5- Espoir

Dans sa main, la tasse en porcelaine tremblait. C'était plus fort qu'elle. Lylia essayait de contrôler sa main, mais la peur guidait ses doigts en faisant tintinnabuler son récipient à thé sur sa soucoupe. Cela l'avait étonné de découvrir une vaisselle aussi précieuse dans ce décor si sombre à son goût. Mais l'avenir lui apprendrait que Pura représentait plusieurs paradoxes à elle seule. D'ailleurs cette dernière souriait encore avec cet air dédaigneux qui ne la quittait plus depuis l'arrivée de sa visiteuse. Sa venue ne l'avait ni surprise ni déçue. Au contraire. Son instinct lui soufflait que l'échange se révélerait intéressant. Il lui tardait d'en connaître les tenants et aboutissants. Elle fit une caresse à son volatile puis entreprit de briser le silence environnant.

«— J’en ai une petite idée, mais dis moi pourquoi tu viens me rendre soudainement visite ma chère ? » Elle insista sur ce mot avec un sourire narquois. Son interlocutrice se dandinait sur son tabouret, le regard fuyant et les ailes ramollies.

«— Je, je…

— Oui ? Je suis toute ouïe ! »

Pura s’amusait de la situation, et se divertissait de ce mal être naissant.

«—Jemedemandaissitupouvais avoirunevision afindenousaideràsoignerlafleurdevieoriginelle » fit-elle d’une toute petite voix.

Lylia prit une grande goulée d’air, avant de plonger le nez promptement dans sa boisson chaude pour tenter d’y trouver un quelconque réconfort. En vain. Pourtant ce subtil mélange de pétales de roses et de basilic enchantait ses narines en plus de ses papilles. Mais malgré cela, ce nœud si embarrassant continuait de lui serrer son petit cœur apeuré. Elle quitta des yeux son breuvage encore fumant pour les poser sur le corbeau perché. Il lui était impossible de regarder Pura dans les yeux, ce face à face l’impressionnait bien trop.

«— Je me demandais si… Si tu pouvais essayer d’avoir une vision... Toi tu maîtrises entièrement cette faculté grâce à ton Éclosion  alors que nous... Enfin... Si t'as une vision ça pourrait... Tu vois..' pour nous aider à soigner la Fleur de Vie Originelle parce qu’elle se fane alors que l’...

— L’Éclosion est demain oui. Et ça c’est grave. »

Pura la coupa dans son élan tout en bondissant sur ses pieds. Son corbeau croassa puis alla se poser sur un rebord de fenêtre, vexé. La jeune elfe toute de noire vêtue l’ignora superbement, bien trop occupée à farfouiller entre deux piles de livres. De la poussière, des plumes d’oiseaux et des jurons inintelligibles volèrent dans toute la pièce. Lylia n’osait pas bouger, et se contentait d’observer la scène avec beaucoup d’attention.

«— Aaaah ah ! Te voilà ! »

Elle se retourna, un petit livre entre les mains et sourire victorieux aux lèvres. Son regard se mit alors à briller d’une étrange lumière jaune. Tout son être se figea, sa bouche s’ouvrit mais resta parfaitement immobile alors que sa voix sortait depuis sa gorge en des tons graves et hachurés.

«— La Mort. Appelle. La Vie. »

Puis, comme si rien ne s’était produit, ses yeux retrouvèrent cet éclat sombre. Cette scène avait duré tout au plus une minute, ni plus ni moins. Lylia posa la tasse de thé doucement pour se lever. Elle se sentit plus détendue, bien que dépassée par le contenu de cette étrange vision impromptue. Pura éternua trois fois et prit un court instant de réflexion. Sans y prendre garde, voilà qu’elle parla à haute voix pendant ce temps-là; une habitude prise depuis tous ces mois à vivre isolée du reste du peuple.

«— La Mort appelle la vie. Oui bon, ça ne peut QUE parler de l’Éclosion. Qu’est-ce que ça peut bien signifier ? Que la Fleur de Vie Originelle DOIT forcément mourir ? Qu’on ne peut rien y faire ? Mais c’est contre nature. On n’peut pas prendre le risque que notre peuple en subisse les terribles conséquences. Nous sommes là grâce à la Fleur de Vie Originelle, ce serait impensable de la laisser se dessécher plus longtemps. Mais qu’est-ce qui pourrait fonctionner ? Certainement pas ces foutus louanges à la noix chantés depuis l’aube, ni encore moins la préparation de gâteaux tous appétissants les uns les autres. Non. C’est bien plus grave, bien plus grave que ça. On DOIT trouver une solution, on est à la veille de l’arrivée de la millième fée et… Hé mais t’es encore là toi ?! Sérieusement ?! »

Lylia couina à cette interjection. Elle se tortilla les mains nerveusement, mais continuait de sourire. Son visage avait retrouvé une certaine lumière, accompagnée par une lueur d’espoir.

«— Tu as eu une vision très claire ! Jusqu’ici nous autres on n’a que des bribes pas toujours très utiles, après tout ça ne fait pas tout à fait un siècle que nous partageons ce savoir depuis ton Éclosion. Et tu viens d’en avoir une très limpide ! Ça va pouvoir nous aider ! Tu dois bien avoir une idée ! Non ? »

Elle se mordit la lèvre, presque gênée d’être si enjouée. Pura fronça du nez, mais ne répondit rien. Au lieu de cela, elle ouvrit le livre à la belle couverture bleu tout en marmonnant. Sa chevelure recouvrit son visage et effleurait alors les pages jaunies par le temps. Quant à Lylia, elle observait ce remue-méninge en pleine action, le cœur battant follement d’espérance.

«— Ce qui est incroyable c’est que ces mots sont exactement les mêmes que dans cet ouvrage, lui-même écrit par un vieux fée de notre peuple depuis de très longues années. Il n'y a que cette seule phrase dans ce bouquin. On dit que son auteur a fait partie des dix premières fées à fouler notre terre. Bon, aujourd’hui, il est assez obnubilé par les lucioles, et impossible de lui soutirer quoique ce soit à propos de son passé. N’est-ce pas ? »

Pura regarda soudainement sa voisine féerique, l’air on ne peut plus sérieuse. Cette dernière acquiesça de la tête, toujours intimidée.

«— Hmm... Je me demande si j’ai vraiment envie de faire quelque chose pour sauver la situation. Après tout, vous m’avez vite tous oubliés. Alors à quoi bon ? »

Elle referma soudain le livre d’un geste sec, et le lui jeta à la figure avec une certaine férocité.

«— Puisque tu veux les aider, vas-y. Pour moi, vous êtes morts depuis mon Éclosion de toute façon. »

Lylia réceptionna l’ouvrage de justesse, choquée par ce revirement de situation brutal mais surtout par les propos de Pura. Elle osa enfin la regarder droit dans les yeux, des larmes de colère humidifiant son visage.

«— Tu es si égoïste ! »

Aussitôt dit, elle se téléporta sans rester un instant de plus dans cet endroit inconfortable. Des particules tourbillonèrent dans l’air une fois que sa silhouette chagrinée disparut. Bien entendu, l’ouvrage était fermement serré dans ses mains pendant son déplacement spatial. Hors de question de laisser tomber ce début de piste pour espérer sauver son peuple. Il ne restait qu’une dizaine d’heures avant le début de l’Éclosion. Autant dire peu de temps pour assurer l’arrivée de la millième fée.