5-3: Mascarade ou bal masqué?

Pendant que ces derniers dansent, Zamine et Tybérone rencontrent Yirgatt et Djulieta. Les pères se rabibochent.

 

YIRGATT

Voilà mon vieux frère d'arme qui s'est mis en sa plus noire présence. Dans cet apparat, tu flamboies que le blanc.

 

ZAMINE

Dans le contraire de nos apparences, toi aussi, mon cher Yirgatt, tu scintilles de ta Nuance.

 

YIRGATT

Que nous contons fleurette à nous-même ne vaut guère le même sentiment. Laissons ces jeunes gens faire mieux !

 

ZAMINE

Vous avez tout à fait raison, cher allié de toujours. Ce n'est plus de notre temps de badiner avec l'amour. (Il s'éloigne avec Yirgatt, se séparant prestement quelques temps après.)

 

TYBÉRONE, à DJULIETA,

Je ne serais être affilié à ces deux gourgandins. En bien d'autres comme dans l'amour, ils sont des outrageux plaisantins.

 

DJULIETA

Certes, Tybérone. Tu es trop franc du collier pour aboyer à tort et à travers contre ces messieurs. Je me demande pourquoi mon père et ton père te supportent.

 

TYBÉRONE

C'est qu'ils sont très patients ... Ah ! Tu as toujours été bonne à la boutade ! Tu ne te laisses pas démonter pour un sou.

 

DJULIETA

Contrairement à toi qui a aucune contrepartie. Comme l'habitude m'ennuie déjà de ta présence.

 

TYBÉRONE

Ne te répète plus que raison ! Tu me foudroies le cœur !!

 

DJULIETA

Parce que tu en as un ? Depuis quand ? Je n'en perçois aucun signe dans ta gestuelle dénué de sentiment.

 

TYBÉRONE

Donne-moi au moins une chance de te prouver que j'en ai. Tu ne peux pas être aussi partial car j'ai déjà prouvé par le passé que j'étais généreux et plein d'humanité.

 

DJULIETA, perplexe,

Je verrai à faire un peu plus d'efforts même si je ne suis pas sûr que tu le vaux encore.

 

Eremnéo regarde de loin l'assemblée.

 

EREMNÉO, à un valet, montrant DJULIETA.

Oh ! Elle est toujours d'une blanche pureté ! Elle ne change pas qu'importe les années !

 

LE VALET, distrait,

Hein ? Quoi ? Qu'est-ce que vous voulez monsieur ?

 

EREMNÉO

Sachez ! Oui, sachez ! Elle a l'insigne de toutes les majestés ! Son Teint me foudroie d'un éclair de lucidité parmi la tempête de mon aveuglement. Dans la noirceur la plus totale, elle fait bleuir toutes les autres Nuances par toute sa brillance. Splendeur trop brûlante pour rester dans l 'Azur, trop divine pour se perdre dans l'impur ! Telle sa Coloreyscence ne saurait se comparer à la Nyctaleyscence, elle n'a aucune crainte à se faire parmi ses tempétueux hémisphères ! Dans cette perpétuelle eurythmie, je me donnerais son rythme pour avoir une place auprès d'elle. Mon cœur, arrête de battre si fort !

 

TYBÉRONE, désignant EREMNÉO.

Ce jeune sot n'a toujours pas appris qu'il ne fallait pas s'immiscer dans une délicate affaire. Cela pourrait être dangereux et on y laisserait des plumes. (À un page.) Va me chercher mon sabre ! Je ne supporterais pas plus longtemps qu' il aguiche ma promise et bien-aimée. Oh, le misérable !

 

ZAMINE, s’approchant de TYBÉRONE.

Tybérone, calme-toi ! Elle est promise et n'est pas dévouée à toi. Ce n'est pas parce qu'elle parle qu'elle le veut.

 

TYBÉRONE

Père, voici un rapprochement que je ne pourrais pas supporter s'ils devaient encore se rapprocher.

 

ZAMINE

N’est-ce pas le jeune EREMNÉO ?

 

TYBÉRONE

Oui, c'est lui, ce satané Eremnéo !

 

ZAMINE

Sois tranquille d'esprit ! Ne lui fais pas d'ennuis !! Tu t'imagines plus que c'est pire alors qu'il a encore étendu son empire ! Tu vois bien qu'il n'a pas les manières d'un amour courtois. Le gentilhomme ne se prépare pas à croquer dans la pomme. Et, à dire vrai, Shamarya et l'Ymagier le tiennent en grand estime en sa chasteté dans la rime. Il est peu orgueilleux de ces bons mots et généreux pour les délivrer sans moindres maux. Il est infini dans toute sa vertu. Je ne voudrais rien de l'or s'il devait payer le prix de son sang.

 

TYBÉRONE

Vous vous faites un sang d'encre pour lui alors qu'il ne faut pas la peine de gaspiller votre Nuance.

 

ZAMINE

Cesse de l'embêter. C’est ma volonté. Si tu la considères comme celle émanant de ton père, ne sois pas jaloux. Laisse là cette face de roquet farouche qui n'aboie pas quand la fête va à son bon train. Chahutant dans les wagons, vous voulez le cahot au milieu des hôtes ! Vous hausserez le ton face à l'obédience qui n'en est pas ! En tout cas, pas ici ! Les Sources m'en amnistient !

 

TYBÉRONE

Va donc ! Vous mériterez le parjure pour aller contre sa loi.

 

ZAMINE

Quelle loi ? Ah ! Vous êtes bien impertinent pour oser parler en leur Nom. Ne fais pas de vilains blasphèmes que personne aime. La coulure aurait pu te guetter si l'empereur t'avait écouté. Veiller à tes dires au lieu de le maudire. Tu ne dois te ternir plus que d'avantage ! Crois en… Mais non, palsambleu ! Ce n’est l'instant pour je t'explique !… Tu dois déjà le savoir... (Aux danseurs.) À merveille, mes petits choux !… Continuez ! (À Tybérone.) Et vous, avancez !

 

TYBÉRONE

Le bouillon de rage hurle en moi et l'implacable raison a des difficulté à la calmer. Cela me donne le frisson aux poils. Je ne puis être présent plus longtemps qu'il m'incombe. Je ne sais si le volcan saura retenir l'éruption ressenti en moi. (Il sort de la salle de bal puis du palais d'Irisàj.)

 

EREMNÉO, regardant timidement Djulieta,

Je te souhaite la bonne soirée, Djulieta. Cela fait si longtemps... Si je n'ose t'effleurer d'un doigt, je n'oserais t'arrimer à ma verve tel un terrible écumeur des bas mots. J'ai les lèvres à sec déjà de respirer le même air que toi ...

 

DJULIETA

... Et les yeux qui te brûlent tellement je suis éblouissante de beauté. Tu as toujours le bon mot mais je te le prends à l'instant car il m'ait été donné de le faire. Je te souhaite à toi aussi la bonne soirée, Eremnéo. Et que la fête des Teinteries te soit bénéfique.

 

EREMNÉO

Comment le pourrais-je quand une ombre irait se faufiler ?

 

DJULIETA

Cela ne se peut. Je ne vois aucun tableau plus magnifique que ce jour du Panachage.

 

EREMNÉO

Surtout quand tu es là. Quoiqu'il y ait une certaine ombre au tableau sur cette face.

 

DJULIETA

Ah ! Quelle est-elle d'après toi ?

 

EREMNÉO

J'observe un froncement de ces cils si délicats et un plissement de tes lèvres. C'est un lieu trouble où le soleil influe sur la rosée et me laisse penser que tu es chagrinée.

 

DJULIETA

Tu veux la vérité que je n'aurais pas cru ? … Mon père, Yirgatt, me force la main par un mariage avec Tybérone.

 

Grâce à sa Vision Clairvoyante, Eremnéo perçoit quelque chose à travers les Nuances et les Teintes des invités de la fête. Il l'écoute à peine ce qu'elle annonce.

 

EREMNÉO

Hein ?

 

DJULIETA, énervée,

Tu m'écoutes ?! Comment veux-tu que j'aille ?!!

 

EREMNÉO, déphasé,

Mmh mmh … Oui, ce n'est pas facile ...

 

DJULIETA, furibonde,

Et tu es loin du compte ! Je vois que tu ne comprends pas !! J'aime mieux partir !!!

 

LADY LIESKA

Laisse, Eremnéo ! Tu sais, ces orages ne sont que passagers et il ne faudrait pas te prendre une foudre de sa part.

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