Un coussin m’arracha de mon sommeil agité. Je grognai contre ma colocataire. Cassie aimait me taquiner et d’ordinaire, je ne me formalisais pas de ces plaisanteries, mais au vu de ma nuit riche en rebondissements, je n’étais pas d’humeur pour un réveil de ce type. Les cauchemars avaient été plus que perturbants, un mélange de l’accident de mes seize ans et de la scène vécue la veille. Je frissonnai rétrospectivement.
— Alors coloc ? J’ai à peine dormi pourtant c’est toi qui as une tête à faire peur.
— Merci du compliment, marmonnai-je en m’extirpant avec lenteur de ma couette. La fin de soirée s’est bien passée ?
— Hum hum.
En avisant son grand sourire et sa bonne humeur matinale, j’eus ma réponse. Apparemment, j’avais pris la bonne décision en les laissant terminer la fête là-bas. Même si je ne pouvais en dire autant de mon côté.
— Ethan et toi…, dis-je tout en laissant volontairement ma phrase en suspens.
Elle se mordilla la lèvre et hocha la tête, les yeux brillants. Je bondis de mon lit et l’enlaçai, heureuse pour elle.
— Merci, mademoiselle l’entremetteuse, plaisanta-t-elle en me rendant mon étreinte. Je compte bien te renvoyer l’ascenseur avec ton inconnu. Je vais déjà me renseigner sur son petit nom avant…
— Arenht, murmurai-je assez fort pour qu’elle l’entende.
Prononcer son nom à voix haute fit palpiter mon cœur plus fort, ravivant le souvenir de son bras autour de moi.
— Arenht, hein ? Petite cachottière.
— J’ai juste entendu quelqu’un l’interpeller, l’arrêtai-je de suite. Pas de quoi te faire des films.
— Bon, c’est un point de départ. Ce n’est pas un prénom courant en plus. Reste à savoir quel parcours il suit.
J’allai me préparer un thé tout en la laissant préparer son plan à haute voix. J’avais envie de le revoir tout en redoutant la conduite à tenir après son intervention à la discothèque. J’avais beau dire à Cassie de ne pas se faire de films, je ne pouvais m’empêcher mon esprit de vagabonder vers lui, Arenht.
*
Assise à la bibliothèque, mes doigts trituraient les feuilles éparpillées sur la table. Un soupir m’échappa alors que mon esprit refusait de se concentrer. Déjà trois fois que mon regard passait sur le texte que nous devions étudier pour le cours suivant. Les mots refusaient de prendre sens. Repoussant le tout, je me calai contre le dossier de ma chaise avant de me lever. Je flânai dans les rayonnages, observai les ouvrages rangés par thème, cherchant celui que j’allais emprunter lorsqu’une vibration me fit tressaillir. Je portai la main à la poche arrière de mon jean et en sortis mon téléphone. Un appel entrant. Je ne connaissais pas le numéro, mais de toute manière, je ne comptais pas répondre ici. Si c’était important, la personne rappellerait. Quelques secondes plus tard, une deuxième vibration m’avertit d’un message vocal. Je me dépêchai de ranger mes affaires, intriguée par le contenu de celui-ci.
L’oreille collée à mon appareil, je me figeai en entendant la personne se présenter en début de message. La police. Mes paumes devinrent moites. Inconsciemment je me crispai, certaine que quelque chose de terrible venait d’arriver. Ils me donnaient rendez-vous directement au poste. Aucune indication sur le pourquoi de ma convocation. Perdue, je mis un moment à réagir avant de me décider à y aller. J’avais encore un cours, mais je me sentais dans l’incapacité de me concentrer. Je détestai être dans cet état d’incertitude.
Mal à l’aise, je ne cessai de jeter des coups d’œil autour de moi. Pour la première fois de ma vie, je mettais les pieds dans un poste de police. Assise dans la salle d’attente, j’attendais que l’on m’appelle. Au bureau de l’accueil, on ne m’avait pas donné plus de précision sur la raison de ma convocation. La personne avait juste eu un drôle de regard, de ceux que l’on réserve aux évènements tristes, une expression de pitié. Mais peut-être que je me faisais des idées. Sortant un livre de mon sac, je me plongeai dans sa lecture, tentant de faire abstraction de l’environnement. Croc-blanc. Je ne comptais plus les fois où je l’avais lu. Il m’accompagnait toujours, fidèle compagnon de papier. Une fois encore il me permettrait de m’évader.
Dès que mon nom fut appelé, je fourrai fébrilement l’ouvrage dans mon sac tout en suivant la personne chargée de me conduire jusqu’à un bureau. Un homme d’une cinquantaine d’années se tenait derrière un bureau banal. Rien dans son expression ne me permettait de deviner ce qu’il s’apprêtait à me dire.
— Mademoiselle Galdon. Veuillez-vous asseoir, je vous prie.
Il attendit que je m’installe avant de poursuivre, déplaçant une pile de documents avant de refixer son attention sur moi. Il s’éclaircit la voix, une sorte de toussotement gêné. Je déglutis, mes doigts étreignant machinalement les pans de mon gilet. Puis il parla.
J’entendis chacun de ses mots, ils éclatèrent telles des détonations, violentes, retentissantes. Je vacillai sous l’impact, encaissant le choc. Puis je me fermai, refusant la vérité. Je n’étais pas vraiment là, impossible. Mes mains tremblaient alors que je m’accrochais aux accoudoirs comme pour m’assurer que le monde autour de moi n’était pas en train de se désintégrer. Mes parents. Un accident. Morts. Ce furent les trois mots qui se détachèrent avec une netteté horrible dans tout son discours. Trois mots que je refusais d’associer. Impossible. Hier encore j’entendais leurs voix au téléphone, je plaisantais avec mon père, je me confiais à ma mère. Ils… Non. Il devait y avoir une erreur, ce ne pouvait pas être eux.
Intérieurement, tout s’écroulait, c’était le chaos. À l’extérieur, je ne sais par quel miracle, j’arrivai à garder un semblant de sang-froid, attendant la fin de cette conversation sans en saisir totalement le sens. Qu’il mette fin à cette torture, que je sorte.
— Ça va aller mademoiselle ?
Je faillis éclater d’un rire sans joie. Se moquait-il de moi ? À son avis ? Il venait de m’annoncer que ma famille venait de… Je bloquai sur le mot, incapable de seulement le penser. Disparaître. Seule. Je n’avais personne vers qui me tourner. Par je ne sais quel miracle, je parvins à faire bonne figure.
La lumière crue du milieu de journée m'accueillit à ma sortie du poste. Éblouie, encore hébétée sous le coup de la nouvelle, je restai sur le pas de la porte, incapable de savoir ce que j'allais faire. Une personne sur le point de rentrer me força à bouger, à mouvoir ce corps qui me paraissait étranger. Je fis quelques pas maladroits, traversant la rue sans vraiment prêter attention à la circulation.
Tout m’oppressait. Les rues bondées, les bruits ambiants, l’air étouffant. Une main plaquée contre ma poitrine, je respirais difficilement. Un poids m’oppressait la cage thoracique, la tête me tournait. Brute et vicieuse, la souffrance s’enroulait autour de moi, resserrant son emprise à chaque battement de cœur. Pas question de faire un malaise en pleine rue, que des inconnus se regroupent autour de moi. L’idée d’être sans défense au milieu d’une foule me fournit la motivation nécessaire pour bouger, fuir. L’instinct de survie prima et désorientée, je courrai droit devant moi. Dans ma tête, les paroles du policier tourbillonnaient, autant de poignards m’aiguillonnant de leur pointe acérée.
Je finis par regagner ma voiture. Mes parents me l’avaient offerte pour que je puisse les rejoindre plus facilement. Je l’adorais. À présent, je ne voyais plus que le symbole qu’elle représentait. La portière se referma, m’isolant de la rue et de ses passants et je craquai. Les mains crispées sur le volant, les sanglots me secouèrent avec une violence inédite. J’avais l’impression d’exploser en milliers de morceaux.
Il est dur, ce chapitre.
Je ne l'avais pas vu venir, je t'avoue ! Le début commençait très léger, avec l'annonce de Cassie...
Puis la police qui appelle. Alors, sur ce point, je suis un peu partagée !
D'un côté, je trouve que ça fait durer le suspens. Je pensais qu'elle était convoquée parce qu'elle avait peut-être été témoin d'un crime sanglant la nuit précédente et qu'une quelconque caméra de surveillance aurait capté son passage proche du lieu du crime... Mais je ne m'attendais vraiment pas à la mort de ses parents.
Alors pourquoi je suis partagée : En général ce n'est pas plutôt la police qui se déplace pour ce genre d'annonce ? Ça me surprend qu'il la fasse venir "juste pour lui dire" et la laisse repartir aussitôt. Elle est jeune, elle est forcément perturbée par une telle annonce... Alors la faire venir pour lui annoncer et la laisser partir style "et sur ce bonne journée madame", ça m'a un peu déstabilisée.
Quoiqu'il en soit c'est un rebondissement tragique et je me demande comment Aylyn va pouvoir passer au-dessus de ça alors que tant d'événements suspects se produisent déjà autour d'elle. Puis ses parents semblaient redouter quelque chose... Comment découvrira-t-elle de quoi il s'agit désormais ?
À bientôt pour la suite :)
Oui tu as raison, je vais retravailler cette scène complètement pour plus de cohérence. Merci pour tes remarques pertinentes ☺️
Elle est majeure ? (info non enregistrée)
Dans ce cas de figure, on ne propose pas au moins une cellule psychologique ? On s'assure que les victimes contactent quelqu'un avant de les laisser repartir seules. Non ? C'est mon besoin de bisounoursitude qui frappe encore ? :p
Hâte de découvrir la suite. Comment le personnage surmontera tout cela. Surtout, continue à écrire et merci pour tes futurs partages. :)
Encore bravo pour ta jolie plume et tes descriptions/mises en images.
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Au bureau de l’accueil - > au bureau d'accueil ?
L’instinct de survie prima et désorientée, je courrai droit devant moi. -> et, désorientée,
de leur pointe acérée. -> pluriel ?
Ce chapitre est triste, pauvre Aylyn, déjà que c'était assez compliqué pour elle, elle doit aussi subir la mort de ses parents. J'espère quelle va retrouver le moral grâce à ces amis.
Le contraste entre la vie quotidienne et l'impact dévastateur de la tragédie crée une tension poignante et captivante pour le lecteur.
GoatWriter...