Peut-être pour la première fois depuis mon arrivée dans ce bâtiment, je fus agréablement surprise.
Surprise de constater que malgré mes maladresses et malgré le trouble que je venais semer dans leur quotidien, le joyeux trio de mes camarades de résidence fut au petit soin pour moi, le temps d’un petit déjeuner. Ils s’occupèrent de griller et de tartiner mes gaufres, de cuire mes œufs et de me servir le café. Je voyais bien qu’ils se sentaient mal de m’avoir incommodée, mais ils savaient également que j’étais désolée. Du coup, l’ambiance était étrange mais également très amusante. Je constatais rapidement que mes euphémismes typiquement anglais les faisaient rire, mais aussi qu’ils semblaient chercher à trouver quelles plaisanteries me feraient rire, moi. Leur humour, même lorsqu’il s’agissait de se moquer de l’un ou de l’autre… surtout lorsqu’il s’agissait de se moquer de l’un ou de l’autre, semblait être une part importante du ciment qui les liait et qui faisait d’eux une étrange petite famille. J’apprenais au fil de nos discussions que Mauricio avait fait le chemin jusqu’ici depuis Malaga afin de suivre des cours de qualité, car il avait eu l’opportunité de se faire financer pour ses études ici même. L’histoire était également similaire pour Hélène, qui avait refusé de suivre ses parents ayant finalement décidé d’aller vivre en Martinique. Pareil pour Timothée, grand passionné de cinéma, qui était venu ici pour suivre le cursus des arts visuels de l’université. Tous ayant reçu la grâce de se voir financer leurs études à condition qu’ils viennent les passer ici. La coïncidence était troublante, mais je décidais de ne pas poser davantage de questions, ne souhaitant pas les incommoder alors que la matinée commençait si bien.
Puis vint le moment de débarrasser la table basse sur laquelle nous nous étions installés et, fatalement, de nettoyer et ranger tous ces ustensiles et toute cette vaisselle. Naturellement, je me proposais pour aider, mais Hélène refusa poliment après avoir attrapé Timothée par l’oreille pour qu’il reste l’aider. Elle plaida que Mauricio et moi devrions plutôt commencer notre jogging si nous voulions encore profiter de la fraîcheur matinale et de l’absence de circulation sur le campus. Son argument était valable, mais je me sentais coupable de la laisser faire la vaisselle alors qu’ils m’avaient si bien accueillie. Alors je lui promis que, à la prochaine occasion, je serais celle qui ferait le petit déjeuner et qui se chargerait de tout mettre en ordre par la suite. Elle me fit alors comprendre qu’elle attendait ce moment avec impatience en se frappant généreusement le ventre, ce qui semblait être une gestuelle assez récurrente chez elle.
Déjà prête à partir, j’attendais simplement que Mauricio enfile rapidement son propre survêtement. Évidemment, il n’avait pas pris le temps d’une douche, prétextant que de toute façon, il faudrait en reprendre une après avoir transpiré suite à notre cession de jogging. Je validais son point tout en lui faisant remarquer que j’espérais courir sous le vent. Évidemment, cela le fit rire, ce qui pour une fois était le but recherché.
Ainsi nous nous lançâmes après quelques échauffements.
Le vent était léger, plutôt frais en ce début de septembre, et le fin brouillard matinal s’était complètement dissipé. La lumière argentée du ciel grisonnant était apaisante, je parvenais à courir sans perdre mon souffle, trouvant rapidement mon rythme, auquel Mauricio s’ajusta. Il semblait réellement ravi d’avoir quelqu’un avec qui partager sa petite course. Après tout, j’imaginais facilement qu’il devait être un peu déprimant de courir seul, dans le silence d’un campus encore endormi, à n’écouter rien d’autre que le son de ses propres pas. En tous cas, cette perspective n’avait rien de motivant à se lever tous les matins.
C’est alors que, considérant que je gérais suffisamment bien mon souffle pour me le permettre, je posais cette question :
— Dis-moi, pourquoi tu as dit que j’avais besoin de courir la première fois que tu m’as vu ?
— Ah, ça, c’est quand j’ai vu à quel point tu semblais à l’aise dans ta paire de talons. Je me disais que tu avais l’habitude de les porter et que, fatalement, tu devais avoir besoin de soulager ta colonne vertébrale en courant à plat, expliqua-t-il, ayant apparemment du souffle à revendre.
— Oh, je vois… j’imagine que tu as raison, je ne dois pas négliger ma santé.
— Tu sembles bien suivre, je suis surpris ! Alors dis-moi, ça te dirait que je passe devant, comme ça tu pourrais essayer de suivre mon rythme, proposa Mauricio.
— Heu, je ne suis pas sûre.
— Oh, je sais ! déclara-t-il alors avec assurance. Je vais me caler à un rythme précis, et si tu arrives à me suivre sur un petit kilomètre, tu auras gagné, proposa-t-il, enjoué. C’est la distance pour un duel !
— Tu dis vraiment n’importe quoi, répondis-je, souriant légèrement. Mais d’accord, j’imagine que ça ne peut pas faire de mal.
— Cool ! C’est parti !
Mauricio vint alors se placer devant moi et commença à augmenter son allure assez rapidement avant de se stabiliser sur sa vitesse de croisière. Et pour tout dire, imaginer le fait qu’il ait l’habitude de cette allure me surprit. S’il faisait une heure de course chaque matin à ce rythme, c’est qu’il devait être un véritable athlète. Cependant, je fus doublement surprise en constatant que je m’adaptais parfaitement bien à son allure, malgré le fait que ni mes jambes ni mes poumons n’avaient reçu le même entraînement que celui de Mauricio.
Nous courûmes ainsi sur deux-cents mètres à peine, et je ressentais déjà mes muscles et mes poumons me brûler. Vraiment, adopter son rythme n’était pas une bonne idée. Je décidais donc de réduire mon allure au minimum afin de reprendre des forces… mais mon corps ne m’obéissait pas. Peut-être s’agissait-il d’un réflexe musculaire me poussant à garder le rythme qui y était imprimé. Je tentais donc de plutôt ralentir doucement, petit à petit… mais rien n’y fit. Et comme de raison, je commençais à m’en inquiéter.
— M… Mauricio, je… ne peux plus… m’arrêter, articulais-je entre deux souffles.
— Hum ? Oh, c’est normal, tu es sous mon Emprise, déclara-t-il simplement.
— Quoi ? demandais-je, incrédule.
— Bah, tu devais bien t’en douter non ? J’veux dire, si tu es venue étudier ici à tes propres frais, c’est bien pour cette raison. Bref, assez parlé, continuons ! déclara-t-il en augmentant encore son allure.
Et à ma grande horreur, mes jambes s’activèrent afin de le rattraper, continuant d’user leurs muscles déjà brûlants de douleur, m’obligeant à continuer mon effort malgré toute la volonté que je mettais à m’arrêter.
— Qu’est-ce qui se passe ? m’écriais-je alors, paniquée.
— En gros, mon Emprise me permet de pousser quelqu’un à courir après moi. Elle se déclenche lorsqu’une personne accepte mon invitation à me suivre, enfin tu vois quoi, expliqua-t-il comme si ça n’était rien.
— Menteur ! Tu… tu m’as droguée ! C’est… c’est impossible ! m’exclamais-je, oubliant d’économiser mon souffle.
— Mais non enfin, c’est vraiment ça mon Emprise ! Mais ne t’inquiète pas, après en avoir subi quelques-unes, les nouveaux finissent toujours par en développer à leur tour lorsqu’ils passent en deuxième année, expliqua-t-il comme s’il s’agissait d’une bonne nouvelle. Concentre-toi plutôt sur ton souffle, on a une course à finir, conclut-il.
— Espèce de… cinglé ! Prie pour… que je ne te… rattrape pas !
— Haha, c’est le bon esprit Lili ! Aller, plus que sept-cents mètres ! se réjouit mon tortionnaire.
Je ne pouvais plus me permettre le luxe d’essayer de lui parler. Ce qu’il disait n’avait strictement aucun sens, et pour commencer à le démêler, il me faudrait arrêter cette course folle. Je ne savais pas pourquoi ni comment, mais je me retrouvais contrainte et forcée de courir derrière lui, de suivre son rythme malgré la douleur qui tenaillait mes muscles sans que je puisse ordonner à mon corps de s’arrêter. Les seuls indices que j’avais étaient ses improbables explications. Selon lui, je me trouvais obligée de le poursuivre par l’opération d’une force inconnue qu’il nommait Emprise, insistant sur le mot comme s’il s’agissait d’un nom propre. Mais alors, comment mettre fin à une poursuite si l’on ne peut pas l’interrompre ? Évidemment, la réponse m’apparut assez clairement une fois la question posée. Je devais le rattraper. Et je devais faire vite, car j’étais persuadée que mon corps ne tiendrait pas le coup jusqu’à la ligne d’arrivée.
— Au fait Lili, je t’ai pas donné mon surnom, fit-il remarquer sur le ton de la conversation. Je m’appelle Mauricio Turiano, et il suffit de prendre les deux premières syllabes de mon prénom et de mon nom !
Par réflexe, j’effectuais l’opération dans ma tête. Cela donnait Maurituri… ou plutôt Morituri. Ce qui, si ma mémoire était bonne, signifiait « mourir » en latin.
— Plutôt cool hein ? C’est en référence à un petit accident que j’ai eu, continua-t-il, visiblement jamais à bout de souffle. Un jour que j’étais très contrarié, je me suis mis à courir autour du campus sans m’arrêter, tant et si bien qu’au final, je me suis évanoui de fatigue et qu’il a fallu me conduire à l’infirmerie. J’ai failli mourir debout m’a dit l’infirmière ! Quelle histoire hein ? fit-il, toujours comme si de rien n’était. Mais c’est aussi une référence à la célèbre phrase des gladiateurs, tu sais ? Avé César, morituri te salutant ! ajouta-t-il en singeant une voix caverneuse.
Si seulement j’avais eu le souffle nécessaire, je lui aurais répondu que son surnom était ridicule et qu’il s’était lourdement trompé sur l’origine de cette phrase, loin d’être prononcée par des gladiateurs, si ça n’était dans les bandes dessinées.
N’ayant plus le choix, la chose étant une question de vie ou de mort, je me concentrais au mieux sur la seule partie de cette désagréable expérience que je maîtrisais : le rythme. Je comptais dans ma tête un temps chaque fois que mon pied droit heurtait le sol. Je fermais alors les yeux et, instinctivement, une portée se dessina dans mon esprit. Chacun de mes pas, chacune de mes inspirations et expirations se dessinaient sur la partition rythmique qui s’écrivait et défilait dans ma tête. Je pris alors quelques secondes pour l’analyser, pour la connaître, l’appréhender…
Cela pouvait paraître étrange, mais depuis toute petite, je gérais mes angoisses de cette façon. Lorsque la pression devenait trop forte, lorsque mon père me criait dessus, lorsque je pleurais, lorsque j’étais en colère, je faisais défiler dans mon esprit les sons et les sensations qui m’entouraient sous forme de partition rythmique, ajoutant parfois même des hauteurs de note en dessinant une clef de sol ou d’ut 3. Cela m’avait toujours aidé à me calmer, à gérer mes émotions. Et aujourd’hui, je comptais faire en sorte que cela m’aide de manière plus physique.
Continuant donc de lire le rythme qui s’écrivait sous mes yeux, j’y ajustais ma respiration, la rendant régulière, harmonieuse, me soulageant d’une petite partie de la brûlure qui me tenaillait les poumons. Puis, rassemblant toute ma concentration et toutes mes forces, faisant appel à toutes mes ressources, je poussais mon corps à se dépasser, à ignorer la douleur, et je doublais le tempo de la partition qui défilait dans mon esprit. Et c’est alors que mon corps recommença à m’obéir, que je retrouvais le contrôle, que je dépassais mes limites en usant de ma propre volonté.
Et une fois que j’eus constaté que la victoire était à portée de main, mon cerveau me gratifia d’une bonne dose d’endorphine et d’adrénaline, qui me donnèrent la force dont j’avais besoin pour bondir en avant, tel un prédateur bondissant sur sa proie.
Une seconde plus tard, Mauricio et moi avions roulé sur le sol, finissant sur le gazon qui se trouvait sur le bas-côté du petit chemin de terre battue, amortissant notre chute.
Je me retrouvais donc au-dessus de lui, le poids de mon corps et la pression de mes bras lui enfonçant la tête dans l’herbe tandis que je reprenais désespérément mon souffle, ma gorge émettant un profond râle semblable à un grognement félin chaque fois que l’air s’y engouffrait furieusement.
Ne mettant pas trop longtemps à retrouver une respiration acceptable, je bousculais finalement Mauricio afin de l’obliger à se retourner pour me faire face. Après quoi, je ne pus m’empêcher de serrer mes mains autour de son cou.
— J’exige des explications espèce de… de pauvre malade ! criai-je tandis que mon accent m’échappait complètement, plus en colère que jamais, secouant l’horrible bonhomme. Y'almost killed me ya jerk !! ajoutais-je, mes mots ne passant même plus par la partie de mon cerveau censée les traduire en Français.
Après une copieuse cession de strangulation et d’insultes aussi fleuries que le jardin de Buckingham, je retrouvais enfin le contrôle de mes poumons et de ma respiration, les battements furieux de mon cœur s’apaisant à leur tour. Cependant, ma colère bouillonnait toujours au fond de moi. La colère, mais aussi la peur face à l’incompréhension de ce qui venait de se dérouler.
— Lili...! articula Mauricio en prenant une douloureuse inspiration lorsque je relâchais sa gorge. C’est… kof ! toussa-t-il. C’est un mal entendu, je te jure, articula-t-il avec difficulté.
— Je ne vois aucun malentendu ! rétorquais-je avec un regard menaçant. Tu as essayé, Dieu sait par quel moyen, de me faire courir jusqu’à ce que mort s’ensuive !
— Kof ! Oh bon sang, ma pauvre trachée… grogna-t-il, la voix enrouée. Tu te trompes, je me serais arrêté si tu me l’avais demandé.
— Menteur ! Je t’ai insulté et menacé quand j’ai appris que tu me forçais à courir !
— Mais je croyais que tu étais juste étonnée de savoir comment marchait mon Emprise ! Et c’est normal de se charrier quand on se lance un défi entre amis !
Laisse-moi me relever maintenant, demanda-t-il d’une voix étrangement tremblante.
Cependant, je l’empêchais de se redresser en plaquant mes mains sur ses épaules, le bloquant toujours sous mon poids contre le gazon. Je ne souhaitais certainement pas le laisser agir à sa guise et risquer de le voir encore utiliser je ne sais trop quoi pour me manipuler. J’hésitais à appeler la police, ou un responsable du campus. Peut-être qu’à ce moment-là, une petite partie de moi croyait encore à un improbable malentendu.
— Je te donne une chance de m’expliquer Mauricio ! grognais-je. Si je ne suis pas convaincue, j’appelle la police ! menaçais-je en le toisant du doigt avec sévérité.
— Je te jure, kof, toussa-t-il. C’est un malentendu. C’est parce que tu n’as pas bien lu le contrat étudiant peut-être, je ne sais pas, mais normalement tous les nouveaux sont mis au courant ! Soit tes études sont financées par le campus pour que tu participes à l’expérience, soit tu viens à tes propres frais parce que tu as envie d’y participer. Mais c’est tellement cher qu’on n’a presque jamais de nouveaux étudiants qui viennent d’eux-mêmes, tenta-t-il d’expliquer, assez vainement. J’aurais arrêté de courir si tu me l’avais demandé ! Et comme tu disais rien, j’ai cru que tu tenais bon ! Je te tournais le dos je te rappelle ! ajouta-t-il pour sa défense.
— Admettons que tu n’aies pas tenté de me tuer, pourquoi m’avoir forcée à courir ? demandais-je alors, un peu moins brutale, espérant vraiment démêler un malentendu.
— C’est notre boulot, on doit exposer les nouveaux venus à nos Emprises histoire de les habituer aux ondes. Et puis c’est aussi une sorte de tradition quoi, mais je te jure Lili, je… j’ai jamais voulu te faire du mal, ajouta-t-il alors, visiblement angoissé par la situation.
Je ne comprenais rien. En fait, si, j’imaginais en quelque sorte ce qu’il me disait, mais c’était invraisemblable. Un campus dans lequel les élèves sont exposés à des ondes leur faisant développer des capacités qu’ils appelaient « Emprise ». De plus, afin d’attirer des cobayes, l’université proposait de leur offrir de prestigieuses études sans aucuns frais. Et ceux qui venaient de leur propre gré n’avaient qu’à se débrouiller seuls. Mais apparemment, les frais d’inscription étaient volontairement dissuasifs afin d’éviter que des personnes non averties ne viennent y faire leurs études. Mais tout cela n’avait aucun sens, si l’on pouvait donner des capacités aussi étranges à des êtres humains, ça se saurait tout de même.
— Et comment expliques-tu que je sois arrivée ici sans être au courant ? Si tant est que tout cela ne soit pas juste un vaste canular ! m’exclamais-je, nerveuse.
— C’est pas un canular ! rétorqua Mauricio en essayant de se redresser, ce que je l’empêchais de faire. Tu as bien vu que mon Emprise était réelle ! Tu ne pouvais pas courir moins vite que moi, et tu as même utilisé l’astuce de finalement courir plus vite que moi. Tu sais très bien que ce que je dis est vrai, tu as juste du mal à y croire ! lança-t-il d’une voix qui semblait me supplier.
— Je… je sais, soufflais-je en frissonnant d’épuisement. J’ai bien senti que mon corps m’échappait, et pourtant je me sentais parfaitement normale. Et je dois bien avouer que tu ne semblais pas comprendre que j’étais en détresse, parce que tu ne te doutais pas que je pouvais ignorer toute cette histoire… pondérai-je en essayant d’éclaircir mes idées.
— Oui, c’est la vérité Lili, tu me crois hein ? Tu… t’es pas fâchée ? Appelle pas les flics s’te plaît, couina-t-il.
Maintenant que ma rage était redescendue, j’éprouvais tout de même un peu de peine pour Mauricio. Après tout, il pensait me rendre service, croyant que j’étais venue ici pour voir à quoi ressemblaient ces Emprises. Il y avait cependant encore beaucoup de trous dans cette histoire. Je me redressais donc, relâchant les épaules du pauvre jeune homme, puis j’entendis d’étranges et discrets éclats de voix juste derrière moi…
Je tournais la tête et constatais qu’un petit groupe de trois demoiselles étaient en train de glousser et de murmurer entre elles, détournant rapidement le regard lorsqu’elles croisaient le mien. Je me questionnais alors un bref instant sur la raison de leur comportement, tournant la tête vers Mauricio comme pour l’interroger, puis je compris aussitôt.
J’étais assise à cheval sur ses hanches, les deux mains posées sur son torse dans l’intention de m’y appuyer pour me relever. Il était encore rouge d’avoir été étranglé, j’étais encore rouge de m’être mise en colère, et nous étions couverts de sueur et respirions un peu bruyamment, ainsi vautrés sur le gazon.
C’est alors que, laissant Mauricio pousser un petit cri de douleur alors que j’appuyais vivement sur son plexus pour me relever, je me tournais vers le groupe de filles qui venait de passer et qui nous tournaient déjà le dos, rougissant davantage. Ce qui ne joua pas en la faveur de ma plaidoirie :
— Ce n’est pas ce que vous croyez ! J’ai sauté sur lui parce qu’il utilisait son Emprise sur moi et… n’allez pas faire de commérage ! lançais-je en désespoir de cause.
Les demoiselles ne tournèrent la tête qu’une fraction de seconde pour me voir parler, puis leurs rires et leurs murmures s’intensifièrent. C’était une catastrophe.
— Bah, elles savent très bien que c’est un malentendu, tenta de me rassurer le jeune homme qui venait de se relever à son tour. Elles iront pas raconter des bobards juste pour le plaisir, plaida-t-il sottement.
— Tu plaisantes ! m’exclamais-je en me tournant vivement vers lui, faisant de grands gestes. Elles se lèvent toutes les trois à la même heure pour aller prendre leur petit déjeuner à la cafeteria, alors que les cours ne commencent pas avant quatorze heures. Elles utilisent toutes le même maquillage et leurs vêtements viennent tous de la collection Zara de l’automne dernier ! Ça fait donc au moins un an qu’elles sont entre amies à badiner, faire les boutiques et à ragoter ! expliquais-je avec angoisse, me mordant la lèvre.
— Wahou… T’as vraiment pu voir tout ça ? souffla Mauricio, sincèrement impressionné. Mais tu ne les juges pas un peu trop vite ?
— Hah, m’exclamai-je, exaspérée. Tu as encore beaucoup de choses à apprendre sur les femmes, Morituri, répondis-je en appuyant sur son surnom.
— Tu me fais peur Lili, réagit-il étrangement. Mais d’un autre côté, t’es vraiment fascinante. Un peu comme un chat sauvage qu’on aurait envie d’approcher, mais en ayant quand même peur de se faire griffer ou de le faire fuir, exprima-t-il avec une étrange sincérité.
— Qu’est-ce que vous avez avec les chats, vous tous… soupirais-je avant de passer mes bras autour de mon corps. Bon sang, je tremble de partout, je ne me sens pas bien…
— Ah, heu, t’inquiète pas, c’est le contrecoup de l’effort intense, repose-toi une petite heure et ça ira mieux, assura Mauricio en s’approchant afin de m’aider à me tenir debout. Je suis vraiment, vraiment désolé, gémit-il.
— C’est bon, n’en parlons plus… soufflais-je entre deux frissons, mes muscles me trahissant. Jamais plus, ajoutai-je.
— OK, promis, m’assura-t-il. Mais tu devrais peut-être t’asseoir un peu, sinon tu risques de…
Je n’entendis pas le reste de sa phrase, mes oreilles se bouchant légèrement lorsque mon diaphragme décida de se rebeller, remontant bien trop haut, bien trop vite. Puis sentant une fulgurante nausée monter en moi, je tombais à genoux dans l’herbe, comme par réflexe, et une bonne partie de ce que j’avais pu manger au petit déjeuner décida de déserter mon estomac. Je ne connaissais aucune sensation plus désagréable que celle-ci. Et à peine eus-je le temps de reprendre mon souffle, que mon diaphragme recommençait à s’agiter.
— V-viens me tenir les cheveux, idiot ! lançai-je à l’intention de Mauricio.
Puis de nouveau, je souillais lamentablement le gazon si bien entretenu du campus. Quelle honte, vraiment. Mais au moins, mes cheveux étaient à l’abri, le jeune homme étant venu s’assurer que ma queue de cheval ne me revenait pas en plein visage tandis que je me vidais douloureusement.
J’eus l’impression que cela ne s’arrêterait jamais. Si je n’avais mangé que trois gaufres en tout et pour tout, j’avais l’impression d’en vomir une douzaine. Mais heureusement, mon supplice finit par prendre fin, et je pus finalement me redresser, toujours avec l’aide de Mauricio.
— Ramène-moi au dortoir s’il te plaît, soufflais-je en essuyant ma bouche d’un revers de main. Je me suis suffisamment humiliée publiquement pour le reste de l’année, grognai-je, frustrée.
— Dis pas ça, souffla le jeune homme en passant mon bras autour de ses épaules. Ce sont des choses qui arrivent, ça fait partie de la vie d’un étudiant. Et de la vie tout court aussi, j’imagine. T’inquiète pas, c’est le genre de souvenir dont tu riras une fois passé en deuxième année, m’assura-t-il.
Je fermais doucement les yeux, décidant de me laisser guider. L’air était frais. La lumière était grise, ténue. Cela me rappelait Londres. Je frémis de nouveau en réprimant cette sensation de picotement qui me remontait le nez en essayant d’atteindre mes yeux.
— Je déteste laisser des gens me voir dans un tel état, avouai-je simplement.
— Tu ne devrais pas. Je sais pas si c’est ton éducation bourgeoise qui, aïe ! s’exclama-t-il alors que je lui pinçais les côtes. Laisse-moi finir ! Je veux dire, on t’a peut-être dit que tu ne devais jamais te montrer faible en société, mais c’est stupide. Tout le monde a des faiblesses et tout le monde s’est déjà retrouvé dans une situation humiliante, c’est hypocrite de prétendre le contraire. Il faudrait plutôt assumer ses erreurs et montrer qu’on peut en sortir grandi, plutôt que de prétendre qu’on n’en fait jamais. Tu sais, je pense que c’est pour ça qu’on a l’habitude de charrier les nouveaux venus. Pour leur faire comprendre que, comme tout le monde, ils vont devoir passer par des moments embarrassants dans leur vie. S’ils acceptent de jouer le jeu et acceptent les taquineries, alors ils sont facilement acceptés. Mais s’ils le prennent mal, alors ils seront considérés comme trop hautains et inaptes à s’intégrer socialement dans le groupe. C’est un comportement un peu animal, mais quelque part, c’est aussi vachement b… s’interrompit-il lorsqu’il croisa mon regard. Qu – quoi ? balbutia-t-il.
— Je ne savais pas que tu étais philosophe, soufflais-je avec un sourire en coin.
— Bah, je triche un peu en fait, avoua-t-il avec un petit rire. C’est Hell qui m’a expliqué ça quand je suis arrivé dans le bâtiment G. Elle est en troisième année, et moi en deuxième.
— Ah, soufflais-je. Je me disais aussi, le rôle du sportif exubérant te va mieux que celui du donneur de leçons…
— Holala… Pourquoi tant de haine ? ajouta-t-il d’un air faussement dramatique.
— Eh bien, j’imagine que… hésitais-je. C’est parce que je ne sais pas trop comment exprimer de l’affection.
Ah, enfin on entre un peu plus dans le vif du sujet ! Honnêtement, il faudrait vraiment qu’un petit détail fasse se poser des questions aux lecteurices bien avant ce chapitre. Je pense que beaucoup vont abandonner leur lecture au chapitre deux ou trois sinon.
Mes remarques en cours de lecture :
"au petit soin" --> aux petits soins
Elle était en talons ? Je n’ai pas remarqué ce détail dans les précédents chapitres. C’est surprenant non, de venir en talons sur un campus ? Pour le fait que le jogging soulage le port de talons, je n’en ai jamais entendu parler, mais je suppose que tu connais le problème ou as fait des recherches sur le sujet. (ps : je donne mon impression à la lecture, mais je ne suis absolument pas experte sur le sujet).
Cette histoire d’Emprise est intéressante et le fait que Mauricio ne semble pas réaliser à quel point c’est dangereux et problématique me parait surprenant. D’ailleurs, par la suite, Lili semble lui pardonner bien rapidement (elle éprouve même de la peine pour lui !), alors que ce qu’elle vient de vivre est traumatisant.
Lili comprend vraiment très vite (trop vite ?) cette histoire d’Emprise, qu’elle explique en quelques mots malgré les explications pas très claires de Mauricio. Je suis étonnée qu’elle n’ait pas lu le contrat du campus, avec son caractère. Une explication là-dessus ne serait peut-être pas superflue.
Petit détail : Si elle ne peut pas se tenir les cheveux elle-même alors qu’elle vomit, il y a peu de chances qu’elle soit en état de parler pour demander à ce que Mauricio lui tienne sa queue de cheval non ? (encore une fois, pas experte, mais cela me semble surprenant).
Il y a en effet beaucoup de point pas très clairs qui mériterai d'être retravaillés, et je suis ravi que tu les soulèves afin que je puisse les corriger.
Je sais que la lenteur de l'action peut en rebuter certain, mais ça demanderait une réécriture profonde.
Mais les lecteurices n'oublieraient pas, eux, ce qui permettrait de peut-être maintenir leur attention jusqu'à ce chapitre.
Évidemment, ce n'est qu'un avis personnel.