Sur le mur du fond, le tableau du président Desjardins trônait fièrement ; son regard autoritaire mais protecteur scrutait la pièce et imposait sa prestance. Au dessus du peuple. En dessous, assis derrière son bureau, le député Faquin, un homme assez corpulent, dans son costume gris de qualité, lisait le rapport que son homme de main venait de lui tendre ; aphone par la concentration, son visage prenait au fur et à mesure la même teinte écarlate que sa cravate en soie ; une veine commençait à battre sur son crâne dégarni, qui se parsemait de gouttes de sueur. L’homme de main se tenait debout devant le bureau, droit, silencieux ; grand, bâti comme une armoire à glace, habillé comme l’agent de sécurité qu’il était, son calme en imposait tout autant que sa carrure. Patiemment, il attendit la réaction de son patron, qu’il redoutait.
Un troisième homme, dans son ombre, attendait calmement son tour en observant la scène de son visage intelligent et sans émotion, les doigts des deux mains reliés comme si il y avait de la super glue entre. Efflanqué, dans un costume noir, il ressemblait à un vautour perché, prêt à croquer les restes.
— Agressé ? aboya soudain le député avec une colère maitrisé, en reposant le dossier.
Il se releva brusquement de sa chaise, et commença à faire les cents pas derrière son bureau, les mains jointes derrière son dos. Maintenant qu’il était debout, on ne pouvait que se rendre compte de sa petite taille par rapport aux deux autres.
— Agressé tu me dis ? reprit-il d’un ton sec.
Sa voix était porteuse, et on l’entendait dans les pièces adjacentes, malgré une insonorisation de qualité. Il s’arrêta, et leva les bras au ciel, avant de se retourner et de plonger ses yeux dans ceux de son homme de main.
— Mon propre fils agressé par une femme, une justicière ?
— Et ce n’est pas le pire, répliqua l’homme de sécurité d’une voix grave. Nous l’avons retrouvé attaché avec du scotch sur une chaise dans le fief principal de votre parti. Heureusement que mon équipe ouvre les salles le matin avant qu’arrivent les autres, monsieur le député.
— Où est-il maintenant ?
— En sécurité chez vous. Je ne voulais pas vous prévenir avant. Bien entendu, nous avons été le plus discret possible.
Le député Faquin fit quelques pas, jouant avec ses mains devant lui.
— Qui d’autre est au courant ?
— Seulement ceux qui l’ont trouvé. Pape N’diom, Jacques, Adrien, et moi.
Le député était abasourdi, son crâne et son visage ruisselant de sueur, gonflé par la fureur. Ce n’était vraiment pas le genre de pub qu’il voulait. Il se rassit lourdement sur sa chaise. Son fils avait trop subit l’éducation laxiste de sa mère. C’est sûr. Qu’est ce qu’il avait à faire toutes ces conneries en ce moment ? Mais ça restait son fils, et on ne traitait pas un membre de sa famille de telle manière.
L’homme de sécurité s’éclaircit la gorge, et continua, avec cependant un peu plus de retenue :
— Ce n’est pas tout. Il y avait un mot et plusieurs photos avec lui.
L’homme sortit un smartphone de sa poche, y chercha des photographies ; il les montra au député, qui se liquéfia de plus belle, devenant blanc comme un linge. De son gros doigt boudiné, il passait en vue les images prisent par son garde du corps. Des preuves de la culpabilité de son fils dans l’agression qu’il avait fait d’une jeune fille de 17 ans ; des charges sur la falsification de certaines preuves et la parodie de justice qui avait été faite, avec le vice de procédure qui n’avait pas lieu d’être. Comment s’était-elle procurée ça ? Un mot écrit à la bombe sur le sol accompagnait le tout.
Faites la justice, ou la justice viendra vous trouver.
Le député écarquilla les yeux, et se reposa lourdement sur sa chaise.
— Vous… vous avez effacé ça j’espère ?
L’homme de main fit oui de la tête.
— J’ai cassé une canalisation anti-incendie dessus. On a condamné cette salle, et j’ai moi-même découper ce morceau de moquette que j’ai brûlé dans la demi-heure qui à suivit.
Ah, c’était donc ça cette odeur d’essence.
Le député fit un signe de tête en remerciement. Il continua de regarder le mot, obnubilé.
— Qu’est ce que ça veut dire ?
— C’est une menace, dit l’homme en reprenant son smartphone. La femme qui l’a agressé se fait appeler Justice. Elle demande que votre fils soit rejugé.
Le député se releva furieusement, et regarda par la fenêtre. Il frottait ses mains frénétiquement, les passants parfois sur sa bouche. Et dire qu’il avait réussi, moyennant beaucoup d’efforts, à ce que l’affaire ne fuite pas dans les médias !
Merde. Merde merde merde et re-merde !
Il resta silencieux pendant un moment, observant la rue agitée. Le printemps était bien là, les gens s’amusaient avec le beau temps revenu. Les étudiantes portaient des vêtements plus courts.
— Sinon quoi ? dit-il sans se retourner.
— Ce n’est pas précisé, dit l’agent de sécurité. Mais j’imagine qu’elle diffusera les preuves.
Le député se renferma dans son silence. Les voitures patientaient au feu rouge. Le tramway avalait et recrachait des quantités et des quantités de gens à chaque passage. Ça pouvait être n’importe qui. N’importe qui.
— On a des informations sur la personne qui l’a attaqué ?
— Que la description que votre fils nous a faite d’elle. Une femme grande, blonde, avec une voix glaçante. Habillée comme un ange, avec un court manteau de plumes blanches sur les épaules, et un masque blanc montant haut, en couronne ; une sorte de Walkyrie vengeresse.
Le député le regarda ahuri, levant un sourcil, puis retourna à sa fenêtre. Il haussa les épaules.
— Agressé par une bonne femme déguisée ! maugréa-t-il. N’est ce pas un comble ?
L’homme de sécurité resta de marbre.
— Monsieur, ne dites pas cela. Sauf votre respect, les murs ont des oreilles.
— Et mon fils est innocent ! Si cette trainée s’était habillée convenablement, il ne lui aurait rien fait ! dit-il avec un méprit consternant.
Le troisième homme, qui n’avait pas bougé ni dit un mot depuis le début, ne broncha toujours pas à cette remarque. A peine avait-il bougé un sourcil. Son regard calculateur enregistrait chaque seconde de l’entretient.
Un court silence suivit, et l’agent de sécurité reprit :
— Monsieur, vous savez que votre fils…
— Oui, je sais, maugréa-t-il, il n’en est pas à sa première. Il a toujours était un peu trop attiré par les femmes. Je ne peux pas lui en vouloir. Mais ce que je vois c’est une mascarade. Un coup monté des féministes où de je ne sais quelle association à la mords moi le nœud. Mon fils ne peut pas être maîtrisé par une bonne femme.
Contrairement à lui, il était grand et fort. Il tenait ça de sa mère.
— Justement, monsieur le député… Il paraitrait… (L’homme de sécurité sembla d’un coup embarrassé) D’après ses dires… Les dires de votre fils… Ce ne serait pas une femme ordinaire.
Le député le dévisagea.
— Que dites-vous Arthur ?
— Il a… il a dit qu’elle avait une force surhumaine. Qu’elle avait réussi à le soulever d’une main et l’envoyer à plusieurs mètres. Et quand il a voulu s’échapper en voiture, elle a soulevé le coffre et à coincer son Audi sur une pierre.
Le troisième homme, dans l’ombre de la pièce, sourit alors, un sourire effrayant, sans que les deux autres ne le remarque.
— Baliverne ! Qu’est ce que ça veut dire que ces conneries ?
Le troisième homme se rapprocha en silence, tel un spectre, et intervint enfin dans la conversation, tout en réajustant les boutons de sa veste de ses doigts fins et blancs.
— Si je peux me permettre, monsieur le député, dit-il d’une voix suave, il suffit de mettre votre fils en sécurité rapprochée. Comme cela, il évitera ses débordements habituels, et de toute façon, si cette Walkyrie diffuse les preuves, vous pourrez tout simplement les démentir. Qui croira-t-on ? Une simple inconnue qui se déguise, où un puissant député ?
Le message de l’interlocuteur apaisa grandement le député, mais frustra l’agent de sécurité.
— Pardonnez-moi monsieur, mais qui êtes vous ? demanda Arthur.
— Arthur, je te présente Albert Storm. C’est un scientifique, le représentant de la section industrielle de la MBE en France. Il vient pour régler les détails de l’inauguration de l’usine. Et ce monsieur n’a pas tord Arthur. Vous allez mettre une protection rapprochée autour de mon fils, et nous allons bien voir ce qui se passe. Avec une protection rapprochée, cette « Justice » ne viendra jamais nous chercher des noises.
L’homme de la MBE eut un sourire de satisfaction, et dans l’ombre, son air narquois avait quelque chose de dérangeant.
— Mais, monsieur…
— Cela suffit Arthur ! Vous ferez comme je vous ai dit. Maintenant, vous pouvez disposer, je dois discuter avec notre ami.
Arthur se baissa poliment, cachant son agacement ; cette menace devait être prise au sérieux, mais son patron était têtu comme une mule. Il tourna sur ses talons, et sortit son corps massif de la pièce. L’homme de la MBE se rapprocha alors du bureau, et s’assit avec légèreté sur une des deux chaises qui faisait face. Le député se réinstalla à sa place, replaça sa veste pour être plus confortable, resserrant son nœud de cravate. Il avait retrouvé une couleur de peau normale.
— Bien, dit-il avec un calme retrouvé, je suis désolé pour cela, vous n’auriez pas dû l’entendre, ce sont des affaires privées.
— Oh, ce n’est rien, dit monsieur Storm d’une voix mielleuse. Nous avons tous des petits soucis dans nos familles, je ne vous en tiens pas compte, monsieur le député, et j’ai la certitude que votre fils n’a finalement commis aucun fait reprochable.
Ses doigts toujours collés entre eux, Albert Storm pensait évidemment à son supérieur, Aristide Lambert, dont le fils avait les mêmes penchants. Le génie est une pièce à deux faces.
Le député sourit, flatté par son interlocuteur. Ce dernier ajouta :
— De plus, j’ai appris des choses extrêmement intéressantes. Des choses qui me fascinent, je dois dire.
— Sur ? demanda le député curieux.
— Cette fille à la force extraordinaire.
L’homme de la MBE avait toujours ce sourire de satisfaction qui aurait donné froid dans le dos à n’importe qui.
— Vous croyez à ses balivernes ?
— Mr Faquin, avez vu le combat de la bête à l’abbaye aux dames ?
— Ce tissu d’idiotie ? Pour moi, ce n’est qu’un montage.
Albert Storm eut un regard condescendant, bien qu’il n’en laissa rien paraître.
Cet homme est encore plus bête qu’il n’en a l’air.
— Cela le paraît, répondit Albert Storm de sa voix mielleuse. Mais c’est un sujet qui me chaut. Je travaille sur ce genre d’anomalie. La MBE s’y intéresse, car cela ouvre la porte à de nouvelles thérapies.
— Et bien, répondit le député, avec un air moqueur qu’il essayait de contenir, si jamais j’obtiens des informations sur des surhumains, vous en serez le premier informé, je vous l’assure.
Bernard Faquin marqua un sourire feint, mais sur lui, ça se voyait. Il recentra enfin la conversation.
— Revenons-en au sujet qui nous intéresse aujourd’hui : de votre côté, les préparatifs sont prêts ?
— Tout est prêt, répondit Storm. Il nous manque que votre signature pour l’inauguration et que tous les papiers soient déposés à la préfecture.
L’homme ouvrit sa sacoche en cuir, en sortit une chemise d’un rouge sang, qu’il déposa sur le bureau du député ; il en sortit un contrat, sur lequel il ne manquait plus que la signature de ce dernier, en bas. Bernard Faquin prit le contrat, le relit en diagonale, et au moment d’y apposer sa signature, hésita.
— Je ne sais pas pourquoi, dit-il d’une voix grave, mais je sens que je vais avoir les écologistes sur le dos. Nous devions faire un parc naturel de ce parking.
— Mais non monsieur le député. Et puis, dites vous que vous allez créer plus de 500 emplois directs, et la moitié de ce chiffre en emplois indirects. L’économie dans la région va faire un bond énorme.
Le député le regarda et lui sourit.
— Vous avez raison, monsieur Storm !
Le député signa énergiquement et redonna le papier à Albert. Puis il se leva, et les deux se dirent au revoir en se serrant la main chaleureusement. L’homme en noir partit avec une grande satisfaction. Avec cette réunion, il avait réussi à faire d’une pierre deux coups. Mr Lambert allait être ravi.