La fraîcheur de la nuit me prit un instant au dépourvu. Elle tranchait avec l’étouffante chaleur émise par les corps entassés et en transe des danseurs. J’inspirai profondément, me débarrassant de la fumée et des parfums bon marché dont les effluves me collaient à la peau. Je me dirigeai ensuite vers l’abri bus sur le trottoir d’en face.
Mes yeux balayèrent la fiche horaire de l’arrêt et je réprimai un juron de dépit. Je venais d’en rater un, à cinq minutes près. Le prochain ne passait pas avant une bonne heure. Resserrant les pans de ma veste, j’examinai les abords de la discothèque. Pas question de rester dans le coin à attendre avec tous ces étudiants alcoolisés traînant là. Je ne voulais pas tenter le sort une nouvelle fois. L’idée de retourner à l’intérieur ne m’enthousiasmait pas non plus et hors de question d’appeler mes parents. La décision de m’installer sur le campus allait de pair avec une autonomie durement acquise. Ils s’étaient faits assez de soucis pour moi durant ces dernières années. Je suivis le plan du réseau du doigt, estimant la station vers laquelle me diriger.
Ce n’était pas la première fois que je parcourais North Bay, mais de nuit, mes repères étaient bouleversés. Perdue dans mes pensées, je dus rater une intersection et lorsque je regardai autour de moi, je m’arrêtai perplexe. Un vaste espace et des hangars s’étendaient devant moi. L’arrière d’un supermarché reconnus-je, peu rassurée malgré la lune presque pleine brillant dans le ciel nocturne. Autant la journée le lieu devait grouiller de monde, autant là, le moindre bruit me faisait sursauter. J’hésitai sur le chemin à prendre, cherchant des yeux le nom de la rue pour me situer. Je choisis de longer la rue jusqu’à la prochaine intersection. Alors que j’allais dépasser le parking désert, un bruit de grattement, suivi d’un léger grognement attira mon attention vers les poubelles entassées au fond. Un chien, songeai-je, croisant les doigts pour ne pas tomber sur un teigneux. Je retins ma respiration et allai reprendre mon chemin quand une silhouette émergea de derrière les bacs.
Je me figeai, incrédule. Je devais halluciner. Devant moi se tenait une scène toute droite sortie d’un cauchemar. Un loup me toisait, sa pâle fourrure grise et ses babines entachées de tâches sombres. La peur me submergea, sentiment traître qui me coupa l’usage de mes membres. Plantée sur place, je n’arrivais plus à réfléchir, mon cerveau en mode blackout total. Les pupilles dilatées, le souffle court, je sentis la sueur glisser le long de mon dos en une trainée glacée. Ce n’est pas possible pensai-je en déglutissant nerveusement, pas possible. La bête sembla se désintéresser de moi et retourna à son occupation. Je n’arrivai pas à discerner sur quoi elle s’acharnait mais ses crocs claquaient bruyamment, coupant, sectionnant et mordant avec voracité. Incapable de détourner la tête, je sentis la nausée se frayer un chemin jusqu’à mes lèvres. Je la réprimai difficilement.
Je lâchai un court instant des yeux la bête pour estimer mes chances de me cacher ou de fuir. Mais qui voulais-je tromper ? Dès les premières foulées que je ferais pour m’en aller, la bête aura tôt fait de me rattraper et de me déchiqueter à mon tour. Focalisant de nouveau mon attention sur la bête, j’observai avec une fascination morbide la façon dont les volutes de fumée s’échappaient de son museau dans l’air froid, ses babines teintées d’un grenat brillant. Alors que je restais hypnotisée par la scène, un bruit incongru vint ébranler l’étrange quiétude de la scène. Avec un temps de retard, je m’aperçus que ce n’était autre que ma sonnerie de téléphone portable, qui entonnait gaiement un générique de série télé. Mes doigts malhabiles cherchèrent le responsable de ce raffut impromptu dans la poche de ma veste, puis s’escrimèrent à le faire taire. Tout cela me prit une dizaine de secondes pendant lesquelles le temps sembla suspendre son cours. La bête avait relevé sa tête altière et me dévisageait de nouveau de son regard sombre.
Semblable.
Je tressaillis. C’était la première fois en quatre ans qu’elle communiquait aussi clairement avec moi.
Aucun danger.
J’avais du mal à y croire. Pourtant, je lui faisais une confiance aveugle. J’esquissai un pas en arrière, lentement, comme si je marchais sur un fil au-dessus d’un immense précipice. Je continuai de reculer sans le perdre un moment des yeux. Bientôt le coin de la rue se dessina dans mon angle de vision périphérique droit, quelques mètres avant de tourner, quelques mètres avant de couper la connexion visuelle. Le loup ne bougeait toujours pas, mais m’observait. Je parcourus du regard les alentours. Personne. En tout cas, personne n’était en vue.
La main crispée sur mon téléphone, je m’astreignai à poursuivre ma progression. Les yeux me brûlaient à force de la scruter sans interruption, mais je refusais de fermer les paupières ne serait-ce qu’une microseconde. Intuitivement, je sentais qu’il ne fallait surtout pas couper la connexion.
Le mur obliquait à angle droit. Restait à opérer un quart de tour, un virage avant de rompre le visuel. Ma respiration s’accéléra, mes mâchoires se crispèrent sous la tension, mes muscles se préparèrent à l’effort. Tourner puis piquer un sprint. C’était ça le plan. Pas très élaboré, je l’accorde, mais c’était tout ce que mon cerveau avait pu pondre dans cet état de stress intense. J’étais dans la ruelle adjacente. Mes pieds décollèrent du sol puis je m’élançai, le cœur battant follement, à grandes embardées, le son de mes chaussures sur le macadam résonnant dans le silence, à tel point que je me demandais pourquoi personne ne se réveillait dans la rue avec le boucan que je faisais. Les oreilles grandes ouvertes, aux aguets, je m’attendais à entendre les pas de la bête sur mes talons, mais rien de tel. À moins que celle-ci se déplace tel un spectre, sans faire le moindre bruit, furtif et mortel.
J’osai un coup d’œil. Rien. Encore sonnée, je me dirigeai vers le centre-ville et la prochaine station de bus, en mode automatique, incapable d’effacer l’image du loup m’ayant fait face, les oreilles résonnant encore des bruits sanglants enregistrés.
Enfin, le bus. Le trajet me permit de me ressaisir en partie. Une fois à l’intérieur de ma chambre universitaire, je me glissai toute habillée dans le lit et m’enfouis sous les couvertures. Je redoutais les cauchemars m’attendant à l’orée du sommeil. Je ne me trompais pas.
Bien j'ai le sentiment de comprendre où ton récit va :) Je ne veux pas faire de raccourci, mais je me demande si le garçon (Arenht) et ce loup ont une quelconque liaison...
Le fait que sa voix lui dise "semblable" est aussi un gros indice, on comprend peut-être qu'elle fait partie de sa meute ?
Je te fais quelques remontées sur la forme !
○ "qui me coupa l’usage de mes membres" -> me + mes alourdissent la phrase
○ "mon cerveau en mode blackout total." -> je trouve que cette phrase est... comment dire ça fait un langage très familier et change un peu du ton habituel.
○ "que je ferais pour m’en aller, la bête aura tôt fait" -> aurait* tôt fait (concordance des temps)
○ "je restais hypnotisée par la scène, un bruit incongru vint ébranler l’étrange quiétude de la scène." -> répétition scène
À bientôt pour la suite ! :)
Et hop, encore un malin indice de semé.
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Devant moi se tenait une scène toute droite sortie d’un cauchemar. -> tout droit
Ce n’est pas possible pensai-je en déglutissant nerveusement, pas possible. -> virgule avant le verbe d'incise
Je lâchai un court instant des yeux la bête -> mmh, l'enchainement des mots me chipote. Je lâchai la bête des yeux un court instant ? Après, c'est personnel. À ta plume de trancher. :)
-> Dans les phrases qui suivent, je relève deux répétitions (bête et scène) qui alourdissent un mini-peu la lecture.
Je lâchai un court instant des yeux la bête pour estimer mes chances de me cacher ou de fuir. Mais qui voulais-je tromper ? -> Mmh. Tu dis que le loup se désintéresse d'elle juste avant. Ptet plus partir dans une formulation qui dirait qu'elle craint que cela se produise ainsi si elle tente de fuir ? (j'espère que je suis compréhensible, parfois c'est plus casse-tête de s'exprimer par écrit ^^').
Intuitivement, je sentais qu’il ne fallait surtout pas couper la connexion. -> Pourquoi ? Juste avant, son instinct lui dit "aucun danger" et elle dit avoir une confiance aveugle en lui. Que craint-elle en coupant la connexion visuelle ?
Alors que je restais hypnotisée par la scène, un bruit incongru vint ébranler l’étrange quiétude de la scène. -> ahah, bien trouvé. Retour dans le monde moderne après l'incursion "fantastique".
Cela m'avait aussi beaucoup aidé lors de mes premiers partages il y a quelques années (dans l'ancienne version du site). J'essaie de commenter avec un regard constructif pour tirer le meilleur de l'écrit. Mais tu as déjà une plume bien développée :) .