« Le 19 avril, Zora Aldines a été retrouvée poignardée dans le secteur de Fyres. C’était une journaliste bien connue pour ses opinions favorables au mouvement de la rébellion.
Elle avait débuté sa carrière encore sous l’Empire, en 908, et s’était immédiatement retrouvée sur la liste noire du gouvernement de l’époque. Pourchassée depuis, elle n’a cessé de publier pour dénoncer.
Une enquête a été immédiatement lancée. Mais on parle déjà de règlements de comptes. En effet, Aldines s’était fait quantité d’ennemis, dont le gouvernement. Ce dernier a immédiatement démenti son implication dans son meurtre.
Zora Aldines avait quarante-deux ans et elle avait consacré sa vie à la lutte contre les injustices. »
Article anonyme,
publié le 19 avril 929
— Mais vous manquez l’essentiel. Vous, qu’allez-vous devenir ? dit la journaliste.
— Qu’est-ce que vous racontez ?
— Eh bien, toutes ces années pour infiltrer la rébellion et tout ça pour se rendre finalement compte qu’ils vous avaient grillé depuis le début. Vous pensez vraiment que votre espérance de vie va être très élevée ?
Meero garda le silence un moment. Ce que lui disait la journaliste n’avait pas de sens. Mais si c’était la vérité, il était mort.
— La rébellion n’aurait pas d’intérêt à vous tuer.
La journaliste le fixa avant de hausser les épaules.
— C’est à vous de voir ce que vous voulez croire.
— Vous dites juste ça pour sauver votre peau.
— Peut-être. Mais ça ne veut pas dire que c’est faux.
Meero tambourina nerveusement des doigts sur la banquette. Puis, il lui jeta un regard. Et au fond de ses yeux, il vit que ce n’était pas juste un mensonge pour s’en tirer. C’était la vérité. Bordel.
Il se leva et sortit du compartiment. Il traversa deux autres wagons avant de s’arrêter. Il était grillé.
Tout ce temps passé à s’infiltrer, à jouer aux petits rebelles, à croire avoir réussi. Et tout ça, ce n’était qu’un jeu, un jeu de la rébellion. Et lui, pauvre crétin, il s’était laissé berner en beauté. Parce que si la rébellion savait qu’il était un mercenaire et que c’était elle qui l’avait engagé, elle allait se débarrasser de lui une fois la mission terminée. En supposant que la journaliste dise vrai.
Mais qu’elle dise vrai ou pas, ça n’avait finalement que très peu d’importance. Il ne pouvait pas risquer plus longtemps, il devait disparaître du circuit. Il devait rester sous terre jusqu’à ce que… peut-être jusqu’à ce que la rébellion meure de sa belle mort. Oui, c’était la bonne solution. Il avait joué, mais il avait trouvé plus fort que lui.
Et Ankha ?
Il se maudit à cette pensée. Ankha devait rester où elle était. Elle était une rebelle, elle ne comprendrait pas.
D’ailleurs, si la rébellion décidait de lui révéler son identité, le meurtre de Glev reviendrait tôt ou tard dans le tableau. Et il était à peu près certain que si elle apprenait ce qu’il avait fait, elle lui logerait une balle dans la tête.
Sauf qu’il voulait la revoir. Pas une dernière fois. Il voulait rester auprès d’elle, même s’il savait que ça n’avait aucun avenir.
Peut-être qu’il arriverait à la convaincre de fuir avec lui. Peut-être.
Le train freina à un arrêt. Fyres était encore loin, mais il se précipita de descendre les marches. Il allait le reprendre en sens inverse. Il allait disparaître.
Après une petite escale à Muresid.
×
Une fois de retour à Muresid, il s’autorisa une pause à son appart. Techniquement, pas grand monde ne connaissait son existence ; il était enregistré sous un de ses alias et devait être intraçable. Là, une fois la porte verrouillée à double tour, il put enfin souffler. Il était dans la merde.
Toujours appuyé contre la porte dans la semi-obscurité de l’entrée, il ralluma ses lentilles. Il se dirigea rapidement vers les actualités et tomba immédiatement sur ce qu’il recherchait.
On annonçait le meurtre de la journaliste. Ainsi, les autres mercenaires étaient bien arrivés jusqu’à elle. Ce n’était pas compliqué en soi. Ori avait intercepté cette info d’une source anonyme le matin-même. Si les autres étaient un peu futés, ils étaient aussi tombés dessus.
Meero parcourut les articles. En haut, ils tentaient clairement d’étouffer l’affaire et la rébellion s’en donnait à cœur joie. Elle appelait à un soulèvement, elle appelait tout le peuple de Fleter à marcher sur le gouvernement. Quel abruti il avait été.
La journaliste avait eu raison, bien évidemment. Sa mort ne profitait pas au pouvoir en place, elle profitait à la rébellion. Et lui, il avait été trop stupide pour le percuter. Il avait été trop certain de ne pas apparaître sur les radars pour s’en soucier.
Il se laissa glisser sur le sol, éteignit les lentilles et alluma une clope. La fumée lui calma un peu les nerfs.
L’adrénaline retomba et il sentit un tiraillement familier dans son épaule gauche. Il serra les doigts pour calmer la douleur. Sa première rencontre avec la journaliste avait laissé de bons souvenirs. La première balle lui avait éraflé la tempe. S’il ne s’était pas retourné, il l’aurait prise en pleine tête. La deuxième était venue se planter dans l’épaule.
Ça avait été moche. Il avait failli boire la tasse en tombant dans la rivière et avait juste eu la force de se traîner jusqu’à Ori. Après ça, il lui manquait quelques jours dans sa mémoire. Il lui restait de vagues sensations de l’extraction de la balle. Douloureuses.
Il inspira une nouvelle bouffée de fumée et chassa cet épisode de son esprit. Il avait des soucis bien plus urgents.
Meero avait toujours considéré les rebelles comme des rêveurs, des idéalistes. À présent, ils lui apparaissaient sous un tout nouveau jour. Bien sûr, il connaissait leurs méthodes, il savait qu’ils n’hésitaient pas à sacrifier les leurs pour la cause. Mais il n’aurait jamais pensé qu’ils étaient de ce genre-là. Ils étaient forts, en fin de compte. Très forts. Avec ce meurtre, ils allaient gagner la faveur des foules. Cette journaliste, elle était devenue une sorte de mythe ces dernières années, son meurtre n’allait pas passer inaperçu.
La rébellion n’était rien en elle-même. Meero savait qu’en tout, ils ne devaient être que quelques centaines dans tout Fleter. Mais si le peuple se mettait soudain à suivre, là, ça changerait la donne.
Perdu dans les volutes de fumée, il en vint à la conclusion qu’avec une information de ce genre, il ne pourrait pas rester vivant bien longtemps. Partout dans Fleter, il pourrait être traqué. Il s’était bien planté.
La seule solution était de quitter le pays.
×
Le lendemain, aussitôt le couvre-feu terminé, il prit le chemin de l’appart d’Ankha. Le train qui l’emmena jusqu’au quartier sud était déjà rempli et il avait l’impression que des dizaines de paires d’yeux le surveillaient et qu’on attendait le meilleur moment pour le coffrer. En sortant de la station, il enchaîna des tours et des tours censés semer ses poursuivants potentiels.
Arrivé devant l’immeuble, il s’arrêta quelques instants, alluma une clope, tenta de se convaincre qu’il serait moins suicidaire de repartir. Et soudain, il sentit son cœur se serrer. Elle était là, en train de rentrer chez elle. Elle ne l’avait pas vu, il pouvait encore disparaitre.
Il la rattrapa à côté de la porte d’entrée.
Elle lui lança un bref regard, ne desserra pas les lèvres. Il y avait du monde dans le hall de l’immeuble, d’autres attendaient l’ascenseur. Ils y entrèrent avec deux autres personnes, en silence.
Et tout d’un coup, Meero sentit la main d’Ankha venir trouver la sienne. Il baissa le regard vers elle, mais elle ne tourna pas la tête vers lui.
Enfin, l’ascenseur arriva au quatorzième et sa main s’échappa de la sienne. Il la suivit jusqu’à la porte, puis à l’intérieur. Il ne l’avait pas vue de deux semaines et il ne savait pas ce qu’il foutait ici.
C’est alors qu’il sentit ses bras autour de son cou, puis ses lèvres contre les siennes. Et il réalisa que la quitter, la laisser derrière, ça allait être compliqué. Mais cette pensée devint secondaire. Il n’avait plus conscience de son environnement ou de tous les soucis qu’il se trainait. Il n’avait plus conscience que d’elle, de son souffle, de son corps pressé contre le sien.
Son regard s’arrêta soudain sur un détail.
— C’est quoi, ça ? demanda-t-il.
— Rien.
Il la fixa quelques secondes. Elle soupira et se dégagea de lui. Il y avait du sang sur la manche de son blouson. Elle l’enleva en passant dans le séjour.
— Ça vient d’où ? demanda-t-il en passant à la salle de bain chercher des bandages et de l’eau.
— Oh, tu sais… répondit-elle en serrant et desserrant les doigts de la main blessée.
— Des soldats ?
— Non. C’est rien. Ça fait juste un mal de chien, mais c’est rien.
— Laisse-moi voir.
Après avoir nettoyé la plaie, il vit que la coupure semblait assez profonde. Elle recommença aussitôt à saigner et il sentit Ankha se crisper. Elle allait garder une cicatrice. Une de plus.
Pendant tout le temps qu’il s’escrima à bander le bras, il sentit son regard sur lui. Pas un regard hostile, juste curieux. Il savait qu’elle ne lui demanderait pas où il avait été ces deux semaines. Tout comme il ne lui demanderait pas sur quelles missions elle s’était trouvée ni ce qui lui avait valu ce coup de couteau.
— T’es revenu pour longtemps ? demanda-t-elle en récupérant son bras.
Il la fixa dans les yeux, si sombres.
— Ankha, je dois repartir.
— Quoi, ils te renvoient déjà ?
— On me renvoie nulle part, mais j’ai besoin de disparaître.
Elle fronça les sourcils.
— Pourquoi t’as besoin de disparaître ?
— Ankha…
— Ça va, j’ai compris, tu peux rien dire.
Elle le fixa, les yeux plissés.
— Quand ?
— De suite.
— Combien de temps ?
— Le temps nécessaire.
— Oh.
Ses yeux se détournèrent des siens et ses doigts vinrent filer nerveusement le tissu du bandage. Pourtant, il avait presque réussi à se convaincre qu’il ne le lui proposerait pas.
— Viens avec moi.
Ankha massacra encore quelques secondes son bandage. Il lui saisit la main et l’obligea à relever la tête.
— Tu sais très bien que je peux pas, dit-elle.
— Pourquoi ?
— Pourquoi ?
— Eh bien, oui. C’est pas comme si quelque chose te retenait vraiment ici.
— Il y a la rébellion.
À cette remarque, il se sentit envahi par une rage soudaine. Pas contre Ankha, contre ceux qui se servaient d’elle sans aucun scrupule, contre ceux qui la manipulaient à leur guise. Bien sûr, ce n’était pas à lui de leur donner des leçons, pas après ce qui s’était passé avec Glev. Mais finalement, avec Glev, ça n’avait rien été d’autre que de l’autodéfense.
— La rébellion finira par te tuer, Ankha.
— Je sais, dit-elle. Tu crois que je suis idiote à ce point ? Tu crois que je sais pas qu’un rebelle vit jamais bien vieux ?
— Alors pourquoi ?
— Parce qu’il faut que ce soit quelqu’un.
— Mais pourquoi toi ? Pourquoi est-ce qu’il faudrait que tu leur abandonnes ta vie ?
— Parce que la rébellion, c’est tout ce que j’ai. C’est le seul moyen de faire quelque chose, de pas oublier ni Catinis ni Glev.
— Sauf que Glev serait toujours en vie si la rébellion s’en était pas mêlée.
C’était vrai, bien sûr. Pas forcément toute la vérité, mais il vit que ses paroles firent effet. Ankha détourna les yeux et serra la mâchoire.
— Ankha, viens avec moi et oublie tout ça. Ce qui s’est passé à Catinis était une tragédie, mais la rébellion a pas trop fait dans la dentelle non plus. Je pense pas que maintenant, il y ait vraiment de bon côté. Le mieux, c’est encore de sortir du système.
— On peut pas sortir du système.
— On peut essayer. Il y a plein d’endroits où ils ont pas leurs yeux. Viens avec moi, Ankha.
Il la vit hésiter. Il voyait ses certitudes s’effriter.
— Tu veux faire quoi ? demanda-t-elle finalement.
— Quitter Fleter.
Elle releva des yeux arrondis de surprise vers lui.
— On peut pas quitter Fleter.
— Ah non ?
— Les frontières sont surveillées.
— Il y a des passeurs.
— Je sais pas, Meero. Tu me demandes de tout quitter.
— Je te propose de survivre.
Elle replia ses genoux contre elle, les entoura de ses bras et posa le menton dessus, l’air pensif. Là, perdue sous ses longues boucles brunes, il la vit peser le pour et le contre, il la vit réfléchir à la situation. Et enfin, une étincelle résolue passa dans son regard et il comprit qu’il avait gagné.
— Tu veux partir de quel côté ?
— Zebulis.
— Pourquoi Zebulis ? demanda-t-elle en perdant un peu de ses couleurs.
Quel crétin. Pour elle, Zebulis était associée à la mort de Glev. Il n’y avait pas pensé.
— Je connais des mercenaires là-bas. Ils pourraient nous faire quitter les eaux de Fleter.
Elle le regarda soudain droit dans les yeux.
— Et si ça foire ?
Ce fut à lui de se détourner.
— Si on est prudents, on a une chance, dit-il finalement. Tu sais, quitter Fleter est pas aussi compliqué qu’ils nous le font croire. Et il y a des îles au large de Zebulis qu’on pourrait rejoindre. Elles sont en territoire neutre.
Elle se releva soudain, en proie à une grande agitation. Meero la vit s’approcher de la fenêtre, l’air indécis, la main toujours en train de triturer son bandage. Finalement, elle se retourna vers lui, un faible sourire sur le visage.
— Allons-y.
×
Tout était prêt et Meero attendait Ankha à la gare de Muresid. Ils devaient prendre le train de quinze heures pour Zebulis et ne plus jamais revenir à Muresid.
Elle finit par arriver, à quelques minutes seulement du départ. Elle lui lança un bref regard et ils se dirigèrent vers le quai. Il n’y avait pas foule, ils n’allaient pas être trop gênés. Ce train n’était jamais bien bondé.
Il monta le marchepied et jeta un dernier regard à la gare derrière la vitre. Le train s’ébranla et la brume commença à se mouvoir.
Ils étaient partis. Maintenant, il n’y avait plus qu’à rester en vie.
Et je suis trooop contente qu'il ait demandé à Ankha de venir avec lui et qu'elle ait dit oui ! Et maintenant évidement j'ai trop peur de ce qui va leur arriver haha > <
Bon... Tu l'a tué... Moi je l'aimais bien ce perso 😭
Pourquoi je sens que le duo meero ankha va pas durer ??
Bon je vais pas m'attarder sur les coïncidences de personnages qui se croisent, je vois bien que c'est un parti-pris. C'est un peu gros, parfois, mais j'accepte.
Sinon j'adore ce chapitre ! Meero et Ankha qui tentent de trouver leur bonheur ensemble et ailleurs <3 Même si ça m'étonnerait que cette historie finisse bien. Mais j'ai enviiiiiiie qu'ils puissent vivre leur vie ensembles. :'(
Coquillette : Il ne l'avait pas vu de deux semaines -> depuis deux semaines plutôt
À bientôt ~ (et t'as vu j'ai réussi à me mettre à jour sur BP malgré le DS de maths :P)