4 Yeux rouges, coeur pur

   Samantha s’observa dans la glace des pieds à la tête, tournant les épaules, les jambes, observant ce corps dont elle n’avait finalement pas de souvenir. Sa mémoire n’était pas revenue, et depuis qu’elle avait retiré son armure, elle était complètement déboussolée, lâchée au milieu de l’océan. Son accoutrement était… bizarre ? Différent peut-être ? Des vêtements de prêt, qui avait appartenus à Adélaïde, la mercenaire. Ils étaient un peu étroits, et la serraient au niveau des épaules et de la poitrine. Mais au moins, elle pouvait revêtir autre chose que l’armure en attendant.

   Cela n’empêche qu’elle ne se sentait pas très à l’aise, sans en savoir vraiment la raison. C’était trop serré. La coupe était bizarre.

   Mais c’était doux.

   Un jean slim noir (elle se demandait encore comme elle était rentrée dedans), un pull en laine de la même couleur, ses cheveux libres d’un noir plus profond tombant jusqu’en bas du dos, révélant ses petites oreilles décollées qui dépassaient comme un rocher affleurant dépassait d’une chute d’eau.   

   Elle tournait, observait tous les endroits de ce corps inconnu ; elle ne s’habituait pas. Son sourire était fait de dents blanches et droites, parfaitement alignées, trop parfaitement alignées même, selon Rose. Car Samantha était née au 16ème siècle, et à l’époque les dentistes n’existaient pas. Pas plus que le dentifrice. Dentifrice. Elle se souvint du nom.

   D’après le groupe, elle devait passer des « examens médicaux », pour plus de sureté. Ils avaient essayé de lui expliquer, de lui faire comprendre ce que c’était, mais c’était flou aux yeux de Samantha. Tout était flou. Depuis le terrassement de la bête, elle avait l’impression de errer, de marcher sans but, dans un brouillard opaque et terrifiant.

   Trois semaines qu’elle avait dévêtu son armure, et elle baignait encore dans l’ésotérisme ; quel étrange siècle que celui là. La soif et l’appétit était revenus, le sommeil lui était agréable (surtout sur ces nouvelles couches moelleuse, « matelas »). Bien plus confortable qu’à son époque. Un souvenir. Ou plutôt, une sensation. C’était toujours cela ; les choses dont elle se souvenait n’étaient que des sensations ; toucher, odeur, goût. La comparaison était possible. Mais c’était tout. Et cela rendait le monde étrange, spectral.

   L’hygiène par exemple ! Les gens (et elle aussi désormais), se lavaient tous les jours. Ils n’avaient plus d’odeurs ! Oui, ils sentaient bon, mais ils sentaient artificiellement bon. Et pratiquement tous les mêmes parfums. Personne n’avait sa propre odeur. Non pas qu’elle n’appréciait pas elle-même sentir le fruit, où la fleur, bien au contraire. Mais c’était… bizarre. Et cette manie de se couper les poils ! Elle en ressentit des picotements sous ses bras.

   Son ventre gronda. Bon, il y a un sujet qui par contre, elle en était certaine, était succulent dans ce siècle. La boustifaille. Elle se dirigea vers la petite table dressée dans sa chambre, et avala son croissant et son chocolat chaud, avant de retourner devant le miroir.

   Ils lui avaient dit qu’elle était jolie; alors Sam s’observait, essayant d’en comprendre la signification ; elle n’était pas sûre de s’être posé la question avant, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie ; elle avait l’impression de n’avoir vécue que pour le combat. Elle tira sur ses vêtements, replaça ce drôle de caleçon très court qu’on appelait « petite culotte », mais qui était sacrément mobile (quand il ne rentrait tout simplement pas dans le séant). Mais bon ça aussi finalement c’était confortable. Le seul vêtement qui l’encombrait vraiment, mais vraiment, c’était ce soutien-gorge, qui la compressait. Lucie lui avait apprit comment faire (Lucie faisait les démonstrations sur elle-même, Sam n’était pas prête à se montrer nue, sans savoir vraiment pourquoi). Lucie s’occupait tendrement d’elle, et c’était agréable. Rose et Sophie avaient plus de retenu. Là encore, pour Samantha, c’était un mystère. Parfois, ces deux là se tenaient la main comme des sœurs. Mais elles ne l’étaient pas.

   Elle avait l’impression que le tissu voulait à tout prit pénétrer dans sa peau. Ce soutient gorge aussi appartenait à Adélaïde, car d’après les dires de Rose, « elles avaient toutes les deux été gâtées par la nature ». Mais elle se sentait tout de même très serrée là dedans.

   Mais comment font les femmes de nos jours ?

   Les minutes passèrent sur l’horloge (une des premières choses qu’elle avait apprise : lire l’heure), et Rose n’arrivait toujours pas.  

   Le dortoir austère était pour l’instant sa maison, en attendant qu’elle se familiarise un peu avec le monde. Pour calmer son impatience, elle sortit dans la grande pièce du hangar, se promenant, faisant un récital des choses qu’elle avait apprise jusqu’alors.

   Ordinateur, voiture, pistolet…

   Elle s’arrêta plus longuement sur la supercinq, fascinée par ces charrettes sans chevaux. C’était nettement plus confortable ; son fessier appréciait grandement cela. Et la vitesse. Elle ne comprenait pas encore exactement la sorcellerie qui les animaient (bien que Rose lui en ai donné les bases), mais elle brulait de curiosité à chaque nouveau véhicule découvert, et elle adorait faire un tour dedans, comme une enfant. Dedans, elle se sentait vivante.

   Sa contemplation fut arrêtée quand elle entendit les graviers grinçant sous les roues d’une autre voiture à l’extérieur. Les gonds de la porte grincèrent, et Rose entra dans le hangar ; elle portait elle aussi  un« jean », mais bleu et plus large, une chemise noire à motifs blanc, et elle s’était coiffée de sa queue de cheval habituelle. Elle portait d’étranges chausses roses, peut-être en référence à son prénom. Sous son bras était coincée une boite en carton.

   — Bonjour Sam ! dit-elle d’un ton enjoué, lui souriant.

   — Ma Lady Rose ! répondit Sam en lui rendant son sourire.

   Rose posa le carton sur le bureau.

   — Tu es prête pour ton examen médical ? Tu as fais tout ce que je t’ai dit ? dit maternellement Rose.

   — Oui, même si je n’ai point trop compris pour dessous les bras. Je me suis amochée.

   — Je suis désolée, j’ai eu du mal à m’habituer aussi, lui répondit Rose d’une voix douce. C’est pour éviter qu’on te prenne pour une marginale. (Elle haussa les épaules). Je sais, c’est bête. Le médecin que l’on va voir est une vieille connaissance, mais je veux tout de même éviter qu’elle pose trop de questions. Alors il faut que tu ressembles le plus possible à une personne « lambda » d’aujourd’hui. Nous avons beau dire qu’il n’y a pas de normalité, s’éloigner des standards, ça amène à un tas de questions. Crois-moi.

    Sous le regard désabusé de Sam qui ne semblait pas y comprendre grand-chose, Rose coupa bref.

   — Enfin… Ça va les vêtements que l’on t’a trouvés pour aujourd’hui ? Tu n’es pas trop serrée ?

   Samantha se tint debout, se regardant une nouvelle fois de haut en bas.

   — Non ça va… Enfin si, là.

   Elle pointa du doigt son buste. Les pommettes de Rose rougirent un tout petit peu.

   — Je ne pense pas que cela soit la bonne taille, mais on y remédiera bientôt. Et si tu es comme moi, tu ne t’habitueras jamais !

   Elle fit une moue, puis lui montra la boîte, lui indiquant de s’approcher.

   — Tiens, je t’ai ramené un cadeau.

    Rose ouvrit le carton et révéla son contenu ; des chaussures, les mêmes que portait Rose, mais en bleu turquoise. Inexplicablement, Sam les trouva belles, et les sortit délicatement de leur écrin.

   — C’est… Pour moi ça ? dit-elle avec une voix fébrile.

   — Oui Sam, c’est pour toi. Cela sera plus confortable et plus moderne que tes bottes ou tes chaussons.

   Sam ne sut comment remercier Rose. Elle avait ouvert en grands ses yeux rouges et époustouflants de beauté ; elle était ébahie, fascinée. Devant son regard d’enfant, Rose ajouta :

    — Allez, teste-les ! Tu m’en diras des nouvelles. En plus ce n’est pas facile d’en trouver en 41, alors j’espère que ça va t’aller !

   Sam s’empressa de mettre les baskets, et Rose lui fit ses lacets. Elle observa minutieusement comment la guerrière faisait.

   Je dois apprendre à faire ça.

   Quelques premiers petits pas, et la sensation se révéla exceptionnelle : c’était léger, confortable, elle n’avait jamais rien connu de tel, elle en était certaine. La joie se lisait sur son visage de porcelaine. Elle commença à marcher et courir avec dans le hangar comme une petite fille de 8 ans. Rose rigola et l’observa, avant de l’arrêter.

   — Voilà ! Maintenant on est prêtes à y aller si tu veux bien. Ah non ! Je dois juste faire quelque chose avant.

   Rose sortit une petite boite noire de son manteau et demanda à Samantha de se tenir debout devant elle. Samantha vu deux fois un flash éblouissant, et du petit appareil, deux images de Samantha en sortirent ! C’était diablerie !

   — Celle là est pour toi, lui dit Rose en lui tendant la première photo, et je vais avoir besoin de l’autre pour tes papiers. On y va ?

   Sam acquiesçât en observant l’image miniature d’elle-même, avec un sourire. Elle dut mettre une grosse veste pour rejoindre le parking, car sans son armure, le froid du printemps lui mordait la peau. Le C15 les attendait dehors, les portes usées grinçant en s’ouvrant. Samantha ne put cacher sa surexcitation : un nouveau voyage en voiture ! Elle s’assit, et boucla sa ceinture comme Rose lui avait appris. Rose démarra et elles partirent pour une bonne demi-heure de route entre les feux rouges et les bouchons. Rose en profita pour donner quelques dernières consignes à Samantha.

    — Elle va t’examiner et te poser des questions. Ne réponds pas si tu ne veux pas, et s’il y a un souci je serais avec toi. C’est une bonne amie à moi, mais je veux tout de même éviter les curiosités. Ne réponds pas à des questions sur ton passé. Ah, et elle va trouver tes yeux curieux, car c’est inhabituel de les avoir rouge. Ne t’en fait pas. Si elle pose la question, je répondrais à ta place.

   Samantha fit oui de la tête.

   Rose se gara à bonne distance sur une place libre, ce qu’elle ne regretta pas ; le parking du cabinet était plein. La salle d’attente était bondée, et Sam observait, curieuse ; il lui était rare de voir des vraies personnes de cette époque pour elle en ce moment. Dans la salle, il n’y avait que des filles. Leurs vêtements étaient étranges ; bariolés de couleurs vives, de fleurs, d’une délicatesse rafraichissante, ou au contraire, unis dans des couleurs froides, très solennelles, que Sam ne pouvait s’empêcher de trouver élégantes ; les filles se mettaient de la peinture sur le visage ; leurs oreilles où leurs arcades étaient traversées de métal, comme des sauvages. Samantha trouva cela distingué, bizarrement. Oui, elle aimait bien.

   A côté de Sam, il y avait une petite table, sur laquelle étaient disposés des livres aux images très réalistes et diverses. Elle en prit un dont la couverture était peuplée de voitures ; et à chaque page, un nouveau véhicule, et un émerveillement pour Samantha. Elle se pencha soudainement vers Rose et lui demanda en chuchotant :

   — Qu’est ce que cela veut dire, « diesel » ?

   Rose ne répondit pas tout de suite, surpris par cette question, l’observant avec de grands yeux.

   — Samantha, tu sais lire ? chuchotât-elle.

   — Oui, je sais lire. Je ne serais dire pourquoi. C’est mal ?

   — Non au contraire, c’est très bien Sam, dit Rose en lui touchant maternellement la cuisse. Et « diesel » est le carburant de la voiture, mais ce serait compliqué de t’expliquer ici en détail. Dis-toi que c’est ce que mange la voiture.

   Le diesel, c’est du foin. D’accord.

   Sam se replongea complètement dans la lecture du magazine.

   Elles attendirent quelques minutes dans la pièce. Puis, au bout d’un moment, la doctoresse, une dame dans la fleur de l’âge aux cheveux coupés courts, arriva dans la salle d’attente et les appela :

   — Rose Finn et Samantha Lechevalier ?

   Oui bon, Rose avait improvisé un nom, la première chose qui lui était venu à l’esprit, même si ce n’était pas très original. Elle lui en trouvera un autre plus adéquat plus tard.

   — Entrez je vous en pris.

   Les filles se levèrent et pénétrèrent dans le cabinet de la doctoresse, qui referma la porte à leur passage. Sam semblait perdue dans la salle d’examen, et Rose lui indiqua du regard la table d’auscultation, et lui fit signe de s’assoir, ce qu’elle fit, quelque peu tendue. Elle se mit à observer le cabinet en battant des jambes nerveusement. Rose essayait de la calmer du regard. La doctoresse s’assit derrière son bureau, Rose en face d’elle, et brisa le silence qui venait de s’installer.

   — Alors Rose, tu me présentes ta cousine c’est cela ? Je n’ai pas trop compris le sujet de ta visite.

   — Oui Sylvie, c’est… ma cousine, mentit Rose. Nous voudrions juste savoir si Samantha est en bonne santé ; lui faire un check-up complet. Elle a perdu la mémoire et on veut vérifier que tout va bien.

   — C’est pour ça qu’elle est si nerveuse ? demanda la doctoresse.

   — Elle ne sait pas exactement ce qui l’attend.

   — Bien, je vois, dit la doctoresse en se levant de son siège et en plaçant ses lunettes sur ses yeux.

   Se rapprocha de Sam, elle s’assit sur un tabouret à côté d’un petit meuble qui contenait tout le matériel d’auscultation, et commença à poser des questions pendant qu’elle sortait tout ce dont elle avait besoin.

   — Alors Sam, commençons par quelque chose de simple : te souviens tu de tes mensurations ?

   — Nen… non madame. Je ne sais pas ce que sont les mensurations, répondit faiblement Samantha, un peu rouge.

   La doctoresse leva un sourcil.

   — Ta taille, ton poids ?

   Samantha la regarda, et fit non de la tête.

   — Ce n’est pas grave, nous allons les mesurer. Peux-tu enlever tes chaussures et te mettre debout sous le mètre ?

   Rose lui indiqua du doigt le décimètre posé sur le mur pour ne pas qu’elle se trompe. Sam se leva, enleva délicatement ses chaussures, et se plaça en dessous du mètre.

   — 1m75, dit la doctoresse tout en mesurant, ce qu’elle nota ensuite sur un carnet. Maintenant le poids.

   Rose indiqua cette fois-ci la balance derrière un rideau opaque, et Sam s’y dirigea. Mais la doctoresse la retint.

   — Il faut que tu retires tes vêtements avant.

   Samantha devint toute rouge. Elle ne s’était jamais mise nue devant quelqu’un. Terrorisée, elle chercha Rose du regard, suppliante. Heureusement, la guerrière vit sa détresse.

   — Ton pull et ton jean, Sam, la rassura Rose.

   Bon. Au moins elle ne serait pas nue. Elle se plaça derrière le rideau, cachée à la vue de Rose mais tout de même gênée par le regard de la doctoresse derrière son dos. Elle se déshabilla et monta sur la balance.

   — 71 kg, parfait. La doctoresse nota, et fit descendre Sam de la balance, qui se rhabilla. L’observant,  la doctoresse demanda à Rose en passant sa tête par-dessus le rideau :

   — Ce sont ses vêtements ?

   — Non, répondit Rose, on lui a prêté.

   Sylvie fit un hochement de tête. Elle indiqua alors à Samantha qu’elle pouvait retourner sur la table d’auscultation. La praticienne sortit un bâtonnet en bois, et ausculta sa gorge et ses dents, ainsi que ses ganglions.

   — Oh !

   — Il y a un problème ? demanda Rose inquiète.

   La doctoresse retira son bâtonnet, ce qui permit à Sam de fermer la bouche.

   — Non, au contraire. J’ai rarement vu une dentition aussi parfaite. Toutes les dents sont bonnes, bien placées. Même les quatre dents de sagesses sont sorties. Amygdales, ganglions, tout est parfait !

   — Tu réussirais à déterminer son âge ?

   Sylvie se retourna et la regarda incrédule.

   — Je croyais que c’était ta cousine ?

   — Eloignée, répondit Rose en regardant le mur opposé.

   Sylvie ne posa pas de questions supplémentaires, se contentant d’hausser les épaules.

   — Je ne peux pas être très précise, dit-elle en enlevant ses gants, mais je dirais que Sam à entre 20 et 25 ans.

   Rose hocha de la tête. C’est ce qu’elle pensait. La doctoresse revint à Sam et sembla enfin remarquer ses yeux, écarquillant les siens.

   — C’est la couleur normal de tes yeux ? demanda-t-elle curieuse.

   Sam, ne sachant quoi dire, tourna la tête vers Rose.

   — Je… commença-t-elle à dire.

   — Oui, c’est sa vraie couleur d’yeux, reprit Rose. Une mutation qui ne se retrouve que dans sa famille. On appelle cela le syndrome d’Andrinople. C’est si rare qu’il n’y a pratiquement aucune information dessus.

   Le mensonge était sortit si bien ficelé que la praticienne ouvrit la bouche, et la referma aussitôt, observant les rubis de Samantha avec envie.

   — J’imagine répondit enfin la doctoresse, c’est bien la première fois que je vois ça. Je connaissais les violets, mais les rouges… Jamais entendu parler. Tu as de très jolis yeux en tout cas, finit-elle par dire à Sam, qui apprécia le compliment, rougissant des pommettes. Puis elle se tourna vers Rose, et lui demanda d’un ton neutre :

   — Est-ce que je dois faire un examen gynécologique ?

   Le visage de Rose perdit toute sa couleur et elle bondit de sa chaise en faisant non avec les bras.

   — Non-non, pour une autre fois. Je pense qu’il n’y a pas de problème à ce niveau là. Elle a eu ses… problèmes féminins la semaine dernière, cela à l’air de bien fonctionner. Très bien.

   Un moment d’anthologie.

   Rose sut ce jour-là que Sophie était prête à être mère. Lucie et Edmond n’étant pas là, elles avaient emmené Sam chez elles pour lui faire un peu de compagnie. En plein après midi, crise de panique, Sam qui arrive dans le salon avec le pantalon ensanglanté et une crise d’angoisse. Sophie prit en deux secondes les choses en main, la rassurant et lui donnant le nécessaire. Rose elle-même en était incapable. Elle n’avait plus ses règles depuis des années.

   — D’accord, si tu penses que ça va, reprit la praticienne.

   Elle se retourna vers Samantha, sérieuse. 

   — Est-ce que tu es sexuellement active Sam ?

   — Que… quoi ? demanda Sam.

   Rose était devenue cette fois-ci toute rouge. Ça, elle ne l’avait pas du tout anticipé. Elle ne s’était même pas poser la question. Bon dieu non elle ne s’était pas posé la question. Tant bien que mal, elle essaya d’aiguiller Samantha.

   — Est-ce que tu as le souvenir d’avoir était… intime avec un garçon ?

   — Euh… intime ?

   — Un acte de type… reproduction ?

   Oh.

   Samantha réfléchit. Oui, elle avait une vague idée de ce que c’était mais… elle ne savait pas vraiment si elle l’avait fait en fait. Que répondre ? Elle regarda Rose pour essayer de trouver une réponse.

   — Non… enfin je ne crois pas… balbutia-t-elle. J’ai fait vœux de chasteté.

   Rose se frotta le front avec la paume de sa main. La doctoresse eut un regard éberlué.

   — Ce qu’elle veut dire c’est qu’elle se garde pour le mariage, mentit Rose ; ma cousine est très religieuse tu sais.

   Rose lança un regard appuyé à Sam pour qu’elle la suive.

   — Oui c’est cela, confirma alors Samantha.

   — D’accord, répondit la doctoresse. Je ne juge pas.

   — Parfait, déclara Rose qui se rassit.

   Samantha vint rejoindre Rose sur le siège à côté, et la doctoresse finit alors le carnet médical de Sam, qu’elle déclara en très bonne santé, en donnant une ordonnance pour les différentes vaccinations, que Rose avait demandé. Il aurait était bête que Samantha attrape les oreillons après avoir vaincu la bête.

 

   En sortant du cabinet, Samantha profita de la brise fraîche qui lui caressait le visage. C’était une sensation qu’elle avait perdu trop longtemps, et elle ferma les yeux, sentant le froid et les odeurs des fleurs naissantes, ses beaux cheveux noirs volant au vent, qu’elle essayait maladroitement de remettre derrière ses oreilles. L’armure la coupait du monde extérieur et par le fait, de toute sensation, mis à part la vue et l’ouïe. Rose l’observait, à courte distance, sans jamais trop s’éloigner. Le moindre élément nouveau ou perturbant pouvait l’ébranler, et entrainer une crise d’angoisse. Alors, c’est avec parcimonie que pour l’instant, Samantha profitait des joies de l’extérieur. Là, une certaine paisibilité enjolivait son visage. L’examen s’était bien déroulé pour elle. Elles n’avaient plus qu’une centaine de mètres à parcourir pour rejoindre la voiture, et Rose envisagea de laisser Samantha profiter de ce moment simple avant qu’elle ne s’enferme de nouveau au hangar. Juste quelques secondes.

   — Sam, je dois aller chercher de l’argent à l’autre bout de la rue, tu veux bien m’attendre là ? lui demanda Rose d’une voix douce.

   Samantha, se débattant encore avec ses cheveux qui s’échappaient de derrière ses oreilles, fit oui de la tête, et Rose partit à la banque d’en face.

   Sam observa la place. Une ligne de tramway la traversait, avec un arrêt (elle savait que c’était un tramway, c’est une des premières choses qu’elle avait demandé en voyant cette énorme masse se déplacer, et elle avait eu peur), il y avait des magasins, lui semblait-il, avec de jeunes gens qui en sortaient les mains pleines de papiers. Il y avait aussi ce qui semblait être des restaurants. Sam respira à plein poumon; il faisait froid, mais elle ne se plaignait pas. Ce gros pull qui grattait était tout de même chaud, et la veste noire, bien que trop petite pour elle et impossible à fermer, la coupait du vent. Elle regarda les gens, et remarqua qu’ils l’observaient avec des regards appuyés, presque sondeurs ; elle ne comprenait pas pourquoi, et se sentit mal à l’aise. Elle n’aimait pas qu’on la regarde ainsi, comme une proie que l’on voulait manger. Où une sorte de pestiféré. Alors Sam détourna le regard. Une dame arrivait de l’autre côté avec une poussette ; elle était jeune, mais semblait fatiguée, le teint terne, les cheveux en bataille, et elle n’était pas habillée pareil que les jeunes qui sortaient du magasin de papier. Ses vêtements étaient… Moins beau ? Quelque chose était étrange dans son allure. La poussette passa à côté de Sam, et elle observa alors une belle petite fille, tenant ce qui ressemblait à un animal, mais en tissu, de toutes les couleurs, que l’enfant tenait fort contre elle. La petite fille regarda Sam, et lui sourit, ce qui fit sourire Sam en retour, et lui mit du baume au cœur, apaisant les petites tensions qui lui étaient apparues. La mère elle, regarda Sam circonspecte. Elle avait au coin des lèvres une sorte de bâtonnet de papier incandescent, dégageant une drôle d’odeur. En passant à côté, elle maugréa dans sa bouche des propos abscons envers Samantha. Samantha n’en teint pas compte, puisqu’elle ne les avait pas compris, et regarda la mère et la petite fille s’éloigner. Quelques mètres plus loin, la petite fille sortit sa tête de la poussette, sourit de nouveau à Sam, et lui fit coucou de la main, ce à quoi Sam répondit maladroitement du même geste. Et quand la petite fille se retourna, elle fit tomber, sans qu’elle ne le remarque, son petit animal en tissu. Le cœur de Sam fit un bond, et elle se dépêcha d’aller le ramasser pour le redonner à la petite fille. Mais alors que la petite fille la remerciait, sa mère repoussa Samantha, et partit dans une fureur inexplicable :

   — Ne t’approche pas de ma fille toi espèce de gothique à la noix ! lui cria la jeune fille.

   Sam tomba sur ses fesses en trébuchant, abasourdie. Rose arriva pile à ce moment là.

   — Qu’est ce qui se passe ici ? demanda-t-elle avec autorité, relevant Sam qui était encore ébahie par ce qui venait de se passer.

   — Je ne sais pas balbutia Sam, j’ai voulu aider…

   — Mon cul oui, répondit là mère, tu as…

   — Oh vous fermez là ! lui ordonna Rose d’une voix haute et forte. Je veux avoir sa version à elle.

   Sam se dépoussiéra, et ne se sentit pas bien, des nausées remontant dans sa gorge ; les émotions s’entrechoquaient, et elle répondit difficilement par bribes :

   — Je ne sais pas mais… C’est la petite fille… elle avait… ce petit animal en tissu là et elle m’a souri et… et puis il est tombé et… j’ai voulu le ramasser, rendre service mais… quand je lui ai donné, la dame m’a poussé et m’a dit un mot que je n’ai pas compris…

   Les yeux de Samantha étaient bouffis. Elle était sur le point de fondre en larme.

   — Qu’a-t-elle dit ? demanda Rose, dont la voix maternelle envers Sam tentait de cacher sa colère.

   — Go… gothique je crois, répondit Sam.

   — Gothique ? répéta Rose.

  Et elle comprit ; les vêtements entièrement noirs que portait Sam, ses cheveux noirs corbeau, et surtout, ses yeux rouges. Rose ne s’était pas posée la question en sortant du hangar. L’important pour elle était que Sam ai quelque chose à se mettre sur la peau.

   Elle fut ramenée de ses pensées par les cris de la mère qui devenait hystérique :

   — Ouais t’es une gothique de merde, avec tes lentilles rouges et tes vêtements satanique ! T’es une mauvaise image pour ma fille ! Tu ne t’approches pas d’elle !

   Rose fronça les sourcils, faisant barrière devant Samantha.

   Mauvaise image ? Mais elle a vu sa tronche ?

   — Sam, n’écoute pas les sobriquets de cette jeune fille, dit-elle d’une voix neutre.

   Puis elle se retourna vers la jeune mère, laissant échapper sa colère.

   — Et toi, la mère modèle, avant de critiquer une personne sur son look ou sa personnalité, tu ferais mieux de ne pas fumer devant ta fille ! Et au vu de ton âge et de ta bonne humeur, j’imagine que c’est une chose de prendre son pied, s’en est une autre d’assumer et d’élever correctement une enfant en lui montrant l’exemple !

   La jeune fille resta pantoise, la bouche ouverte, sa cigarette tombant lamentablement au sol. Choquée par de tels propos qui finalement l’avaient atteinte, son hystérie était sur le point de repartir de plus belle mais avant que les mots ne sortent de sa bouche, Rose cria plus promptement, le visage effrayant de fureur :

   — Hors de ma vue !

   Et la jeune fille, apeurée, s’éloigna avec sa poussette et son pauvre enfant. Rose écrasa le mégot à terre qu’elle mit ensuite dans la poubelle la plus proche, et revint vers Sam qui semblait avoir du mal à respirer,, qu’elle prit doucement par le bras.

   — Pourquoi elle a dit ça ? Pourquoi elle a dit ça ? demanda Sam. Ai-je fais quelque chose de mal ? Et les gens qui me regardent… Les garçons qui me dévisagent…

   Sa respiration était de plus en plus saccadée, son buste comprimé dans ses vêtements trop petits montait et descendait de manière anarchique. Rose la calma comme elle put, en lui frottant le dos et en lui disant, toujours maternellement :

   — Non, tu n’as rien fait de mal, au contraire Sam. Ce sont les gens qui sont malpolis.

   Autour d’elles, les gens les regardaient, chuchotaient, les dévisageaient. Rose leur fit à tous un regard noir, et ils baissèrent tous les yeux. Elle prit gentiment Sam par le bras et la dirigea vers la voiture.

   — Allez vient Sam, on y va.

   Dans la voiture, Samantha était prostrée, et ne disait pas un mot. Sa respiration avait reprit un rythme normale, mais Rose lisait sa détresse.

   — Ça va Sam ? lui demanda-t-elle.

   Samantha ne répondit qu’après un long silence.

   — Je… je ne me reconnais pas vraiment dans ce monde… J’ai l’impression d’être…

   — Perdue ? Tu me le dis toutes les 10 minutes, alors je m’en doute. Mais ne t’en fait pas, je n’ai jamais eu de coupure temporelle comme toi, et je suis ce monde depuis des années et des années ; je le connais, je l’ai vu grandir, je l’ai vu évoluer, en bien et en mal. Et pourtant, j’ai beau l’avoir suivi, je ne le comprends pas entièrement non plus, et je suis moi-même perdue.

   Samantha lui lança un maigre sourire. Il fallait à tout prix lui éviter les moments difficiles.

   — On va tacher de t’aider à t’adapter, avec les filles et Edmond, lui dit Rose. On va déjà tacher de te trouver de meilleurs vêtements. Cela te plairait ?

   Sam se regarda, tira sur les tissus trop serrés et entièrement noirs.

   — Oui, ce serait bien, dit timidement Samantha.

   Elle n’avait qu’une envie à ce moment précis, et c’était de retrouver son armure. Il n’y a que dedans qu’elle se sentait bien. Qu’elle se sentait forte. En dehors, elle avait l’impression de tout faire de travers.

   — Rose, pourquoi t’es tu frottée le front quand j’ai dit que j’avais fait vœu de chasteté ?

   Rose s’éclaircit la gorge, un peu rouge.

   Moi aussi je vais être prête à être mère avec tout ça.

   Comment répondre convenablement à cette question, sans vexer Samantha ?

   — C’est que… faire vœu de chasteté de nos jours… Ça n’existe plus.

   — Oh. Je ne le pensais pas, je suis désolée.

   — Mais Sam, tu n’as pas à l’être voyons ! Si c’est ton choix c’est…

   — Ce n’est pas mon choix, coupa Sam. C’est que… j’ai dit ça parce… J’ai cru me souvenir… un instinct… que beaucoup de chevaliers faisaient ce vœu dans le temple, alors je me suis dis que c’était la bonne réponse. Je… je voulais bien faire, devant toi.

   Rose lui tapota la cuisse.

   — Ma petite Sam, tu fais tout bien. Arrêtes de te torturer avec ça.

   Il y eut un nouveau moment de silence. Mais la curiosité de Rose était piquée.

   — Tu ne l’as pas vraiment fait alors ?

   — Non, je ne crois pas. Il y a… Quelque chose me dit que j’étais un chevalier à part.

   Rose imaginait bien. Une femme. Chevalier. Aux yeux rouges. Dernière survivante de son escouade et par déduction, la plus douée et la plus puissante de tous.  Sans que l’on puisse se tromper, il est clair qu’elle devait être un chevalier à part.

   — N’en parlons plus, finit Rose, on est arrivées. Essaie de te détendre et de ne plus penser à cette journée. Tu verras, bientôt tu te sentiras bien.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez

Nous utilisons des cookies pour vous assurer la meilleure expérience possible sur Plume d'Argent.
En acceptant, vous autorisez les cookies sur votre appareil,
en accord avec les termes définis dans nos Conditions générales d'utilisation.