Les animaux écoutaient l’étrange récit, poussant des « Ah ! » des « Oh ! » et puis des « Hou ! » à chaque fin de phrase. S’ils n’avaient pu constater de visu la présence en leur forêt d’Églantine, la géante princesse, ils auraient assurément pensé que tout cela n’était qu’un mauvais conte, ou un mauvais rêve, ou un cauchemar. Toutefois, leur curiosité n’était pas totalement satisfaite.
- Et après ? demanda Colin le lapin, essuyant une larme.
- Après, c’est un peu flou. Je crois que j’ai flotté un moment avant d’atterrir ici, dans la forêt de Bois-Doré.
- Oh, ma pô… pô… pôvrette ! bégaya Gisabelle, quel affreux cornichon que cet horrible bonhomme ! Saperlipopette de saperlipopette ! Mais pourquoi qu’il a fait ça ?
- Sabrazdetro n’est pas un sorcier de second ordre et sa méchanceté n’a d’égale que sa cupidité. Avant de me précipiter hors du cahier, il a proclamé qu’un chaudron rempli d’or serait le prix à payer pour retrouver et ma vie et mon prince. Une proclamation vaut sentence dans la bouche d’un sorcier. Mais un chaudron d’or ! Comment je vais y arriver ? C’est impossible…
Ces dernières paroles à peine prononcées, un flot de larmes jaillit des yeux d’azur. Elles ruisselèrent le long des joues veloutées jusqu’au menton tout rond, puis tombèrent en cascade sur les bouquets de myrtilles et de fraisiers sauvages. Ho-là-ho ! s’alarma Horace, il faut impérativement apaiser ce flot tumultueux ou nous finirons tous noyés !
- À chaque problème une solution ! Clama-t-il avec fougue. Mais tout d’abord, sécher vos larmes et mouchez votre nez, Princesse. On n’a pas idée de tant dégouliner.
- Pardon, pardon, pardon ! hoqueta Églantine. Je vois bien que je vous cause souci. Alors, vous avez une idée ? Comment allons-nous procéder ?
- Procéder ? Diantre ! Oui, il nous faut procéder. Réfléchissons… Hum… Hum… Hum…
Trop pressé d’endiguer le déluge, Horace s’était un peu trop vite avancé, car, à la vérité, il ne détenait pas l’once d’un iota d’une broutille de solution. Ils se tourna vers ses amis à la recherche d’une illumination.
- Bon, expliqua-t-il à l’adresse d’Églantine, avant toute décision, il nous faut conciliabuler.
Tous les habitants de la forêt se rassemblèrent sous le couvert des arbres. Et chacun de marmonner, susurrer, marmotter, grommeler sans parvenir au moindre résultat. Églantine attendait sagement l’issue de la discussion. Tout à coup Raymond Gorge-Rouge siffla la fin des débats. D’une aile pointée vers l’horizon, il désignait le soleil franchissant la crête des collines avoisinantes, instant magique où ses rayons perçant les frondaisons, déposaient sur la mousse humide des galettes d’or.
- Voilà votre trésor ! s’exclama Edouard, du creux de la main potelée. Regardez, Princesse, il y en a des milliers ! De quoi remplir pas moins de dix géants chaudrons !
- Hourra ! Hourra ! Hourra ! s’écrièrent les animaux de Bois-Doré, ne pouvant cacher leur soulagement.
Edouard disait vrai. À perte de vue le sous-bois dévoilait son inestimable trésor. Il fallut dans un premier temps récupérer l’énorme chaudron, abandonné non loin, à trois pas de géant. Juché sur l’épaule d’Églantine, le hardi écureuil veillait au bon déroulement de l’opération, évitant aux gigantesques pieds d’écrabouiller quelqu’un.
- À droite, droite ! Non attention un peu à gauche ! criait-il. C’est ça, parfait, Églantine, vous vous en sortez très bien ! Gisabelle, pousse tes fesses ! À gauche, gauche… Non ! Attention, un peu plus à gauche ! Igor ! Qu’est-ce que tu fabriques au milieu ? T’as plus tes yeux de lynx en face des trous…
Cette première étape franchie, tous les habitants de la forêt s’activèrent à remplir le chaudron. Gisabelle la gélinotte roulait les galettes, Maître furet les portait sur sa tête, Vieux-gris les poussait du museau, Brume les faisait sauter entre ses grosses pattes, la mère Tartempion avait organisé une chaîne pour stimuler les petits bras, Grand-cerf les empilait entre ses bois avec l’aide d’Horace et Églantine… et bien Églantine chantait pour donner du cœur à l’ouvrage :
- Un, deux, trois, c’est de bon aloi
Quatre, cinq, six, mes pensées fleurissent
Sept, huit, neuf, ce n’est pas du bluff
Dix, onze, douze, évitez les bouses
…
Mille deux cents, c’est plus que six-cents
Dix mil-liers, je sors mon boulier
Un million, c’est pas du bidon
Cent millions, c’est un compte rond…
Hélas, Églantine n’était pas rossignol et gazouillait comme une casserole. Mais ça, Flora May avait omis de le préciser, ce qui en soit n’était pas bien grave puisque les animaux de ce conte ignoraient comment chantait une géante princesse. Lorsque le chaudron fut si rempli que pas une galette de plus n’aurait pu y trouver place, Églantine, chargée de son précieux butin, gagna l’orée de la forêt. Ses nouveaux amis l’escortèrent, soucieux de la protéger et un peu curieux de découvrir à quoi pouvait ressembler un maléfique sorcier. Car de maléfique sorcier, il n’y avait point dans la jolie forêt de Bois-Doré.
J'aime bien les néologismes tout mignons que tu glisses ici et là, du genre "conciliabuler", et la petite comptine. Super idée, cette princesse qui chante comme une casserole xD J'adore ! On est loin des clichés de la princesse qui chante de sa merveilleuse voix une chanson aux oiseaux de la forêt ahah.
Juste une petite coquille :
>> "sécher vos larmes et mouchez votre nez, Princesse." > séchez
Merci encore Jeannie !
Bonne idée pour trouver cet or. Cela peut être si simple dans les contes !
Tout est possible dans une histoire, j'aime bien les petites disgressions sur l'auteure "ça Flora May n'y avait pas pensé". Tout le monde se met joyeusement à la tâche, c'est très amusant ! Jolie petite chanson (= (enfin à l'écrit puisqu'à l'oral ça n'est apparemment pas top xD)
Je termine ma lecture !
A plus !