Kalan déglutit avant de s’adresser mentalement à sa meilleure amie :
— Ahia, tu m’entends ?
— Oui, parfaitement, lui répondit-elle
— Et si c’était toi cet être vivant ?
— C’est possible, j’avais l’impression que son camarade, ce Wakami, me cherchait quand je les observais devant la Zone. J’ignore toujours comment il a pu me repérer et surtout pourquoi on voudrait me chercher ?
— Je n’en sais rien, mais un simple souvenir de toi avait décidé cet Hypnotique puissant à te protéger de Linone tout entier.
— On va peut-être le découvrir en arrivant. En attendant, Touma a beau être ton amie, je préfère me faire passer pour ta fidèle chienne.
— Oui, je fais confiance à Touma, mais je ne connais pas toute l’Alliance. Cela dit, si tu voulais te révéler, je te soutiendrais. Avec ton Empathie, je suis sûr que tu sauras jauger ces Elfes.
— Merci de croire en moi. J’ai aussi bêtement peur que mes parents soient morts pour protéger le secret de mon existence, c’est difficile pour moi de me révéler.
— Je comprends, tu as raison. On a le temps de décider, rien ne presse.
Un silence suivit avant qu’il questionne à nouveau son amie :
— Euh Ahia ?
— Oui ?
— Tu m’entends à chaque fois que je te parle. Est-ce que ça veut dire que tu entends toutes mes pensées ?
— Non, rassure-toi. Il y a une sorte d’espace mental qui se crée quand on communique par Hypnose et qui reste tant que je ne le coupe pas. Tu y as accès à chaque fois que tu veux me parler et tu fais facilement le chemin entre ce lieu et ton monde interne, je n’ai donc pas surpris de pensées personnelles.
— Bien. Je suis soulagé.
— En revanche tes émotions me parviennent toujours en pleine figure, que je le veuille ou non ! Quel chamboulement à l’intérieur d’un simple Sombre ! Dis-moi, c’était quoi ces petits fourmillements dans le ventre ?
— Des quoi dans mon ventre ? Aucune idée de quoi tu me parles, mais dis comme ça, ça a l’air inquiétant.
— Arrête ta comédie ! Suis-je toujours plus douée que toi pour comprendre tes émotions, après deux ans d’absence ?
— Ne te moque pas de moi ! De quoi tu parles ? Je suis perdu, au cas où tu ne l’aurais pas senti !
— Bien, bien, répondit-elle d’un ton taquin.
— Je ne comprends rien, mais laisse mon ventre en dehors de ça !
Il quitta ce fameux passage conversationnel et prit un air boudeur. Un peu devant lui, la louve noire éternua et trottina la bouche grande ouverte et la langue tombante. Il ne s’y connaissait pas en code canin mais il était certain que son amie lui envoyait un air goguenard. Fylen le sortit de l’embarras en annonçant :
— On va profiter de ce bout de chemin plutôt plane pour prendre de l’avance en faisant galoper nos chevaux ! Neko, prends le cheval d’un des gardes et arrête de nous envoyer cet air si fier ! On aura bien besoin de toute ton Énergie en cas de pépin.
— Prends un cheval, Neko, tu es notre meilleure guerrière, tu ne dois pas t’épuiser bêtement, l’encouragea Epo.
Kalan n’avait pas remarqué que jusqu’à présent, la Sombre ne regardait pas leurs nouvelles compagnes de voyage et marchait fièrement à pied. Malgré cela, elle voulut bien céder à la demande d’Epoline. Elle ramassa Popi qui reniflait ardemment une fougère et monta aisément sur un hongre gris, malgré la présence du chiot dans ses bras. Voir cette guerrière redoutable prendre soin aussi naturellement de cette petite boule de poils fit sourire Kalan.
— Bien, poursuivit Fylen. Vous êtes prêts ?
Elle n’attendit pas vraiment de réponse avant de talonner sa monture qui s’élança au galop. Les chevaux, pris en rappel ou montés, suivirent l’animal de tête et purent galoper un bon moment avant que la Sombre ne leur intime l’ordre de passer au trot puis au pas. Heureusement pour Kalan, Onyx était toujours décidé à suivre l’allure de Tourmaline quoiqu’il advienne.
— Là, on va continuer à pied, prévint Fylen. Les chemins sont moins praticables, les chevaux s’en sortiront mieux sans notre poids.
— Et pour mon frère ? Je… Je n’aurais pas la force de le porter une journée entière.
— Je peux le porter, j’ai assez d’Énergie. Sauf si Neko préfère le faire elle-même ? ajouta-t-elle dans un sourire espiègle.
La jeune Sombre se contenta de grommeler des paroles inaudibles.
— Le petit pie me dit qu’il passe par tous les terrains et qu’il ne craint pas d’avoir un poids sur le dos en plus, lui transmit Ahia.
— On pourrait l’installer sur ce petit pie, non ? demanda Kalan. Il avait l’air à l’aise en vous suivant sur les chemins tout à l’heure, tenta-t-il de se justifier.
— Tu t’y connais drôlement bien en cheval pour quelqu'un qui monte comme une pive, remarqua Epoline.
— Je dis ça comme ça. Disons que si c’était un chien, je trouverais sa démarche assurée, essaya-t-il de se justifier.
La jeune Hypnotique acquiesça, convaincue par son excuse. Touma le regarda plus étrangement. Il était vrai qu’il ne lui avait pas partagé son mensonge de dresseur canin, il profita donc de lui expliquer :
— Comme vous l’aurez remarqué, j’ai participé à de l’élevage de chiens, mais ça a mal tourné et j’ai fini avec ma chienne la plus fidèle et un petit chiot de garde trop gentil pour faire son travail.
— Je vois, répondit la Cornide d’un air dubitatif. Il faudra que tu me racontes ces dernières années quand nous serons arrivés à Mérin. Je propose que nous avancions quelques temps en confiant Nessan à Fylen, nous observerons en même temps comment se débrouille le petit pie.
La suite du trajet était en effet plus ardue, il fallut même traverser un pierrier laid et glissant. Les chevaux s’arrêtèrent devant, peu confiants et les Elfes leur laissèrent le temps d’analyser la situation : il aurait été bien trop dangereux de les y emmener de force, un mouvement de panique les auraient fait dégringoler en bas de la pente.
Il y eut un peu d’agitation avant que le petit pie ne prenne les devant et marche avec prudence sur les pierres. Ses congénères le regardèrent attentivement. Il progressait avec attention et s’arrêtait lorsqu’une pierre roulait sous un sabot. Le reste du troupeau fini par le suivre, avançant lentement, par petits pas. Arrivés de l’autre côté, les animaux s’ébrouèrent, heureux d’être sortis indemnes de cette traversée.
— Voilà pourquoi nous avons peu de chevaux à Mérin, en dehors de nos captures, expliqua Touma. Nous leur avons trouvé un terrain plat où paître, mais nous en relâchons également souvent dans la vallée.
Fylen s’approcha de Kalan, son jumeau dans les bras.
— Et bien, dresseur de chiens, tu as l’œil ! Je vais installer ton frère sur ce petit pie sans la moindre hésitation ! Il s’en sort mieux que moi.
Kalan l’aida à sécuriser son frère sur la selle et caressa le petit cheval. Il était svelte et musclé.
— Je peux vous rendre Onyx ? demanda-t-il à Neko et Epo. J’aimerais rester auprès de Ness, si ça ne vous dérange pas.
— Ne t’inquiète pas, il suivra ma jument sans faire d’histoire, affirma l’Hypnotique.
Kalan retourna vers le hongre bai foncé pour lui offrir une caresse en remerciement puis rejoignit le petit pie.
— Est-ce qu’il a un nom ? demanda-t-il à Ahia.
— Il ne se rappelle pas avoir entendu des humains le nommer par un nom particulier. Entre chevaux, on l’appelle d’une manière difficile à retranscrire dans notre langue. Trouve-lui un nom, on verra s’il lui convient.
Kalan réfléchit intensément. Il réalisa que ce n’était pas une mince affaire de trouver un nom. Il avait nommé Popi un peu au hasard, ne pensant pas le revoir un jour ni que le chiot sache avoir une petite appellation attentionnée. Pour le pie c’était plus délicat, car le cheval savait déjà qui il était. Il n’avait pas vraiment d’idée en tête mais proposa :
— Que dit-il de Chardon ? Cette plante pousse dans toutes sortes de conditions et semble solide malgré sa petite taille.
Ahia transmit le message.
— Il dit que ça lui convient, mais pas pour les mêmes raisons : il aime manger les chardons.
— Il mange ces plantes ? Ça doit être désagréable.
— Je crois qu’on est tombés sur un sacré numéro, il convient bien à votre famille !
Chardon émit un doux son en frémissant des naseaux, comme pour approuver les propos d’Ahia. Kalan sourit et lui gratta la base de la crinière. Le soleil n’était pas encore prêt de se coucher quand Touma et Orielle, en tête, s’arrêtèrent sur un terrain relativement plat.
— Nous camperons ici, expliqua l’Hypnotique. Il fait encore jour, mais nous n’aurons pas de meilleur endroit où faire halte et il serait dangereux de prolonger notre marche dans la nuit.
— Et tu as l’air épuisé, Kalan, ajouta Touma.
— Je me suis déjà senti plus en forme, admit-il. Même si le trajet est devenu plus agréable sans la migraine.
— Profitons de nous reposer. Montons les tentes, il fait terriblement froid la nuit dans la montagne, même si les journées sont clémentes, expliqua la Cornide.
Kalan avait perdu toutes ses affaires, laissées dans sa chambre du faubourg d’Armekin. Touma lui assura que la tente de son équipe serait assez grande pour lui, Nessan et deux chiens.
— Il faut dire que Ligoth prenait largement trois places à lui seul, releva-t-elle.
— Ne m’en parle pas, soupira Fylen. On a dû construire un lit qui prend toute la chambre.
— Tu… Ligoth est ton compagnon ? hasarda Kalan.
— Un de mes maris, répondit-elle avec un clin d’œil.
— Oh ! Tu en as plusieurs ? demanda-t-il, interloqué.
— On forme une union de trois Sombres. Et notre lit est grand, même très grand, mais surtout à cause de Ligoth qui est un géant.
— Je ne savais pas qu’il existait des couples de plus de deux personnes, avoua Kalan.
— C’est interdit à Linone, mais Ligoth, Madas et moi, on ne se sentait pas à l’aise dans cette convention. On a eu la chance de se trouver !
— Je vois, je ne connais vraiment rien au monde !
Les camarades commencèrent à préparer un repas, tout en discutant.
— Que devient ce colosse ? demanda Kalan. J’admets que je suis inquiet de voir qu’ils n’accompagnent pas Touma, Wakami et lui.
— Ligoth s’est fait trancher un bras et une jambe, rapporta crument Fylen. Touma a pu sauver la jambe mais le bras était détaché et elle n’a pas pu faire quoique ce soit.
— Quelle horreur ! s’exclama Kalan. Il ne pourra plus se battre alors ?
— Oh si, je pense qu’il va s’y remettre dès qu’il aura appris à le faire d’une main et qu’il se sentira à l’aise sur sa jambe blessée. Ce qui est plus dramatique, c’est que sans son bras, il ne peut plus jouer de flûte.
— De la flûte ? s’étonna Kalan.
— Oui, c’est une passion chez lui. Ça et les petits rongeurs, il adore s’en occuper.
— Ma sœur l’adorerait… J’étais loin d’imaginer tout ça de Ligoth ! Je sais qu’il ne faut pas juger sur l’apparence, mais si ce n’était pas sa femme qui me racontait que Ligoth vivait dans un ménage à trois, aimait jouer de la musique et s’occuper d’animaux de la taille de son pouce, j’aurais eu de la peine à y croire, avoua-t-il.
Fylen lui répondit en riant à gorge déployée.
— Tu n’imagines pas la tête que j’ai tirée quand je l’ai vu pour la première fois jouer une petite mélodie à un mulot ! C’est bien parce qu’il est aussi atypique qu’on l’aime autant, Madas et moi.
Kalan partagea son rire, imaginant le géant surpris dans un moment d’échange avec un petit rongeur. Il avait apprécié la douceur de Ligoth dès leur rencontre et était heureux de le savoir si apprécié et bien entouré, malgré la perte d’un bras.
— Et… Wakami ? Il a aussi été blessé ? questionna-t-il, inquiet.
Fylen adressa un regard à Touma qui les avait rejoints autour de la marmite. Son regard se perdit dans le vague. Kalan respecta son silence, gêné d’avoir posé la mauvaise question, mais elle finit par répondre.
— Wakami est indemne. C’est lui qui a blessé profondément les agresseurs de Ligoth, mais il ne se pardonne pas son acte.
— Pourtant, si la vie de Ligoth en dépendait, c’était un choix sensé, murmura Kalan.
— Je le remercie vivement de ce qu’il a fait, il m’a aussi sauvé la vie, poursuivit Touma. La femme et le mari de Ligoth l’ont également remercié, mais il s’était promis de ne plus jamais rendre qui que ce soit dans cet état, de laisser Ligoth assommer ou tuer proprement des adversaires dangereux en lui prêtant main forte, mais sans avoir à recourir à de telles extrémités. Il faut savoir que les gardes que nous avons laissés derrière nous, l’élite même parmi Esli, sont dans un état bien pire que celui de Nessan. Il n’y a assurément aucun remède pour eux.
— Est-ce vraiment pire que de les tuer avec une arme ? questionna Kalan, lui-même dans le doute.
— Attaquer le mental de quelqu'un est un acte intime et cruel, intervint Orielle. Je ne dis pas qu’on échappe à la culpabilité en tuant un adversaire de ses propres mains, mais mentalement… on se retrouve dans le monde intérieur de quelqu'un, là où on ne devrait pas se trouver sans sa permission et on exerce un contrôle total sur lui dès cet instant.
Kalan frissonna, l’Hypnotique avait trouvé les mots justes pour décrire sa propre peur face à leur pouvoir.
— Je pense quand même que Wakami a agi pour le mieux, déclara Fylen en haussant les épaules.
— Je voudrais que Wakami puisse se pardonner et s’aimer malgré cela, opina Touma. Il avait le choix entre deux options seulement : s’abstenir d’un acte barbare ou nous sauver. Je suis frustrée de ne pas pouvoir l’aider à accepter son choix, mais en même temps je peux le comprendre. Je ne suis pas d’accord avec lui, mais je le comprends.
— Je ne me doutais pas qu’il vous était arrivé tous ces malheurs, je suis navré, souffla Kalan.
— Ce n’est rien, il doit soigner ses plaies, tout comme Ligoth. Ils sont en sécurité et entourés de personnes prêtes à les aider. Au final, je crois que nous en avons bien moins bavé que toi et Ness.
— J’aimerais mieux avoir perdu un membre que de voir mon frère dans cet état, je suis quand même triste pour vous, tenta-t-il d’expliquer.
— J’ai l’impression qu’en tant que Cornide, je dois être capable de prendre soin des autres. Quand je vois l’état de mes deux camarades et le vôtre, à Nessan et toi, je me sens impuissante.
— Tu n’es pas responsable de tous les malheurs, c’est injuste ! Et puis, je ne m’en sors pas si mal, voulut-il la convaincre avec un grand sourire.
— Tu n’as rien perdu de ton esprit vif, mais ton corps ne peut pas me mentir. Je sens qu’il ne s’en est pas sorti indemne de vos expériences.
Kalan haussa les épaules, incapable de remonter le moral de son amie. Fylen et Orielle lui frottèrent l’épaule, soutenant leur camarade. Elle leur envoya un regard amical. Elle fut plus surprise de sentir Ahia se dégager un passage entre ses bras et son corps, posant sa tête dans son giron. Popi suivit l’exemple de son aînée et vint se rouler en boule sur les cuisses de Touma. Le petit chiot apprenait à agir comme Ahia et à venir en renfort aux personnes dans la tourmente. Ce rôle semblait mieux lui convenir que celui qu’Armekin lui avait réservé. Touma laissa échapper un petit rire et s’exclama :
— Des chiens de garde, eux ? Kalan, je comprends que l’élevage canin ne t’ait pas réussi ! Ces animaux sont un remède miracle contre la mélancolie.
— Popi peut vivre comme il veut, il est libre des contraintes elfiques à présent. Ahia aussi, répondit-il, le visage rayonnant face au bonheur de ses camarades.
La petite troupe partagea un repas convivial et Touma parvint même à faire manger un peu de nourriture à Nessan. Neko et Epo parlaient peu, la Sombre était réservée, mais Kalan était étonné de découvrir chez l’Hypnotique tant de retenue après l’avoir entendu fustiger les gardes de ses vives paroles. Cependant, il préféra respecter son silence car elle semblait avoir des choses à cacher. Comme il était à peu près sûr qu’elle n’était pas amie avec la garde, il évitait de la forcer à confier des éléments de sa vie. Ainsi, elle ne le questionnerait pas sur l’étrange manière dont il s’était échappé de prison. Il ne tarda pas à regagner la tente qu’il partagerait avec les membres de l’Alliance, son frère, Ahia et Popi. À peine eut-il installé son jumeau dans un coin de la tente que le chiot vint se coucher contre lui. Kalan s’installa près d’eux, comme pour protéger Nessan, et Ahia se roula de l’autre côté.
— Il se sent relativement apaisé de cette manière, l’informa Ahia.
— Parfait. Je suis exténué. Qu’est-ce que tu penses de ces membres de l’Alliance ?
— Touma m’a l’air remplie de bonté, si je sors de cette forme de louve, je serais ravie d’échanger avec elle. Orielle ne parle pas beaucoup mais elle écoute avec attention et me parait très humble malgré un pouvoir plutôt imposant. Et je sens chez elle un sacré caractère bien qu’elle paraisse réservée. Fylen est surprenante ! Une vraie guerrière pleine d’affection pour ses maris, j’aime comme elle parle d’eux. Elle m’a fait découvrir que différentes sortes de partenariats amoureux existaient et cela m’apaise. Mes parents n’étaient peut-être pas des êtres si anormaux.
— Tu as vraiment pensé ça d’eux ?
— J’ai peur que ce soit ce que les gens pensent en tout cas.
— C’est vrai que ça m’a paru étrange, mais à bien y réfléchir, pourquoi pas ? Je ne suis jamais tombé amoureux, mais je ne pense pas que mon choix sera déterminé par la race de l’Elfe en question.
— Je m’en doutais, j’imagine que tu es aussi heureux de voir que Mérin accepte des couples variés ?
— Bien sûr, ça montre une ouverture d’esprit. Pourquoi tu me poses cette question ?
— Comme ça, pour savoir.
— Encore ce ton moqueur, mais qu’est-ce qu’il t’arrive ? J’ai l’impression que quelque chose m’échappe.
— Moi aussi.
— Je suis désolé si je passe à côté d’un aspect important à tes yeux… Tu ne veux rien me dire ?
Elle redressa la tête et lui léchouilla la joue. Il protesta en riant sous ses coups de langue chatouilleurs.
— Ne t’inquiète de rien, mon âme sœur, lui assura-t-elle. Bonne nuit.
— Bonne nuit, Ahia.
Il fit très froid la nuit, comme prévenu et il dut se pelotonner dans ses couvertures, contre son frère, Ahia et Popi. En partageant leur chaleur corporelle, les camarades finirent par avoir assez chaud pour s’endormir. Kalan ne fut pas réveillé pour les tours de garde : les autres Elfes avaient probablement eu pitié de sa santé. Il dormit profondément et fut un peu gêné quand il s’éveilla malgré tout avec difficulté. Fylen qui faisait le dernier tour de garde et était parfaitement réveillée lui tapota le dos.
— Mon cher Kalan, tu as l’air en meilleur forme ! déclara-t-elle. Hier, je me demandais comment tu faisais pour avancer, tu avais l’air d’un cadavre qui se déplace grâce à une obscure magie.
— C’est flatteur ! répondit-il en riant. C’est vrai que je me sens un peu mieux.
Il regarda ses bras maigres, dont muscles et os ressortaient de manière bien trop nette. Il n’avait pas perdu toute sa masse musculaire lors de son séjour en prison et de sa désintoxication d’Indigo, mais il avait comme… séché.
— Je vois de quoi tu parles, poursuivit-il. Je n’ai pas vraiment meilleure mine que mon frère, j’ai juste l’esprit en un seul morceau. Je me réjouis de me poser quelque part et de n’avoir plus qu’à manger et dormir.
— Ton vœu sera bientôt exaucé, lui assura Fylen. On connait bien le chemin, on arrivera à Mérin aujourd’hui.
Les camarades mangèrent du pain aux abricots qu’Epo avait emmené avec elle. Kalan partagea sa part avec Ahia et Popi. Il faudrait qu’un jour le jeune chien apprenne à chasser des petites bêtes, mais ce n’était pas Ahia qui le lui enseignerait. Touma alla se cueillir un beau bouquet d’herbes montagneuses qu’elle mangea en chemin. Elle dût batailler avec son cheval pour qu’il ne lui en pique pas une part. Elle finit cependant par céder et lui offrit une poignée de trèfles. Kalan se rappela que la Cornide avait grandi dans les montagnes et devait bien connaitre les herbes comestibles. Il profita que les membres de l’Alliance prennent de l’avance pour faire ralentir Chardon qui portait Nessan et discuter avec Epo et Neko en arrière.
— Tu avais l’air très fâchée contre les gardes, ça fait longtemps que vous êtes recherchées ? demanda-t-il à la petite Hypnotique.
— Non, c’est la première fois que je les vois. Je ne compte pas raconter ma vie avant d’être en sécurité. Disons que je suis fortement en désaccord avec la manière dont le royaume est dirigé et que j’ai voulu fuir les attentes qu’on portait sur moi.
— Quels aspects exactement te dérangent ?
— Ce n’est pas évident ? Les Sombres comme toi doivent être soumis aux Hypnotiques et il est permis de faire subir des atrocités comme celles que Nessan a vécues… Il y a tant d’autres injustices ! s’exclama-t-elle d’un ton indigné.
— Je suis ravi de voir qu’on partage au moins quelques sujets de désaccord avec notre Grand Roi. Tu ne veux pas m’en dire plus ? Sur ce qui est attendu de toi, par exemple.
— Non, je suis désolée. Je n’ai jamais fait confiance à personne d’autre qu’à Neko. Je n’ai pas rencontré de personnes de confiance non plus. Il me faut du temps pour être sûre de vos bonnes intentions.
— J’imagine que c’est dur de se méfier de tout le monde. Personnellement, je serais fatigué.
— Parce que toi, tu nous as tout raconté ? Tu ne m’as pas dit que tu avais une petite sœur, par exemple. Où vit-elle ?
— Comment tu le sais ?
— Tu as dit qu’elle adorerait votre ami Ligoth.
— C’est juste, j’ai dit ça… Tu as raison, je ne peux pas tout vous confier non plus.
— Alors tu vois, la vie n’est pas si difficile pour autant.
— Mais je crois quand même que je te fais confiance, alors même que tu m’as méchamment retourné la tête. D’ailleurs je sens la migraine qui repointe le bout de son nez.
— Tu es venu me parler pour me faire culpabiliser ?
— Non, pas du tout.
— Alors c’est raté.
— Tu as la tête dure toi ! Je ne suis pas étonné que tu sois une Hypnotique brillante !
À son grand étonnement, Neko éclata de rire.
— Même avec ma Force, je serais incapable de lui briser le crâne, plaisanta la Sombre. Si je tapais dessus, le sol céderait en premier, c’est sûr !
Epo parut indignée, ce qui fit rire Kalan. Elle finit par se joindre à leur hilarité, avouant son caractère bien trempé.
Le groupe fit halte près d’un ruisseau de montagne et se désaltérèrent, Elfes, comme chevaux et canidés. Touma se chargea de rafraichir Nessan, laissant à Kalan la possibilité de reposer ses muscles fatigués, étendu sur le dos. Il était dépité d’être le plus mis à mal par la marche. Sa fierté de Sombre en prenait un coup en voyant Epoline, Hypnotique d’environ douze ans, effectuer le trajet avec plus d’aisance que lui. Elle avait même l’énergie de jouer avec Ahia et Popi qui se battaient tous les trois avec un bâton. Son rire et les aboiements du chiot donnait à leur pause un air de fraîcheur. Il aurait aimé se mêler à leur enthousiasme, mais il n’en avait pas la force. Touma dut percevoir son désarroi car elle s’approcha de lui pour l’encourager :
— Nous sommes bientôt arrivés et nous pourrons même effectuer la dernière partie du trajet à cheval. Une fois à Mérin, tu pourras récupérer et redevenir le Sombre turbulent d’autrefois.
— J’ai mûri depuis, tu sais.
— Je n’en crois pas un mot ! Dès que ton corps aura retrouvé sa forme et que tu auras fait le plein d’Énergie, nous devrons supporter ton agitation !
— Moi qui espérais être crédible dans cet état, je suis déçu, dit-il avec un grand sourire.
Touma éclata de rire et l’aida à se relever.
— Tu peux monter Onyx, je marcherai aux côtés de Nessan et du pie, proposa Neko.
— Merci, j’accepte volontiers. Et le pie s’appelle Chardon.
— C’est toi qui as trouvé ce nom ?
— Oui, je crois qu’il l’aime bien. Pas vrai Chardon ? demanda-t-il en levant la voix pour être entendu du hongre.
Celui-ci se contenta de tourner une oreille attentive vers lui et de soupirer.
— Touma, je crois que j’ai fatigué mon nouveau compagnon avant même d’être redevenu un petit agité, se plaignit-il.
— Nous ne pouvons pas cacher notre vraie nature aux chevaux, le taquina-t-elle. Allez, en route !
Kalan prit Popi sous le bras et monta sur Onyx. Le trajet fut bien plus agréable pour lui et il en remercia sa monture mentalement et à travers de nombreuses caresses sur l’encolure. Il se promit de leur trouver pommes et carottes à leur arrivée. Ahia avait bien plus d’énergie que lui et trottinait devant le groupe, parfois elle courrait même à toute vitesse avant de revenir à leurs côtés. Lors de l’un de ses allers-retours, elle revint la queue frétillante marcher à côté de son ami Sombre.
— Kalan, ça y est ! On y est presque !
— Comment ça ?
— Mérin sera visible dès qu’on aura passé cette montée !
— Génial ! Quel soulagement !
Il ne put s’empêcher de se réjouir et de se redresser à la suite de cette nouvelle. Epoline qui avançait juste devant lui, s’était retournée pour observer Ahia pleine de joie. Elle regarda d’un air suspect Kalan en train de sourire bêtement dans le vide.
— Les chiens et leur bonheur, c’est fou comme c’est communicatif ! s’exclama le jeune Sombre.
La jeune fille lui sourit en accord avec ses paroles et se retourna face à leur direction.
« Bientôt à Mérin. Bientôt un lit, un bain, de la nourriture et du repos. Bientôt, des gens pour s’occuper de Nessan. Courage, on va y arriver. »
J'ai lu d'une traite, pas de remarque sur la forme, c'est fluide. Sur le fond, les dialogues étaient vivants, tout comme l'itinéraire que je me suis bien représenté.
Prête pour la suite !! ;)
-> toute premières allusions à un développement romantique possible entre nos deux "âmes soeurs" :o ?
Mmmmh je ne dirais rien, mais je veux bien ton avis quand tout sera éclairci haha