47. Adieux

Par Arod29

Les nuages avaient cédés face aux assauts du soleil et la petite falaise baignait dans une douce lumière froide. Derrière Loup, les vigoureux applaudissements semblaient autant célébrer la mort de Grys que l'apparition inespérée d'une lueur dans l'hiver glacé des Terres Sauvages. Loup se retourna lentement. Devant lui se tenait une femme d'une quarantaine d'années aux traits enfantin et aux cheveux bruns bouclés. Son regard haineux ne semblait pas lui appartenir tant son visage était rond et doux. Vêtue d'une longue jupe fendue laissant entrevoir ses jambes gainées de cuir noir, elle arborait une armure légère sombre sur le torse et à la ceinture, une fine épée. Il ne l'avait jamais vue mais il savait qui se tenait devant lui.

—  Je me présente, je suis Alzebal.

— Je sais.

— Tu ne parais pas surpris que je sois une femme.

Loup fit un mouvement de la tête vers le précipice.

— Ton cher mari, avant qu'il fasse le grand saut m'a conté un ou deux trucs mais ce qui me surprend c'est que tu sois seule Tyssy. Souvent les pleutres ont leur garde rapprochée.

Alzebal leva discrètement le bras et une vingtaine de mercenaires apparurent derrière elle. Loup regarda les sbires prêts à lui sauter dessus puis revint poser son regard sur son ennemi. La chef des mercenaires serrait les dents.

— Personne ne m'appelle Tyssy.

Loup prit une grande inspiration.

— Une contre un?  Juste toi et moi.

Sa voix ne trahissait ni la peur ni la colère.

Alzebal baissa les yeux.

— Ta haine t'a rendu trop confiant et stupide.

Elle se passa la main dans les cheveux et roula une mèche entre ses doigts.

— Je ne me salirais pas les mains sur ta misérable carcasse mais je t'ai réservé un traitement spécial.

Tyssy fit un geste de la main et sa petite armée se mit en branle. Loup s'adressa aux sbires obéissants.

— Voyez le courage de votre chef, le grand Alzebal!

Il regarda autour de lui, la falaise étroite était un avantage pour lui. Les mercenaires ne pouvaient le submerger par le nombre au risque de chuter dans le précipice. Tyssy invectiva ses marionnettes.

— Vous pouvez l'abîmer mais je le veux vivant!

Loup dégaina sa lame d'un geste rapide et transperça le premier homme qui s'était jeté sur lui.  Il dégagea son arme du ventre de son agresseur et donna un coup puissant avec le tranchant de son épée au niveau du coup du deuxième mercenaire qui s'écroula, la tête presque détachée de son corps. Il ne s'était passé que quelques secondes entre les deux premiers morts. Les sbires suivants, prudents et effrayés par la rapidité de leur adversaire, ne se ruèrent pas immédiatement sur lui.

Loup fléchit les jambes et tenant de son épée avec ses deux mains, il la leva devant lui. Il attendit.

Quatre hommes de main levèrent leur armes et s'approchèrent de lui. Il changea sa garde, relevant vivement les mains au dessus de sa tête surprenant ses adversaires, qui se figèrent un instant craignant une attaque fulgurante.

— Attaquez le bande de chiffes molles!

Alzebal était furieuse. Poussés par leur cheffe, deux premiers bougres lancèrent leurs armes sans prudence vers Loup. Ce dernier se mit en action avec la rapidité d'un animal. Il bloqua le coup d'un des sbires de la main gauche et d'un geste vif abaissa son arme vers le sol obligeant l'homme à se courber et l'empêcha de bouger momentanément. De sa main droite, il sortit une dague de sa ceinture et l'enfonça sous le menton du deuxième assaillant qui levait le bras pour le frapper. Instantanément il ramena le poignard ensanglanté vers l'autre combattant et sans qu'il n'ait eu le temps de se dégager, lui enfonça dans le crâne. Les deux hommes s'écroulèrent laissant de la place aux suivants qui attendaient leur tour.

— A qui le tour?!!! A qui le tour?!!! Hurla Loup, les yeux injectés de sang. 

Loup se redressa et pivota vers la gauche évitant les deux attaquants. Emporté par son élan, l'un trébucha et se retrouva dans le vide en hurlant et en agitant les bras. Le deuxième le rejoignit peu après que Loup lui ait décoché un coup de pied dans le plexus. Il fut projeté en arrière et quinze mètres plus bas, dans un craquement sinistre, son dos percuta le sol. Loup se retourna prestement et tenta sa chance, il lança sa dague vers Alzebal. L'arme vola vers la tête de sa pire ennemie. Il sourit en voyant qu'elle ne pouvait l'éviter. Venue de nulle part, une silhouette se dressa devant Tyssy. Le poignard se ficha dans l'épaule de Lodith qui cilla à peine. La géante grimaça de douleur et dégaina sa hache. Loup ragea mais absorbé par l'échec de son attaque, il se fit surprendre par plusieurs assaillants. Rapidement submergé, son arme tomba à terre, il se débattit et réussit à pousser deux autres mercenaires dans le vide, leurs cris désespérés retentirent à des lieux à la ronde mais les sbires le maîtrisèrent et il fut forcé de s'agenouiller devant son pire ennemi.

Alzebal s'approcha et frissonna de plaisir.

— Loup à mes pieds. Si tu savais combien de temps j'ai attendu ce moment. 

Elle s'agenouilla face à lui.

— Je te hais sale chien. Mon fils était mon trésor. Tu me l'as volé. Mais avant que tu payes pour ton crime, dis moi de mère à père, a t-il dit quelque chose avant de mourir? Quelles ont été les dernières paroles de mon fils? 

Loup hocha la tête. Alzebal s'approcha du visage de son ennemi.

Il ouvrit la bouche et un gargouillis infâme en sortit.

— Voilà ce qu'il a dit, j'ai pas tout compris mais...

Tyssy frappa l'assassin de son fils. Loup déglutit . Sa salive avait le gout métallique du sang. Il ajouta sans regarder son ennemi.

— Mais j'avoue que je n'ai pas fait d'effort.

Alzebal s'était relevée. Elle contint son envie irrépressible de le tuer. Il souffrirait avant de mourir, elle s'en était fait le serment. Tyssy respira profondément.

—  D'après ma tendre Lodith, ta jolie petite fille a appelé son papa. Une vraie pleureuse. L'idiote croyait que tu allais la sauver. Elle y a cru jusqu'à son dernier souffle. La touchante naiveté des enfants.

La machoire de Loup se crispa, ses muscles se tendirent. Il rugit de haine. Il tenta de se libérer sans succès. La mercenaire le frappa plusieurs fois sur son visage déjà tuméfié mais il ne ressentait plus rien. 

Je suis déjà mort. 

Loup regarda Alzebal dans les yeux 

— Je ne devrais pas mais je vais te donner un conseil.

La chef des mercenaires le toisa.

— Un conseil?

— Tu ne devrais pas me garder en vie. Je te tuerai.

Alzebal eut un petit rire nerveux.

— Tu vas souffrir comme jamais. Les geôles putrescentes t'attendent.

Loup se tut et baissa la tête. La fatigue avait envahi son corps. Sa vengeance attendrait encore. 

Je suis là.

La voix d'Iria glissa doucement dans son esprit.

Je suis prête à attaquer. Je ne te laisserai pas tomber.

Oublie moi Iria. Ce n'est pas ton combat. Je suis là où je voulais être.

Tu m'as sauvé. J'ai une dette envers en toi.

Si tu veux régler ta dette. Reste en vie et laisse moi.

Je ne peux pas!

Ecoute moi  bien. Je suis mort avec Tili et Dwenn. Un mort n'a nul besoin d'être sauvé mais toi tu as toute une vie qui t'attend.

Et ton fils?

Un nuage de souffrances et de violences me suit depuis tant d'années, alors que puis je lui apporter à part une vie de mort et de chaos? Il sera mieux sans moi mais j'ai un service à te demander.

Tout ce que tu voudras.

Retrouve Arcis au Mont Noir. Dans la brume, crie Ereim, c'est le prénom de mon grand-père. Dis à mon fils que je...

Il ne termina pas sa phrase.

Je le ferais.

Merci Iria. Je suis heureux que tu aies croisé ma route. Je ne t'oublierais pas. Et je ne t'en veux pas pour Grys. Sois heureuse petite. Adieu.

Iria, accroupie dans les feuillages, ferma les yeux quelques instant avant de partir, le cœur serré, vers le Mont Noir. Elle ne fit aucun bruit et s'éloigna sans se retourner. Du revers de la main, elle chassa une larme qui humecta sa peau quelques instant avant de disparaître comme un rêve qui s'échappe à l'aube.

Lodith, en boitant, s'approcha de Loup, elle tenait une cagoule noire, le poignard toujours fiché dans son épaule. Elle s'agenouilla.

— Pour t'habituer à l'obscurité mon beau.

Loup dans un dernier soubresaut parvint à se défaire de l'étreinte des mercenaires et posa sa main sur le poignard. Lodith hurla de douleur et asséna un violent coup sur la tempe du prisonnier. La lumière disparut et les ténèbres engloutirent Loup.

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