restera de moi que le souvenir fugace d’une écharpe. D’une écharpe claquant au vent.

Il se tut, longtemps.

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Rouky
Posté le 12/08/2025
On retrouve le "personnage" du vent que j'apprécie beaucoup, cette fois à travers les feuilles. On sent une profondeur et une fragilité dans le personnage accoudé, on dirait un prophète qui a déjà beaucoup vu, qui parle par énigmes et images. J'aime aussi beaucoup la construction grammaticale de "— Je ne suis qu’homme. Aussi, finalement."
Le rythme est calme mais intense, avec un jolie contraste entre toute la poésie et le réalisme de "Je ne suis qu'un homme". Je sais pas mais je trouve que ça fait vraiment le noyau de ce chapitre, ça brise toute la légèreté (dans le bon sens du terme, c'est très bien fait), pour revenir au fardeau d'être humain. C'est même un peu triste...

Très jolie chapitre, je passerai bientôt au suivant ! ^^
Le Perce Val
Posté le 12/08/2025
Merci beaucoup! Le « personnage »du vent est génial à écrire, il
Le Perce Val
Posté le 12/08/2025
*suffit de sortir dehors et on a de l’inspiration. Je voulais vraiment avoir cette atmosphère un peu suspendue, à la frontière du réalisme tout en restant intense quand même. Je pense qu’on peut voir aussi le « je ne suis qu’homme » comme une forme de reconnaissance que l’humain est limité intrinsèquement (ce que ça fait intelligent alors que je suis pas sûr de ce que j’avance 😅🫣) J’ai pas (et pas envie de) tranché. Oui je fais partie de ces auteurs qui savent pas toujours ce qu’ils veulent dire au fond du fond du fond… 😂
Merci beaucoup et je vais passer chez toi maintenant
Timothée
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