4e jour

Notes de l’auteur : Travailler les sous-entendus. Essai sur du fantastique

Helen entra dans le bureau de la directrice. C’était la première fois de toute sa scolarité qu’elle était convoquée, elle n’avait aucune idée de ce qu’elle était censée faire, ou dire. Elle sentait ses mains trembler, et son cœur tambouriner.

  • Je t’en prie, assieds-toi Helen.

La directrice, bien installée dans son grand fauteuil vert derrière un bureau en bois massif, lui montra la chaise en plastique à côté de la fenêtre. C’était une grande femme, blonde, stricte, toujours habillée en couleur sombre, mais chic. En quelques années d’exercice, elle avait réussi à se faire respecter de toutes sortes d’élèves, des plus sages aux plus turbulents.

Helen jetta un coup d’œil furtif par la fenêtre une fois qu’elle fut assise. Elle se figea. Elle avait cru voir bouger quelque chose dans le jardin privé de l’administration. Mais il y avait beaucoup d’ombres dans ce jardin, et le vent faisait qu’elles étaient toutes en mouvement.

  • Helen, comme tu le sais surement j’aime bien convoquer quelques élèves au hasard pendant l’année, pour faire un point, discuter un peu, faire connaissance. Et aujourd’hui c’est tombé sur toi ! Alors comment vas-tu ?

Helen se frottait les mains, elle se touchait les cheveux, et regarder tout ce qui pouvait attirer son attention sur le bureau de Mme Feldman. Un cadre photo surtout attira son attention. Il était très coloré au milieu de beaucoup d’éléments aux couleurs très sobres. La photo à l’intérieur n’était pas visible depuis sa chaise. Elle toussa pour s’éclaircir la gorge avant de répondre.

  • Bonjour Madame, je vais très bien merci. Et vous-même ?

Sa voix lui parut comme un vêtement rétréci après un passage au sèche-linge. Méconnaissable.

  • Je vais très bien, je te remercie. Mais nous sommes là pour parler de ton expérience. Alors, dis-moi tout.

Helen leva rapidement la tête vers la directrice pour capter dans son expression si elle avait bien compris le sous-entendu. Ses deux mains étaient maintenant en train de lisser ses cheveux répartis en une seule masse sur son épaule gauche.

  • Et bien, ça va très bien. Mes profs sont supers, et ma classe est assez chouette.
  • Assez chouette ? Y-a-t-il des choses qui empêchent que ça soit totalement chouette ?
  • Non, non, les paupières de Helen papillotaient à une allure folle, tout va bien je vous assure.

La jeune fille croisa les jambes, tout son corps penché vers la porte. La directrice ne la lâchait pas des yeux, Helen sentait qu’elle était au centre de toute son attention, comme si un projecteur était braqué sur elle. D’ailleurs elle commençait presque à en sentir la chaleur, et ses aisselles semblaient être devenues des éponges gorgées d’eau.

La directrice s’enfonça encore plus dans son fauteuil, croisa les bras, et regarda son élève de la tête aux pieds. Son regard pesa sur Helen comme si elle se faisait envelopper par une armure métallique. La jeune fille sentit sa bouche et sa gorge sèches en un instant.

La directrice avait ramené une main sur le bureau, et se mis à le tambouriner avec trois de ses doigts.

  • Est-ce que tu savais qu’en réalité j’avais très peu de patience ?

Helen releva doucement la tête pour regarder droit dans les yeux la directrice qui avait changé de ton.

  • Je ne comprends pas.
  • Je pense que si.

La jeune fille jetta de nouveau un regard vers le jardin, comme si elle aurait pu avoir le pouvoir de s’y téléporter.

  • Helen, il y a dans la vie des moments charnières. Où les choix que l’ont fait transforment totalement le reste de notre vie. Tu vois de quoi je parle ?

L’adolescente continuait à observer le jardin, et il lui paraissait qu’il y avait moins d’ombres, que tout était plus sombre et inquiétant.

  • Tout ce que j’essaie de faire, c’est de t’aider, mais si tu ne me parles pas de ton plein gré alors tout sera faussé. Et je ne pourrais plus rien faire pour toi. Tu comprends ?

Helen sentait son cœur battre tellement fort, qu’elle en avait des picotements au bout des doigts, elle avait l’impression qu’elle allait exploser sous la pression. Elle n’avait pas regardé la directrice pendant qu’elle parlait. Toute son attention était portée sur le chêne du jardin, et sur un trou qui semblait une niche de chouette. Elle fit le vœu d’échanger sa place avec cet oiseau qui semblait bien à l’abri dans sa cachette.

  • Helen regarde-moi, s’il te plaît. Je n’ai pas envie de rajouter du manque de respect dans ton dossier. Merci.

La directrice avait les mains jointes devant sa bouche, comme pour une prière. Le cadre de la photo sur le bureau était désormais visible depuis la chaise de la jeune fille. C’était un miroir. Un miroir dans lequel elle se voyait toute entière. Elle connaissait ces verres spéciaux, sa tante Edna avait un miroir comme ça accroché dans sa bibliothèque, elle l’appelait son miroir de sorcière.

  • Bien, maintenant tu ne pourras  plus bouger au moins.

Et c’était vrai, Helen était comme vissée, collée sur sa chaise. Elle ne sentait plus du tout son corps, ni son cœur, ni ses doigts. Seuls ses yeux pouvaient bouger, et elle pu voir la directrice enrobée d’une espèce de nuage mouvant noir et violet, d’où s’échappaient des éclairs.

  • Je t’avais dit que je n’étais pas patiente. Surtout maintenant que tu as découvert mon secret.

La directrice bougea ses lèvres, en faisant un bruit atroce, grinçant et strident à la fois. Et Helen s’évanouit.

Quand elle se réveilla, elle était dans l’infirmerie de son lycée, le soleil l’avait réveillée en venant chauffer son front.

  • Ah enfin ! Alors comment tu te sens ? Lui demanda l’infirmière qu’elle connaissait bien. Tu nous as fait sacrément peur à t’évanouir dans la cour comme ça.

Helen cligna des yeux, se releva, se frotta l’arrière de la tête.

  • Ah oui ? Et bien désolée, je ne me rappelle de rien.
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