Meero revit Ankha une dernière fois. Il avait réussi à négocier ce moment, ce bref moment. Il savait qu’ils n’avaient aucune chance de s’en sortir tous les deux, donc si elle au moins se tirait de là, ça serait un vrai miracle. Ils avaient promis, elle serait emmenée quelque part loin de la base juste après ce dernier entretien.
La pièce dans laquelle ils se retrouvèrent était séparée en deux par une cloison de verre, il ne fallait pas qu’autre chose que des paroles soit échangé.
Ils se fixèrent un long moment et Meero eut tout le loisir d’observer son visage tuméfié. Et ce n’était que la partie visible.
Elle était encore plus mal en point que ce qu’il s’était imaginé et la résignation était plus que jamais imprimée sur ses traits.
Finalement, ils s’approchèrent tous deux de la vitre.
Aucun doute ne se faisait sur le fait que leur conversation était enregistrée, que leur moindre mouvement était surveillé.
— Ankha, j’ai besoin que tu m’écoutes, murmura Meero.
La vitre n’étouffa pas les sons, elle les laissait passer comme l’air.
— Juste après cette conversation, ils vont te relâcher.
— Quoi ?
— Ils vont t’emmener loin de cette base et ils vont te relâcher.
— Qu’est-ce que t’as fait ?
Ce n’était pas du soulagement qu’il voyait au fond de ses yeux, c’était de la colère.
— Qu’est-ce que tu leur as promis ? demanda-t-elle à voix basse.
— Des informations. C’est pas important.
— Bien sûr que ça l’est. Je veux pas avoir de morts sur la conscience.
Il ne répondit pas et se contenta de la regarder dans les yeux. Il n’était pas sûr, mais il pensait comprendre la raison de cette colère.
— Tu préfères mourir ?
— Je veux pas d’aide, tu comprends ?
Il vit des larmes de rage perler de ses yeux.
— Ankha…
— T’as pas le droit de faire ça. Je me suis foutue dans cette merde toute seule, c’est pas à toi de m’en tirer.
— Au moins, un de nous deux en réchappera.
Elle serra les lèvres, croisa les bras et le fixa.
— C’est stupide.
Il sourit à cette remarque. Dans un geste de rage, elle envoya un coup du plat de la main dans la vitre.
— Je veux pas de cette fin, grogna-t-elle et il entendit que sa voix se bloquait dans sa gorge. Ça devrait pas se finir comme ça.
— Et pourtant, c’est le cas. Écoute, ils vont venir d’une minute à l’autre. Essaie de survivre ce coup-ci.
— Survivre, cracha-t-elle.
— Oui, survivre. Ça sera déjà pas mal.
Soudain, son regard changea. La colère se mua en douleur et elle tituba avant de se laisser tomber à genoux. Elle se passa une main tremblante sur le visage. Il se baissa pour se retrouver à sa hauteur.
— Une dernière chose, dit-il à contrecœur. Dans les jours à venir, tu vas apprendre des trucs pas glorieux sur moi. Je suis désolé.
×
L’enregistrement se retrouva dans la boîte. Une pseudo-journaliste était venue poser des questions et Meero avait répondu. Ça avait été une jolie mise en scène. Elle lui avait dit où regarder, quand hésiter. Il fallait qu’on puisse penser qu’elle interrogeait un témoin qui craignait pour sa vie.
Enfin, pour ça, il aurait été intelligent de cacher son visage, pensa Meero. Mais non, il leur fallait de vraies images, pas des plans ombrés où on ne le reconnaitrait pas.
D’ici quelques jours, il allait être jugé. Il serait sûrement reconnu comme traître. Et il serait sûrement envoyé devant un peloton d’exécution. Ils pourraient même camoufler sa mort pour faire croire à une vengeance de la part des rebelles. Quelle jolie fin à toute cette histoire, vraiment.
La journaliste demanda et il répondit. Oui, il avait été engagé pour tuer l’autre journaliste. Oui, c’était la rébellion qui l’avait mis sur ce contrat, qui lui avait demandé de tuer une des leurs. Oui, il en était sûr. Pourquoi ? Mais parce que les rebelles voulaient passer pour des martyrs. C’était évident, pas vrai ? Est-ce qu’il avait peur de parler ? Et comment, mais il pensait que le bon peuple de Fleter devait connaître la vérité. Ha, quelle mascarade.
Et puis, la journaliste et les soldats qui surveillaient l’échange de très près semblèrent satisfaits et on le reconduisit à sa cellule. Et là, sous l’éclairage trop cru, il se dit qu’il était fatigué. Juste fatigué. Il en avait marre de cette vie de mensonges. Il en avait marre de cette vie, tout court. Pourtant, jusque-là, jamais il ne lui était venu ce genre d’idées. Il faisait ce qu’il devait pour survivre, point. Il ne s’interrogeait pas sur le côté duquel il était parce qu’il n’était nulle part.
Et maintenant ? Maintenant, il aurait voulu effacer tout ça, l’oublier et repartir de zéro. Il aurait voulu d’une page blanche où tout aurait été possible avec Ankha. Parce qu’à présent, même s’il réchappait de tout ça par miracle, ça serait trop tard. Son enregistrement allait être diffusé dès le lendemain et on allait vite mettre un nom sur son visage. Ankha le verrait. Au début, peut-être qu’elle tenterait d’ignorer ce qui lui sautait aux yeux, elle tenterait d’ignorer la vérité. Puis, elle n’aurait pas d’autre choix que de comprendre. Et alors, alors, viendrait l’horreur.
Il serra les yeux, fort, pour en faire partir les images de son regard chargé de dégoût. Pourquoi tout était si tordu ?
×
Et puis, finalement, son dernier jour arriva. On vint le chercher dans sa cellule, on lui fit longer les couloirs. Quand il sortit à l’air libre, il se demanda encore une fois où ils étaient. Ce genre de végétation ne lui disait rien. Mais il ne resta pas à l’air libre bien longtemps, on le fit monter directement dans un camion déjà rempli de prisonniers. La destination n’était pas bien compliquée à deviner. Quelques jours plus tôt, il y avait eu des simulacres de procès. Maintenant, on allait les exécuter quelque part.
Il ne s’attarda pas sur les visages des autres. Il doutait qu’il y ait plus d’une demi-douzaine de rebelles dans le tas. Mais voilà, on les avait accusés de quelque chose, ça voulait donc dire qu’ils étaient coupables, qu’ils méritaient la mort.
Le camion se mit en marche.
Le vrombissement du moteur donnait la nausée à Meero. Pourtant, il aurait voulu aller fièrement face aux fusils et mourir sans une once de regrets. Mais la vérité était bien trop loin de ce souhait. Il avait l’impression d’être prisonnier d’un horrible cauchemar, le genre qui laisse tout tremblant au réveil.
Sauf que là, il n’allait pas se réveiller, il n’allait pas se dire que ce n’était qu’un rêve, que rien n’était vraiment arrivé.
Il n’allait plus se réveiller du tout, en fait. Il n’allait plus retrouver Ankha à ses côtés, encore endormie, si paisible quand elle n’était pas sujette à ses propres cauchemars. Il n’allait plus se demander ce qui lui était passé par la tête pour s’attacher autant à elle. Il n’allait plus se demander comment lui cacher ses véritables occupations, il n’allait plus lui mentir en détournant légèrement les yeux pour se donner meilleure conscience. Il n’allait plus rien faire de tout ça et ça laissait un trou béant dans la poitrine. Il n’allait plus la regarder dans les yeux, il n’allait plus se perdre dans leur nuit, il n’allait plus pouvoir rêver à un futur. Il était fini. Fini. Bientôt, il n’existerait même plus et elle, elle ne se souviendrait de lui que comme du connard qui avait fait tomber la rébellion.
Peut-être pas seulement. Peut-être qu’elle aurait assez de force pour se rappeler aussi des bons moments, ceux où ils étaient là l’un pour l’autre, ceux où ils s’accrochaient à la vie avec tellement de désespoir, ceux où ils voulaient exister à travers le regard de l’autre. Il espérait que ces moments ne seraient pas remplacés par le dégoût. Il l’espérait, mais il savait que ça ne serait pas le cas. Peut-être même qu’elle comprendrait que c’était lui qui avait tué Glev. Peut-être qu’elle comprendrait que c’était lui qui lui avait cassé sa famille et qui avait ensuite osé la regarder dans les yeux, qui avait osé rester à ses côtés. Et alors, elle n’aurait d’autre choix que de le détester. Et il savait qu’elle avait de la haine à revendre. Le monde l’avait bien trop cabossée pour qu’elle accorde le pardon. Et de toute façon, il ne voulait pas qu’elle le pardonne. Il voulait qu’elle le haïsse. Il n’avait rien fait pour mériter le pardon. Il n’avait fait que lui nuire.
Le camion roulait toujours, transportant vers la mort son convoi de prisonniers.
Soudain, quelque chose clocha.
Dans un énorme fracas, le camion perdit l’équilibre et s’envola dans les airs. C’est tout du moins l’impression qu’en eut Meero. La fumée s’invita au spectacle et ses oreilles se bouchèrent après cette soudaine intrusion de bruit. Les prisonniers tentaient de se relever en hurlant quelque chose les uns aux autres, mais les menottes fixées aux anneaux n’aidaient pas. Certains s’acharnaient sur le fer, d’autres semblaient trop sonnés pour réagir.
Meero faisait partie de la seconde catégorie. Quand le camion s’était renversé, il s’était cogné la tête, il ne savait trop contre quoi. Et maintenant, il n’arrivait plus à se concentrer sur quoi que ce soit. Il avait l’impression que le monde autour de lui dansait, que tout était bien trop lumineux et pas assez bruyant. Malgré ses mains menottées, il réussit à atteindre ce point à l’arrière de sa tête qui irradiait de douleur. La main lui revint tachée de rouge. Et il le fixa sans rien comprendre à la situation.
Puis, des hommes firent intrusion sous la bâche. Ce n’était pas des soldats ; de ça Meero en était certain. Des rebelles, ce fut le mot qui lui flotta dans l’esprit avant de se laisser dissoudre par le vide. Des rebelles avaient fait sauter la route et le camion avait volé avec. Oui, ça devait être ça.
Son esprit s’éclaira soudain et il se dit que ce qui allait suivre serait bien pire. Les rebelles savaient tout sur lui, ils savaient ce qu’il avait fait, ils connaissaient tout à son double jeu pendant tout ce temps. Ils savaient tout et ils allaient se charger de son exécution. Échapper aux soldats pour tomber dans les mains des rebelles, ça, c’était nickel comme sort.
Il vit les rebelles faire sauter les menottes, les siennes également. Il vit les prisonniers se disperser. Et il ne se fit pas prier pour en faire de même. Une pensée idiote vint dans son esprit. Et si ces rebelles ne savaient pas qu’il était dans le convoi ?
Ça paraissait assez logique, pensa-t-il en prenant ses jambes à son cou. Il n’était pas si important, ce n’était même pas lui qui avait déglingué cette journaliste. Et la vidéo de ses aveux n’avait pas encore eu le temps de filtrer. Non, en fait, ils étaient intervenus pile au bon moment.
Les mains libérées, il se précipita dans la forêt qui bordait la route. Il courait sans plus se soucier de cette blessure qui saignait. Il courait pour sauver sa peau. Une chance s’était présentée et il n’était pas suicidaire au point de la laisser passer.
Mais la fatigue le rattrapa bien trop vite. Ces quelques jours passés en captivité n’avaient eu rien à voir avec des vacances et tous les coups reçus se faisaient rappeler à chaque mouvement.
Meero s’autorisa une pause, bien caché derrière le tronc épais d’un arbre. Il tendit l’oreille, mais le bourdonnement constant depuis l’explosion n’aidait pas. Il n’avait pas l’impression qu’on le suivait. Il avait réussi à se détacher du groupe. Il souffla et ses côtes lui répondirent par des élancements.
Il était libre.
Cette pensée était presque incongrue. Comment pouvait-il était libre juste comme ça ? On disait que le hasard faisait bien les choses, mais Meero ne croyait pas au hasard. Les rebelles n’avaient pas agi juste au pif, ils devaient sûrement avoir une idée derrière la tête. Peut-être que dans le convoi de prisonniers, il y en avait un en particulier qu’ils voulaient libérer. Pas lui, ça non. Lui, il n’était pour le moment personne. Lui, il ne deviendrait le mec à abattre que dans quelques jours. Pour le moment, il n’était personne et il comptait bien en profiter le temps que ça durerait.
Il jeta un nouveau coup d’œil aux arbres. Personne ne le suivait. Le souci, c’est qu’il ne savait pas non plus où il était ni par où il fallait aller pour trouver un semblant de civilisation.
Mais il était en vie.
Bon il s'en sort bien le bougre, peut être ankha qui a fait passer l'info aux rebelles pour le faire libérer ?
Hate d'avoir le chapitre avec le point de vu de ankha !!