À la tombée de la nuit, Meero en était toujours à arpenter la forêt. Au bout du rouleau, il décida que ça n’aggraverait pas son cas de s’arrêter. Il fallait se faire à l’évidence, il était perdu.
Il se laissa tomber contre le tronc d’un arbre et écouta la forêt. Le printemps était bien installé et les nuits n’étaient plus froides. Le sous-bois quant à lui n’était pas aussi humide qu’il en avait l’air au premier abord. Il n’était pas si mal loti si on prenait en compte le fait qu’à l’heure actuelle, il aurait dû se retrouver avec une balle logée dans la cervelle. Mais il allait falloir qu’il retrouve vite son chemin, il ne tiendrait pas plus de quelques jours en forêt sans provisions.
Là, perdu dans les profondeurs des bois, il réalisa enfin ce qui s’était passé. Il réalisa qu’il était toujours en vie. Il réalisa qu’il s’était échappé.
Merde, comment c’était possible ?
Pendant de longues minutes, il écouta les bruits de la forêt sans penser à rien. Il avait besoin de ce vide pour mieux appréhender la situation. Il s’était échappé et il ne comptait pas se faire reprendre. Il comptait bien rester en vie.
Première chose, il fallait sortir de la forêt.
Il se plongea dans une carte mentale de Fleter. Avec Ankha, ils s’étaient fait prendre à côté de Zebulis, sur la côte sud. Puis, ils avaient roulé plusieurs heures. La prison où ils avaient été interrogés devait être plus dans les terres, peut-être à Gunev. Et une fois la prison laissée derrière, le camion avait de nouveau roulé un bon moment. Mais pour aller où ?
Et puis, il y avait quelque chose qui clochait.
Si on voulait exécuter tous les prisonniers présents dans le camion, pourquoi est-ce qu’on leur avait fait faire autant de chemin ? Pourquoi ne pas juste les aligner contre un mur et donner l’ordre ? Non, les prisonniers n’allaient pas être exécutés, ils allaient quelque part.
Juvis. Il était dans le secteur de Juvis. Dans ce coin, c’était le seul endroit où il y avait plus de camps de travail que d’habitants et on les conduisait sûrement là-bas. Il frissonna à cette pensée. Il aurait presque préféré une mort rapide. Les choses qui filtraient sur le lieu donnaient des sueurs froides. Et personne n’en ressortait jamais. Personne.
Il savait donc où il était. Ne restait plus qu’à déterminer où aller.
Il était dans une forêt et la forêt ne poussait qu’au nord du secteur. S’il se dirigeait vers le sud, il devrait donc en toute logique arriver tôt ou tard à la mer. Ça tombait bien, la côte n’était pas vraiment peuplée, il pourrait s’y terrer le temps que les choses se tassent.
Mais est-ce qu’elles allaient vraiment se tasser ? S’il n’avait pas donné ce témoignage, il aurait peut-être eu une chance de disparaître. Mais il l’avait fait et son anonymat allait être bien compromis. En plus, il n’avait plus ses affaires, il n’avait plus de quoi acheter le silence de qui que ce soit.
Un moment, il se demanda s’il serait encore envisageable de fuir Fleter. Pas par la mer, elle semblait bien trop surveillée, mais par les terres. S’il remontait jusqu’à Catinis, par exemple. C’était un coin tranquille, peut-être qu’il arriverait à passer la frontière inaperçu.
Catinis. Il étouffa un soupir et ferma les yeux. Non, il n’allait plus penser à elle.
×
Quand Meero rouvrit les yeux, il vit le monde tourner. Il porta une main à sa tête, là où le sang avait séché, et étouffa un gémissement. C’était impossible à toucher, il avait l’impression que ça envoyait de l’électricité dans le moindre de ses nerfs.
Après plusieurs tentatives, il réussit à se relever, mais le monde n’était pas du tout stable. Il ne pouvait pas faire un pas sans devoir se retenir à des branches. Ça allait être très pratique pour sortir de la forêt.
Il avait vaguement déterminé le sud avant de plonger la tête la première dans un épais brouillard. Il savait qu’il avançait, mais il ne savait pas comment ni pourquoi. La seule chose claire, c’était ses pieds qui foulaient les brindilles et la mousse.
Tout à coup, il sentit son pied buter contre quelque chose. Il tenta bien de se retenir, mais à la place, il chuta lourdement. Il sentit la chair de ses mains et de ses genoux s’écorcher, il sentit l’humidité de la terre dans les blessures toutes fraîches. Et il ne trouva même pas la force de continuer. Il resta là, étalé dans le sous-bois à fixer le sang perler de ses paumes, se mêler à la terre.
Et son image revint dans son esprit.
Elle était là, à côté de lui. Elle le fixait de ses yeux noirs. Elle le fixait et elle ne disait rien.
— Ankha, bredouilla-t-il.
Elle garda le silence.
— Ankha, comment tu m’as retrouvé ?
— T’as pas été vraiment discret.
— Non. Je…
Elle posa un index sur ses lèvres. Il voulut saisir sa main pour se raccrocher au moins à quelque chose, mais elle la retira aussitôt.
— Je sais qui tu es, dit-elle.
— Tu sais…
— Je sais ce que tu as fait.
— J’ai fait beaucoup de choses, marmonna-t-il.
— Beaucoup trop, Meero. Je sais que tu as tué.
— J’ai fait ce que j’ai dû pour survivre.
— Tu crois ?
Elle le fixait toujours de son regard sombre.
— Tu crois que ceux que t’as tués t’auraient fait du mal ?
— C’était… des commandes.
— Des commandes ? Et ils avaient fait quoi ?
— Ils… Je sais pas. Sûrement quelque chose.
— Et s’ils avaient rien fait ?
— Ils avaient sûrement fait quelque chose.
— T’en sais rien. Ils sont morts et t’en sais rien. Parce que tu les as tués sans te poser de questions.
Elle se releva et se mit à tourner autour de lui.
— Tu crois qu’ils avaient de la famille ? Des enfants ? Tu crois qu’ils étaient mariés ? Que quelqu’un les attendait à la maison ? Que quelqu’un les attend toujours en se demandant pourquoi ils rentrent pas ?
— Je sais pas.
— Tu sais pas.
— C’était plus facile.
— Bien sûr que ça l’était. C’était tellement facile que t’as jamais voulu savoir. Jamais.
— J’ai fait ce que j’ai dû.
— Et Glev ?
Elle s’arrêta soudain de tourner et s’accroupit à côté de lui. Il pouvait voir une rage terrible danser au fond de ses yeux.
— Glev, c’était aussi une commande ? Ou un bonus ?
— Glev, c’était un accident.
— Oh, un accident, mais bien sûr. Il s’est trouvé par accident sur la trajectoire de ton couteau.
— C’est lui qui m’a attaqué, Ankha.
— Il t’a attaqué et il s’est retrouvé à nourrir les poissons.
— Il m’a attaqué. J’ai fait que me défendre.
— T’y crois à tout ça ? Tu crois à tout ce que tu dis pour te donner bonne conscience ?
— Je me donne pas bonne conscience.
— Non ?
— Je sais ce que j’ai fait, je sais que j’ai pris beaucoup de vies.
— Combien ?
— Je sais pas.
— Combien ?
— Je sais pas, Ankha.
— T’as perdu le compte. T’en as tué tellement que t’as perdu le compte.
— Peut-être.
— Quand ?
— Quoi, quand ?
— Quand est-ce que t’as arrêté de compter ?
— J’ai jamais compté.
— Non. Mais il y a un moment où les cadavres sont devenus insignifiants. Quand ? Quand ?
— Je sais pas.
— Tu sais pas. Et la journaliste, t’allais la tuer ?
— Bien sûr que j’allais la tuer, c’était une commande.
— Même pas de seconde pensée, rien ? T’allais juste la regarder dans les yeux et lui planter un couteau dans le ventre. Et puis, t’allais la laisser crever sur le macadam.
— Oui.
— Je vois.
Elle se releva et fit quelques pas loin de lui.
— T’allais continuer tes petits meurtres et t’allais continuer à me mentir. Et tu pensais que j’allais pas m’en rendre compte.
— Tu t’en es pas rendu compte.
— Et t’as pris ton pied, pas vrai ? Tu te sentais bien avec la greluche qui pouvait même pas deviner que celui avec qui elle couchait avait tué son frère.
— Non.
— Quoi, non ?
— Ça me rendait malade.
— Oh, allons, pas de comédie. Le truc, c’est que ça te plaisait d’avoir échappé aux soupçons. Ça te plaisait, Meero.
— Je t’aime, Ankha.
Elle partit d’un grand éclat de rire.
— Tu m’aimes ? Tu m’aimes tellement que t’as tué mon frère.
— C’était un accident.
— C’était pas un accident. Tu es un tueur, les accidents n’arrivent pas avec toi.
— Il…
— Sois honnête pour une fois, Meero. Sois honnête au moins avec toi-même. Tu l’as tué parce que c’est ce que tu fais. Tu l’as tué pour sauver ta misérable peau. Tu l’as tué et tu le regrettes pas.
— Je…
— Mais c’est pas grave, dit-elle et il vit du dégoût dans ses yeux. C’est pas grave parce que tu vas claquer ici, dans cette forêt. Jamais t’en ressortiras. Jamais, t’entends ? Tu vas moisir ici et tu pourras plus nuire à personne.
Elle se releva et le fixa un long moment. Il vit une telle haine remplir ses yeux noirs qu’il eut envie de détourner le regard. Mais il ne le fit pas, il ne pouvait pas. Et c’est elle qui se détourna. Elle partit, elle quitta son champ de vision. Et lui, il laissa retomber sa tête dans l’humus.
×
Quand Meero revint de nouveau à lui, le soleil déclinait. Il resta étendu quelques secondes, de peur de sentir de nouveau le sol danser s’il bougeait. Et finalement, il dut admettre qu’il fallait qu’il bouge, qu’il fallait qu’il sorte de cette forêt. Il s’assit. Le monde ne tournait plus.
Il se prit la tête dans les mains. Il savait que tout ça n’avait été qu’une hallucination, mais chaque parole d’Ankha était restée gravée clairement dans son esprit. Et elle avait raison. Il était un tueur, rien de plus. Il était un tueur et rien n’allait changer ça. Mais elle avait tort sur un point. Il n’allait pas moisir dans cette forêt. Il allait s’en sortir parce que c’était toujours ce qu’il faisait. Il s’en sortait, il survivait. Coûte que coûte.
Il se remit debout et sentit la douleur de ses genoux écorchés. La douleur, c’était bien. Ça prouvait qu’il était toujours en vie. Puis, il fixa ses mains. Le sang s’était mêlé à la boue en séchant, il fallait qu’il nettoie ça vite fait s’il ne voulait pas que ça s’infecte.
Puis, il jeta un coup d’œil au soleil et il fut fixé sur sa direction. Il devait aller vers le sud, vers la mer. C’était son seul moyen de s’en sortir.
L’espace d’une seconde, il revit l’hallucination, il revit le regard chargé de haine d’Ankha. Et il comprit qu’il était temps d’arrêter de se mentir. Ça serait exactement ce regard qu’elle lui adresserait si elle apprenait tout. Et même sans tout apprendre, ce qu’elle verrait de sa petite vidéo allait la convaincre bien comme il faut.
Lui, il était un tueur et aussi plaisante qu’avait été sa parenthèse avec elle, ça n’avait aucun avenir. De base, ça ne pouvait pas durer. Il ne pouvait pas passer des années avec elle sans qu’elle ne se rende compte qu’il lui mentait à longueur de temps. Alors, bien sûr, il éprouvait quelque chose pour elle, quelque chose de plus fort que tout ce qu’il avait connu jusque-là. Mais ce quelque chose allait finir par disparaître avec le temps. Ce quelque chose devrait disparaître. Il ne pouvait plus se risquer à la retrouver. Il ne pouvait pas se permettre cette dernière folie.
Ankha devait rester de l’histoire ancienne. Elle devait rester loin de lui. Ça serait mieux pour lui. Pour elle aussi, sûrement. Elle pourrait continuer ses combats contre les moulins à vent et lui, il pourrait disparaître. Non, c’était parfait comme plan.
Maintenant, il n’y avait plus qu’à s’y tenir.
(tout ce petit arc était génial, super action, super écriture, j'adore j'adore <3 <3)
Bon ! C'est génial, je trouve, l'idée de faire avouer à Meero sa vraie vie, avec toutes les conséquences que ça a pour sa relation avec Ankha (parce que oui, je suis sûre qu'ils vont se retrouver). On s'attendait à ce qu'elle apprenne, mais là c'est vraiment "spectaculaire". J'aime beaucoup beaucoup beaucoup Meero et ses questionnements intérieurs<3
Du coup je voulais pas qu'il meurt. Et en même temps si, parce que j'aime aussi beaucoup la tragédie :P Mais t'as réussi à garder le suspens, j'ai vraiment cru qu'il allait mourir. Finalement Deus ex rebelle est arrivé \o/
Et cette conversation que tu nous offre dans le dernier chap ! Je suis vraiment fan, me^me si c'est une "fausse". Je trouve que c'est tellement intense, tellement juste. Enfin, du point de vue de Meero. Ça révèle beaucoup plus sur le personnage qu'une introspection je trouve. J'aimerais bien qu'ils ne se décroisent pas, ça éviterait les étincelles x)
C'était à peu près tout ce que j'avais à dire, oui je suis très constructive :p
J'ai relevé les coquilles, dis-moi si t'as t'es utile, sinon c'est pas la peine que je le fasse.
5.1 :
Il ne l'avait pas vu de deux semaines -> depuis
5.2 :
Il se souvenait des luttes séparatistes dans le secteur d'Emina. -> Eminas non ?
Voilà !
Les Amants maudits
Bon en même temps y'a de fortes chances pour qu'ankha lui colle une balle en pleine tête si elle le retrouve après avoir appris la vérité 😅